EXAMEN EN COMMISSION

La commission s'est réunie le mercredi 8 juin 2011. À l'issue de la présentation des rapporteurs, elle a engagé le débat suivant :

M. Jean-Paul Emorine :

Concernant les stocks, je crois qu'il est important en effet d'éviter de les qualifier de « régulateurs » et de privilégier l'appellation « stock d'urgence » ou « stocks de garantie pour l'alimentation » pour les zones de consommation les plus fragilisées. Cela sera plus compris par l'opinion et nos partenaires de l'Union européenne, réticents à ce concept de régulation administrative. Je voudrais également insister sur l'importance de la réunion du G20 sur cette thématique agricole. Réunir 19 pays, plus l'Union européenne, sur ce thème est une performance qu'il faut saluer.

M. Gérard César :

Cette proposition intervient au bon moment, le timing est parfait. Nous sommes favorables à la transparence au niveau mondial. Des progrès sur ce point seraient déjà considérables. Les difficultés vont arriver en discutant des détails : à quelle hauteur mettre des filets de sécurité, à quelle hauteur fixer les stocks stratégiques ? En revanche, je suis assez réservé sur l'idée de mettre des stocks dans les pays de consommation. Les événements récents dans le monde arabe montrent qu'il y a beaucoup d'instabilité, voire des risques de guerre civile. Installer des stocks dans ces pays, c'est prendre le risque de pillage. Il est utile d'insister sur l'importance des stocks pour les pays consommateurs, mais il serait prudent de les mettre en Europe.

M. Yannick Botrel :

La crise alimentaire s'éloigne, mais attention à ne pas retomber dans un optimisme naïf. La volatilité des prix est un phénomène complexe qui dépend beaucoup de l'aléa climatique, des crises sanitaires, de la spéculation, des décisions publiques, des compétitions nationales qui vont bien au-delà des seules gestions de stocks, puisqu'il y a aujourd'hui une concurrence pour l'achat de terres.

Comme l'a fait le président Emorine, il faut distinguer les différents niveaux d'intervention, communautaire et mondial. L'Union européenne garde une indéniable capacité d'action dès lors que les États manifestent leur volonté d'agir. En cas de crise, les États n'ont pas d'amis, ils n'ont que des intérêts. Certains États du monde ne se sont pas embarrassés avec cela et le revendiquent ouvertement. L'Europe semble gênée à se positionner clairement. J'en veux pour preuve cette grande prudence vis-à-vis de la régulation. On évite d'employer le mot alors que cela a été au centre des débats pendant plusieurs années.

Je note également une contradiction dans les pratiques : ainsi, avec la technique des marchés à terme, on peut vendre sa récolte à l'horizon de deux ans alors qu'elle est, par définition, très aléatoire, tandis que, dans le même temps, on ne peut stocker ce qui existe ! C'est absurde !

Mme Bernadette Bourzai :

Nous avons été, Odette Herviaux et moi-même, surprises de découvrir, au travers d'une convocation, que nous étions considérées comme co-signataires d'un texte dont nous n'avons pu prendre connaissance que cinq jours après l'envoi de cette même convocation. Cette méthode ne nous paraît pas acceptable, d'autant plus que notre participation à un rapport sur la PAC ne saurait impliquer a priori une collaboration automatique sur toutes les initiatives parlementaires dans le domaine agricole. Même si nous sommes prêtes à débattre du contenu.

La proposition de résolution avance plusieurs pistes dans l'intérêt des producteurs et des consommateurs. Néanmoins, la tonalité générale nous paraît trop défaitiste et pas assez combative. L'influence des marchés financiers sur les produits agricoles paraît acquise, admise. Certaines présentations sont contestables. Tel cet argument selon lequel, je cite, « il n'y avait aucune raison pour que l'agriculture ne suive pas le courant de libéralisation des échanges appliquée globalement avec succès aux produits industriels et aux services » .

Il y a une sorte d'écart entre l'objectif de sécurité alimentaire revendiqué et l'acceptation de la situation actuelle marquée par la percée des marchés financiers. De même, vous relevez justement que le prix mondialisé ne dépend plus de la confrontation entre une offre et une demande alimentaire, et est désormais connecté au prix de l'énergie, sans aller jusqu'au bout de l'argument : pourquoi aurait-on des stocks stratégiques de pétrole et pas de stock alimentaire ?

Pour finir, la fin de l'exposé me semble étriquée, vous vous contentez de demander le minimum. Si le Sénat veut peser, il doit être plus ambitieux. Cette proposition de résolution a minima ne répond qu'imparfaitement aux enjeux du moment.

M. Jean-Paul Emorine :

Nous avons pensé vous associer à cette proposition par courtoisie et parce que nos travaux en commun avaient été, à mon sens, un succès. Mais j'accepte volontiers vos arguments et votre franchise.

M. Marcel Deneux :

Cette proposition de résolution vient au bon moment et j'adhère globalement à l'exposé des motifs et au dispositif. Malgré certains manques. L'examen de ce sujet par le G20 ne doit pas nous exonérer d'une réflexion interne à l'Union. Il me semble qu'un des objectifs de la PAC doit être de sortir l'Union de la dépendance vis-à-vis de l'extérieur, et de revenir à des règles adaptées à notre situation. Les règles de l'Organisation mondiale du commerce sont inadaptées à l'agriculture et cela doit être rappelé dans les considérants de la proposition. La notion de prix mondial s'applique très mal à l'agriculture, car il y a, en vérité, très peu d'échanges internationaux. L'essentiel des productions est consommé en interne, par grandes zones, et la part des échanges ne porte que sur 4 à 10 % des productions. De surcroît, ce sont souvent des exportations d'excédents dont les prix s'écartent des règles traditionnelles des marchés.

Je pense qu'il faut aller plus loin dans la résolution, notamment concernant les banques. De même que les banques proposent des SICAV sans que personne ne sache vraiment quelles sont les actions concernées, les placements sur les matières premières devraient être détaillés. Il faudrait que les établissements financiers inscrivent leurs positions dans leur bilan. La transparence si justement évoquée dans la proposition ne doit pas concerner les seuls échanges et les stocks, mais doit s'appliquer aussi aux opérateurs financiers qui interviennent sur le marché des matières premières agricoles. Il faut aller jusqu'au bout de la logique de transparence.

M. Michel Bécot :

Les stocks régulateurs sont une garantie et une protection des pays les plus pauvres, afin d'assurer leur sécurité alimentaire. Il faut plus de transparence d'autant plus que les échéances des positions sur les marchés à terme sont lointaines. Quand on se positionne aujourd'hui sur des récoltes à deux ans, on ouvre la voie à la spéculation.

M. Daniel Raoul :

La proposition de résolution devrait rappeler, dans un considérant, le défi alimentaire mondial. Il faut remettre l'alimentation au coeur de la stratégie agricole. Je m'interroge sur l'articulation entre le G20 et la réforme de la PAC. Peut-on parler de volatilité des prix au G20 et rester inerte en Europe, puisqu'aujourd'hui, rien n'est encore annoncé dans le cadre de la PAC ?

Je comprends mal les réticences exprimées par nos deux présidents sur la régulation, alors que tous la demandent. Les marchés à terme sont-ils incompatibles avec la régulation des quantités et des prix ?

J'ajoute qu'il y a une guerre naissante sur les questions agricoles, entre les États-Unis et la Chine. L'Union européenne, absente, compte les points.

M. Gérard Bailly :

Je souhaiterais ajouter un considérant d'actualité. En effet, dès lors que l'aléa climatique est un facteur décisif du prix des productions agricoles, le changement climatique dont nous commençons à voir les effets sur l'agriculture ne peut qu'avoir des conséquences majeures sur les productions et sur les prix. La volatilité des prix sera donc accrue par le changement climatique, et je crois que cela mériterait d'être rappelé dans un considérant.

M. Jean-Paul Emorine :

L'alimentation doit être au coeur de la stratégie agricole. L'enjeu est mondial, on le sait. L'arrivée de la Chine sur ce secteur est un élément capital pour l'agriculture du monde. La Chine a 140 millions d'hectares de surface agricole utile, pour 1,3 milliard d'habitants, alors que la France, par comparaison a 30 millions d'hectares pour 64 millions d'habitants. Nous arrivons à produire tandis que les Chinois ne le peuvent tout simplement pas. Ils sont obligés d'aller chercher ailleurs les terres qu'ils n'ont pas chez eux. Il y aura inévitablement des tensions sur les terres agricoles, et par là, sur les prix.

M. Jean Bizet :

Plusieurs intervenants ont regretté notre prudence sur la régulation et l'idée de stocks régulateurs.

Tout d'abord, il y a une confusion entre stock stratégique et stock régulateur. Le premier est admis et peut être revendiqué. Même s'il y a des problèmes à régler. Où constituer des stocks stratégiques ? J'entends bien les réticences de M. César sur les risques de pillage. Certains évoquent même le risque de corruption. Autant d'arguments qui ne plaident pas, d'ailleurs, en faveur d'une politique de stockage. Je crois tout simplement que ce n'est pas à nous de nous prononcer sur les lieux. Il semble logique que ce soit la FAO qui le fasse.

En revanche, c'est le concept de régulation par les stocks qui fait débat. Nous l'expliquons dans l'exposé des motifs. Certains croient que tous la demandent. Ce n'est pas tout à fait exact. C'est un mot qui fait peur à nos partenaires. Il y a trop de mauvais souvenirs, trop d'appréhensions. Le mot même de régulation est débattu. Ceux qui ont participé à nos travaux en commun avec le Bundestag se souviennent sans doute que nous sommes restés une heure sur ce concept, rejeté par nos amis allemands, pour finalement s'accorder sur un « cadre de régulation ». Il nous semble que nous devons prendre acte de ces réticences, en cherchant à ne pas provoquer inutilement nos partenaires, en proposant de nouveaux concepts, plus fédérateurs. Il y a un combat idéologique derrière le combat des mots. C'est pourquoi nous avons pensé que le concept de stocks d'urgence pouvait passer.

L'achat par la Chine de 56 millions d'hectares est évidemment un signal qui ne peut que nous conforter dans l'idée qu'il faut protéger les terres agricoles. C'est d'ailleurs tout le mérite de votre commission de l'économie d'avoir créé les outils à cet effet dans la LMA.

Je comprends bien aussi vos inquiétudes sur les dérives des marchés à terme. Nous n'approuvons pas cette évolution contrairement à ce que certains pensent. Notre proposition explique le phénomène : dès lors que les produits agricoles ont rejoint les panels de matières premières, les mêmes techniques financières s'y sont engouffrées. Il y avait des marchés à terme sur les matières premières, il y a et il y aura des marchés à terme sur les produits agricoles. Ces marchés sont devenus instables. C'est presque mécanique. Il peut y avoir un jugement moral, mais il y a, au départ, un lien économique qui se décrypte très bien.

Pour répondre à Mme Bourzai, le passage qu'elle cite sur la libéralisation n'était qu'une présentation de ce que la plupart des pays pensaient. La demande de libéralisation était générale, qu'elle vienne des pays d'Amérique du Sud ou de l'OMC. Nous avons d'ailleurs pris nos distances avec cette évolution, en évoquant « la foi, l'aveuglement dans la libéralisation en Europe ».

De même, plusieurs intervenants ont considéré que notre proposition était timide ou a minima . Cela a été rappelé par le président Emorine, nous nous sommes mis dans une stratégie d'alliance, en cherchant le consensus. Bien sûr, nous nous adressons au Gouvernement mais si l'on veut que nos positions soient écoutées par nos partenaires, il nous faut montrer une capacité d'écoute et d'ouverture. Même si cela ne va pas aussi loin que nous le souhaiterions. Mais il va de soi que tous vos amendements sont bienvenus. C'est le cas de M. Deneux qui veut renforcer les contraintes sur les banques, de M. Raoult qui veut rappeler l'importance du défi alimentaire, de M. Bailly qui veut rappeler le lien entre volatilité des prix et changement climatique. C'est l'objet même d'un examen en deux temps, par les deux commissions ainsi que le prévoit notre règlement. L'examen définitif par la commission de l'économie permettra d'améliorer le texte.

A l'issue du débat, la commission des affaires européennes a conclu au dépôt de la proposition de résolution suivante, parue sous le n°579 (2010-2011).

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