C. UN DISPOSITIF DE FINANCEMENT ENCORE INDÉTERMINÉ

Le financement de l'amélioration du réseau à haut débit et du déploiement du réseau à très haut débit est, à ce jour, la « grande inconnue » du modèle de déploiement retenu par le Gouvernement. L'existence parallèle de deux fonds concourant au même objet en démontre l'incohérence, tandis que le caractère encore symbolique des financements publics mobilisés en souligne les limites.

1. Deux fonds pour un même objectif

La « loi Pintat », dans son article 24 , a prévu la création du Fonds d'aménagement numérique des territoires (FANT), qui a pour but de « contribuer au financement de certains travaux de réalisation des infrastructures et réseaux envisagés par les SDTAN ». Ce fonds était destiné, plus précisément, à financer les projets publics de déploiement de réseaux à très haut débit portés par des collectivités et s'inscrivant dans des SDTAN.

Si la loi a créé ce fonds, elle ne l'a pas pour autant alimenté, la question de son abondement se trouvant reportée. Le rapporteur de la proposition de loi, notre collègue Bruno Retailleau, avait pourtant émis plusieurs pistes d'alimentation du FANT : fonds européens, participation des collectivités territoriales, produit du « dividende numérique », taxe sur les abonnements de communications électroniques, taxe sur les opérateurs et, en premier lieu, emprunt national.

Considérant que « le déploiement de réseaux permettant à l'ensemble du territoire national de bénéficier de communications électroniques à très haut débit est un impératif qui engage la compétitivité des territoires sur le long terme », Bruno Retailleau avait ainsi suggéré « d'orienter une part de cet emprunt vers le financement, au cours des années à venir, de réseaux de fibre optique », part qui aurait logiquement été « versée sur le fonds national d'aménagement numérique ».

Or, le texte porteur des crédits du « grand emprunt », la loi du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010 définissant les emplois des investissements d'avenir , a certes prévu d'en consacrer une partie au secteur numérique, mais selon une architecture très différente, et pour le moins peu cohérente.

Elle a affecté 4,25 milliards d'euros au programme « développement de l'économie numérique », opéré par le FSN , dont 2 milliards sont orientés vers le financement des réseaux. La gouvernance stratégique en est assurée par le Premier ministre via le commissaire général à l'investissement (CGI), en lien avec le ministre chargé de l'économie numérique et les ministres partenaires. La gestion du FSN est assurée par la Caisse des dépôts et consignations (CDC), agissant au nom et pour le compte de l'État, en application d'une convention du 2 septembre 2010.

Plutôt que d'abonder un fonds venant d'être créé par le Parlement - le FANT -, le Gouvernement a donc fait le choix de laisser ce dernier vide, et d'en créer un nouveau, le FSN, qui a reçu 2 milliards d'euros pour le financement des réseaux numériques. L' existence parallèle de deux fonds , visant au même objectif, mais dont seul le premier est à l'heure actuelle activé et abondé, est source d'étonnement . Le fait que le FSN a été créé par le Gouvernement, qui a donc décidé de ses règles de fonctionnement et d'éligibilité, à la différence du FANT qui relève d'une initiative parlementaire, interroge sur le souhait sous-jacent du premier de « garder la main » sur un système de financement dont il est à l'origine.

2. Le FSN, un fonds au périmètre limité

Le FSN , ainsi que cela a été précisé, bénéficie de 2 des 4,25 milliards d'euros consacrés par le programme « investissements d'avenir » au numérique . Cette enveloppe se décompose de la façon suivante : un milliard d'euros est destiné à financer des prêts de long terme aux opérateurs, qui semblent peu intéressés par ces derniers, et 100 millions d'euros à la recherche sur des technologies très haut débit alternatives à la fibre. « Seuls » les 900 millions d'euros permettant de soutenir les projets des collectivités semblent immédiatement opérationnels pour contribuer au déploiement du réseau.

Ces sommes sont à mettre en comparaison avec les besoins de financement globaux , qui seraient, selon les dernières évaluations validées par l'ARCEP, de 21 milliards d'euros . Sur ce total, et selon les projections actuelles, 7 milliards seraient apportés par les opérateurs dans leurs propres projets de déploiement, 7 dans les cas où ils interviennent en temps que délégataires de RIP et les 7 derniers par des personnes publiques (État, collectivités territoriales, Union européenne ...).

Si l'on retient ce dernier schéma global de financement, ce sont donc 7 milliards d'euros de financements publics qui devront être trouvés pour déployer le réseau très haut débit sur l'ensemble du territoire. Avec 900 millions d'euros de crédits consomptibles provisionnés par les pouvoirs publics, nous sommes aujourd'hui « loin du compte ». Et ce d'autant plus que le Gouvernement, qui a indiqué que le FANT ne serait abondé qu'après que les crédits du FSN auront été épuisés, ne propose aucune solution de financement pérenne pour le fonds de la « loi Pintat ».

3. Le FANT, un « fonds sans fonds »

Le FANT est bien à ce jour un « fonds sans fonds », une « coquille vide » pour laquelle aucun mode précis d'alimentation n'a été prévu. Si l'on peut considérer que cela n'est pas si grave tant que le FSN est doté, ce dernier pourrait rapidement s'avérer insuffisant pour répondre aux projets de financement des collectivités, dont bon nombre devraient être soumis dès cette année à son comité de gestion. En ce sens, prévoir dès maintenant des ressources pour ce fonds permettrait d' anticiper sur l'inéluctable tarissement du FSN, et d' envoyer un signal fort aux collectivités sur la pérennisation de l'aide apportée par l'État à leurs projets de déploiement.

Cette problématique de l'alimentation du FANT avait été relevée dès sa création dans les débats au Sénat et avait conduit à la nomination de votre rapporteur comme parlementaire en mission. Dans le rapport qu'il avait remis au Premier ministre sur le sujet, votre rapporteur livrait une analyse des besoins financiers et y associait des pistes de financement, dont l'une est intégrée dans la proposition de loi.

Au titre des besoins, et au vu de différentes hypothèses concernant les cofinancements prévisibles annuels des opérateurs - 700 millions d'euros -, des collectivités - 150 millions -, du reliquat des investissements d'avenir - 50 millions - et des fonds européens - 50 millions également -, il faisait état pour le FANT de besoins de l'ordre de 660 millions d'euros dans le cas d'un déploiement sur 98 % de la population. Afin d'y pallier, votre rapporteur proposait de créer une contribution de solidarité numérique de 75 centimes d'euros par abonnement et une taxe de 2 % sur le chiffre d'affaires des téléviseurs et des consoles de jeu, taxes dont les mécanismes sont prévus dans les articles 15 et 16 de la proposition de loi.

Votre rapporteur souligne que cette solution, qui avait le mérite de pouvoir être reprise dans sa proposition de loi sans risquer de se voir opposer une irrecevabilité financière, n'avait pas nécessairement sa préférence. Une dotation sur le budget de l'État directement affectée au FANT aurait en effet eu ses faveurs, en tant qu'elle constituerait un mode pérenne et sécurisé d'approvisionnement du fonds, dont l'objectif d'aménagement du territoire, rappelons-le, relève d'une des missions régaliennes de l'État.

En outre, votre rapporteur souhaitait que soit demandée à l'ARCEP une analyse approfondie des coûts de renouvellement du réseau cuivre assuré par France Télécom dans le cadre des tarifs de gros approuvés par l'autorité de régulation, dont une partie - s'il avait été établi qu'ils ne correspondaient pas à ces coûts - aurait pu être affectée au FANT. Certes, le rapport de l'ARCEP, rendu début décembre, conclut à l'absence de surévaluation de ces tarifs. Mais des voix discordantes soutiennent qu'il n'en est rien et que ces derniers sont surévalués de deux euros par prise environ. Il y aurait peut-être là une piste de réflexion à poursuivre et dont votre commission pourrait se saisir.

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