Rapport n° 271 (2013-2014) de Mme Bernadette BOURZAI , fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 8 janvier 2014

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N° 271

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014

Enregistré à la Présidence du Sénat le 8 janvier 2014

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires économiques (1) sur la proposition de résolution européenne de Mme Bernadette BOURZAI, présentée en application de l'article 73 quater du Règlement, sur les biocarburants (texte E 7790),

Par Mme Bernadette BOURZAI,

Sénatrice

et TEXTE DE LA COMMISSION

(1) Cette commission est composée de : M. Daniel Raoul , président ; MM. Martial Bourquin, Claude Bérit-Débat, Gérard César, Alain Chatillon, Daniel Dubois, Pierre Hérisson, Joël Labbé, Mme Élisabeth Lamure, M. Gérard Le Cam, Mme Renée Nicoux, M. Robert Tropeano , vice-présidents ; MM. Jean-Jacques Mirassou, Bruno Retailleau, Bruno Sido , secrétaires ; M. Gérard Bailly, Mme Delphine Bataille, MM. Michel Bécot, Alain Bertrand, Mme Bernadette Bourzai, MM. François Calvet, Roland Courteau, Marc Daunis, Claude Dilain, Alain Fauconnier, Didier Guillaume, Michel Houel, Serge Larcher, Jean-Jacques Lasserre, Jean-Claude Lenoir, Philippe Leroy, Mmes Valérie Létard, Marie-Noëlle Lienemann, MM. Michel Magras, Jean-Claude Merceron, Jackie Pierre, Ladislas Poniatowski, Mme Mireille Schurch, M. Yannick Vaugrenard .

Voir le(s) numéro(s) :

Sénat :

226 (2013-2014)

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le débat sur les biocarburants a été relancé en 2012 lorsque la Commission européenne a proposé de modifier la directive 98/70/CE du 13 octobre 1998 concernant la qualité des carburants et la directive 2009/28/CE du 23 avril 2009 sur la promotion des énergies renouvelables.

Le Parlement européen a approuvé cette proposition le 11 septembre dernier en lui apportant des amendements, mais les ministres de l'énergie des 28 États membres n'ont pas pu trouver d'accord lors de leur réunion du 12 décembre. Il revient donc à la Grèce, qui a pris la présidence du Conseil de l'Union européenne le 1 er janvier 2014, de tenter de trouver un nouveau compromis.

Les arbitrages sont donc loin d'être rendus. C'est pourquoi la commission des Affaires européennes du Sénat a adopté, le 10 décembre dernier, une proposition de résolution concernant les biocarburants, déposée par Mme Bernadette Bourzai.

Cette proposition de résolution a été envoyée à votre commission des Affaires économiques qui a nommé Mme Bernadette Bourzai rapporteur, afin d'apporter un éclairage particulier sur les aspects économiques de la filière des biocarburants.

Votre commission a approuvé dans l'ensemble la proposition de résolution transmise par la commission des Affaires européennes. Elle a notamment soutenu le maintien de la possibilité, pour les biocarburants de première génération, de contribuer à hauteur de 7 % à l'atteinte de l'objectif de 10 % d'énergie produite à partir de sources renouvelables dans les transports.

Elle a également constaté l'absence de consensus sur l'ampleur et les effets du changement d'affectation des sols indirect et la nécessité, en conséquence, de poursuivre les recherches sur cette question.

Elle a enfin souligné que le soutien aux nouvelles générations de biocarburants devra garantir que celles-ci contribuent à la réduction des émissions de gaz à effet de serre et qu'elles n'auront pas d'effet sur les prix des produits alimentaires.

La proposition de résolution que votre commission a adoptée, si elle devient une résolution du Sénat selon la procédure prévue par l'article 73 quinquies du Règlement, permettra à la Haute assemblée de contribuer au débat en incitant le Gouvernement français à soutenir auprès des autres États membres une position équilibrée pour le présent tout en préparant le bouquet énergétique du futur, nécessairement diversifié, pour le secteur des transports.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

LES OBJECTIFS FIXÉS AUX NIVEAUX EUROPÉEN ET FRANÇAIS

Au niveau européen , la directive « Énergies renouvelables » du 23 avril 2009 fixe dans chaque État membre un objectif de 10 % d'incorporation de carburants d'origine renouvelable dans les transports, à l'horizon 2020 .

Les biocarburants doivent également respecter des critères de durabilité en ayant pour effet dès 2017 une réduction d'au moins 50 % des émissions de gaz à effet de serre par rapport aux carburants fossiles.

Par ailleurs, la directive « Qualité des carburants » du 13 octobre 1998 prévoit d'ici à 2020 une réduction d'au moins 6 % des émissions de gaz à effet de serre sur l'ensemble du cycle de vie par unité d'énergie produite à partir de combustibles fossiles. Cette réduction des émissions de gaz à effet de serre peut être obtenue grâce à l'utilisation de biocarburants ou de carburants de substitution, mais aussi par la réduction des opérations de brûlage à la torche et de dispersion des gaz dans l'atmosphère sur les sites de production.

La France a adopté une attitude volontariste dans la mise en oeuvre des objectifs européens. Les pouvoirs publics ont fixé pour 2010 un objectif d'incorporation des biocarburants de 7 %.

Deux types de mesures ont été mise en place :

- sur le plan fiscal en premier lieu, les biocarburants bénéficient d'une exonération partielle de la taxe intérieure de consommation (TIC). La loi de finances pour 2014 prévoit toutefois l'extinction de cette exonération d'ici à la fin 2015. De plus, les carburants contenant une proportion de biocarburants inférieure à un seuil minimal font l'objet d'un prélèvement supplémentaire de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), à un niveau très incitatif ;

- en second lieu, l'accroissement de la teneur en biocarburants a été encouragé avec le lancement du supercarburant 95 E10 en 2009, compatible avec la plupart des véhicules à essence, et de carburants destinés à des véhicules dédiés tels que le superéthanol E85 ou le gazole B30.

Le taux d'incorporation était de 6,83 % en 2012, et n'a guère progressé depuis 2010. Les objectifs ne sont donc pas tout à fait atteints, mais il faut reconnaître qu'ils étaient situés à un niveau élevé par rapport à d'autres pays européens.

L'évaluation de la Cour des comptes en 2012

La Cour des comptes a rendu, en janvier 2012, un rapport public thématique d'évaluation de la politique publique d'aide aux biocarburants.

Elle y fait valoir en particulier que le plan de soutien aux biocarburants de 2005 a reposé au cours de la période 2005-2010 sur l'utilisation combinée de quatre instruments dont elle estime qu'ils sont en partie incohérents et redondants :

- un objectif d'incorporation de biocarburants décidé sur des bases irréalistes ;

- une réduction de la taxe intérieure de consommation qu'il est de moins en moins nécessaire de faire perdurer ;

- un régime de taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) qui constitue une très forte pénalité et qui a pu constituer une rente de situation ;

- une protection aux frontières plus apparente que réelle, d'autres pays producteurs ayant mis en place des politiques de soutien à leur propre production.

La Cour estime également que le coût des aides est atténué pour l'État, notamment parce que le moindre pouvoir énergétique des biocarburants entraîne une consommation accrue en volume, d'où des rentrées fiscales supplémentaires qui compensent l'existence de taux de taxation moins élevés. La charge est donc supportée par le consommateur, qui aurait payé sur la période 1,86 milliard d'euros au titre du soutien à la production d'éthanol et 1,1 milliard d'euros au titre de la production de biodiesel.

Enfin, examinant les différents aspects de la politique de soutien aux biocarburants, la Cour considère que son bilan est mitigé quoique positif sur le plan de la politique agricole, que le bilan énergétique n'est pas aussi favorable qu'on pourrait le croire et que la pertinence environnementale est difficile à mesurer.

LA PROPOSITION DE LA COMMISSION EUROPÉENNE ET LES DÉBATS AU NIVEAU EUROPÉEN

Conformément à la mission qui lui a été confiée, la Commission a cherché à analyser l'impact du changement indirect de l'affectation des sols sur les émissions de gaz à effet de serre .

Ce paramètre, connu par le sigle CASI en français ou ILUC en anglais, est essentiel pour apprécier le bilan environnemental des biocarburants : si la production de biocarburants sur des terres agricoles en Europe a pour effet la déforestation ou la destruction de prairies dans d'autres parties du monde pour compenser la perte de production agricole, des quantités considérables de CO 2 stockées dans ces forêts et prairies risquent d'être libérées dans l'atmosphère.

La Commission s'est donc basée sur des études scientifiques pour proposer , dans le texte qui fait l'objet de la présente proposition de résolution européenne, qu'une partie seulement de l'objectif d'incorporation de 10 % puisse être remplie avec des biocarburants de première génération , qui peuvent se substituer à des cultures alimentaires.

La proposition de la Commission favorise également l'amélioration de la performance des processus de production des biocarburants en termes de gaz à effet de serre en relevant les niveaux minimaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour les nouvelles installations.

Elle accorde une pondération supérieure , dans le calcul de la contribution aux objectifs d'incorporation, aux biocarburants à faibles émissions liées aux changements indirects dans l'affectation des sols. C'est le principe du « double comptage » pour certaines huiles usagées ou graisses animales et même du « quadruple comptage » pour des biocarburants avancés tels que les algues ou certains déchets.

Enfin elle oblige les États membres et les fournisseurs de carburants à notifier, pour les biocarburants, des émissions estimatives dues aux changements indirects dans l'affectation des sols .

Les débats entre les institutions européennes ont porté tout particulièrement sur la limitation de la contribution des biocarburants conventionnels, ou de première génération, à la réalisation des objectifs pour 2020.

La Commission a proposé de limiter cette part à 5 % , soit la moitié seulement de l'objectif global de 10 % d'incorporation des carburants d'origine renouvelable. Cette cible est déjà quasiment atteinte, donc il s'agit en fait d'un objectif de stabilisation de la production actuelle.

Le Parlement européen, pour sa part, a relevé ce plafond à 6 %, tout en incluant un sous-objectif de 2,5 % pour les biocarburants avancés.

Au sein du Conseil des ministres de l'Union européenne, la présidence lituanienne a proposé un seuil de 7 %, auquel se sont opposés certains pays qui soutenaient les positions de la Commission. Les débats y ont aussi porté sur le principe de notification des émissions liées au changement indirect d'affectation des sols, certains pays soulignant la fragilité des études scientifiques portant sur cette question.

UNE PROPOSITION DE RÉSOLUTION QUI CONSIDÈRE L'ENSEMBLE DES ASPECTS DE LA POLITIQUE DES BIOCARBURANTS

LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION ADOPTÉE PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Votre rapporteur considère que les biocarburants ne constituent pas le moyen miracle qui permettra à lui seul de réaliser la transition énergétique dans le domaine des transports ; mais qu'il ne s'agit pas non plus d'un mal absolu dont il faudrait sortir en urgence.

Il est nécessaire de prendre en compte les différents aspects de la politique des biocarburants, à savoir l'objectif de réduction des émissions de CO 2 qui est incontournable, mais aussi la dimension agricole, industrielle et stratégique de cette politique.

UNE POLITIQUE AGRICOLE, INDUSTRIELLE ET STRATÉGIQUE

La dimension stratégique n'est pas celle qui est la plus souvent évoquée : or la production de carburants sur notre sol, à partir de matières premières locales et au moyen de technologies de transformation que nous maîtrisons, est un gage de renforcement de notre indépendance énergétique , dans un secteur crucial de notre économie comme celui des transports.

On peut espérer que, un jour, les véhicules électriques et les biocarburants avancés permettront d'atteindre cet objectif avec le meilleur bénéfice environnemental, mais d'ici là les biocarburants de première génération sont nécessaires, même si le taux d'incorporation ne peut guère dépasser 30 % pour le biodiesel. L'objectif de 10 % pour l'ensemble des carburants d'origine renouvelable, ou de 7 % pour les biocarburants de première génération, est un pas important.

La filière bioéthanol, par exemple, représenterait selon les professionnels 8 900 emplois directs ou induits et une valeur ajoutée de 815 millions d'euros, à travers 15 sites de production.

L' impact sur la production agricole est réel mais comprend plusieurs éléments.

Les cultures destinées aux biocarburants de première génération occupaient en 2009, selon des chiffres cités par la Cour des comptes, une portion de la surface agricole utile de 5,5 % environ, en grande majorité du colza utilisé pour la production de biodiesel.

Alors que la production de biocarburants occupe près des deux tiers de la surface cultivée en oléagineux pour le biodiesel, elle ne représente qu'une faible partie des surfaces cultivées en blé, maïs et betteraves pour le bioéthanol.

Surface

1993

2004

2009

x 1000 ha

SAU

29 907

29 222

29 408

Biodiesel

Oléagineux (95 % de colza, 5 % de tournesol)

Surface consacrée aux oléagineux tout usage

1 458

1 807

2 264

Surface estimée pour le biodiesel 2010

1 450

% de la surface oléagineux

64,05 %

% de la SAU en oléagineux pour le biodiesel

4,93 %

Bioéthanol

Maïs + blé tendre

Surface consacrée au blé tendre et maïs tout usage

6 067

6 596

6 413

Surface estimée pour le bioéthanol

blé + maïs 2010 (ONIGC)

223

% de la surface blé + maïs pour le bioéthanol

3,48 %

% de la SAU blé + maïs pour le bioéthanol

0,76 %

Betteraves

Surface consacrée à la betterave tout usage

439

385

373

Surface pour le bioéthanol betteraves 2010 (ONIGC)

40

% de la surface betteraves pour le bioéthanol

10,74 %

% de la SAU betteraves pour le bioéthanol

0,14 %

Surface estimée pour les biocarburants 2010

1 713

% de la SAU

5,82 %

Source : Cour des comptes, citant la Direction générale des politiques agricole, agroalimentaire et des territoires (ministère de l'agriculture).

Par ailleurs, les cultures destinées aux biocarburants produisent également des tourteaux de colza et des drèches de blé , destinés à l'alimentation animale. Ceux-ci ont permis de réduire nettement les importations de tourteaux de soja provenant du continent américain. Cet aspect doit être pris en compte, même si on peut avoir des réserves sur les qualités nutritives des tourteaux de colza.

La production de bioéthanol constitue également un débouché alternatif appréciable pour les céréales : les opérateurs considèrent que la production d'éthanol permet de valoriser le blé lorsque le prix est déprimé et de stabiliser le revenu des céréaliers. Comme l'indique la Cour des comptes, les intérêts de ces derniers rejoignent d'ailleurs ceux des sociétés de production d'éthanol, dont ils sont souvent actionnaires.

Les filières bioéthanol et biodiesel

La Cour des comptes fait valoir la différence de situation entre les filières bioéthanol et biodiesel.

Alors que le secteur de l'éthanol fait l'objet d'une concurrence assez large, sans être dominé par un groupe donné (hors ETBE (1) ), les agréments relatifs au biodiesel ont été en grande partie attribués à un groupe principal. Ce dernier fait toutefois l'objet d'une nouvelle concurrence de la part de producteurs de graisses animales et d'huiles usagées, qui bénéficient d'une règle de double comptage pour la TGAP.

(1) Fabriqué à partir d'éthanol et d'isobutylène, l'ETBE ou éther éthyle tertiobutyle (« ethyl tert-butyl ether » en anglais) est destiné à être incorporé dans les essences commerciales.

Il faut aussi noter que la filière bioéthanol a beaucoup investi depuis 2005 dans des unités de production et qu'elle vend aux autres pays européens, dans une situation de concurrence avec l'éthanol américain. De plus les producteurs mettent en avant les efforts importants mis en oeuvre depuis dix ans pour réduire la consommation d'eau et d'énergie dans les processus de fabrication.

Enfin, les industriels mettent d'abord en avant la nécessité de fixer des règles stables et cohérentes . C'est tout particulièrement le cas dans l'industrie automobile, où la mise au point de nouveaux modèles prend plusieurs années.

La proposition de résolution rappelle en conséquence que le développement des biocarburants a été motivé par la volonté de combattre le changement climatique, mais aussi de diminuer la dépendance énergétique, de redresser la balance des paiements et de créer des emplois dans le cadre d'une croissance durable.

Elle souligne que les plafonds d'incorporation ne doivent pas compromettre les investissements déjà réalisés dans les biocarburants de première génération.

LES DÉBATS SUR L'APPORT ENVIRONNEMENTAL DES BIOCARBURANTS

Pour autant il est indéniable que les biocarburants de première génération n'ont pas tous les avantages qu'on leur prêtait à l'origine.

La situation varie de manière importante selon les filières. Le graphique suivant, proposée dans une étude de l'Ademe, évalue l'apport des différents biocarburants à la réduction des émissions de gaz à effet de serre et à la réduction de la consommation d'énergie non renouvelable par rapport aux carburants fossiles :

Source : Ademe, Analyses de Cycle de Vie appliquées aux biocarburants de première génération consommés en France, Synthèse, février 2010.

Toutefois, il est important de noter que ce « classement » ne prend pas en compte le changement d'affectation des sols, dont les effets sont sans doute importants mais dont l'ampleur exacte est sujette à des incertitudes scientifiques.

Votre rapporteur considère que la production de biocarburants doit demeurer secondaire par rapport à la production alimentaire , à l'échelle mondiale.

Les experts de la FAO ont conclu que, depuis 2004, les biocarburants ont joué un rôle significatif dans l'augmentation des prix des matières premières agricoles à court terme. De plus, ils introduisent une certaine corrélation entre les marchés agricoles et les marchés de l'énergie, même si l'ampleur demeure à déterminer. 1 ( * )

La part de la surface agricole utile consacrée aux biocarburants est inférieure à 1 % dans le monde et il ne serait pas acceptable qu'elle augmente au point de déclencher des crises alimentaires.

De même, la question des changements indirects d'affectation des sols doit être prise au sérieux. La part des biocarburants dans la déforestation et la destruction des prairies, sujet très controversé, fait l'objet d'études scientifiques. Une synthèse de l'Ademe, en avril 2012, fait état d'un consensus scientifique sur la réalité des changements d'affectation des sols, mais souligne la difficulté à mesurer son ampleur 2 ( * ) . La Commission européenne reconnaît elle-même les incertitudes et limitations des modèles numériques disponibles utilisés.

La variabilité des estimations impose une poursuite des travaux d'évaluation mais ne facilite pas la tâche du législateur. La proposition de résolution reconnaît donc aussi bien les risques potentiels liés au changement indirect d'affectation des sols que l'incertitude sur son ampleur et ses effets.

LE DÉVELOPPEMENT DES NOUVEAUX CARBURANTS

La proposition de résolution envisage également l'avenir.

Le carburant le plus respectueux de l'environnement, celui qui introduit le moins de dépendance énergétique, c'est bien sûr celui qu'on ne consomme pas : l'amélioration de l'efficacité des moteurs et, lorsque c'est possible, des moyens de transport collectifs est donc une priorité.

Mais au-delà de ces efforts, la recherche doit se poursuivre sur les biocarburants avancés, de deuxième voire de troisième génération, qui n'ont pas d'impact sur la production alimentaire.

Les projets ne manquent pas en France, qui a une carte à jouer sur le plan industriel. Toutefois, ces filières ne sont qu'à un état de développement limité et leur contribution en 2020 ne pourra être que très partielle.

La proposition de résolution propose donc de soutenir avec réalisme le sous-objectif consacré aux biocarburants avancés, ainsi que le mécanisme de comptage multiples pour les mêmes carburants.

Au total, les débats au sein de la commission des Affaires européennes du Sénat ont dégagé un certain consensus pour réaffirmer la position française de porter à 7 % le plafonnement du taux d'incorporation des biocarburants de première génération .

Les politiques environnementales comme les politiques agricoles ou industrielles se construisent dans la durée. Les incertitudes sur les effets des biocarburants doivent conduire à la prudence et à l'approfondissement des études. En l'absence de justification scientifique précise, des changements de cap brutaux désorganiseraient une filière.

Votre rapporteur considère en conséquence qu'il est nécessaire de construire progressivement un bouquet énergétique équilibré pour les transports : outre les biocarburants de première génération qui resteront nécessaires dans un premier temps, il faut mener à bien la mise en production industrielle des biocarburants de deuxième génération et la recherche sur les biocarburants de troisième génération.

L'objectif de 10 % d'utilisation d'une énergie produite à partir de sources renouvelables nécessitera toutefois la mobilisation d'autres ressources telles que l'électricité ou l'hydrogène.

Rappelons que l'hydrogène peut être produit par électrolyse à partir de sources d'énergie renouvelable telles que les éoliennes et les panneaux photovoltaïques : il permet alors de « stocker » cette énergie pour l'injecter sur les réseaux d'électricité lorsque la demande est élevée, ou bien de la charger sur des véhicules au moyen de piles à combustible. L'hydrogène peut aussi être produit à partir de la biomasse par gazéification.

L'utilisation de l'hydrogène à grande échelle dans les véhicules ne pourra toutefois se développer que progressivement en raison non seulement des coûts de production de l'hydrogène, mais aussi de la nécessité de mettre en place des réseaux de distribution de l'hydrogène (canalisation ou distribution de piles).

LA POSITION DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES

Votre commission a adopté , lors de sa réunion du 8 janvier 2013, la proposition de résolution présentée en annexe du présent rapport qui reprend celle de la commission des Affaires européennes, avec une modification .

Elle a en effet précisé , sur la proposition de M. Joël Labbé, que le sous-objectif en faveur des biocarburants avancés devait être porté dès lors qu'il est démontré qu'ils permettent de réduire les émissions de gaz à effet de serre du secteur des transports et qu'ils n'ont aucun impact négatif sur la sécurité alimentaire des pays européens et extra-européens.

Il est important, en effet, de s'assurer que les prochaines générations de biocarburants ne feront pas l'objet des effets associés à ceux de la première génération en termes de limitation des émissions de gaz à effet de serre et qu'ils n'auront pas d'effet sur les prix des produits alimentaires.

Votre commission a approuvé les autres dispositions de la proposition de résolution , soutenant notamment la position française relative à la possibilité, pour les biocarburants de première génération, de contribuer à hauteur de 7 % à l'atteinte de l'objectif de 10 % d'énergie produite à partir de sources renouvelables dans les transports.

Elle a également partagé le constat de l'absence de consensus sur l'ampleur et les effets du changement d'affectation des sols indirect et la nécessité, en conséquence, de poursuivre les recherches sur cette question.

*

* *

Au cours de sa réunion du mercredi 8 janvier 2013, présidée par M. Martial Bourquin, vice-président, la commission des Affaires économiques a examiné le rapport de Mme Bernadette Bourzai sur la proposition de résolution européenne n° 226 (2013-2014) sur les biocarburants.

Elle a adopté la proposition de résolution, dans la rédaction issue de ses travaux et dont le texte figure ci-après.

EXAMEN EN COMMISSION

(Mercredi 8 janvier 2013)

Au cours de sa réunion du mercredi 8 janvier 2014, la commission des Affaires économiques a examiné le rapport et le texte de la commission sur la proposition de résolution européenne n° 226 (2013-2014) présentée par Mme Bernadette Bourzai, en application de l'article 73 quater du Règlement, sur les biocarburants.

M. Roland Courteau . - J'approuve entièrement cette proposition de résolution, équilibrée et frappée au coin du bon sens. Son point n° 17, en particulier, préconise à juste titre de conserver l'outil industriel existant et de stabiliser le taux d'incorporation à 7 % afin de maintenir les emplois, les capacités d'innovation et de recherche. Certes, la première génération de biocarburants présente nombre d'inconvénients majeurs, et notamment les changements d'affectation de sols. Elle a déçu les espoirs s'agissant de limitation des émissions de CO 2 , et cette production a contribué à aggraver la difficulté à nourrir sept milliards d'êtres humains. Elle peut être améliorée, cependant, et ne doit donc pas être abandonnée. N'oublions pas que notre dépendance aux hydrocarbures nous coûte quelque 66 milliards d'euros par an ! La troisième génération de biocarburants semble plus prometteuse en termes de réduction des émissions de CO 2 et ne mobilisera pas d'immenses surfaces agricoles. À Narbonne, l'Inra travaille sur des micro-algues dont le potentiel exploitable est colossal. Hélas, cette filière ne sera pas opérationnelle avant 2030. Et ces recherches requièrent d'importants financements, tout comme le développement de la filière lignocellulosique et de son produit phare, le Jatropha. Cette filière de deuxième génération ne serait rentable qu'à partir d'un prix de 250 dollars par baril.

M. Joël Labbé . - Il y a des doutes sur l'ampleur des conséquences alimentaires du changement d'affectation des sols, mais le mal est déjà fait. Nous sommes hostiles au maintien de l'objectif à 7 %. Les deuxième et troisième générations de biocarburants sont intéressantes, mais en sont encore au stade expérimental. Elles doivent être évaluées, notamment pour détecter d'éventuels effets pervers. Certains d'entre nous avaient très tôt tiré la sonnette d'alarme sur les biocarburants de première génération, avant que ceux-ci ne sévissent dans le monde entier.

M. Gérard Bailly . - La situation des agriculteurs est compliquée. On leur demandait déjà, il y a des décennies, de produire des biocarburants comme alternative aux importations de carburants fossiles. Et, Joël Labbé, vous dites que certains d'entre vous ont tiré la sonnette d'alarme, mais il y a vingt ans, au conseil régional de Franche-Comté, Dominique Voynet prônait sans retenue les biocarburants. On a ensuite imposé aux agriculteurs des jachères : 10 à 15 % des terres agricoles, il y a encore dix ans. Dans mon département, en outre, la sucrerie d'Aiserey a fermé, les betteraviers ont dû se reconvertir dans la production de légumes, qu'ils ne peuvent plus continuer aujourd'hui... Ces changements d'orientation coûtent cher aux producteurs, qui consentent à chaque fois des investissements nouveaux. Le monde agricole, en vingt ans, a connu de nombreux bouleversements.

M. Martial Bourquin, président . - Le travail de la rapporteure est remarquable et équilibré. Il ne faut pas brûler ce qu'on a aimé hier, même si l'affectation des terres arables est un problème qu'on ne peut négliger. Ne condamnons pas une filière qui a réalisé de lourds investissements. Une start-up que j'ai visitée travaille sur des biocarburants issus de micro-algues : la production de CO 2 serait quasi nulle. La pire des choses en économie, ce sont les coups de balancier. Mieux vaut rectifier intelligemment la trajectoire. Cette filière redeviendra peut-être prometteuse.

Mme Bernadette Bourzai, rapporteure . - Au Parlement européen j'ai été rapporteure pour avis sur cette question en 2008 au nom de la commission de l'agriculture. Les craintes que nous avions exprimées sur les changements d'affectation des sols n'ont hélas pas débouché sur des mesures restrictives. Quelques années plus tard, on constate qu'il y a un problème réel, il convient de ne pas l'aggraver.

M. Roland Courteau . - Oui !

Mme Bernadette Bourzai, rapporteure . - La Commission européenne propose de plafonner à 5 % le taux d'incorporation des biocarburants de première génération. La France défend 7 %, taux qu'elle a presque atteint. Elle ne souhaite pas que l'on remette brutalement en cause l'existence de cette filière. Les recherches sur les biocarburants de deuxième et troisième génération donneront des résultats dès 2020. C'est pourquoi je propose d'encourager les comptages doubles ou quadruples, pour conforter une telle évolution.

M. Martial Bourquin, président . - Le moteur à deux litres n'est pas une utopie. Or il apportera à la fois limitation des émissions de CO 2 et amélioration de notre solde commercial extérieur.

EXAMEN DES AMENDEMENTS

Mme Bernadette Bourzai, rapporteure . - L'amendement n° 1 remplace le terme « biocarburants » par « agro-carburants ». J'y suis défavorable aujourd'hui : je proposais moi-même ce changement sémantique en 2008 au Parlement européen - il m'a manqué deux voix ! - mais puisque nous souhaitons désormais que les matières premières soient, de plus en plus, des végétaux forestiers ou des algues, la proposition n'est plus de mise.

M. Roland Courteau . - Comment appellerons-nous les carburants issus des micro-algues ?

M. Joël Labbé . - Bonne question, quoi qu'il en soit, l'appellation « bio » est trop valorisante pour les carburants de première génération. C'est ce qui me dérange. Je maintiens mon amendement.

Mme Bernadette Bourzai, rapporteure . - Évitons de multiplier les appellations. Parler de biocarburants de première et de deuxième génération est assez clair, je pense.

L'amendement n° 1 n'est pas adopté.

Mme Bernadette Bourzai, rapporteure . - L'amendement n° 2 vise à tenir compte de la contradiction entre les effets néfastes du changement d'affectation des sols indirect et les effets positifs de la réduction des émissions de gaz carbonique. L'ampleur des conséquences du changement d'affectation étant encore mal connue, restons prudents. Avis défavorable.

M. Joël Labbé . - Il ne s'agit que de clarifier les choses.

L'amendement n° 2 n'est pas adopté.

Mme Bernadette Bourzai, rapporteure . - L'amendement n° 3 supprime la mention selon laquelle l'ampleur et la nature des effets du changement d'affectation des sols indirect sont loin de faire l'objet d'un consensus. Or, l'alinéa 11 vise à constater l'absence de consensus et à demander en conséquence une certaine retenue dans les décisions. C'est l'un des éléments essentiels de cette proposition de résolution ! Avis défavorable.

L'amendement n° 3 n'est pas adopté.

Mme Bernadette Bourzai, rapporteure . - L'amendement n° 4 limite à 5 % le plafond d'incorporation des biocarburants en 2020. Nous proposons le chiffre de 7 %, qui correspond à une stabilisation. Ne revenons pas en arrière. Je souligne, surtout, que la défiscalisation s'achèvera en 2015. Vous aurez bientôt satisfaction. Avis défavorable.

M. Joël Labbé . - La France s'est montrée excessivement volontariste. La Cour des comptes a indiqué qu'entre 2005 et 2010 la défiscalisation partielle avait coûté 2,65 milliards d'euros à l'État, dont 1,8 milliard d'euros ont profité aux producteurs de biodiesel, lesquels ont, dans le même temps, réalisé 500 millions d'euros d'investissement, soit quatre fois moins ! À lui seul, le groupe Sofiprotéol a touché 50 millions d'euros... J'avais demandé il y a deux ans à M. Cahuzac, lors d'un débat sur le collectif budgétaire, que ce cadeau fiscal soit supprimé - sans succès. Je maintiens mon amendement.

M. Martial Bourquin, président . - Votre argument est juste, mais votre proposition sans objet, puisque la défiscalisation va cesser. Et certains agriculteurs se sont endettés pour financer ces investissements, ils ne survivraient pas à un retour à 5 %.

M. Joël Labbé . - Gérard Bailly a raison : les agriculteurs ont déjà été trop brinquebalés. Affirmons que leur mission est de nourrir la population, grâce à une production de qualité - et de proximité, autant que possible. Quant à la promotion des biocarburants il y a vingt ans, elle faisait débat au sein de notre mouvement et si Dominique Voynet était pour, ce n'était pas le cas de tout le monde. Je maintiens mon amendement.

M. Martial Bourquin, président . - Les petits agriculteurs n'ont pas à payer le prix des revirements de politiques.

Mme Bernadette Bourzai, rapporteure . - La Cour des comptes a indiqué, dans son rapport de 2012 cité par Joël Labbé, que c'était finalement le consommateur qui supportait à son insu le coût de cette politique fiscale.

L'amendement n° 4 n'est pas adopté.

Mme Bernadette Bourzai, rapporteure . - L'amendement n° 5 subordonne le soutien aux biocarburants avancés à leur potentiel de réduction des émissions de gaz à effet de serre et à l'absence d'impact négatif sur la sécurité alimentaire. Avis favorable.

L'amendement n° 5 est adopté.

Mme Bernadette Bourzai, rapporteure . - L'amendement n° 6 supprime le comptage multiple des carburants avancés. Avis défavorable : il faut encourager clairement les carburants les plus performances sur le plan environnemental.

L'amendement n° 6 n'est pas adopté.

Mme Bernadette Bourzai, rapporteure . - L'amendement n° 7 supprime l'appel à maintenir un objectif d'incorporation de 7 %. Avis défavorable.

L'amendement n° 7 n'est pas adopté.

La proposition de résolution européenne ainsi amendée est adoptée.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNESUR LES BIOCARBURANTS

TEXTE DE LA COMMISSION

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la directive 98/70/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 1998 concernant la qualité de l'essence et des carburants diesel et modifiant la directive 93/12/CEE du Conseil,

Vu la directive 2009/28/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 relative à la promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables et modifiant puis abrogeant les directives 2001/77/CE et 2003/30/CE,

Vu le livre blanc du 28 mars 2011 « Feuille de route pour un espace européen unique des transports - Vers un système de transport compétitif et économe en ressources » [COM (2011) 144],

Vu la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 24 janvier 2013 « Énergie propre et transports : la stratégie européenne en matière de carburants de substitution » [COM (2013) 17],

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 98/70/CE concernant la qualité de l'essence et des carburants diesel et modifiant la directive 2009/28/CE relative à la promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables [COM (2012) 595 - texte E 7790],

Rappelle que le recours aux biocarburants a été motivé par la volonté de réduire les émissions de gaz à effet de serre pour combattre le changement climatique, mais aussi pour diminuer la dépendance envers la production de pétrole, contribuer à redresser la balance des paiements et créer des emplois dans le cadre d'une croissance durable ;

Observe toutefois que la contribution au changement d'affectation des sols indirect (CASI) semble contredire au moins partiellement les espoirs mis dans les biocarburants quant aux émissions de gaz carbonique, tout en aggravant la difficulté à nourrir sept milliards d'êtres humains ;

Distingue les biocarburants dits « conventionnels » ou « de première génération », issus de cultures agricoles, qui font l'objet des critiques actuelles, et les carburants dits « avancés » dépourvus de tout conflit d'usage avec la production alimentaire, qui devraient se développer à l'horizon 2020 ;

Constate cependant que l'ampleur et les effets du changement d'affectation des sols indirect (CASI) sont loin de faire l'objet d'un consensus dans le monde scientifique, ce qui impose une certaine retenue dans les décisions à prendre ;

Demande en conséquence :

- que soient recherchés les moyens les mieux adaptés pour apprécier l'ampleur du changement d'affectation des sols indirect (CASI) et connaître ses effets sur les cultures alimentaires et sur les émissions de gaz carbonique ;

- que les plafonds d'incorporation ne compromettent pas les investissements déjà réalisés dans les biocarburants de première génération, afin de ne pas décourager les évolutions ultérieures de cette filière et de préserver l'emploi ;

- de porter avec réalisme et détermination le sous-objectif à l'horizon 2020 en faveur des biocarburants avancés, qui n'en sont aujourd'hui qu'à des phases expérimentales, dès lors qu'il est démontré qu'ils permettent de réduire les émissions de gaz à effet de serre du secteur des transports et qu'ils n'ont aucun impact négatif sur la sécurité alimentaire des pays européens et extra-européens ;

- de soutenir dans le même esprit les mécanismes de comptage multiple au profit de ces mêmes carburants avancés, qui commenceront à parvenir sur le marché ;

Relève que le Président de la République a préconisé, le 3 décembre 2013, de « maintenir au niveau actuel la production de biocarburants de première génération pour préserver l'outil industriel existant, les emplois qui y sont attachés et surtout la capacité d'innovation et de recherche » et s'est prononcé pour « un taux d'incorporation de biocarburants de première génération stabilisé à 7 % », complété par l'encouragement au « développement des autres biocarburants ou issus de résidus au-delà même de ce seuil » ; partage les objectifs ainsi définis ;

Invite le Gouvernement à défendre et faire valoir ces orientations auprès des institutions européennes.


* 1 HLPE, 2013. Biofuels and food security. A report by the High Level Panel of Experts on Food Security and Nutrition of the Committee on World Food Security , Rome 2013.

* 2 Les biocarburants de première génération , avis de l'Ademe, avril 2012.

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