B. AUDITION DES REPRÉSENTANTS DES AGENCES DE NOTATION,
LE 9 JUIN 2010

Réunie le mercredi 9 juin 2010, sous la présidence de M. Jean Arthuis, président, la commission a procédé à l'audition de M. Frédéric Drevon, senior managing director de Moody's Europe, Moyen Orient, Afrique, Mme Susan Launi, senior european counsel à Moody's Europe, M. Alain Mera, président de Fitch France, et Mme Carol Sirou, présidente de Standard & Poor's pour la France, sur le projet de loi de régulation bancaire et financière.

M. Jean Arthuis , président . - Nous avons reçu hier le gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer. Le projet de loi de régulation bancaire et financière, en cours d'examen à l'Assemblée nationale, crée un conseil de la régulation financière et du risque systémique. Il vise aussi à ratifier l'ordonnance qui a créé l'Autorité de contrôle prudentiel par rapprochement entre la Commission bancaire et l'Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles. Des collèges de superviseurs sont aussi mis en place pour les établissements transnationaux.

Deux articles tendent à renforcer le contrôle sur les agences de notation, pour mettre notre législation en accord avec le droit européen. Lequel va pourtant encore évoluer, avec, par exemple, la prise en compte de la dette souveraine. La commission des finances de l'Assemblée nationale a voté un amendement, à l'initiative de Jérôme Chartier, instituant une responsabilité sans faute des agences de notation. C'est un signal fort.

Mme Carol Sirou, présidente de Standard & Poor's pour la France . - Le principe d'une régulation renforcée des agences de notation, en vue de leur conférer plus de transparence, d'indépendance, de concurrence et de responsabilisation nous semble indispensable pour restaurer la confiance des marchés et des utilisateurs des notations. Depuis 2004 ont été mises en place des réformes d'ampleur qui allaient déjà en ce sens. L'Organisation internationale des commissions de valeur (OICV) a élaboré un code de bonne conduite des agences de notation qui s'est traduit par différentes règlementations. Les Etats-Unis ont ouvert la voie en 2006. La réglementation européenne est entrée en vigueur en décembre 2009 et le dépôt des candidatures à l'agrément prendra fin le 7 septembre prochain. Cette réglementation impose aux agences de nombreuses obligations visant à assurer l'indépendance, la transparence et la qualité de leur activité, à gérer les possibles conflits d'intérêts et à en rendre compte aux autorités de régulation - l'Autorité des marchés financiers pour la France.

Au-delà, d'autres propositions sont attendues qui visent à améliorer la surveillance et à la centraliser au niveau européen - car notre activité n'est pas géographiquement localisée. Comme émergent en ce moment différentes règlementations dans le monde, il faut aussi veiller à respecter une certaine cohérence internationale et le G20 vient encore de réaffirmer la nécessité de règlementations qui ne soient pas discriminatoires. En revanche, certaines règlementations bancaires et assurantielles donnent une importance normative disproportionnée à la notation, en lui accordant un rôle systémique qui n'est pas le sien, ce qui entretient le malentendu sur notre métier. Au point qu'il faudrait, à la limite, retirer la référence aux notations dans certaines de ces règlementations.

Une note, c'est une évaluation qui porte sur le futur, c'est une appréciation sur une capacité de remboursement ou sur l'éventualité d'un défaut futur et c'est ce caractère prédictif qui donne toute sa valeur à notre métier. Il est toujours facile de critiquer ex post une note si ce qu'elle a anticipé ne se réalise pas mais, de notre point de vue, notre responsabilité n'est ici pas absolue : il faut considérer et mettre l'accent sur le respect des procédures et des standards professionnels. A cet égard, la réglementation européenne est très contraignante. On dit souvent que les agences de notation ne seraient pas responsables et se situeraient au-dessus des lois. Nous appelons seulement l'attention sur le fait qu'une responsabilité fondée sur la notion d'« erreur de notation » - comme le prévoit l'amendement Chartier au projet de loi de régulation - serait incompatible avec la réalité de notre métier, mettrait en péril l'existence même des agences et interdirait à certains États d'accéder aux marchés financiers.

M. Jean Arthuis , président . - Combien de personnes travaillent dans votre agence en France ?

Mme Carol Sirou . - Nous sommes cent vingt-sept, dont quatre-vingt-dix se consacrent à l'activité analytique, le reste étant affecté à la vente de données et aux fonctions support. Standard & Poor's emploie environ cent dix personnes à Francfort, trois cent cinquante à Londres, une cinquantaine en Italie, trente-cinq en Espagne, trente-cinq en Suède et soixante-dix à Moscou.

M. Frédéric Drevon, senior managing director de Moody's Europe, Moyen Orient, Afrique. - En France, nous avons notre troisième bureau européen par la taille ; quarante-sept personnes y travaillent contre cinq cents à Londres et quatre-vingt à Francfort. Nous soutenons la mise en place d'une autorité européenne unique, compte tenu de la nécessité d'une approche coordonnée et de standards européens communs. La nouvelle réglementation européenne sur les agences de notation - pour laquelle nous devons être prêts à la date du 7 septembre et qui est complexe et très complète - traitera de la transparence des agences, de leur gouvernance et de la gestion des conflits d'intérêts. Elle donnera aux autorités de tutelle les outils nécessaires pour appliquer à ces agences d'éventuelles sanctions qui iront de l'amende au retrait de la licence. Actuellement, nous n'avons pas besoin de licence. Dès le 7 septembre, nous serons dans une période de transition de six mois en attendant l'agrément des autorités de tutelle. Nous sommes aussi soumis, comme les autres grandes agences internationales, à la réglementation américaine de la Securities and Exchange Commission (SEC).

L'arsenal à la disposition de ces autorités de tutelle sera important. En droit français existe déjà aussi une responsabilité civile des agences qui donne aux investisseurs comme aux émetteurs le droit de mettre en cause leur activité.

Notre échelle de notation comprend vingt points différents de probabilité de défaut dans le futur. Si nous étions une agence parfaite, dans l'idéal nous devrions n'en avoir que deux : va faire défaut ou ne va pas faire défaut. Malheureusement, ne pouvant avoir une opinion certaine sur le futur, nous travaillons sur une échelle de probabilités. Un élargissement de la responsabilité civile, tenant compte de la notion d'erreur plutôt que de celle de faute, nous poserait problème. Le fait de modifier une note signifie-t-il que la note initiale était erronée ?

Si l'erreur était considérée comme une notion pertinente pour les agences de notations, nous serions amenés à reproduire ce que pensent les marchés afin de ne pas avoir une opinion différente d'eux. Or ceux-ci favorisent la volatilité des notations alors que, nous, nous voulons une notation stable, basée sur une recherche fondamentale et qui n'évolue pas au jour le jour. Ou bien nous serions amenés à adopter des notations plus conservatrices, ce qui obligerait certains émetteurs à se refinancer à un coût plus élevé et nuirait à l'activité économique. Nous considérons donc que la réglementation actuelle et le cadre français de la responsabilité civile permettent aux utilisateurs de la notation de faire appel aux tribunaux pour mettre en cause nos notes.

M. Alain Mera, président de Fitch France . - Notre agence emploie quarante-sept personnes en France, quarante à Francfort et quatre cent soixante à Londres.

Nous sommes conscients de l'importance des événements survenus depuis deux ou trois ans et nous n'avons eu de cesse d'en tirer les enseignements et de participer aux divers travaux sur une future régulation, en plaidant pour la coordination et la cohérence des politiques mises en place.

L'agence Fitch reconnaît l'existence de conflits d'intérêt potentiels du fait que nous pouvons être amenés à noter des entités qui nous rémunèrent. Ces conflits d'intérêt sont identifiés, gérés et divulgués ! Notre code de bonne conduite et des procédures publiques nous permettent de nous prémunir contre ce risque. En réalité, il n'existe pas de modèle économique dénué de tout conflit d'intérêt. Si nous étions rémunérés par les investisseurs, nos notes auraient un impact sur leur stratégie d'investissement ; de plus, la majorité d'entre eux sont eux-mêmes notés ; enfin, la fin de la diffusion publique des notes réserverait l'information au profit de quelques-uns seulement, ce qui nuirait à la transparence du marché. Notre modèle actuel de gestion des conflits d'intérêt est efficace grâce à des procédures qui assurent l'objectivité des notations, leur intégrité et leur indépendance ; grâce, aussi, au renforcement du contrôle européen.

Je peux donner quelques exemples des procédures mises en place pour gérer d'éventuels conflits d'intérêts. Les activités d'analystes sont totalement séparées des activités commerciales. Il n'y a aucune relation entre la rémunération des analystes et les revenus tirés de la notation des entités dont ils ont la charge. Ces analystes ont l'interdiction absolue de se livrer à des activités de conseil ou de structuration. La notation est déterminée par un comité - qui, chez nous, comprend obligatoirement un membre indépendant. Nous avons mis en place des responsables-crédit dans chaque groupe de notation, chargés de s'assurer que le processus respecte bien l'ensemble des procédures et méthodologies de notation. Nous avons mis en place un code de bonne conduite, révisé en 2009, conformément aux préconisations de l'OICV. Enfin, les activités annexes à la notation sont conduites dans des entités juridiques distinctes, ou séparées par une véritable « muraille de Chine ».

S'agissant de la responsabilité des agences, l'amendement Chartier proposait de les placer sous le régime de la « responsabilité sans faute ». Ce n'est pas acceptable car cela leur ferait courir un risque d'un niveau insupportable et injustifié, allant jusqu'à remettre en cause leur activité en France. La notation est une opinion prospective sur la solvabilité à terme d'un émetteur, ce n'est pas une vérification a posteriori comme celle d'un commissaire aux comptes. L'application d'une « responsabilité sans faute » pour n'avoir pas prédit le futur serait donc pour le moins mal avisée. Dans sa nouvelle rédaction, cet amendement prévoit l'application du code civil d'une part, la responsabilité de l'agence vis-à-vis de la réglementation européenne, d'autre part. C'est plus acceptable. Quant à l'interdiction des clauses limitant la responsabilité des agences, on doit y réfléchir à nouveau... L'exposé des motifs de cet amendement souligne l'absence de vigilance des analystes dans les notations non sollicitées. Nous le contestons formellement et cela va à l'encontre du renforcement de la concurrence que les régulateurs appellent de leurs voeux. Les nouvelles propositions de la Commission de Bruxelles encouragent justement, dans le domaine de la titrisation, les notations non sollicitées.

Diverses propositions sont en cours de discussion au Congrès à Washington. Le projet dit LeMieux propose de supprimer toute référence aux notations dans les exigences règlementaires. Cela favoriserait-il la concurrence ? Ou bien la concentration en faveur des deux plus grandes agences de notation, lesquelles occupent déjà 80 % du marché, contre 14 % pour Fitch ? Quant au projet dit Franken, il concerne la seule titrisation. La presse prétend qu'un comité serait chargé d'attribuer les mandats de notation. Je ne suis pas d'accord avec cette interprétation : le projet se contente de prévoir qu'un comité définirait les règles d'attribution de ces mandats.

Le projet d'agence européenne est à analyser à l'aune du caractère oligopolistique - je dirais même duopolistique - du marché de la notation. S'il existe actuellement trois agences globales, dont Fitch Ratings fait partie, il existe aussi de nombreuses agences locales ou sectorielles - consacrées par exemple aux assurances. Fitch Ratings est le résultat d'une initiative et de l'investissement considérable d'une société française, Fimalac, à la fin des années quatre-vingt-dix et nous appelons de nos voeux un renforcement de la concurrence. La création d'une agence demande du temps, il faut qu'elle puisse établir sa crédibilité auprès des investisseurs car, in fine, ce sont eux qui décident du niveau de la concurrence.

Fitch Ratings est déjà une agence européenne : notre actionnaire majoritaire est français et nous avons un siège social à Londres en plus de celui de New York. L'équipe d'analystes des risques souverains est basée à Londres. Et nous avons une filiale à Paris.

M. Jean Arthuis , président . - Lors de la précédente audition, vous aviez dit que vous notiez les États mais que les États ne vous rémunéraient pas. Cela va-t-il durer ?

Mme Carol Sirou . - Il y a un malentendu. Les États font l'objet du même processus d'accords contractuels que les autres émetteurs, du moins pour les neuf dixièmes d'entre eux. Un petit nombre, souvent pour des raisons historiques, font l'objet de notations non sollicitées. Les notations souveraines se font donc dans le cadre d'accords contractuels et nous avons des équipes dédiées qui font le même type d'analyses et appliquent les mêmes règles que pour les autres émetteurs. Les États ne bénéficient pas de processus allégés, au contraire. Il s'établit un processus interactif entre les analystes et les responsables de la gestion de la dette dans les différents ministères des finances.

M. Jean Arthuis , président . - Vos agences sont-elles rémunérées ?

Mme Carol Sirou . - Oui.

M. Alain Mera . - Chez Fitch, 40 % des notations souveraines ne sont pas rémunérées et les analystes ne savent pas si une notation est rémunérée ou non. Ils appliquent donc la même procédure dans les deux cas.

M. Jean Arthuis , président . - Lorsque vous passez convention avec un émetteur, sur quoi portent les délibérations ? Allez-vous sur place, réalisez-vous un audit ?

M. Alain Mera . - Quelle que soit la notation, elle doit répondre à certains critères de qualité et l'émetteur doit répondre à nos demandes d'information. Si le dialogue ne permet pas d'y parvenir, nous ne notons pas !

M. Jean Arthuis , président . - S'agissant des entités souveraines, les fonctionnaires interrogés ne vous demandent pas si vous avez un mandat ?

M. Frédéric Drevon . - Non. Nous avons des contacts avec les ministères des vingt-sept États membres de l'Union européenne.

M. Philippe Marini , rapporteur général . - Pourquoi les échelles de notation diffèrent-elles d'une agence à l'autre ? Ne pourrait-on envisager une échelle unique ?

Les notations non sollicitées résultent de la libre initiative des agences et, donc, sont financées par elles. Comment définit-on un programme, s'agissant des entités souveraines qui vont faire l'objet d'une notation non sollicitée ? Y a-t-il un comité qui en décide ? Une procédure particulière ?

Pour la rémunération des agences, ne serait-il pas opportun d'envisager une tarification plus systématique, plus transparente ? Par exemple, je viens de recevoir un document de notation du département de la Meuse. Combien paye une modeste collectivité territoriale comme celle-ci pour être notée ? Le coût annuel de la notation d'une grande compagnie d'assurances - AXA par exemple - qui émet une grande variété de titres, est-il égal à dix fois, cent fois celui demandé à un département ? Une échelle de tarification publique serait-elle inconcevable ?

J'ai bien noté que votre code de conduite comprend une procédure de gestion des conflits d'intérêt - des « murailles de Chine ». Mais un même émetteur peut-il faire l'objet d'une notation de ses titres et, en même temps, d'une activité de conseil visant à être noté le mieux possible ? Est-ce possible, même avec une « muraille de Chine » ?

Monsieur Mera, le 4 mai, selon la presse, l'agence Fitch confirmait la note AAA accordée à l'Espagne. Le 28 mai, vous dégradiez cette note jusqu'à AA+ compte tenu de votre analyse des mesures de correction budgétaire de ce pays. Que s'est-il donc vraiment passé en trois semaines, quel raisonnement avez-vous suivi qui a provoqué une telle correction ?

Que penseriez-vous d'une notation systématique, à terme régulier, des titres de la dette souveraine des différents États que vous suivez ? Serait-ce un progrès ? Par exemple, serait-il souhaitable que vous publiez, sur l'Estonie, une note tous les six mois ou tous les ans ? Serait-ce favorable à la gestion des marchés ?

M. Denis Badré . - J'étais à Madrid au lendemain de la révision de la notation espagnole. Les gens comprenaient qu'on ne faisait plus confiance dans leur capacité de croissance du fait de la dette privée.

M. Philippe Marini , rapporteur général . - C'était vrai le 28 mai et pas le 4 mai ?

M. Denis Badré . - Croyant comprendre que les agences n'avaient plus confiance dans le gouvernement Zapatero, l'opinion espagnole est descendue manifester dans la rue. En fait, la publication d'une dégradation de la note d'un pays est trop brutale. Ne devrait-on pas prendre le temps d'en expliquer les raisons à l'opinion publique ?

Les États de l'Eurogroupe veulent montrer qu'ils sont solidaires, mais la dégradation de la note espagnole ne témoigne-t-elle pas d'un manque de confiance dans cette solidarité ?

M. Pierre Bernard-Reymond . - Vous avez dit que la décision de noter était prise par un comité. Ce comité s'interroge-t-il sur la date et même l'heure à laquelle la note est rendue publique ? Tient-il compte de la conjoncture internationale ?

Sur la Hongrie, avez-vous une idée de ce qui vient de se passer ?

M. Charles Guené . - Je vous remercie d'être revenus à une seconde audition.

M. Philippe Marini , rapporteur général . - Signe des temps...

M. Charles Guené . - Je comprends votre peu d'engouement pour la « responsabilité sans faute », mais les préconisations du rapporteur général sur une échelle de notation unique et sur des rendez-vous réguliers de notation n'impliquent-elles pas une obligation de moyens et, donc, les responsabilités qui en découlent ?

M. Jean Arthuis , président . - J'en reviens à la notation des collectivités territoriales. Les réformes fiscales qui affectent leurs ressources, comme la suppression de de la taxe professionnelle, la diminution de leur pouvoir fiscal, ont-elles un impact sur leur notation ?

M. Frédéric Drevon . - Sur l'échelle unique de notation, je dirai que nos échelles sont en apparence peu différentes. Ce qui diverge, ce sont les objectifs de chaque agence. La principale difficulté vient de l'impossibilité d'opérer l'ajustement ; cela supposerait de modifier notre stock de notations - plusieurs milliers dans le monde - portant sur des montants d'emprunts colossaux, ce qui aurait des conséquences considérables. Autre difficulté : à s'orienter vers un standard unique, on risque de perdre la diversité des opinions...

Nous avons cessé les notations non sollicitées il y a dix ans à cause de la difficulté de les expliquer tant aux émetteurs qu'aux investisseurs. En plus elles ont un coût pour l'agence...

M. Philippe Marini , rapporteur général . - Elles sont plutôt le fait du petit dernier à être entré dans la confrérie, Fitch...

M. Frédéric Drevon . - Pas seulement. Il y a place pour une notation non sollicitée en cas de désaccord. Mais le communiqué de presse doit être d'une grande transparence et expliquer la raison de la notation ainsi que la procédure suivie.

La rémunération de l'agence est fonction de la complexité de l'émetteur - une entité qui comporte mille filiales dans le monde est plus complexe à analyser qu'un département. Elle est aussi fonction du montant émis.

M. Philippe Marini , rapporteur général . - Proportionnellement, le petit émetteur paye beaucoup plus ?

M. Jean Arthuis , président . - La notation est payée par l'émetteur lui-même ?

M. Frédéric Drevon . - Oui. Quel serait l'intérêt de publier l'échelle de rémunérations ?

M. Philippe Marini , rapporteur général . - Lutter contre les conflits d'intérêt !

M. Frédéric Drevon . - Non, car aujourd'hui l'analyste ignore si la notation est sollicitée ou non.

M. Philippe Marini , rapporteur général . - Une tarification ad valorem est-elle inimaginable ?

M. Jean Arthuis , président . - Comment les analystes sont-ils rémunérés ?

M. Frédéric Drevon . - Ils ont un salaire fixe, une part variable liée à l'ensemble des résultats de l'agence, plus une part liée aux qualités propres de l'analyste.

En 2007, nous avons séparé l'activité de conseil de celle de la notation. C'est une maison soeur qui se charge du conseil et de toutes les autres activités autres que la notation. La question des conflits d'intérêt est donc réglée.

En matière de notation des dettes souveraines, notre responsabilité est grande. D'où la nécessité de publier des communiqués de presse clairs et des documents explicatifs afin qu'on comprenne quels facteurs peuvent modifier une notation. Mais lorsqu'une note souveraine est modifiée, les médias ne s'intéressent pas beaucoup aux raisons qui l'expliquent.

La parution de notes à dates fixes ? Jusqu'à présent, nous considérions qu'une notation devait être délivrée sur le marché le plus rapidement possible, sans rétention d'information.

M. Jean Arthuis , président . - Les notations pourraient être annoncées en fin de semaine, lorsque les marchés sont fermés.

M. Frédéric Drevon . - Les marchés ne s'arrêtent jamais d'un fuseau horaire à l'autre et cela pourrait nuire aux investisseurs européens qui seraient devancés par les autres. Une autre option serait de viser le vendredi après-midi mais cela aurait un impact négatif sur les investisseurs qui auraient peu de temps pour réagir. Cela dit, nous sommes prêts à en discuter avec les régulateurs.

Je ne vois pas le bénéfice qu'il y aurait à remettre à jour notre notation souveraine à intervalles réguliers. Notre note doit être à jour à tout moment, pour éviter que les investisseurs ne s'interrogent sur elle entre deux émissions... Si la note doit être changée, elle le sera publiquement, en fonction de notre analyse macroéconomique ou de l'émergence de phénomènes spécifiques.

M. Philippe Marini , rapporteur général . - Cette question fait-elle débat aux États-Unis ?

M. Frédéric Drevon . - Pas à ma connaissance.

Mme Susan Launi, senior european counsel à Moody's Europe . - Le débat aux États-Unis porte plutôt sur les effets abusifs du marché. Le régulateur souhaite la publication la plus rapide possible, car la notation est une information déterminante. On avait ainsi observé des mouvements de marché juste avant la parution de la note de la Russie...

Mme Carol Sirou . - À compter du 7 septembre, le règlement européen réaffirmera une règle stricte : l'agence qui modifie une note doit informer l'émetteur un minimum de douze heures avant la publication, afin qu'il puisse notamment commenter notre projet de communiqué de presse. De facto, la probabilité qu'une note sorte juste après la fermeture des marchés boursiers s'en trouvera réduite. Mais laisser une information aussi sensible pendant douze heures ou plus entre les mains de tiers augmentera considérablement le risque de manipulation et de fuite.

M. Philippe Marini , rapporteur général . - Vos communiqués sont-ils parfois modifiés avant publication, à la suite de remarques des émetteurs ?

Mme Carol Sirou . - Très fréquemment. Nous nous engageons à transmettre systématiquement nos communiqués, sachant qu'il n'est pas question de modifier le fond. Les modifications portent essentiellement sur la formulation, le « wording » : cela fait partie de la relation de confiance entre l'agence de notation et l'émetteur. Il est important d'avoir des procédures claires.

Mme Susan Launi . - Le règlement européen imposera de préciser s'il y a eu changement de notation après communication avec l'émetteur. Nous sommes rédacteur en chef de notre communiqué de presse : nous ne le transmettons que pour nous assurer qu'il ne contient pas d'informations confidentielles ou d'erreurs de fait.

M. Alain Mera . - J'ajoute que les émetteurs ont la possibilité de faire appel. Il est statué sur la recevabilité de l'appel via un processus formalisé et documenté.

M. Jean Arthuis , président . - À l'intérieur du délai douze heures ?

M. Alain Mera . - Oui.

Mme Carol Sirou . - La note est alors mise « sous surveillance ». Nous informons le marché de ce dialogue, tout en donnant la tendance, négative ou positive, de la notation.

M. Jean Arthuis , président . - De quoi mettre le marché en émoi...

Mme Carol Sirou . - Nous disposons de nombreux outils. Il faut encourager nos utilisateurs, investisseurs ou médias, à lire l'intégralité des explications détaillées et des éléments de tendance qui accompagnent la note !

M. Jean Arthuis , président . - Nous communiqueriez-vous quelques exemplaires de ces notes ?

Mme Carol Sirou . - Oui, c'est possible.

M. Pierre Bernard-Reymond . - À lire la presse, l'une des trois agences aurait annoncé que la note du Portugal serait abaissée d'ici trois mois. Comment une telle information peut-elle paraître dans les médias ?

Par ailleurs, comptez-vous dans vos équipes des spécialistes de géostratégie pour les notes souveraines ?

M. Frédéric Drevon . - Un communiqué de presse peut tout à fait évoquer une baisse de notation potentielle, donner une direction, voire une amplitude potentielle. Ensuite, les médias interprètent...

Mme Carol Sirou . - Le chef économiste de Standard and Poor's, M. Jean-Michel Stix, travaille avec l'ensemble des équipes sectorielles pour harmoniser l'analyse des tendances macroéconomiques. Nous avons créé des comités spécialisés dans l'analyse des conditions de crédit et de marché, dans lesquels des analystes spécialisés dans la banque, le risque immobiliser ou la notation souveraine travaillent ensemble : la crise a démontré combien tous les secteurs étaient interconnectés.

M. Pierre Bernard-Reymond . - Avez-vous des experts en géostratégie, par exemple en cas de risque de conflit armé dans un pays ?

Mme Carol Sirou . - Les analystes qui notent des pays dans des zones à risque reçoivent une formation adaptée. Nous faisons également appel à des tiers. Pour la notation d'Israël, par exemple, les éléments géostratégiques sont prépondérants...

M. Jean Arthuis , président . - Qu'est-ce qui, en Espagne, entre le 4 et le 28 mai, a ainsi fait bondir les données relatives au crédit aux particuliers ?

M. Alain Mera . - Le 28, nous publions un communiqué de presse dégradant d'un cran la note de l'Espagne. Entre le 4 et le 28, d'une part, nous avons complété nos analyses ; d'autre part, un plan de consolidation fiscale a été annoncé. Notre communiqué a été publié après la fermeture des marchés européens, ce qui a ému les médias européens - mais pendant l'ouverture des marchés américains ! Il résume les attendus de la décision, renvoie à un rapport de notation de treize pages qui les explicite, ainsi qu'aux méthodologies de notation mises en oeuvre.

Fitch ne pratique aucune activité de conseil. Il existe des banquiers spécialisés dans le rating advisory , chargés de conseiller les émetteurs dans leur dialogue avec les agences.

M. Philippe Marini , rapporteur général . - Que pensez-vous d'une éventuelle standardisation des échelles de notes, et d'une publication des tarifs ?

M. Alain Mera . - Je suis en ligne avec M. Drevon : une échelle se caractérise par des notes, dont la définition varie selon les agences. Les consommateurs de notes sont parfaitement au fait de nos différences.

M. Philippe Marini , rapporteur général . - Bref, business as usual...

M. Alain Mera . - De même, la publication des tarifs ne favoriserait nullement la concurrence.

M. Philippe Marini , rapporteur général . - Le challenger ne peut y être favorable !

M. Jean Arthuis , président . - Répondez-vous à des appels d'offres ?

M. Alain Mera . - Dans le secteur public, les collectivités locales lancent des appels d'offre, mais pas les États.

M. Jean Arthuis , président . - Les sommes en jeux sont sans doute dérisoires... Nous allons questionner France Trésor !

M. Pierre Bernard-Reymond . - La Commission européenne n'a jamais fait d'observation ?

M. Jean Arthuis , président . - Combien coûte la notation pour un département, par exemple ?

M. Alain Mera . - Le coût est variable, plus proche de 10 000 euros que de 50 000... Le marché de la notation se développe. Peu d'entités sont notées, peu ont accès au marché financier.

M. Jean Arthuis , président . - En somme, c'est une façon de faire certifier ses comptes ?

M. Alain Mera . - C'est un moyen d'accéder au marché, par exemple pour la Ville de Paris ou la région Île-de-France.

M. Jean Arthuis , président . - La réforme fiscale de fin 2009 vous a-t-elle conduit à réviser vos positions sur les régions ?

Mme Carol Sirou . - Nous prenons en compte le cadre institutionnel et les marges de manoeuvre fiscales. La baisse du pouvoir fiscal a entamé la capacité de réaction des collectivités territoriales. En l'absence d'augmentation des dotations de l'État, elles sont victimes d'un effet de ciseaux, à mettre en rapport avec le niveau d'endettement et les besoins futurs des collectivités. La dégradation de la structure financière de collectivités territoriales françaises peut se traduire par des situations financières très sévères.

M. Alain Mera . - Les notations non sollicitées sont déterminées, in fine, par les investisseurs, qui peuvent souhaiter une troisième opinion. Elles représentent un investissement important pour nous.

Chaque notation non sollicitée est approuvée par un comité ad hoc, qui s'assure que les conditions de notation sont optimales. Elle a les mêmes caractéristiques qu'une notation sollicitée. Nous avons le plus souvent un dialogue avec l'entité analysée.

M. Jean Arthuis , président . - Celle-ci peut donc protester ?

M. Alain Mera . - Certes, mais nous ne nous arrêtons pas pour autant. Il nous paraît important de publier notre analyse, dès lors qu'il y a une demande des investisseurs.

M. Jean Arthuis , président . - Une fois l'habitude prise, comment cesser ces notations ? Ne risqueriez-vous pas de perturber le marché ?

M. Alain Mera . - Nous poursuivons cet investissement. L'entité notée peut devenir un client, après un laps de temps. Dans de rares cas, nous avons interrompu la notation car les conditions d'information étaient devenues insuffisantes ; dans ce cas, nous le disons aux marchés.

M. Pierre Bernard-Reymond . - Ces pratiques louables pourraient être énoncées dans une charte de déontologie s'appliquant à toute la profession.

M. Philippe Marini , rapporteur général . - J'imagine que le code de conduite que vous avez évoqué incorpore ces éléments.

Mme Carol Sirou . - Le règlement européen va obliger les agences à divulguer le pourcentage et la nature des notations non sollicitées. Aux États-Unis, le législateur souhaite développer les notations non sollicitées en matière de titrisation, pour casser l'oligopole et favoriser l'émulation entre les douze agences agréées.

M. Alain Mera . - La commission européenne fait de même pour la titrisation.

M. Jean Arthuis , président . - Merci de nous avoir fait part de votre vision concernant les améliorations souhaitables dans la régulation bancaire et financière, afin que votre rôle ne fasse pas l'objet de suspicion, et que les responsabilités soient clairement établies.

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