EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Conformément au droit de priorité que l'article 39 de la Constitution confère au Sénat pour l'examen des projets de loi relatifs à l'organisation des collectivités territoriales, notre assemblée est saisie d'un projet de loi organique portant actualisation de la loi n° 99-209 du 19 mars 1999, constituant ainsi la dixième réforme du statut de la Nouvelle-Calédonie issu de l'Accord de Nouméa conclu le 5 mai 1998.

Pour votre commission, elle est l'occasion de veiller à l'effectivité du processus de l'Accord de Nouméa, à la faveur notamment des récentes transferts de compétences en matière d'enseignement du second de degré, de sécurité civile ou, depuis le début de ce mois de juillet, en matière de droit civil et droit commercial.

En effet, prenant la suite des accords de Matignon-Oudinot signé en 1988 entre les forces politiques indépendantistes et loyalistes sous l'égide des autorités gouvernementales, l'Accord de Nouméa confère à la Nouvelle-Calédonie un statut particulièrement autonome au sein de la République. Cette collectivité sui generis est ainsi régie par les dispositions du titre XIII de la Constitution introduites par la révision du 20 juillet 1998, ce qui a pour effet d'encadrer strictement la liberté d'appréciation du législateur organique.

Socle commun du consensus local sur la question institutionnelle, l'Accord de Nouméa constitue la « feuille de route » des institutions calédoniennes que l'État lui-même se doit se respecter, ses orientations ayant acquis, par la volonté du constituant, valeur constitutionnelle.

Dans ce cadre, le processus calédonien est inédit au sein de la République et se justifie par la nécessité de réussir le pari du destin commun. Au terme de ce processus, après le transfert de l'ensemble des compétences non régaliennes, se posera la question de l'autodétermination de la Nouvelle-Calédonie qu'il appartiendra au corps électoral de trancher.

Dans l'attente de l'achèvement du processus de l'Accord de Nouméa, le législateur organique est appelé à actualiser le statut afin de prendre en compte les souhaits de modification des acteurs calédoniens exprimés, à la lumière de la pratique quotidienne, auprès du Premier ministre lors de la réunion du Xème comité des signataires le 6 décembre 2012.

I. LA NOUVELLE-CALÉDONIE : UNE STABILITÉ INSTITUTIONNELLE RETROUVÉE DANS UN CLIMAT SOCIAL TENDU

Le statut de la Nouvelle-Calédonie a connu des évolutions importantes depuis la fin de la seconde guerre mondiale qui a marqué le début d'un processus de décolonisation qui se poursuit désormais par la politique de rééquilibrage et de réforme foncière. Ces mécanismes de correction doivent permettre de répondre aux antagonismes passés pour construire le « destin commun » qu'appelle de ses voeux le préambule de l'Accord de Nouméa.

Évolution historique du statut de la Nouvelle-Calédonie

A partir de 1942, les États-Unis avaient fait de la Nouvelle-Calédonie une importante base logistique, où plusieurs centaines de milliers de soldats américains, australiens et néo-zélandais ont séjourné. De nombreux néo-calédoniens ont combattu dans le bataillon du Pacifique et les Forces françaises libres.

A l'issue de la Seconde Guerre mondiale, la Nouvelle-Calédonie connut deux changements aux fortes répercussions. Tout d'abord, la Nouvelle-Calédonie cesse d'être une colonie, pour devenir un territoire d'outre-mer (TOM). Elle gardera ce statut de 1946 à 1998. Ensuite, les Kanak ne sont plus soumis au code de l'indigénat 4 ( * ) et deviennent des citoyens. Le régime de sanction spécifique à ce code est supprimé, de même que les réquisitions et périodes de travail obligatoire et les limitations à la liberté de circuler. Les Kanak bénéficient cependant de la reconnaissance d'un statut civil particulier. L'application du droit commun aurait en effet conduit à la disparition de l'organisation et des règles coutumières, éléments fondamentaux de la culture mélanésienne.

Au cours de l'après-guerre, le débat politique est dominé par l'Union calédonienne (UC), alliance pluriethnique et autonomiste fondée en 1956.

Face à l'affirmation de la revendication indépendantiste, le courant loyaliste, favorable au maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la République, s'organise avec la création en 1978, par Jacques Lafleur, du Rassemblement pour la Calédonie dans la République (RPCR).

Les forces indépendantistes se fédèrent quant à elles, en 1984, autour du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS), dirigé par Jean-Marie Tjibaou.

La Nouvelle-Calédonie connaît au cours des années 1970 et 80 de nombreux changements de statut, par lesquels le Gouvernement, accordant une autonomie tempérée, espère limiter la progression des idées indépendantistes. Les pouvoirs publics nationaux mettent également en oeuvre des réformes structurelles. La réforme foncière conduit à des tensions et à des violences.

En juillet 1983, une table ronde est organisée à Nainville-les-Roches, dans l'Essonne, sur l'évolution du territoire, avec les élus et le conseil des grands chefs coutumiers. La déclaration commune adoptée à l'issue de cette rencontre exprime la « volonté commune des participants de voir confirmer définitivement l'abolition du fait colonial » et envisage de « préparer une démarche vers l'autodétermination qui sera le fait du peuple calédonien ». Un nouveau statut est alors préparé et voté en mai 1984, mais les tensions s'exacerbent à l'approche des élections territoriales. La Nouvelle-Calédonie entre alors dans une période de crise particulièrement grave. Le débat sur l'accès à l'indépendance se radicalise et les tensions entre les communautés s'accentuent.

Entre 1984 et 1988, la Nouvelle-Calédonie a connu quatre des huit statuts successivement adoptés depuis 1946, date de son accession au statut de territoire d'outre-mer. Cette succession de statuts éphémères s'est accompagnée de violences, qui ont atteint leur paroxysme lors de l'embuscade de Hienghène le 5 décembre 1984, au cours de laquelle sont abattus dix Kanak, dont deux frères de Jean-Marie Tjibaou, et de la prise d'otages d'Ouvéa le 22 avril 1988, qui fait quatre victimes parmi les gendarmes, deux parmi les forces d'intervention et dix-neuf parmi les Kanak.

Ce drame conduit les pouvoirs publics à engager un rapprochement entre les communautés et les forces politiques de Nouvelle-Calédonie. Le Premier ministre, M. Michel Rocard, dépêche alors une mission chargée de renouer le dialogue entre le FLNKS et le RPCR et d'élaborer une solution. Cette mission du dialogue parvient tout d'abord à convaincre les protagonistes que la seule issue réside dans la négociation.

Les discussions se poursuivent à Paris entre les délégations conduites par Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur. Elles aboutissent le 26 juin 1988 à une déclaration commune signée à l'hôtel Matignon par le Premier ministre, huit représentants du RPCR et cinq représentants du FLNKS. Le 20 août 1988 intervient l'accord Oudinot, qui fixe le principe d'une consultation sur l'autodétermination à échéance de dix ans et organise un nouvel équilibre institutionnel .

Le nouveau statut découlant des accords de Matignon est soumis à un référendum national le 6 novembre 1988 ; malgré un faible taux de participation, le « oui » l'emporte avec 80 % des suffrages exprimés.

La mise en oeuvre des accords de Matignon permet le rétablissement de la paix civile et donne à la Nouvelle-Calédonie des institutions stables.

Aussi les protagonistes sont-ils convaincus, à l'issue de la période de dix ans, de la nécessité de préserver ces acquis, en repoussant une consultation référendaire sur l'autodétermination susceptible de raviver les antagonismes.

Source : Rapport d'information n° 593 (2010 - 2011) de MM. Christian Cointat et Bernard Frimat, au nom de la commission des lois, Nouvelle-Calédonie : le pari du destin commun - 8 juin 2011

A. UNE STABILITÉ INSTITUTIONNELLE RETROUVÉE

L'actualité politique de la Nouvelle-Calédonie a été marquée en 2011 et 2012 par une forte instabilité gouvernementale qui a nécessité la modification de l'article 121 de la loi organique du 19 mars 1999 par celle n° 2011-870 du 25 juillet 2011 1 ( * ) . Depuis lors, le cycle d'instabilité s'est achevé et le gouvernement devrait se maintenir jusqu'au prochain renouvellement général du congrès lors des élections provinciales de mai 2014.

Le fonctionnement du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, émanation des différentes formations politiques siégeant au sein du congrès de la Nouvelle-Calédonie, est sous-tendu par la logique de la collégialité et du consensus, fidèle en cela à l'esprit de l'Accord de Nouméa.

L'affaire des « deux drapeaux » a conduit à la chute du précédent gouvernement présidé par M. Philippe Gomès depuis 2009. En janvier 2011, des élus de l'Union calédonienne ont ainsi reproché à M. Gomès d'être opposé au choix, initié par M. Pierre Frogier, des deux drapeaux, tricolore et kanak, comme emblème de la Nouvelle-Calédonie.

Les gouvernements successifs du printemps 2011 ont été bloqués dans leur fonctionnement par la démission systématique des membres du gouvernement issus de la formation politique de M. Gomès, Calédonie Ensemble. Face à cette situation, à la suite d'une résolution adoptée le 1 er avril 2011 par le congrès de la Nouvelle-Calédonie, le législateur organique a modifié l'article 121 de la loi organique pour empêcher les démissions à répétition en prévoyant que si les membres d'un groupe politique ont démissionné en bloc, provoquant la démission du gouvernement, ce mécanisme ne peut plus jouer dans un délai de dix-huit mois. L'actuel gouvernement, élu le 10 juin 2011 et présidé par Harold Martin, est toujours en fonction.


* 1 Il est désormais prévu que dans le délai de 18 mois suivant une démission collective de membres du gouvernement, la démission collective de membres du gouvernement qui ne pourraient pas être remplacés par les suivants sur la liste n'entraîne pas la démission d'office de l'ensemble du gouvernement, sachant qu'au cours de ce délai de carence, le groupe démissionnaire peut néanmoins réintégrer le gouvernement, dans la limite des sièges à pourvoir, en présentant une liste de candidats.

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