B. DES EFFETS DIPLOMATIQUES CONTREPRODUCTIFS

Votre commission ne peut par ailleurs pas ignorer les conséquences diplomatiques inopportunes que serait susceptible d'entraîner une adoption de la présente proposition de loi.

S'agissant tout d'abord des relations bilatérales franco-turques, notre collègue Robert del Picchia et notre ancien collègue Hubert Haenel, dans un rapport d'information fait en juin 2008 au nom de la Délégation pour l'Union européenne et consacré à l'Union européenne et la Turquie à la veille de la présidence française 18 ( * ) , avaient souligné à quel point la reconnaissance par la France du génocide arménien par la loi du 29 janvier 2001 avait sérieusement affecté la relation franco-turque : « elle s'est traduite par un arrêt brutal des relations politiques entre les deux pays pendant plus d'une année et a porté atteinte aux échanges économiques bilatéraux. En effet, cette loi a suscité un ressentiment d'autant plus vif en Turquie que la France y est perçue comme un allié traditionnel : le vote du Parlement français est donc apparu comme un coup porté à l'amitié franco-turque. Cette loi a en effet donné le sentiment aux Turcs que la France estimait que la Turquie et l'Arménie étaient incapables de surmonter par eux-mêmes leur passé douloureux ». L'adoption par l'Assemblée nationale, le 12 octobre 2006, d'une proposition de loi identique à celle qui fait l'objet du présent rapport a pour sa part conduit à la suspension de la coopération militaire entre l'armée de terre turque et la France.

Force est en effet de constater que la question du génocide arménien est encore largement taboue en Turquie, même si un début d'évolution semble se manifester au sein de la société civile et du monde universitaire : à cet égard, l'adoption de la présente proposition de loi ne pourrait qu'enrayer ce mouvement, à rebours de l'objectif poursuivi.

Celle-ci ne contribuerait pas non plus à encourager le timide réchauffement des relations entre la Turquie et l'Arménie, engagé depuis l'été 2008 19 ( * ) . En septembre 2008, le président turc s'est en effet rendu à Erevan pour assister à un match de football entre les équipes des deux pays. Le 22 avril 2009, la Turquie, l'Arménie et la Suisse ont annoncé la mise en place d'une feuille de route pour la normalisation des relations arméno-turques. Le 10 octobre 2009, ces deux Etats ont signé à Zurich deux protocoles sur l'établissement de relations diplomatiques et le développement de relations bilatérales, en présence notamment du ministre français des affaires étrangères et européennes. L'entrée en vigueur de ces derniers achoppe toutefois pour l'instant sur la question du conflit du Haut-Karabagh 20 ( * ) .

Pour le Gouvernement français, « seul un dialogue apaisé entre les deux pays, comportant des gestes concrets de part et d'autre (réouverture de la frontière, mise en place d'une commission commune d'historiens, etc.) permettra de parvenir à une compréhension commune de ces évènements et de dépasser les tensions héritées du passé » 21 ( * ) . L'adoption de la présente proposition de loi ne pourrait ainsi que nuire aux efforts réalisés par la France pour soutenir ce processus.

Enfin, les représentants du ministère des affaires étrangères et européennes entendus par votre rapporteur ont attiré son attention sur l'embarras que pourrait susciter, pour la diplomatie française, l'adoption de la présente proposition de loi vis-à-vis de pays ayant connu, à un moment plus ou moins récent de leur histoire, des tragédies comparables : ceux-ci pourraient en effet être légitimement conduits à s'interroger sur la cohérence de notre droit pénal, voire à revendiquer, pour les tragédies dont ils ont été victimes, l'adoption de dispositions comparables.


* 18 Rapport d'information n°412 (2007-2008).

* 19 Rappelons qu'en l'état, la Turquie et l'Arménie n'entretiennent pas de relations diplomatiques.

* 20 La Turquie, qui fait l'objet de pressions de son allié azerbaïdjanais, réclame le retrait des territoires occupés par l'Arménie autour du Haut-Karabagh en préalable à la ratification des protocoles.

* 21 Voir à ce sujet la réponse du ministre des affaires étrangères et européennes, publiée au JOAN du 18 décembre 2007, à la question écrite n°1162 de M. René Rouquet.

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