B. LA RÉFORME DE 1989 : UN ÉLARGISSEMENT DE L'ACCÈS À LA RÉVISION QUI A TOUTEFOIS SUSCITÉ UNE CERTAINE DÉCEPTION

1. La judiciarisation de la procédure

À la suite de plusieurs tentatives infructueuses (ainsi le projet de loi déposé par Robert Badinter, garde des sceaux, en octobre 1983 ), la loi n° 89-431 du 23 juin 1989 relative à la révision des condamnations pénales a modifié de manière importante les articles 622 à 626 du code de procédure pénale relatifs à la procédure de révision.

La première de ces modifications tend à élargir le quatrième cas d'ouverture : à l'exigence du « fait nouveau ou de la pièce inconnue de nature à établir l'innocence d'un condamné », introduite en 1895, est ainsi substituée la condition plus large de l'apparition d'un « fait ou élément nouveau de nature à faire naître un doute sur la culpabilité du condamné ». Ce passage de la certitude de l'innocence à un doute sur la culpabilité avait cependant été anticipé dès 1899 par la Cour de cassation.

Seconde modification décisive, la « judiciarisation » de la procédure , le filtrage des requêtes par le garde des sceaux est remplacé par un examen effectué par une commission composée de magistrats de la Cour de cassation ayant pour mission d'instruire les requêtes et de saisir la cour de révision de celles « qui lui paraissent pouvoir être admises ».

La procédure de révision reçoit ainsi sa physionomie actuelle avec un recours en deux étapes : d'abord l'examen par une commission de révision composée de cinq magistrats désignés par l'assemblée générale de la Cour de cassation, qui procède à toutes les investigations nécessaires et transmet ensuite les demandes qui lui « paraissent pouvoir être admises » à la chambre criminelle de la Cour de cassation qui statue alors comme cour de révision . Si celle-ci estime à son tour la demande fondée, elle annule la condamnation et renvoie l'affaire à une juridiction autre mais de même degré que celle dont procède la décision annulée, ou bien statue définitivement au fond s'il est impossible de procéder à de nouveau débats contradictoires.

La loi du 23 juin 1989 a permis également au condamné lui-même de demander la révision de sa condamnation, alors que seul le ministre de la justice pouvait auparavant la demander.

Enfin, elle a simplifié la procédure d'indemnisation des personnes reconnues victimes d'une erreur judiciaire, procédure à nouveau modifiée par la loi n° 200-1354 du 30 décembre 2000.

Les conditions de recevabilité du recours en révision

Depuis la loi du 23 juin 1989, la révision d'une condamnation pénale définitive peut être demandée par toute personne reconnue coupable d'un crime ou d'un délit.

La décision faisant l'objet d'une requête en révision doit être définitive, c'est-à-dire qu'elle doit avoir acquis l'autorité de la chose jugée. Ne peuvent ainsi faire l'objet d'une demande de révision les condamnations encore susceptibles d'appel ou d'un pourvoi en cassation.

Par ailleurs, la demande de révision ne peut être faite que lorsqu'il n'existe aucun autre moyen de droit permettant de réparer l'erreur commise. Ainsi, une demande en révision d'une condamnation en raison d'une usurpation d'identité commise au détriment du condamné n'est pas recevable si la procédure en rectification des mentions du casier judiciaire prévues par l'article 778 du code de procédure pénale n'a pas été mise en oeuvre.

La requête en révision doit ensuite invoquer l'un des quatre cas légaux de révision et présenter des faits qui entrent dans l'un de ces quatre cas.

a) Les trois cas historiques, déjà prévus par le code d'instruction criminelle

- la preuve de l'existence de la prétendue victime d'un homicide : l'article 622, 1°, du code de procédure pénale prévoit que la révision d'une décision pénale définitive est possible si « après une condamnation pour homicide, sont représentées des pièces propres à faire naître de suffisants indices sur l'existence de la prétendue victime de l'homicide ». Ce cas d'ouverture semble ne jamais avoir été mis en oeuvre ;

- les condamnations inconciliables : aux termes de l'article 622, 2°, du code de procédure pénale, la révision peut être demandée lorsque « après une condamnation pour crime ou délit, un nouvel arrêt ou jugement a condamné pour le même fait un autre accusé ou prévenu et que, les deux condamnations ne pouvant se concilier, leur contradiction est la preuve de l'innocence de l'un ou l'autre condamné ». Sont ainsi inconciliables entre elles et donnent ouverture à révision deux décisions définitives condamnant l'une et l'autre deux personnes différentes pour un même vol qui n'a pourtant été commis que par un seul individu ;

- le faux témoignage : l'article 622, 3°, du code de procédure pénale prévoit que la révision peut être demandée lorsque : « un des témoins a été, postérieurement à la condamnation, poursuivi et condamné pour faux témoignage contre l'accusé ou le prévenu ; le témoin ainsi condamné ne peut pas être entendu dans les nouveaux débats ».

b) Le quatrième cas d'ouverture de la révision, cas le plus fréquent : le « fait ou élément nouveau »

Selon l'article 622, 4°, du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi n° 89-431 du 23 juin 1989, la révision peut être demandée lorsque  « après une condamnation vient à se produire ou à se révéler un fait nouveau ou un élément inconnu de la juridiction au jour du procès, de nature à faire naître un doute sur la culpabilité du condamné ».

Ce cas est de très loin le plus fréquemment invoqué par les demande de révision et la Cour de cassation a interprété de manière large la notion de fait ou élément nouveau. Il s'agit par exemple d'une nouvelle expertise, d'une décision de justice qui est intervenue postérieurement à la condamnation, d'un nouveau témoignage, de la rétractation d'un témoin, d'un document inconnu de la Cour d'assises ou du tribunal qui a prononcé la condamnation. L'irresponsabilité pénale du fait d'un trouble psychique découvert postérieurement à la condamnation entre également dans cette catégorie.

2. Des requêtes en révision qui aboutissent rarement
a) Le sort des requêtes en révision depuis 1989

De 1989 à octobre 2013, la commission de révision (premier degré de la révision) a été saisie de 3 358 demandes de révision.

Sur ces 3 358 demandes, 2 122 ont été déclarées irrecevables par la commission de révision, soit 63,20 %. Il s'agit par exemple des cas où la demande ne porte pas sur une condamnation définitive, n'évoque pas d'élément nouveau ou encore reprend mot pour mot une requête antérieure.

Un total de 965 demandes a été rejeté au fond par cette même commission, soit 28,70%. C'est le cas notamment lorsque, à l'issue de l'examen approfondi par la commission du fait présenté par le requérant comme nouveau ou inconnu, elle estime qu'il ne peut en réalité être ainsi qualifié. C'est aussi le cas lorsque ce fait nouveau ou cet élément inconnu ne paraissent pas à la commission de nature à faire naître un doute sur la culpabilité du condamné.

Ainsi, sur les 3 358 demandes adressées à la commission de révision, seules 84 demandes ont été transmises à la cour de révision, soit 2,5 %.

La Cour de révision a procédé à l'annulation de 52 condamnations pénales (9 criminelles et 43 correctionnelles). 8 annulations font suite à une requête en révision à l'initiative du garde des Sceaux. Ainsi, il arrive fréquemment que la cour de révision ne fasse pas droit aux pourvois pourtant filtrés par la commission de révision, soit qu'elle considère que l'élément nouveau ne l'est pas, soit qu'elle estime que le doute suscité par cet élément n'est pas suffisamment substantiel pour justifier l'annulation de la condamnation .

Sur les 9 condamnations criminelles annulées, 7 ont fait l'objet d'un renvoi :

- 5 renvois ont donné lieu à un acquittement après nouveaux débats devant une cour d'assises ;

- 1 renvoi a donné lieu à un acquittement sur les faits criminels et à une condamnation pour les faits délictuels après nouveaux débats devant une cour d'assises ;

- 1 renvoi a donné lieu à une annulation directe de la condamnation par la Cour de cassation (le requérant était décédé) ;

- 1 renvoi a donné lieu à une annulation partielle sans renvoi devant une nouvelle cour d'assises par la Cour de révision avec un maintien de la pénalité prononcée ;

- 1 dossier va être rejugé par une nouvelle cour d'assises.

Par ailleurs, sur les 43 condamnations correctionnelles annulées, 12 l'ont été avec renvoi devant une nouvelle juridiction de jugement, soit environ 30 % ; dans les autres cas (30), la Cour de révision a directement annulé la condamnation.

Dans les cas où un nouveau procès est organisé, les statistiques mettent en évidence que dans plus de 80% des cas, la décision finale est une relaxe .

b) Les motifs des annulations

Sur les 52 condamnations pénales annulées :

- 44 condamnations l'ont été pour un motif fondé sur le quatrième cas (« fait nouveau ou élément inconnu de la juridiction au jour du procès de nature à faire naître un doute sur la culpabilité du condamné ») ;

- 7 condamnations ont été annulées pour un motif fondé sur le deuxième cas : « un nouvel arrêt ou jugement a condamné pour le même fait un accusé ou prévenu et les deux condamnations ne pouvant se concilier, leur contradiction est la preuve de l'innocence de l'un ou l'autre condamné » ;

- 1 condamnation a été annulée pour un motif fondé sur le troisième cas : « un des témoins entendus a été postérieurement à la condamnation, poursuivi et condamné pour un faux témoignage contre l'accusé ou le prévenu ».

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