Article 39 (art. L. 162-16-1 du code de la sécurité sociale) - Modes de rémunération des pharmacies d'officine

Objet : Cet article vise à permettre l'introduction, dans la rémunération des pharmacies d'officines, d'une part déconnectée du prix des produits vendus et liée à l'acte de dispensation et à la performance par rapport à des objectifs de santé publique.

I - Le dispositif proposé

Le Gouvernement a récemment demandé à l'Igas une étude 59 ( * ) relative à l'évolution du mode de rémunération des pharmacies d'officine . Il en ressort les éléments suivants.

Aucune évaluation des missions habituellement réalisées en officine n'a jamais été conduite. La situation économique des pharmacies, secteur qui emploie environ 140 000 personnes et qui regroupe 22 186 officines 60 ( * ) , est elle-même difficile à mesurer en l'absence de chiffres récents et coordonnés selon le statut juridique. Il semble toutefois que les officines ont souffert du ralentissement du marché du médicament et que la situation se soit dégradée depuis un point haut atteint en 2004.

Les médicaments remboursables représentent en moyenne 80 % du chiffre d'affaires et 76,5 % de la marge des pharmacies. Les prix sont libres sur les médicaments non remboursables et sur la parapharmacie. La rémunération liée aux médicaments remboursables a subi plusieurs évolutions ; aujourd'hui, elle repose, d'une part, sur un forfait par boîte (0,53 centimes), d'autre part, sur un taux limite de marge, dégressif selon le prix du médicament (26,1 % jusqu'à 22,90 euros, 10 % entre 22,90 et 150 euros, 6 % au-delà). Aujourd'hui, la rémunération des officines résulte, pour un quart, du forfait par boîte et, pour le solde, des marges sur les produits.

Par le passé, la rémunération en pourcentage du nombre de boîtes vendues, même avec des marges dégressives selon le prix, constituait une garantie de ressources, en raison du dynamisme propre du marché des médicaments. Aujourd'hui, même si le volume des ventes en France continue plutôt de progresser, les pouvoirs publics appliquent, dans le cadre de la maîtrise des dépenses d'assurance maladie, des baisses de prix, qui pèsent naturellement sur les revenus des pharmaciens, en réduisant leurs marges.

Les officines ont pour mission fondamentale de dispenser les médicaments, d'analyser et de contrôler les ordonnances, ainsi que d'apporter un conseil au patient. Pour autant, il n'existe pas de référentiel de bonnes pratiques pour la dispensation . C'est pourquoi la mission propose que les officines suivent une procédure de certification et que les ordonnances soient systématiquement passées au crible de logiciels de contrôle des prescriptions.

Cet aspect central pose, en creux, la question des relations entre les pharmaciens et les médecins : les premiers considèrent que leurs compétences sont sous-employées ; les seconds se montrent très réticents à toute évolution et estiment souvent que les premiers sont autant commerçants que professionnels de santé. Ainsi, toute promotion du rôle du pharmacien est considérée, par de nombreux médecins, comme une dévalorisation du leur, comme une désacralisation ou une banalisation de l'acte médical.

L'étude de l'Igas propose de confier davantage de missions aux pharmaciens , notamment pour le suivi des patients chroniques, certains dépistages, le suivi vaccinal et, le cas échéant, l'acte vaccinal, ainsi que la dispensation à domicile et la préparation des doses à administrer qui participeraient au maintien à domicile. Ces missions seraient rémunérées à l'acte.

Pour autant, la dispensation du médicament restera naturellement la fonction essentielle des pharmacies d'officine. L'étude propose de substituer progressivement au système de rémunération actuel un « honoraire de dispensation » , permettant d'introduire un lien plus direct entre le niveau de rémunération et le travail effectif à fournir. Cet honoraire s'appliquerait à toute ordonnance et tiendrait compte du nombre de lignes et des médicaments complexes qui exigent un travail particulier lors de la dispensation.

Enfin, l'Igas estime possible de rendre un service de qualité avec un réseau moins dense, surtout dans les centres urbains . La France se caractérise par un réseau d'officines plus important que dans les principaux pays européens comparables, ainsi que par des disparités régionales marquées. En outre, il est concentré dans les zones densément peuplées, notamment dans les centres-villes des grandes agglomérations, où les professionnels et les pouvoirs publics évoquent clairement des situations de surnombre.

• Le présent article propose de traduire certaines de ces préconisations.

L'article L. 162-16-1 du code de la sécurité sociale fixe les éléments constitutifs de la convention nationale conclue entre l'assurance maladie et les pharmaciens titulaires d'officine.

Le complète ces éléments en introduisant trois champs nouveaux de négociation pour les partenaires. La convention déterminera :

- la tarification des frais de dispensation dus aux pharmaciens par les assurés sociaux ;

- la rémunération versée par l'assurance maladie en contrepartie du respect d'engagements individualisés, qui pourront porter sur la dispensation , la participation à des actions de dépistage et de prévention , l'accompagnement de patients atteints de pathologies chroniques , des actions destinées à favoriser la continuité et la coordination des soins , ainsi que toute action d' amélioration des pratiques et de l' efficience de la dispensation ;

- des objectifs quantifiés d' évolution du réseau des officines.

Par ailleurs, sur le modèle de l'article L. 162-15 pour les autres conventions conclues par l'assurance maladie 61 ( * ) , l'Uncam soumettra pour avis à l'Union nationale des organismes d'assurance maladie complémentaire (Unocam) toute mesure conventionnelle ayant pour effet une revalorisation des frais ou rémunérations des pharmaciens.

Dans la même ligne, le reprend, pour la convention avec les pharmaciens, des dispositions qui existent déjà, en vertu de l'article L. 162-14-1-1, pour les autres conventions et selon lesquelles :

- une mesure conventionnelle ayant pour effet la revalorisation d'un tarif ou d'une rémunération entre en vigueur au plus tôt dans un délai de six mois après l'approbation de la convention et selon lesquelles :

- en cas de risque de dépassement de l'Ondam, l'entrée en vigueur d'une mesure conventionnelle de ce type est suspendue et reportée au 1 er janvier de l'année suivante ;

- les pharmaciens pourront participer à des accords interprofessionnels intéressant plusieurs professions de santé.

II - Les modifications adoptées par l'Assemblée nationale

L'Assemblée nationale a apporté plusieurs modifications rédactionnelles, notamment pour remplacer l'expression « frais de dispensation » par « honoraires de dispensation ».

Elle a également ajouté un champ de négociation conventionnelle nouveau, celui de la détermination des mesures et procédures applicables aux pharmaciens dont les pratiques sont contraires aux engagements fixés par elle.

Surtout, elle a créé un paragraphe II relatif à la restructuration du réseau des pharmacies.

Aujourd'hui, la création d'une nouvelle officine, son transfert ou son regroupement est subordonné à l'octroi d'une licence délivrée par l'ARS. Des conditions démographiques sont posées dans le code de la santé publique.

Dans une commune de moins de 2 500 habitants, l'ouverture d'une officine peut être autorisée par voie de transfert d'une autre commune. Dans les communes plus peuplées, lorsqu'une licence a déjà été accordée, l'ouverture d'une nouvelle officine peut être autorisée par tranche entière supplémentaire de 3 500 habitants ; l'Assemblée nationale porte ce dernier seuil à 4 500 pour limiter encore les possibilités d'ouverture ( ).

Le transfert d'une officine dans une autre commune ne peut notamment s'effectuer que si la commune d'origine comporte soit moins de 2 500 habitants si elle n'a qu'une seule pharmacie, soit un nombre d'habitants par pharmacie supplémentaire inférieur à 3 500. Là aussi, l'Assemblée nationale porte ce dernier seuil à 4 500 ( ).

En outre, afin de renforcer la concentration du secteur, une licence libérée à la suite d'un regroupement est toujours prise en compte pendant cinq ans pour limiter le transfert ou l'ouverture d'une nouvelle pharmacie. L'Assemblée nationale porte ce délai à douze ans ( ).

Enfin, l'Assemblée nationale a ajouté, en , un paragraphe à l'article L. 5125-16 du code, dont la formulation est obscure : une opération de restructuration du réseau réalisée au sein d'une même commune ou de communes limitrophes, donnant lieu à indemnisation de la cessation définitive d'activité, doit faire l'objet d'un avis préalable de l'ARS : cette cessation ne doit pas avoir pour effet de compromettre l'approvisionnement nécessaire en médicaments de la population résidente. La portée juridique de cet ajout est limitée puisque l'ARS est chargée de donner un avis et que la précision générale sur l'approvisionnement est déjà inscrite dans le code 62 ( * ) .

III - La position de la commission

Le rapport de juin 2011 de l'Igas montre clairement que le secteur des pharmacies d'officine doit évoluer, tant en termes d'organisation et de réseau que de rémunération. Lier les ressources des pharmaciens au volume de médicaments vendus n'est guère vertueux au moment où l'on souhaite en diminuer la consommation.

Pour autant, la mesure proposée ici est d' une portée extrêmement restreinte , puisqu'elle autorise les partenaires conventionnels à négocier... En outre, des échanges de votre rapporteur général, il ressort que ses contours ne sont qu'à peine esquissés.

Sur le principe, l'idée d'opérer un transfert progressif de rémunération d'un système de marge sur prix de vente vers un dispositif d'honoraire sur acte de dispensation mérite d'être examinée. Mais l'application qui est ici proposée porte en germe un risque pour les assurés : si ces honoraires de dispensation sont à leur charge, le corolaire indispensable de cette mesure doit être une baisse nette du prix des médicaments. Or, elle n'est pas évoquée. En outre, le terme même « d'honoraires » n'est pas prévu à l'article L. 321-1 du code de la sécurité sociale qui recense ce que recouvre l'assurance maladie ; ces honoraires ne devraient donc pas pouvoir, en l'état, être remboursés par les régimes obligatoires.

De ce fait, les assurés pourraient avoir à payer non seulement le médicament au même prix mais, en plus, des frais au pharmacien : évidemment attractive pour le pharmacien, cette démarche l'est infiniment moins pour l'assuré . D'autant, faut-il le rappeler, que ce n'est pas l'assurance maladie qui fixe le prix des médicaments, mais le Ceps, comité économique des produits de santé, dont la politique de fixation des prix a fait l'objet de critiques sévères. L'assurance maladie pourra donc « contenter » les pharmaciens, en accordant une tarification pour les frais de dispensation, mais elle n'aura pas les moyens d'agir sur le prix des médicaments vendus.

Il n'y a aucune raison de faire porter la charge de la création d'une nouvelle rémunération pour les pharmaciens sur les assurés sociaux . Celle-ci pourrait certes être remboursée, en tout ou partie, par les assurances complémentaires, mais au prix d'une hausse prévisible des cotisations et d'une éviction de la population ne bénéficiant pas du tout de couverture ou d'un contrat qui ne rembourserait pas ces frais.

Dans l'attente d'une clarification de la procédure qui sera suivie pour modifier les modes de rémunération des pharmaciens, la commission a adopté un amendement tendant à neutraliser le coût de cette réforme pour les assurés sociaux ; il sera temps, lorsque des estimations précises seront avancées et des procédures sûres fixées, de prévoir une participation de l'assuré, en contrepartie d'une baisse certaine des prix du médicament.

Enfin, à l'origine, l'article ne traitait pas la question , largement soulevée dans le rapport de l'Igas, de la densité du réseau d'officines, sauf au travers d'une possibilité, pour la convention, d'inclure des « objectifs quantifiés d'évolution ». Mais comment fixer des objectifs nécessairement collectifs à un secteur dans lequel chaque acteur est totalement indépendant et où s'appliqueront toujours des normes réglementaires strictes en termes d'ouverture et de transfert de licences ? Pour autant, l'Assemblée nationale, en relevant les seuils de transfert d'officines dans les communes de plus de 2 500 habitants, a accentué les restrictions d'implantation, ce qui va dans le sens d'une restructuration du réseau.

La commission vous demande d'adopter cet article ainsi modifié.


* 59 « Pharmacies d'officine : rémunération, missions, réseau », rapport établi par Pierre-Louis Bars, Abdelkrim Kiour, Bruno Maquart et Alain Morin, juin 2011.

* 60 Métropole uniquement.

* 61 Celles avec les médecins, les chirurgiens-dentistes, les sages-femmes, les auxiliaires médicaux, les infirmiers, les masseurs-kinésithérapeutes, les directeurs de laboratoires privés d'analyses médicales et les entreprises de transports sanitaires.

* 62 Article L. 5125-3.

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