EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Dans un discours devant l'Assemblée nationale législative, le 31 mai 1850, Victor Hugo déclarait : « Le suffrage universel, au milieu de toutes nos oscillations dangereuses, crée un point fixe. Et pour qu'il soit bien le suffrage universel, il faut qu'il n'ait rien de contestable, c'est-à-dire qu'il ne laisse personne, absolument personne en dehors du vote ; qu'il fasse de la cité la chose de tous, sans exception ; car en pareille matière, faire une exception c'est commettre une usurpation ; il faut, en un mot, qu'il ne laisse à qui que ce soit le droit redoutable de dire à la société : je ne te connais pas ».

La réalisation de cet idéal démocratique, qui fonde tant l'identité que l'histoire de notre pays, passe aujourd'hui par un élargissement du droit au suffrage afin de permettre à tous ceux qui sont durablement installés sur notre sol de participer aux élections municipales.

Généreuse, la République se doit de donner de nouveaux moyens d'expression à ceux qui prennent part, au quotidien, à la vie de la Cité, qui contribuent à ses ressources et qui respectent ses lois ; terre d'accueil, la France se doit de tenir compte des racines créées, par-delà la nationalité, par ceux qui l'habitent depuis des années, voire des décennies ; pluriel, notre pays se doit de reconnaître un nouveau type de citoyenneté qui ne soit pas uniquement le fruit de la nationalité.

C'est pourquoi, à l'initiative du groupe socialiste-EELVr, a été inscrite à l'ordre du jour de la séance publique du 8 décembre la proposition de loi constitutionnelle n° 329 (1999-2000) visant à accorder le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales aux étrangers non ressortissants de l'Union européenne, adoptée au mois de mai 2000 par l'Assemblée nationale.

L'opposition résolue et affichée de notre Haute Assemblée au droit de vote des étrangers non européens avait été, en 2000, la cause de la non inscription de ce texte à l'ordre du jour ; le renouvellement du 25 septembre dernier lui permet de débattre à nouveau de ce sujet et de contribuer à la mise en oeuvre d'une réforme qui sera une preuve d'ouverture et de respect de tous ceux qui vivent sur notre sol, et qui permettra de renforcer non seulement la démocratie, mais aussi la cohésion sociale.

I. LA LENTE RECONNAISSANCE DE DROITS FONDAMENTAUX AUX ÉTRANGERS

A. L'EXCLUSION DES ÉTRANGERS DE LA PARTICIPATION CITOYENNE

1. La volonté cosmopolite des débuts de la Révolution française

La question du vote des étrangers est intimement liée à l'histoire de notre démocratie. Les concepts de nationalité et de citoyenneté apparaissent, au début de la Révolution française, comme distincts : il n'était pas nécessaire d'être Français pour pouvoir participer à l'exercice de citoyenneté que représentait l'élection.

En effet, l' article 3 de la Constitution française du 3 septembre 1791 n'associe nullement une condition de nationalité à l'octroi du droit de vote. Cet article dispose que sont citoyens français « ceux qui, nés hors du Royaume de parents étrangers, résident en France, deviennent citoyens français, après cinq ans de domicile continu dans le Royaume, s'ils y ont, en outre, acquis des immeubles ou épousé une Française, ou formé un établissement d'agriculture ou de commerce, et s'ils ont prêté le serment civique ». Ainsi M. Marceau Long, ancien vice-président du Conseil d'État, alors président de la commission de la nationalité, écrit-il, en 1988, qu'« après 1791, la notion [de nationalité] finit par être absorbée par celle de citoyenneté, tant est puissant l'idéal d'universalité et d'internationalisme de l'Assemblée législative. Tout homme fidèle aux idées révolutionnaires, quelle que soit son origine, est digne d'être citoyen » 1 ( * ) .

L'exercice du suffrage des étrangers est confirmé et libéralisé par l' article 4 de la Constitution du 6 Messidor an I (24 juin 1793) qui définit trois catégories d'étrangers pouvant participer à la souveraineté nationale via le droit de vote : « Tout homme né et domicilié en France, âgé de vingt et un ans accomplis ; - Tout étranger âgé de vingt et un ans accomplis, qui, domicilié en France depuis une année - Y vit de son travail - Ou acquiert une propriété - Ou épouse une Française - Ou adopte un enfant - Ou nourrit un vieillard ; - Tout étranger enfin, qui sera jugé par le Corps législatif avoir bien mérité de l'humanité - Est admis à l'exercice des Droits de citoyen français. »

Cette conception ouverte de la citoyenneté, qui représente la poursuite des idéaux inscrits dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, sera toutefois remise en question au profit d'une conception de la citoyenneté liée indissolublement à celle de la nationalité.

Ainsi, comme le relevait Hervé Andres dans une thèse consacrée au droit de vote des étrangers, « la doctrine qui s'est dégagée au XIX e siècle est celle d'une exclusion constante des étrangers des droits politiques » 2 ( * ) .

2. La progressive « nationalisation de la citoyenneté »

Le XIXe siècle marque le renversement de la conception cosmopolite et universaliste des débuts de la Révolution au profit d'une citoyenneté liée à la nationalité, au point que ces deux concepts pourront apparaître, jusqu'à aujourd'hui, indissolublement liés.

Les guerres menées par les États étrangers contre la jeune République et les luttes politiques entre Girondins et Montagnards s'accompagnent d'une montée, dès 1793, de la xénophobie et d'une suspicion à l'égard de tout ressortissant d'un État étranger. Ainsi, sont progressivement durcies, puis remises en cause, les conditions édictées en 1793 de participation des étrangers au droit de vote. La condition de résidence, fixée initialement à cinq ans en 1793, est renforcée : l' article 10 de la Constitution du 5 Fructidor an III (22 août 1795) 3 ( * ) la fait passer, pour un étranger, de cinq à sept ans, puis à dix ans avec l' article 3 de la Constitution du 22 Frimaire an VIII (13 décembre 1799) 4 ( * ) .

Ainsi, se développe progressivement le caractère exclusivement national de la citoyenneté . On assiste à la montée en puissance de l'idée selon laquelle les droits associés à la citoyenneté et à la participation citoyenne sont fondés sur l'appartenance de l'individu à une communauté politique nationale représentée par l'État-nation. La nationalité apparaît comme le critère, du moins le principal, sinon le premier, de la citoyenneté, comme le reflète la Constitution du 4 novembre 1848 , dont l' article 25 dispose que « sont électeurs, sans condition de cens, tous les Français âgés de vingt-et-un ans, et jouissant de leurs droits civils et politiques ».

Le principe de nationalité pour pouvoir prétendre au droit de vote ne sera plus remis en cause par la suite. Ainsi, l' article 4 de la Constitution du 27 octobre 1946 dispose-t-il que « sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux et ressortissants français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques ». Les dispositions du quatrième alinéa de l'article 3 de la Constitution du 4 octobre 1958 confirment l'association de la nationalité et de la citoyenneté (« Sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques »).

Il convient toutefois de relever l'exception de la Commune, avec la nomination, le 20 avril 1871, de M. Léo Fränkel, de nationalité hongroise, comme Délégué au Travail, à l'Industrie et à l'Échange.

Les textes fondamentaux des différents régimes politiques qui se sont succédé depuis 1795 confirment le principe selon lequel la citoyenneté est réservée à ses ressortissants et à eux seuls, excluant ainsi les ressortissants étrangers non naturalisés de toute participation à la vie électorale nationale ou locale.


* 1 « Être français aujourd'hui et demain », rapport remis au Premier ministre par M. Marceau Long, président de la commission de la nationalité, 1988, tome 2, page 20. Mentionnée dans le rapport n° 2340, 11 e législature, de M. Noël Mamère, « Droit de vote et éligibilité des résidents étrangers ».

* 2 Thèse de M. Hervé Andres (université Paris-VII) soutenue en 2007 et disponible à l'adresse suivante : http://hal.archives-ouvertes.fr/docs/00/13/04/45/PDF/0612_THESE_ANDRES.pdf

* 3 L'article 10 de la Constitution du 5 Fructidor an III dispose que « L'étranger devient citoyen français, lorsque après avoir atteint l'âge de vingt et un ans accomplis, et avoir déclaré l'intention de se fixer en France, il y a résidé pendant sept années consécutives, pourvu qu'il y paie une contribution directe, et qu'en outre il y possède une propriété foncière, ou un établissement d'agriculture ou de commerce, ou qu'il y ait épousé une femme française. »

* 4 L'article 3 de la Constitution du 22 Frimaire an VIII dispose que « Un étranger devient citoyen français, lorsqu'après avoir atteint l'âge de vingt et un ans accomplis, et avoir déclaré l'intention de se fixer en France, il y a résidé pendant dix années consécutives. »

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page