C. AUDITION DE M. JEAN-PIERRE JOUYET, PRÉSIDENT DE L'AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS ET DE MM. THIERRY FRANCQ, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL, ET DANIEL LABETOULLE, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION DES SANCTIONS DE L'AMF, LE 15 JUIN 2010

Réunie le mardi 15 juin 2010, sous la présidence de M. Jean Arthuis, président, de M. Joël Bourdin, vice-président, puis de M. Jean Arthuis, président, la commission a procédé à l'audition de MM. Jean-Pierre Jouyet, président de l'Autorité des marchés financiers (AMF), Thierry Franck, secrétaire général, et Daniel Labetoulle, président de la commission des sanctions de l'AMF, à l'occasion de la remise du rapport annuel de l'AMF et sur le projet de loi de régulation bancaire et financière.

M. Jean Arthuis , président . - Après avoir entendu Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, et les représentants des trois principales agences de notation, nous poursuivons nos auditions sur le projet de loi de régulation bancaire et financière et recevons aujourd'hui Jean-Pierre Jouyet, président de l'Autorité des marchés financiers (AMF). Cette audition intervient également, comme chaque année, pour faire le point à l'occasion de la publication du rapport annuel de l'AMF et avant le prochain sommet du G20. L'AMF a publié fin avril sa « cartographie des risques et tendances » sur les marchés et l'épargne.

Nous vivons actuellement une période décisive pour la régulation financière internationale. La Commission européenne met en place depuis fin 2008 un vaste programme législatif ; ses propositions devraient être connues d'ici le début 2011 : procédure d'agrément des agences de notation, nouvelle architecture de supervision européenne, statut des infrastructures de post-marché, compensation et enregistrement des dérivés - des « credit default swaps » (CDS) notamment - ou encore, régime plus harmonisé pour les ventes à découvert et révision de la directive sur les marchés d'instruments financiers.

L'AMF participe au Comité européen des régulateurs de valeurs mobilières, auquel succédera la future Autorité européenne des marchés financiers. Monsieur Jouyet, vous avez également été amené, ces derniers mois, à prendre certaines positions fermes sur l'extension du champ de la supervision, en particulier sur les CDS, les infrastructures de post-marché ou la transparence des négociations.

Une forte pression pèse pourtant sur les institutions européennes et les régulateurs nationaux. Elle est liée aux soupçons de spéculation sur les dettes souveraines et aux bouleversements que connaît le fonctionnement technique des marchés. Le « flash crash » du 6 mai sur les marchés américains a révélé l'ampleur des risques. Autre pression, l'avance que sont en train de prendre les États-Unis avec les progrès enregistrés au Congrès par la réforme de la régulation financière.

Le projet de loi de régulation bancaire et financière, substantiellement enrichi par les députés, devrait élargir le champ d'action de l'AMF, en particulier aux produits dérivés, consolider la base légale de ses pouvoirs d'urgence, améliorer la procédure d'enquête et de sanction. Qu'en pensez-vous ? Comment jugez-vous le fonctionnement actuel des marchés et les initiatives en cours au plan européen ?

Enfin, je vous remercie de nous avoir communiqué le rapport annuel 2009 établi sous votre autorité.

M. Jean-Pierre Jouyet, président de l'Autorité des marchés financiers . - Je suis accompagné par Thierry Francq, secrétaire général de l'AMF, et Daniel Labetoulle, président de la commission des sanctions.

L'année 2009 a été extrêmement contrastée : un fort « dévissage » des cours puis une remontée spectaculaire au-delà de 4 000 points, une certaine exubérance nous imposant un devoir de vigilance, le traitement de l'affaire EADS, qui nous a amenés à prendre des mesures en amont et en aval...

L'AMF a lancé un plan stratégique afin de renforcer la protection de l'épargne et la confiance des investisseurs individuels, afin aussi de mieux assurer la surveillance des risques - contrôle plus serré des acteurs, sanctions plus efficaces, participation à l'effort d'attractivité de la place, au profit des épargnants et du financement de l'économie. Nous avons géré les conséquences de la crise financière. Les OPCVM monétaires, de court terme, sont fondés sur un principe de liquidité ; or ils incluaient un certain nombre de produits peu liquides ou trop sophistiqués, qui dénaturaient ce véhicule de placement. Nous avons adopté une nouvelle classification, imposant des caractéristiques plus pures aux OPCVM monétaires. A cet égard, on suit en Europe la tendance française et la nouvelle réglementation exigera des produits liquides, simples, compréhensibles pour l'épargnant. Quant aux ventes à découvert, nous avons maintenu le dispositif de 2008 et l'interdiction des ventes à découvert sur les valeurs financières. Un certain nombre de mesures prises en Allemagne sont un alignement sur les positions en vigueur en France pour les valeurs financières - mais non la dette souveraine.

Nous avons suivi en 2009 les évolutions juridiques de l'affaire Madoff, faisant en sorte par exemple que les actionnaires de la Sicav d'UBS LuxAlpha, particulièrement touchée, reçoivent assistance et suivi de notre part. Nous sommes en contact avec les avocats des déposants. Et nous achevons nos contrôles sur la manière dont des produits off shore, non admis à la libre-circulation en Europe, proposés par Madoff, ont été commercialisés par des sociétés de gestion ou d'autres intermédiaires financiers. La commission des sanctions jugera de la suite à donner à ces griefs.

Nous avons cherché à mieux anticiper les risques. Notre nouvelle cartographie des risques met l'accent sur la montée de l'endettement et des déficits publics et sur les conséquences de la contraction du crédit bancaire, mode traditionnel de financement de l'économie en Europe. Le marché, axé sur le court terme, sera-t-il en mesure de financer les besoins à moyen et long terme des secteurs de l'énergie, de l'environnement, de l'éducation, de l'alimentaire, bases de la future croissance ? Le rôle du crédit bancaire se tassant, comment faire en sorte que les investisseurs aillent vers les marchés et achètent en confiance des actions ? En France, il existe en outre une épargne liquide qui n'est pas un placement de long terme.

Pour la protection de l'épargne, nous avons renforcé la coopération avec le régulateur prudentiel, l'Autorité du contrôle prudentiel (ACP). Un pôle commun de contrôle des produits d'épargne a été créé, animé par les secrétaires généraux des deux institutions, avec un programme commun de contrôle, des échanges d'information, etc. Les épargnants ont un point d'entrée unique pour l'AMF et l'ACP. C'est un progrès. Nous avons mis en garde les épargnants à l'égard des publicités audiovisuelles, écrites, par exemple sur les CDS. Nous renforcerons aussi les « achats mystères », nos agents se présentant anonymement au guichet des établissements financiers pour connaître l'écart éventuel entre la publicité et le produit réellement proposé. L'information passe également par internet, par un numéro vert, par des tournées en province pour rencontrer les épargnants et les chefs d'entreprise. L'AMF entend faciliter l'accès des PME aux marchés et le 4 juin dernier nous avons consacré une journée à ce sujet - formalités, coût, information...

J'en viens aux enquêtes et aux sanctions. L'AMF élabore actuellement une charte des enquêtes. Elle a créé une phase contradictoire en fin d'enquête. Le projet de loi relève en outre de 10 à 100 millions d'euros les sanctions pour infractions sans profit, ce qui revient à un alignement sur les sanctions prononcées par l'ACP. Nous visons en effet l'harmonisation de nos deux procédures.

Deux groupes de travail ont été mis en place. Le premier traite de l'indemnisation des victimes : car il est bien de condamner les manquements, mais bien aussi de faire en sorte que les victimes soient indemnisées. Il y a un pontage à opérer entre les procédures administratives et civiles. Nous nous penchons aussi sur la class action . Une mission, conduite par Bernard Esambert, vise à mieux encadrer le régime des titres détenus par les dirigeants d'entreprise, qui sont les premiers détenteurs d'information sur leur société ou leur groupe.

Les évolutions des marchés sont préoccupantes, car elles mettent à mal la régulation en tant que telle. Avec les mutations technologiques, il devient possible de donner deux cents instructions à la seconde sur un même titre, avec une durée de validité de 25 microsecondes pour chaque ordre passé ; 95 % à 99 % des ordres sont annulés sans être exécutés. Et les spécialistes de ces opérations fournissent un quart à deux tiers des ordres sur les marchés ! Il faut donc procéder à des investissements technologiques pour être à même de poursuivre la surveillance des marchés.

Les Américains ont une avance sur l'Europe, même s'ils ne savent pas encore expliquer le « flash crash » qui s'est produit le 6 mai à New York. Un opérateur de marché se serait simplement trompé d'arrondi en passant un ordre sur un titre néerlandais de cosmétiques. Est-ce un prétexte ? Les autorités américaines l'ignorent. Nous n'avons pas les moyens de suivre en temps réel toutes les transactions. J'attire votre attention sur ce problème, le plus important pour une autorité de régulation. Si vous nous confiez des pouvoirs nouveaux, sachez que nos moyens ne seront pas suffisants pour mettre en oeuvre une surveillance plus sophistiquée.

Aujourd'hui, quels que soient les pouvoirs qui nous sont dévolus, il nous faut rechercher une bonne articulation entre régulations nationale et européenne. Nous ne pouvons vivre sans une supervision contraignante, sans une agence européenne qui harmonise les règles et la façon dont elles s'appliquent, qui arbitre les différends entre régulateurs nationaux. Même si une telle agence voit le jour, nous aurons toujours de nombreuses tâches ! Toutes les procédures d'enquête et de sanction, par exemple, continueront à nous incomber. Je précise que la coopération entre régulateurs des pays membres est bonne, quelles que soient les divergences dans le débat sur le champ d'intervention souhaitable de l'autorité de régulation.

- Présidence de M. Joël Bourdin , vice-président -

M. Philippe Marini , rapporteur général de la commission des finances . - S'agissant des ventes à découvert, quels sont vos conseils ? Les contrats d'échange portent en effet sur les titres souverains. La décision unilatérale allemande a suscité une réaction un peu disproportionnée de notre ministre de l'économie. Quelle est votre approche - notamment dans le cadre de la coopération européenne - des ventes à découvert nues, c'est-à-dire sans détention du sous-jacent ?

Quant à l'articulation entre le collège de l'AMF et la commission des sanctions, peut-on assimiler le collège à l'autorité en charge des poursuites ? Le rapporteur, membre de la commission des sanctions, instruit-il à charge et à décharge ? La présence du commissaire du gouvernement, venu de la direction du Trésor, est-elle utile ou superfétatoire ? Une procédure de transaction, sous la responsabilité de la commission des sanctions et du collège, vous paraît-elle souhaitable ?

Quel est votre sentiment sur le régime d'enregistrement et de contrôle des agences de notation ? Cette nouvelle mission va incomber à l'AMF. Êtes-vous en mesure aujourd'hui de faire face à cette nouvelle tâche ? Les agences ont-elles pris contact avec vous en vue de l'agrément ? Que pensez-vous du régime de responsabilité des agences, actuellement objet de débat ?

M. Jean-Pierre Jouyet . - La réglementation sur les ventes à découvert doit être élaborée au niveau européen. La décision allemande est une mesure de pure politique intérieure : il s'agit de faire accepter par l'opinion publique les plans de sauvetage et l'aide fournie par l'Allemagne aux pays en difficulté. L'effet est nul mais le signal mauvais pour les investisseurs en dette souveraine européenne, essentiellement asiatiques et américains - ils ont pris peur pendant un temps.

M. Philippe Marini , rapporteur général . - Et faute de textes européens, doit-on ne rien faire ?

M. Jean-Pierre Jouyet . - J'appelle de mes voeux un texte européen, le plus rapidement. Il faudrait que nous recevions en juillet les propositions de la Commission, afin que la nouvelle législation soit arrêtée pour l'automne. Cela n'empêche pas des mesures nationales pour assurer une transparence totale des « positions significatives ».

M. Philippe Marini , rapporteur général . - Relèvent-elles du règlement général de l'AMF, du pouvoir réglementaire, de la loi ?

M. Jean-Pierre Jouyet . - Du législateur. Des pouvoirs d'urgence sur les ventes à découvert s'imposent.

Mme Nicole Bricq . - L'Assemblée nationale vous les a donnés.

M. Jean-Pierre Jouyet . - La loi n'est pas votée définitivement. Si, sur des titres souverains ou de grandes valeurs françaises, la situation devenait difficile, sans pouvoirs d'urgence, nous ne pourrions pas « refroidir » le marché et l'encadrer. Or, quand un marché s'emballe, les ventes à découvert suffisent à faire dévisser les titres les plus solides. Il me paraît utile d'obliger les intervenants à avoir défini les voies et moyens de la livraison des titres. Mais le J+1 inscrit dans le projet de loi en première lecture n'est pas applicable, du fait du délai nécessaire pour les vérifications en chaîne. Personne ne livre à J+1 en Europe. Il faut du temps au régulateur pour savoir à qui tel opérateur a emprunté les titres et quand il doit les restituer. Un délai de J+2 est indispensable, si possible au niveau européen, sinon national.

Certains prônent l'interdiction pure et simple des transactions sur CDS sans contrepartie réelle : elles relèvent certes de la spéculation, mais encore faut-il pouvoir identifier les transactions nues.

L'agrément et le contrôle des agences de notation seront temporairement confiés à l'AMF - en attendant la création d'une agence européenne. Jusqu'en octobre prochain, nous serons en phase d'agrément, puis en phase de surveillance, au dernier trimestre. En avons-nous les moyens ? Non, la mission est confiée à seulement deux personnes. Nous avons des contacts avec certaines agences, venues s'enquérir des modalités de l'agrément.

Quant au régime de responsabilité des agences, c'est une question politiquement sensible. Il faut voir comment l'appliquer, comment organiser le contrôle. Je pense pour ma part qu'il ne faut pas trop s'éloigner de la directive européenne.

Quelques mots de nos procédures. Le secrétaire général de l'AMF suit l'instruction des enquêtes et transmet les griefs au collège, les dossiers étant examinés par les commissions spécialisées ou en séance plénière. C'est ensuite la commission des sanctions qui prend le relais, le rapporteur instruisant le dossier à charge et à décharge. Quant à la procédure de transaction, elle n'est pas populaire dans notre pays. Pourtant, des transactions encadrées, appliquées non pas aux grandes affaires mais au tout-venant, nous feraient gagner du temps et solderaient un certain nombre de dossiers.

M. Thierry Francq, secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers . - Notre objectif est d'améliorer la pertinence des enquêtes et la sécurité des procédures. La charte des enquêtes sera bientôt finalisée. Elle énonce les droits et les obligations des personnes interrogées, ainsi que le comportement à respecter par les enquêteurs. Nous revoyons la constitution des dossiers en particulier ; nous apportons des précisions sur les divers secrets à respecter. Nous avons institué un processus contradictoire, non au sens de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme mais au sens courant du terme. Dés la fin de l'enquête, les personnes mises en cause présentent leurs arguments au collège. Il nous a paru indispensable qu'à ce stade, elles soient informées des faits tels que nous les comprenons et des fondements juridiques sur la base desquels est faite la notification des griefs.

M. Daniel Labetoulle, président de la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers . - Tout ce qui est en cours de modification, dans les procédures répressives, l'est en parfait accord avec l'autorité chargée des poursuites. Il n'y a aucune divergence entre nous. La commission des sanctions a été créée en 2003 : c'était une nécessité, issue de la jurisprudence de la Cour de cassation et la Cour de Strasbourg. Auparavant, au sein de la COB, le déclenchement de poursuite et la sanction étaient dans les mêmes mains. Mais la loi de 2003 est allée un peu trop loin dans la séparation et l'autorité de poursuites a été dessaisie de son rôle : elle ne participait ni à la procédure écrite ni à la procédure orale devant la commission des sanctions. Seule la défense était présente... A l'origine également, le rapporteur était perçu comme le porte-voix de l'autorité de poursuites. Le dispositif a été amélioré en 2008 : désormais l'autorité de poursuites est représentée à l'audience. Nous souhaitons aller plus loin et lui donner une place dans la procédure écrite. Elle recevrait ainsi les mémoires, les observations écrites ; son représentant serait entendu par le rapporteur.

Le projet de loi adopté par l'Assemblée nationale inclut, je m'en réjouis, un recours du collège contre la commission des sanctions, à titre principal ou incident. Cela signifie que l'autorité de poursuites devient l'une des parties devant la commission des sanctions. Le rapporteur, membre de celle-ci, instruit à charge et à décharge. Il doit être impartial et n'est plus le porte-voix de qui que ce soit. Quant au représentant de l'État, du Trésor, il n'est pas utile à la commission - d'autant moins qu'il s'abstient systématiquement de toute prise de position. Mais sa présence me semble utile pour le ministère ! Certains avocats la contestent. Mais j'y suis pour ma part plutôt favorable, puisque le pouvoir répressif est exercé au nom de l'État et de l'intérêt général.

Pouvoir de transaction, recours du collège, sont des revendications anciennes de l'AMF. J'ajouterai un seul argument à ce qu'a dit le président Jouyet : la transaction prend en compte l'indemnisation des victimes déjà réalisée ainsi que les garanties relatives à une indemnisation à venir.

- Présidence de M. Jean Arthuis, président -

M. Joël Bourdin . - Des capitaux considérables sont mis en mouvement sur les marchés à terme, y compris sur l'ensemble des matières premières. Les couvertures entraînent des mouvements de marché tous les jours. Qu'en est-il de la surveillance de ce type d'opérations qui peuvent être initiées en France mais se dénouer à l'étranger ? Disposez-vous de statistiques annuelles ?

Mme Nicole Bricq . - Vous parlez d'avance significative pour les États-Unis si la loi sur la régulation et la supervision est votée par le Congrès. Sur quels points ? Quand M. Obama a annoncé la création d'une agence de protection des consommateurs, en l'occurrence des épargnants, Mme Lagarde a estimé que nous disposions pour notre part de tout ce dont nous avions besoin. Vous venez de le confirmer. Je suis partisane néanmoins d'une organisation très structurée, comme dans la proposition de la députée européenne Pervenche Berès, qui crée une agence européenne.

M. Jean Arthuis , président . - Un peu l'équivalent de ce que propose le rapport Deletré.

Mme Nicole Bricq . - A défaut de la création d'une agence de protection de l'épargne, ce rôle revient-il à l'AMF ?

M. Yann Gaillard . - Que pensez-vous des agences de notation ? Comme citoyen ordinaire, je suis choqué du rôle extraordinaire qu'elles ont pris. Nous avons reçu leurs représentants, j'ai été étonné de la politesse manifestée en permanence à leur égard. Je ne perçois pas la justification de leur existence. Et vous ?

M. Jean Arthuis , président . - Elles suppléent l'incapacité des investisseurs à apprécier par eux-mêmes la valeur et le risque de l'investissement. Que chacun achète plutôt les produits dont il mesure la nature et les risques ! Leurs notes provoquent des effets d'entraînement dignes des moutons de Panurge, elles déresponsabilisent les opérateurs. Et le jour où le thermomètre semble donner une mauvaise indication, on a la tentation de le casser.

Sur les ventes à découvert, si les chambres de compensation procédaient tous les jours à des appels de marge, la pression serait plus forte sur les opérateurs.

M. Jean-Pierre Jouyet . - M. Bourdin a raison. Mais tout reste à faire sur les matières premières ! L'Europe accuse un retard considérable sur les États-Unis. Les transactions se font à Chicago ou à Londres, mais elles ont un impact sur les prix et les revenus agricoles dans d'autres pays, où la valeur ajoutée agricole est importante. L'AMF n'a aucune compétence sur ces opérations. Il serait bon d'instaurer une meilleure surveillance des marchés physiques et des instruments financiers, mais là encore, il faudrait le faire au niveau européen. Nous avons une politique agricole commune très forte, mais nous n'avons pas organisé les marchés ! Il y a un hiatus entre le degré d'intégration de la politique agricole et l'absence d'organisation des transactions financières sur les matières premières. C'est la première fois que ce point est abordé. Il en va de même pour l'énergie, par exemple pour les certificats d'émission de CO 2 . Comment réguler ces marchés qui demain seront au coeur de la stratégie de croissance ?

M. Philippe Marini , rapporteur général . - Dans l'appréhension des marchés de quotas de CO 2 , la Commission européenne ne semble pas avoir tranché entre une approche financière et une autre plus industrielle. C'est pourtant dans le domaine de la régulation financière que les références, les méthodes sont les plus crédibles, face aux risques soulevés par le rapport Prada. Que diriez-vous si le Parlement faisait progresser ce sujet dans le cadre du texte sur la régulation financière ?

M. Jean-Pierre Jouyet . - On ne sait pas réguler le marché primaire, contrairement au marché secondaire, car l'adjudication des volumes relève des États. Par ailleurs, les relations à Bruxelles ne semblent pas excellentes entre les autorités en charge des marchés financiers, de l'énergie et de la concurrence...

M. Thierry Francq . - En France, il y a des ponts secrets entre les différentes autorités. Le principal marché des quotas de CO 2 se trouve en France. Il faudrait une bourse réglementée à part entière, faire pour Bluenext ce que nous faisons pour Euronext. Au-delà, il faudra un dispositif européen, car les marchés des dérivés sur CO 2 sont à Londres et à Francfort.

M. Jean Arthuis , président . - C'est un beau chantier !

M. Jean-Pierre Jouyet . - Madame Bricq, les États-Unis sont en avance pour l'organisation des marchés dérivés et les infrastructures de marché ; en matière de contrôle et de suivi, ils tentent de suivre les évolutions technologiques. L'aspect prudentiel ne relève pas du régulateur, même si je regrette, à titre personnel, le retard pris sur les stress tests ...

Mme Nicole Bricq . - Nous l'avons dit à M. Noyer.

M. Jean-Pierre Jouyet . - Concernant l'agence de protection des consommateurs, le rapport Deletré prônait une plus grande unification. Le législateur a opté pour la coordination ; si le pôle commun fonctionne, nous aurons de facto une agence de protection. Reste à voir quel sera le compromis trouvé aux États-Unis entre le Congrès et le Sénat : l'agence se réduira peut-être à un simple bureau du Trésor ou de la Fed... Il faut une agence de supervision au niveau européen, dont un département suive la commercialisation des produits d'épargne.

Monsieur Gaillard, je partage l'avis du président Arthuis : les agences de notation comblent un vide, car les investisseurs ont délaissé l'analyse technique des risques, les entreprises, leur fonction de contrôle interne. Chacun, BCE, grands émetteurs ou investisseurs institutionnels, doit remplir son rôle en matière d'analyse des risques. Il est aussi inquiétant de voir les investisseurs institutionnels déléguer systématiquement leur vote dans les assemblées générales à des organismes d'appréciation, qui sont américains !

L'objectif est de standardiser 80 % des produits sur les marchés internationaux. Il faut travailler sur l'appel de marge, la capitalisation des infrastructures, renchérir certains produits comme les ventes à découvert.

M. Jean Arthuis , président . - Cette audition a été éclairante. L'examen fin septembre du projet de loi sera l'occasion d'avancer notamment sur les matières premières. Beaucoup d'émetteurs ont mis au point des procédés sophistiqués, avec des titres qui sont du quasi-capital. Il faudrait revenir à des approches plus rustiques pour faciliter l'analyse des risques !

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