N° 337

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2011-2012

Enregistré à la Présidence du Sénat le 8 février 2012

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur la proposition de loi , ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE APRÈS ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE , relative à l'organisation du service et à l'information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers et à diverses dispositions dans le domaine des transports ,

Par M. Claude JEANNEROT,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : Mme Annie David , présidente ; M. Jacky Le Menn, Mme Catherine Génisson, MM. Jean-Pierre Godefroy, Claude Jeannerot, Alain Milon, Mme Isabelle Debré, MM. Jean-Louis Lorrain, Jean-Marie Vanlerenberghe, Gilbert Barbier , vice-présidents ; Mmes Claire-Lise Campion, Aline Archimbaud, Catherine Deroche, M. Marc Laménie, Mme Chantal Jouanno , secrétaires ; Mmes Jacqueline Alquier, Natacha Bouchart, Marie-Thérèse Bruguière, MM. Jean-Noël Cardoux, Luc Carvounas, Mme Caroline Cayeux, M. Bernard Cazeau, Mmes Karine Claireaux, Laurence Cohen, M. Yves Daudigny, Mme Christiane Demontès, MM. Gérard Dériot, Jean Desessard, Mme Muguette Dini, M. Jean-Léonce Dupont, Mme Odette Duriez, MM. Guy Fischer, Michel Fontaine, Mme Samia Ghali, M. Bruno Gilles, Mmes Colette Giudicelli, Christiane Hummel, M. Jean-François Husson, Mme Christiane Kammermann, MM. Ronan Kerdraon, Georges Labazée, Claude Léonard, Jean-Claude Leroy, Hervé Marseille, Mmes Michelle Meunier, Isabelle Pasquet, M. Louis Pinton, Mmes Gisèle Printz, Catherine Procaccia, MM. Gérard Roche, René-Paul Savary, Mme Patricia Schillinger, MM. René Teulade, Michel Vergoz, André Villiers, Dominique Watrin.

Voir le(s) numéro(s) :

Assemblée nationale ( 13 ème législ.) :

3991 , 4157 et T.A. 829

Sénat :

290 (2011-2012)

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

L'importante couverture médiatique des perturbations qui surviennent dans le domaine du transport aérien de passagers et le mécontentement exprimé à cette occasion par ceux qui en sont affectés ont fait de la question de l'encadrement de l'exercice du droit de grève dans les entreprises de ce secteur une priorité de l'actuelle majorité gouvernementale depuis l'adoption de la loi du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs.

La présente proposition de loi, déposée par le député Eric Diard, s'inscrit dans ce mouvement avec, comme objet affiché, l'amélioration de l'information des passagers par une meilleure organisation du service en cas de grève. Si un tel objectif fait évidemment l'unanimité, et ce quelles que soient les sensibilités politiques, il apparaît que les dispositions du texte ne lui permettront pas d'y répondre de façon adaptée.

Alors qu'il faudrait rompre la logique qui tend à opposer les salariés -qui font usage d'un droit fondamental pour appuyer une revendication professionnelle - aux voyageurs - qui en seraient les victimes collatérales - la proposition de loi accentue ce fossé. Elle fait reposer des obligations nouvelles sur les salariés en matière d'exercice du droit de grève sans les assortir, en retour, de contraintes équivalentes pour les entreprises concernant l'amélioration du dialogue social en leur sein.

Qui plus est, l'examen précipité du texte, destiné à témoigner de la réactivité du Gouvernement en réponse au mouvement social des agents de sûreté du mois de décembre 2011, va à l'encontre du climat d'apaisement nécessaire à l'adoption d'une loi modifiant la portée des droits sociaux des salariés. La concertation préalable des partenaires sociaux n'a pas été formellement organisée et la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale ne s'en est pas saisie pour avis. Le recours à une proposition de loi a d'ailleurs permis de contourner les obligations liées au dépôt d'un projet de loi, notamment son examen préalable par le Conseil d'Etat et la réalisation d'une étude d'impact. Enfin, l'engagement de la procédure accélérée par le Gouvernement, à moins de trois mois de la fin de la session parlementaire, marque bien le caractère accessoire, à ses yeux, de la contribution que le Parlement pourrait apporter.

Pour autant, il ne faut pas caricaturer cette proposition de loi, ni céder à des facilités de langage à son sujet : elle n'impose ni service minimum, ni service garanti dans les transports aériens. Elle n'en est pas pour autant acceptable. Oubliant que la très grande majorité des perturbations du trafic y sont liées non à des mouvements sociaux mais aux conditions climatiques, ses promoteurs font un diagnostic erroné des maux du secteur. La solution n'est pas de stigmatiser toujours plus les salariés. C'est pourquoi la commission des affaires sociales n'est pas favorable à son adoption selon les modalités et dans les conditions proposées.

I. UN RAISONNEMENT JURIDIQUEMENT FRAGILE POUR ENCADRER LE DROIT DE GRÈVE

Afin de permettre aux entreprises de transport aérien d'informer les passagers sur le trafic assuré en cas de grève, la présente proposition de loi vient encadrer l'exercice de ce droit en imposant aux salariés de déclarer leur intention de faire grève quarante-huit heures à l'avance à leur employeur. Ce préavis de fait, imposé à des salariés du secteur privé qui ne sont pas chargés d'une mission de service public , constitue une sérieuse remise en cause du droit actuel de la grève sans s'expliquer par la nécessité d'assurer la protection d'un autre droit garanti par la Constitution.

A. LE DROIT DE GRÈVE, UN DROIT FONDAMENTAL PROTÉGÉ CONSTITUTIONNELLEMENT

Longtemps sanctionné, le droit de grève revêt un caractère constitutionnel depuis que le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 l'a consacré en ces termes dans son septième alinéa : « Le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ». Le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958, en faisant référence au texte de 1946, emporte son inclusion dans le bloc de constitutionnalité auquel la loi doit aujourd'hui se conformer 1 ( * ) .

S'il ne constitue donc pas un principe absolu, les jurisprudences constitutionnelle, administrative et judiciaire ont progressivement établi un cadre protecteur de cette liberté publique afin d'assurer aux salariés la possibilité de défendre leurs droits et de rééquilibrer le rapport de force, par nature biaisé, de la relation contractuelle de travail avec l'employeur.

Le droit de grève est un droit individuel, mais dont l'exercice doit se faire dans le cadre d'un mouvement collectif à l'appui de revendications professionnelles. En application de l'article L. 1132-2 du code du travail, « aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire [...] en raison de [son] exercice normal ». De même, l'article L. 2511-1 du même code précise que « l'exercice du droit de grève ne peut justifier la rupture du contrat de travail, sauf faute lourde imputable au salarié ».

Le Conseil constitutionnel a explicitement reconnu, dans son considérant de principe énoncé notamment dans sa décision n° 79-105 du 25 juillet 1979, que les constituants de 1946 « ont entendu marquer que le droit de grève est un principe de valeur constitutionnelle » et qu'il contribue à la défense des intérêts professionnels. De ce fait, les limitations qui peuvent y être apportées doivent être strictement proportionnées, ne pas le priver de ses effets et donc, dans le cas d'espèce examiné dans cette décision, ne peuvent pas prévoir le maintien d'un service normal en cas de grève dans le service public de la radio et de la télévision.

Quant au Conseil d'Etat, il a jugé 2 ( * ) que le droit de grève constitue une liberté fondamentale invocable dans le cadre du référé-liberté prévu à l'article L. 521-2 du code de justice administrative et selon lequel le juge des référés peut « ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale » si celle-ci fait l'objet, de la part d'une personne publique, d'une atteinte « grave et manifestement illégale ».

Dans sa conception française, le droit de grève revêt donc une importance particulière et un caractère symbolique qui en fait un des éléments centraux de notre démocratie sociale. Il n'apparait donc pas souhaitable d'en contraindre l'exercice, et ce d'autant plus que la marge de manoeuvre du législateur en la matière est strictement encadrée.


* 1 Notamment depuis la décision fondatrice du Conseil constitutionnel n° 71-44 DC du 16 juillet 1971, Liberté d'association.

* 2 CE, 9 décembre 2003, Mme Aguillon, n° 262186.

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