B. LA MISE EN DANGER DÉLIBÉRÉE D'AUTRUI : UNE FAUTE PÉNALE SUSCEPTIBLE D'ÊTRE CONSTITUÉE INDÉPENDAMMENT DE TOUT DOMMAGE

La mise en danger délibérée de la personne d'autrui se situe entre la faute intentionnelle et la faute non intentionnelle. Elle vise le cas d'une personne qui prend un risque de façon délibérée sans chercher néanmoins à provoquer un dommage. Tel est le cas du conducteur roulant à grande vitesse dans un centre-ville.

Sous l'empire de l'ancien code pénal, la répression d'une telle faute impliquait une atteinte effective à la vie ou à l'intégrité physique de la victime. Seules pouvaient être retenues les qualifications d'homicide ou de blessures par imprudence. La qualification ne prenait en compte que le dommage. Il en résultait une double inéquité :

- du point de vue de la victime : lorsque l'incapacité subie par la victime était inférieure à trois mois, la qualification présentait un caractère contraventionnel quel que soit le degré de gravité de la faute commise ;

- du point de vue de l'auteur : la personne prenant un risque en connaissance de cause et provoquant de ce fait un dommage n'était pas punie plus sévèrement que celle ayant agi par maladresse ou inattention.

Le nouveau code pénal a introduit la notion de mise en danger délibérée de la personne d'autrui en l'associant à un dommage mais aussi, de façon très novatrice, en l'instituant comme délit indépendamment de tout dommage.

Si elle a provoqué un dommage, la mise en danger délibérée de la personne d'autrui constitue une circonstance aggravante de l'infraction non intentionnelle .

Tel est le cas pour les atteintes involontaires à la vie (article 221-6 du code pénal) ou à l'intégrité de la personne (articles 222-19 et 222-20 du code pénal) ainsi que pour les destructions, dégradations et détériorations involontaires d'un bien appartenant à autrui par l'effet d'une explosion ou d'un incendie (article 322-5 du code pénal). A titre d'exemple, s'agissant des atteintes involontaires à la personne, la peine passe de trois à cinq ans en cas d'homicide, de deux à trois ans en cas d'incapacité de travail d'une durée de plus de trois mois (article 222-19) et enfin d'une peine d'amende contraventionnelle à un an d'emprisonnement en cas d'incapacité de moins de trois mois.

La mise en danger délibérée d'autrui est également une circonstance aggravante des infractions d'homicide ou de blessures involontaires commises par les automobilistes instituées de manière spécifique par la loi du 12 juin 2003 renforçant la lutte contre la sécurité routière (articles 221-6-1, 222-19-1 et 222-20-1 du code pénal).

La mise en danger délibérée de la personne d'autrui peut aussi constituer un délit même lorsqu'elle n'a causé aucun dommage en vertu de l'article 223-1 du code pénal.

Cette disposition punit d'un an d'emprisonnement et de 15.000 euros d'amende « le fait d'exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité ».

Il s'agit de la seule infraction non intentionnelle de notre droit pénal punie d'une peine d'emprisonnement en l'absence de tout résultat . Comme le soulignait le rapporteur de la commission des lois, notre ancien collègue, M. Charles Jolibois, lors de l'examen du projet de loi portant réforme du code pénal par le Sénat, le législateur a souhaité que « chacun sache qu'il peut être condamné, même s'il n'a pas fait de victime, simplement parce qu'il en a pris délibérément le risque » 3 ( * ) .

Le délit de « risques causés à autrui » est constitué si trois conditions sont réunies :

- l'existence préalable d'une obligation particulière de sécurité imposée par la loi ou le règlement ;

- une volonté de violer manifestement cette obligation ;

- l'exposition directe d'autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente.

Lors de la réforme du code pénal, le législateur avait initialement encadré la définition de la faute de mise en danger délibérée caractérisant le délit de risque causé à autrui de manière plus rigoureuse que celle de cette faute utilisée comme circonstance aggravante (pour laquelle il n'était pas nécessaire que la violation fut « manifestement » délibérée, qu'elle porte sur une obligation « particulière » déterminée par « le » règlement -les articles 221-6, 222-19 et 220-20 relatifs aux atteintes à la vie et à l'intégrité de la personne visaient « les » règlements). La loi du 10 juillet 2000 a généralisé les termes restrictifs de définition de la faute de mise en danger à toutes les hypothèses où le code pénal la prévoit -y compris lorsqu'elle intervient comme circonstance aggravante des homicides et blessures involontaires 4 ( * ) .

• L'existence préalable d'une obligation particulière de sécurité et de prudence prévue par la loi ou le règlement

L'article 223-1 du code pénal exige, d'une part, que l'obligation dont la violation est l'un des éléments constitutifs du délit ait été prévue par la loi ou par le règlement ; d'autre part, que cette obligation revête un caractère particulier.

- Une obligation prévue par la loi ou le règlement

Si la violation porte sur une règle de conduite non écrite, elle ne pourra être réprimée qu'à la condition d'avoir produit un dommage. Ainsi le fait de jeter un sac de détritus sur la chaussée avant le passage d'un véhicule ne constitue pas la violation d'une obligation de sécurité ou de prudence, aucune disposition du code de la route n'interdisant un tel agissement (Cour d'appel de Bordeaux, 15 mai 1997).

La notion de règlement doit être entendue au sens constitutionnel et administratif du terme : elle couvre les règles édictées par le Président de la République, le Premier ministre, les ministres, les préfets et les diverses autorités territoriales à l'exclusion des actes qui n'émanent pas de l'autorité publique -règlement intérieur d'une entreprise, règles professionnelles, déontologiques ou sportives. La jurisprudence a précisé ce principe : la règle doit présenter un caractère impersonnel (tel n'est pas le cas d'un arrêté préfectoral déclarant un immeuble insalubre et imposant au propriétaire la réalisation de travaux - Cass. Crim., 10 mai 2000) et absolu -ce qui exclut les actes qui n'ont qu'une valeur normative relative comme les circulaires et les instructions.

- L'obligation doit en outre présenter un caractère suffisamment précis et imposer un mode de conduite circonstancié. A titre d'exemple, la méconnaissance par un médecin des obligations du code de la santé publique définissant les règles générales de conduite -engagement à assurer des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science, soin dans l'élaboration du diagnostic- ne répond pas à ces conditions (Cass. Crim., 18 mars 2008) ; en revanche, l'article 12 du décret du 11 février 2002 qui impose au chirurgien l'assistance d'infirmiers qualifiés édicte une obligation particulière (Cass. Crim., 18 mai 2010). Comme l'a précisé la doctrine « le texte doit être suffisamment précis pour que soit déterminable sans équivoque la conduite à tenir dans telle ou telle situation et pour que les écarts à ce modèle puissent être aisément identifiés comme hypothèses de mise en danger » 5 ( * ) .

• L'exigence d'une « violation manifestement délibérée »

La mise en danger délibérée ne se confond pas avec une simple négligence ou imprudence. En revanche, à la différence des délits intentionnels, elle ne vise pas à provoquer un dommage particulier.

A titre d'exemple, la Cour de cassation a confirmé l'arrêt d'une cour d'appel qui déclare coupable de mise en danger délibérée d'autrui des prévenus qui ont provoqué une avalanche dans une station de sport d'hiver, en pratiquant le surf sur une piste interdite par un arrêté municipal, pris pour la sécurité des skieurs, l'un des prévenus ayant récidivé deux jours plus tard. La cour d'appel avait motivé sa décision en indiquant que les services météorologiques signalaient le jour des premiers faits, un risque maximum d'avalanche et que les intéressés, pratiquants expérimentés, s'étaient engagés sur une piste barrée par une corde et signalée par des panneaux d'interdiction règlementaires, en dépit d'une mise en garde du conducteur du télésiège (Cass. Crim., 9 mars 1999).

La mise en danger délibérée n'implique pas que l'auteur du délit ait eu connaissance de la nature du risque particulier effectivement causé par son manquement (Cass. Crim., 16 février 1999).

• L'exposition directe d'autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente

Le délit de mise en danger d'autrui n'est constitué que si le manquement défini par l'article 223-1 a été la cause directe et immédiate du risque auquel a été exposé autrui (Cass. Crim., 16 février 1999). Cette exigence a conduit la Cour de cassation à interpréter de manière très restrictive l'article 223-1. Elle a ainsi censuré un arrêt d'une cour d'appel qui avait condamné pour risques causés à autrui une personne ayant circulé avec un motoneige, en dépit des interdictions municipales, sur une piste fréquentée par des débutants alors qu'il ne disposait d'aucun moyen de signalisation lumineux. Selon la Cour de cassation, les juges du fond auraient dû faire état des « circonstances de fait, tirées de la configuration des lieux, de la manière de conduire du prévenu, de la vitesse de l'engin, de l'encombrement des pistes, des évolutions des skieurs ou de toute autre particularité, caractérisant le risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation, ou une infirmité permanente ».


* 3 Journal officiel Sénat, Compte rendu, 30 avril 1991, p. 812.

* 4 Une différence demeure néanmoins : alors que l'homicide ou les blessures involontaires sont aggravés, que la faute de mise en danger ait provoqué directement ou indirectement le dommage, le délit prévu par l'article 223-1 du code pénal n'est constitué que si le manquement a été la cause directe du risque causé à autrui.

* 5 Danièle Caron, Risques causés à autrui, jurisclasseur.

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