EXAMEN DES ARTICLES

Article 1 er

(art. 72-5 nouveau de la Constitution)

Ouverture du droit de vote et d'éligibilité aux étrangers non ressortissants de l'Union européenne

Cet article vise à insérer, au sein du titre de la Constitution consacré aux collectivités territoriales (titre XII), un nouvel article ouvrant le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales aux étrangers non ressortissants de l'Union européenne.

• Les conditions d'ouverture du droit de vote et d'éligibilité aux étrangers non ressortissants d'un État de l'Union européenne

Le dispositif adopté par l'Assemblée nationale en 2000 comporte quatre éléments :

- en premier lieu, il ouvre au législateur la faculté de conférer le droit de vote et d'éligibilité aux étrangers originaires d'un pays non membre de l'Union européenne, pour les seules élections municipales ;

- en deuxième lieu, il interdit aux étrangers ainsi élus d'exercer des fonctions exécutives au sein du conseil municipal (maire et adjoint) ;

- en troisième lieu, afin de garantir que seules les personnes dotées de la nationalité française puissent participer aux scrutins ayant un impact sur l'exercice de la souveraineté nationale -dont les élections parlementaires font naturellement partie-, il prévoit que les étrangers membres d'un conseil municipal ne pourront pas participer, fût-ce de manière indirecte, aux élections sénatoriales : le présent article précise ainsi que les étrangers ne pourront pas « participer à la désignation des électeurs sénatoriaux et à l'élection des sénateurs » ;

- enfin, il renvoie à une loi organique le soin de fixer les conditions d'application de ce nouveau droit. Le rapport de la commission des lois de l'Assemblée nationale indique que ce texte organique aurait notamment vocation à fixer une durée minimale de résidence à compter de laquelle les étrangers non ressortissants d'un État européen pourraient prendre part aux élections municipales en France.

On soulignera que ce dispositif reprend largement les termes de l'article 88-3 de la Constitution qui, en application du traité de Maastricht, ouvre le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales aux étrangers ressortissants d'un pays de l'Union européenne. Cet article dispose :

« Sous réserve de réciprocité et selon les modalités prévues par le Traité sur l'Union européenne signé le 7 février 1992, le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales peut être accordé aux seuls citoyens de l'Union résidant en France. Ces citoyens ne peuvent exercer les fonctions de maire ou d'adjoint ni participer à la désignation des électeurs sénatoriaux et à l'élection des sénateurs. Une loi organique votée dans les mêmes termes par les deux assemblées détermine les conditions d'application du présent article. »

Votre rapporteure relève l'existence de deux différences entre l'article 88-3 et le dispositif prévu par la présente proposition de loi constitutionnelle : d'une part, le droit de vote et d'éligibilité des ressortissants d'un État membre de l'Union est subordonné à une clause de réciprocité, et d'autre part, la loi organique déterminant les modalités de participation de ces étrangers aux élections municipales doit être votée dans les mêmes termes par les deux Assemblées.

Malgré ces légères divergences, les travaux de l'Assemblée nationale témoignent de la volonté des députés d'aligner, autant que faire se pouvait et tout en tenant compte de la situation particulière des étrangers originaires d'un État non membre de l'Union européenne, le régime de ces derniers sur celui des étrangers issus d'un État-membre de l'Union 21 ( * ) .

• Les droits citoyens déjà conférés aux étrangers

Votre rapporteure souligne que le texte adopté par les députés au mois de mai 2000 s'inscrit dans la continuité d'une évolution antérieure, qui a conduit le législateur à accorder un nombre de plus en plus important de droits aux étrangers afin de les associer à la vie de la collectivité dans laquelle ils résident ou dans laquelle ils exercent leur profession. Lors de leur audition par votre rapporteur, les représentants du MRAP ont d'ailleurs considéré que ces droits étaient constitutifs d'une « citoyenneté de rattachement territorial », à l'instar du droit de vote aux élections municipales.

En effet, les étrangers non ressortissants d'un État membre de l'Union européenne peuvent :

- faire usage du droit d'association, dans les mêmes conditions que les citoyens Français, depuis la loi du 9 octobre 1981 ;

- participer aux élections organisées dans les entreprises, dans les mêmes conditions que les Français ; on notera toutefois que leur éligibilité n'est pas acquise à toutes ces élections 22 ( * ) ;

- participer aux élections prudhommales, même s'ils ne peuvent pas être élus comme conseillers de prud'hommes ;

- voter et être élus dans certains ordres professionnels ;

- prendre part à l'élection des membres des conseils représentant les usagers des services publics et faire partie de ces conseils (par exemple dans l'éducation et dans les organismes de logement social -OPHLM et OPAC-) ;

- voter et siéger dans les conseils d'administration des caisses de sécurité sociale, dans les organes d'administration des sociétés mutualistes et dans les conseils d'administration des entreprises du secteur nationalisé.

En outre, comme le rappelait M. Guy Carcassonne, professeur de droit public à l'université de Paris-X-Nanterre, les étrangers (qu'ils soient ou non ressortissants d'un État-membre de l'Union européenne) ont d'ores et déjà un impact sur la législation électorale : ils sont en effet pris en compte pour la délimitation des circonscriptions électorales et pour l'appréciation du respect du principe constitutionnel d'égalité devant le suffrage. Ce principe a ainsi été récemment rappelé par le Conseil constitutionnel qui, dans une décision du 8 janvier 2009, a censuré une disposition prévoyant la seule prise en compte des citoyens français pour le découpage des circonscriptions législatives 23 ( * ) .

• Un état des lieux de la législation étrangère

En outre, votre rapporteure constate qu'une nette majorité des États européens accorde -certes, selon des modalités variées- le droit de vote aux élections locales aux résidents étrangers .

Une étude de législation comparée, élaborée par les services du Sénat et présentée en annexe au présent rapport, analyse ainsi la situation de douze pays de l'Union européenne (Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni et Suède), ainsi que de la Suisse : cette étude montre que, parmi ces États, seuls deux dénient tout droit de vote aux résidents étrangers non européens.

• La position de votre commission des lois : soutenir l'extension de la citoyenneté aux étrangers non européens

Votre commission des lois a apporté son soutien à la proposition de loi constitutionnelle adoptée par l'Assemblée nationale : elle a ainsi estimé que l'histoire de la démocratie devait être celle d'une extension progressive du droit au suffrage, et d'une intégration toujours plus large de la population à l'expression politique et citoyenne.

En effet, de nombreux arguments militent en faveur de l'ouverture du droit de vote et d'éligibilité aux étrangers non ressortissants d'un État membre de l'Union européenne.

Ces arguments peuvent être regroupés en quatre thématiques :

- la nécessité de reconnaître l'existence d'une citoyenneté plurielle, qui est la conséquence de la pérennité de l'établissement de certains étrangers sur le sol français : en effet, cette pérennité est indéniablement une source d'implication dans la vie collective à l'échelle locale ;

- l'équité, qui impose de ne pas traiter différemment deux catégories d'étrangers alors même que cette différence ne semble plus justifiée dans les faits ;

- la volonté de renforcer la portée de la démocratie ;

- enfin, la garantie de la dignité des personnes concernées par ce nouveau droit.

Tout d'abord, l'instauration du droit de vote et d'éligibilité des étrangers non communautaires aux élections municipales répond à l'impératif d'intégration des résidents étrangers établis de longue date sur le sol français 24 ( * ) . Ceux-ci ne peuvent en effet plus être considérés comme des « travailleurs de passage » ayant vocation à retrouver leur pays d'origine, une fois éteint le besoin de main-d'oeuvre pour lequel ils avaient émigré 25 ( * ) : à l'inverse, à l'issue d'une certaine durée de résidence -qu'il incombera au législateur organique de fixer-, nul ne peut nier qu'ils sont pleinement intégrés à la vie de leur commune et de leur quartier et qu'ils font partie de la collectivité locale. Ils sont donc liés aux autres résidents par une communauté d'intérêts qui justifie que des droits citoyens leur soient accordés au niveau municipal, c'est-à-dire à un niveau de proximité.

Votre rapporteure observe, à cet égard, que cette conception ouverte de la citoyenneté, fondée sur la résidence plutôt que sur la nationalité, n'est en rien contraire à la tradition constitutionnelle de notre pays : la décision constitutionnelle du 9 avril 1992 sur la ratification du traité de Maastricht démontre ainsi que l'impossibilité pour les étrangers de participer aux élections municipales sans une habilitation constitutionnelle préalable découle non pas d'une conception particulière de la citoyenneté, mais de l'impact que leur participation à ces élections aurait sur le Sénat dans la mesure où celui-ci est élu notamment par les conseillers municipaux et où « en sa qualité d'assemblée parlementaire, [...] participe à l'exercice de la souveraineté » 26 ( * ) . En d'autres termes, si la notion de souveraineté est indissolublement liée à la nationalité (si bien que les étrangers ne peuvent pas participer à l'exercice de la souveraineté -comme, par exemple, aux élections parlementaires), la notion de citoyenneté ne semble pas présenter cette particularité : la Constitution ne semble pas conditionner la qualité de citoyen à la détention (ou à l'acquisition) de la nationalité française.

Rappelons également que ce raisonnement fondé sur la distinction entre souveraineté et citoyenneté a été développé par l'Assemblée nationale dès 2000, et qu'il explique les modifications apportées par les députés aux textes déposés par MM. Bernard Birsinger, Roger-Gérard Schwartzenberg, André Aschieri et Kofi Yamgnane entre la fin de l'année 1999 et le début de l'année 2000 27 ( * ) . En particulier, on notera que toutes ces propositions de loi constitutionnelle prévoyaient d'insérer les dispositions relatives au droit de vote et d'éligibilité des étrangers issus d'un pays non membre de l'Union européenne à l'article 3 de la Constitution, relatif à la souveraineté, et non au sein du titre XII, relatif aux collectivités territoriales. Ce choix a toutefois été contesté par les députés qui ont souhaité, pour reprendre les termes utilisés par M. Bernard Roman -alors président de la commission des lois de l'Assemblée nationale-, instaurer une « citoyenneté multiple » et non une « souveraineté multiple ».

En deuxième lieu, une telle réforme permettrait de mettre fin à la discrimination créée par le traité de Maastricht entre plusieurs types d'étrangers : en effet, il est peu compréhensible que, alors que la citoyenneté a été partiellement découplée de la nationalité par l'insertion de l'article 88-3 au sein de notre Constitution, certains étrangers demeurent exclus de tout droit au suffrage. Un argument fort d'égalité entre les étrangers , quel que soit leur État d'origine, soutient donc la présente proposition de loi constitutionnelle.

À cet égard, votre rapporteure souligne que l'ouverture aux étrangers issus d'un État non membre de l'Union européenne de droits similaires à ceux qui ont été accordés aux ressortissants communautaires ne constitue en rien la négation des spécificités de la construction européenne. Il est indéniable que l'édification de l'Union européenne présente des particularités substantielles (puisqu'elle implique, contrairement à toute relation multilatérale entre États, la mise en place d'une citoyenneté particulière et qu'elle repose sur la création d'une communauté de destin entre les États-membres). Toutefois, force est de constater que l'octroi du droit de vote aux étrangers originaires d'un État de l'Union, et à eux seuls, est constitutive d'une différence de traitement qui mène dans les faits à des situations paradoxales, voire iniques : en effet, comment justifier que le ressortissant d'un État de l'Union établi en France depuis moins d'un an puisse voter aux élections municipales alors que, dans le même temps, le ressortissant d'un autre État installé sur le sol français depuis trente ans ne dispose pas de ce droit ?

En troisième lieu, l'ouverture du droit de vote aux étrangers non membres de l'Union européenne représente un enjeu crucial pour l'intégration des éventuels descendants Français de ces étrangers à la vie démocratique de notre pays. À l'occasion de son audition par votre rapporteure, M. Vincent Tiberj, sociologue, soulignait ainsi que selon une enquête de 2010 28 ( * ) , les Français d'origine immigrée étaient moins fréquemment inscrits sur les listes électorales que les autres catégories de Français (23 % d'entre eux ne sont pas inscrits sur les listes électorales, contre 7 % pour le reste de la population) alors même que les autres indicateurs de participation montraient qu'ils étaient tout autant intéressés que leurs concitoyens par la vie politique. Rappelant que l'acte de vote, au-delà d'être un acte politique, est également un acte symbolique et social qui est favorisé par l'« habituation » (c'est-à-dire, notamment, le fait d'avoir ses parents ou ses proches y procéder, et donc de le considérer comme un acte usuel et naturel), il a imputé cette moindre inscription sur les listes électorales à un déficit de « socialisation au vote » ; dès lors, il a estimé qu'un tel déficit serait réduit -si ce n'est comblé- si le droit de vote était ouvert à tous les étrangers, fût-ce aux seules élections municipales.

Cet argument a été confirmé, d'un point de vue empirique, par les représentants de l'Association des travailleurs maghrébins de France et de la Fédération des Tunisiens pour une citoyenneté des deux rives, qui ont jugé que, aux yeux des descendants français de parents étrangers, l'ouverture du droit de vote aux étrangers non européens renforcerait la crédibilité du vote et donnerait un sens à la participation politique.

Par ailleurs, comme l'ont rappelé à plusieurs reprises les personnes entendues par votre rapporteure, la mise en place du droit de vote pour les étrangers issus d'un État non membre de l'Union européenne est adossée à un véritable enjeu de dignité . M. Daniel Breuiller, maire d'Arcueil et conseiller général du Val-de-Marne, racontait ainsi que, en 1999, une consultation ouverte à tous les habitants de la commune, quelle que soit leur nationalité, avait été organisée à Arcueil ; cette initiative avait, selon lui, été une source de fierté pour les étrangers résidant dans la commune, puisqu'ils avaient alors vu leur appartenance à la communauté municipale reconnue et consacrée.

Plus largement, l'ouverture du droit de vote et d'éligibilité aux étrangers répond aux aspirations profondes de ces derniers : les représentants de l'ATMF affirmaient ainsi, lors de leur audition par votre rapporteure, que les immigrés issus d'un État non membre de l'Union européenne avaient l'impression d'être indûment privés d'un droit élémentaire et, de ce fait, d'être exclus de la vie de la collectivité.

Votre rapporteure relève, enfin, que l'ouverture du droit de vote aux étrangers originaires des pays non membres de l'Union est approuvée par les élus locaux, qui ont marqué leur soutien par la mise en place de « votations citoyennes » (c'est-à-dire de consultations ouvertes à tous les résidents et recueillant l'avis des citoyens sur le droit de vote des étrangers : selon le MRAP, 75 communes ont organisé de telles votations en 2011) et en souscrivant à l'« appel de Strasbourg » 29 ( * ) en faveur de l'ouverture du droit de vote aux étrangers pour les élections municipales.

La proposition de loi constitutionnelle semble également recueillir le soutien de l'opinion , si l'on en croit des sondages récents : pour n'en citer qu'un, le sondage réalisé par l'institut Harris Interactive pour « La lettre de la citoyenneté » et rendu public au début du mois de novembre 2011 30 ( * ) , 59 % des Français seraient favorables à ce que les étrangers non européens puissent participer aux élections municipales. On soulignera qu'il s'agit de la plus forte proportion mesurée, par ce même institut, depuis 1994 (seul un tiers des personnes interrogées se prononçaient alors en faveur de la réforme).

Parallèlement, votre commission a jugé que les arguments avancés pour contester l'octroi du droit de vote et d'éligibilité aux étrangers non issus d'un pays de l'Union européenne ou pour atténuer la portée de ces nouveaux droits devaient être écartés :

- l'argument d'un prétendu « modèle républicain » liant, de manière indissoluble, la citoyenneté à la nationalité ne semble plus avoir de raison d'être depuis l'insertion de l'article 88-3 dans la Constitution, c'est-à-dire depuis que les ressortissants européens participent aux élections municipales. Votre rapporteure tient d'ailleurs à souligner que, à rebours de la conception de la citoyenneté défendue par les tenants de ce « modèle républicain », l'histoire de France est jalonnée d'évènements au cours desquels des étrangers ont joué un rôle crucial et ont contribué à fonder l'identité et les valeurs de notre pays : qu'on songe seulement à la Révolution française, qui a vu la jeune République être défendue par des étrangers venus de tous les pays d'Europe, ou à la Résistance (l'une des premières structures de résistance à l'occupation nazie en France n'est-elle pas la Main-d'oeuvre immigrée -MOI-, dont étaient issus les membres du groupe Manouchian ?).

En outre, comme le remarquait M. Paul Oriol lors de son audition par votre rapporteure, il n'est pas légitime de lier citoyenneté et nationalité dans la mesure où ces notions répondent à deux questions très différentes, et qui n'ont pas de réel lien logique entre elles : en effet, alors que la nationalité s'attache à la question « Qui suis-je ? », la citoyenneté semble, quant à elle, constituer une réponse à la question : « Que faire ensemble ? ». En d'autres termes, la nationalité est attachée à une personne, alors que la citoyenneté relève d'une logique collective ;

- d'aucuns soutiennent que pour démontrer leur intégration dans la vie publique française, condition essentielle à l'obtention du droit de vote, les étrangers non européens devraient recourir à la naturalisation. Non seulement cet argument se heurte aux mêmes objections que le précédent, dans la mesure où il établit un lien entre nationalité et citoyenneté, mais surtout il méconnaît la dureté des conditions actuelles de naturalisation : pendant son audition, Mme Danièle Lochak rappelait ainsi que le droit français de la nationalité n'était pas particulièrement libéral et imposait aux étrangers de remplir des critères nombreux et hétérogènes pour accéder à la nationalité française (l'une des conditions de naturalisation est d'ailleurs que le demandeur dispose de ressources stables, ce qui engendre souvent un refus de naturalisation pour des personnes parfaitement assimilées, mais aux revenus précaires). Enfin, on rappellera que la naturalisation ne sera pas privée de portée par la présente réforme, et que la proposition de loi constitutionnelle n'a pas pour effet de conférer aux étrangers les mêmes droits politiques qu'aux citoyens Français, qui demeureront les seuls capables de participer aux élections cantonales, régionales, parlementaires et présidentielles, ainsi qu'aux référendums ;

- enfin, certains estiment que l'octroi du droit de vote aux étrangers non européens favoriserait la montée du communautarisme. Or, ainsi que le notait M. Vincent Tiberj, les enquêtes sociologiques conduites sur le sujet ainsi que les précédents étrangers (notamment aux Pays-Bas) démontrent que l'ouverture du droit de vote aux ressortissants étrangers pour les élections locales ne contribue en rien à créer un vote « communautariste » : au contraire, elle a en pratique pour effet de conduire à une meilleure prise en compte des intérêts des « minorités » par la classe politique, mais aussi à une plus forte présence de ces « minorités » au sein de la direction des partis politiques et sur les bancs du Parlement. Ces deux évolutions ont pour effet de favoriser une meilleure intégration des « minorités » au sein de la vie politique nationale, et donc de faire barrage à une éventuelle tentation communautariste.

De même, comme le soutenaient les membres de la Fédération des Tunisiens pour une citoyenneté des deux rives entendus par votre rapporteure, le droit de vote, en tant que droit individuel et exercé dans le secret de l'isoloir, peut contribuer à détacher les individus de leur communauté lorsque celle-ci exerce une pression indue sur eux : l'ouverture du droit de vote aux étrangers non européens, loin d'être un facteur de communautarisme, pourra donc agir comme un levier d'émancipation.

• Le dispositif adopté par votre commission des lois

Sur la base de ce constat, votre commission a adopté un dispositif très similaire à celui qui avait été prévu par l'Assemblée nationale.

À cet égard, votre commission n'a pas souhaité que l'ouverture du droit de vote et d'éligibilité aux étrangers pour les élections municipales soit conditionnée à une clause de réciprocité .

Votre rapporteure souligne que la clause de réciprocité prévue par l'article 88-3 de la Constitution répond à un contexte particulier puisque tous les États-membres de l'Union européenne ont (par définition) ratifié le traité de Maastricht, si bien que la réciprocité est forcément réalisée : il s'agit donc, en l'espèce, d'une condition de pure forme qui ne saurait limiter l'accès des ressortissants européens au suffrage.

À l'inverse, l'insertion d'une clause similaire dans le nouvel article relatif au droit de vote et d'éligibilité des étrangers non européens aurait pour effet de vider la réforme de son contenu et se heurte à deux arguments :

- premièrement, de nombreux États extérieurs à l'Union européenne ne sont pas des démocraties et n'organisent aucune élection, même à l'échelle locale. Il serait donc impossible d'établir une réciprocité avec eux, et donc d'ouvrir le droit de vote et d'éligibilité à leurs ressortissants. La réciprocité a donc pour conséquence, paradoxalement mais nécessairement, de priver les étrangers venant d'un pays non démocratique du droit de vote en France sous le seul prétexte que nul ne dispose de ce droit dans leur pays d'origine : il s'agirait alors d'une sorte de « double peine » ;

- en outre, la mise en oeuvre de cette clause de réciprocité poserait de réels problèmes pratiques : comme les auditions menées par votre rapporteure l'ont montré, l'introduction d'une clause de réciprocité imposerait à la France, préalablement à l'entrée en vigueur de la réforme, de passer quelque 150 conventions avec des États tiers (ce qui générerait certainement des inégalités entre les différentes nationalités).

Plus substantiellement, votre commission a jugé que le droit de vote, en tant que droit fondamental, ne pouvait être conditionné aux relations entre la France et des États tiers. Il ne serait donc ni légitime, ni conforme à la tradition française incarnée, en matière de droits fondamentaux, par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, de subordonner l'octroi de ce droit à la conclusion hasardeuse et complexe de conventions bilatérales, et de mettre ainsi le sort des individus entre les mains de leur État d'origine (ce sort risquant d'ailleurs d'être d'autant moins favorable que l'État en cause est peu démocratique). Rappelons, sur ce terrain, que l'ouverture du droit d'association -qui est, lui aussi, un droit fondamental- aux ressortissants étrangers en 1981 n'était pas soumise à une réserve de réciprocité.

Par ailleurs, votre commission n'a pas souhaité prévoir, comme à l'article 88-3 de la Constitution, que la loi organique fixant les conditions d'exercice du droit de vote et d'éligibilité des étrangers non européens devrait être adoptée dans les mêmes termes par les deux Assemblées : cette précision, qui avait été insérée en raison du contexte politique spécifique de 1992 plutôt que pour tenir compte d'éléments juridiques, ne lui a pas semblé opportune. Aux yeux de votre commission, la loi organique prévue par le présent texte, parce qu'elle découle d'une disposition du titre XII de la Constitution relatif aux collectivités territoriales, relèvera en tout état de cause de la priorité accordée à notre Haute Assemblée par l'article 39 de la Constitution sur « les projets de loi ayant pour principal objet l'organisation des collectivités territoriales » -notion dont la jurisprudence récente du Conseil constitutionnel a d'ailleurs montré qu'elle avait un périmètre plus large que ce que certains pouvaient croire...

Sur un plan formel, votre commission a, à l'initiative de votre rapporteure , adopté un amendement rédactionnel afin de garantir la bonne insertion du dispositif prévu par le présent texte dans la Constitution, dont la numérotation et la structure ont été largement modifiées depuis 2000.

Cette modification est en effet nécessaire pour que l'adoption du présent texte, qui devait initialement constituer un nouvel article 72-1, n'entraîne pas la réécriture complète de l'actuel article 72-1 (qui fixe les conditions d'association des électeurs aux décisions prises par les collectivités territoriales). Il convient, dès lors, d'insérer non pas un article 72-1, mais un nouvel article 72-5 dans la Constitution.

Votre commission a adopté l'article 1 er ainsi rédigé .

Article 2

(art. 88-3 de la Constitution)

Coordination

Par coordination avec l'ouverture du droit de vote aux étrangers non ressortissants d'un pays de l'Union européenne, le présent article supprime le mot « seuls » au sein de l'article 88-3 de la Constitution : celui-ci dispose en effet que « le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales peut être accordé aux seuls citoyens de l'Union résidant en France » -à l'exclusion, donc, des autres étrangers.

L'ouverture du droit de vote et d'éligibilité aux étrangers non ressortissants de l'Union européenne impose de supprimer cette mention.

Votre commission a adopté l'article 2 sans modification .


* 21 Voir, notamment, les conclusions de la commission des lois de l'Assemblée nationale sur l'article 1 er .

* 22 Ils ne peuvent être élus ni représentant d'une section syndicale (article L. 2142-1-2 du code du travail), ni délégué syndical (article L. 2143-1), ni délégué du personnel (article L. 2314-16).

* 23 Décision n° 2008-573 DC du 8 janvier 2009 (« Loi relative à la commission prévue à l'article 25 de la Constitution et à l'élection des députés »), considérant 27.

* 24 Rappelons que la loi organique à laquelle renvoie la proposition de loi constitutionnelle aurait vocation, notamment, à fixer une durée minimale de résidence à compter de laquelle le droit de vote et d'éligibilité serait ouvert aux étrangers non ressortissants d'un État membre de l'Union européenne.

* 25 Comme le soulignait Mme Danièle Lochak, professeure émérite de droit à l'université de Paris-X-Nanterre, lors de son audition par votre rapporteure, ce constat est d'autant plus prégnant que les étrangers arrivés en France lors des grandes vagues d'immigration des années 1960 et 1970 sont fréquemment, aujourd'hui, les parents d'enfants français, et ont construit leur vie personnelle sur le sol français.

* 26 Décision n° 92-308 DC du 9 avril 1992, considérant 26.

* 27 Il s'agit respectivement des textes n°s 1881, 2042, 2063 et 2075 (onzième législature).

* 28 Enquête « Trajectoires et origines » établie par l'INED, octobre 2010, disponible à l'adresse suivante : http://www.ined.fr/fichier/t_publication/1516/publi_pdf1_dt168_teo.pdf

* 29 Cet appel est présenté en annexe au présent rapport et a été signé, selon le MRAP, par plus d'une centaine de maires.

* 30 http://www.harrisinteractive.fr/news/2011/04112011.asp

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