EXPOSÉ GÉNÉRAL

I. L'ABSOLUE NÉCESSITÉ DE PROTÉGER EFFICACEMENT LES MARINS ET NAVIRES FRANÇAIS FACE À LA MENACE PIRATE

La piraterie est aussi ancienne que la navigation. Cependant, face à l'intensification des actes de piraterie, notamment au large de la Somalie et dans le Golfe de Guinée, l'interdiction posée par le droit français d'embarquer des gardes privés armés menace la sécurité de nos marins et fait peser un risque de compétitivité sur le pavillon français.

A. LA RÉSURGENCE MODERNE DU RISQUE DE PIRATERIE

Depuis le début des années 2000, le phénomène de piraterie maritime connaît une résurgence qui menace gravement la sécurité des routes maritimes internationales. S'il s'est fortement manifesté dans le détroit de Malacca ou commence à s'affirmer en Amérique du sud, c'est surtout près des côtes africaines qu'il pose aujourd'hui problème, principalement au large des côtes somaliennes et, de plus en plus, dans le golfe de Guinée.

LA PIRATERIE EN DROIT INTERNATIONAL

La piraterie a été définie pour la première fois par la Convention de Genève sur la haute mer, adoptée le 29 avril 1958, comme tout acte illégitime de violence, de détention, ou toute déprédation commis pour des buts personnels par l'équipage ou les passagers d'un navire privé ou d'un aéronef privé.

Le cadre international est fixé par la convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM) du 10 décembre 1982 1 ( * ) , dite convention de Montego Bay (art. 101 à 107 et 110). Ses articles 100 à 107 définissent le régime juridique de la piraterie et de sa répression, en l'étendant à l'espace aérien, mais en précisant que la piraterie ne peut se dérouler que dans les lieux ne relevant de la juridiction d'aucun État. Il ne peut donc y avoir d'attaque pirate en mer qu'au-delà des limites des eaux territoriales au sens du droit international ; l'État côtier étant pleinement compétent pour réprimer ce qui, sur son domaine maritime, s'apparenterait à un vol, une attaque à main armée ou à une agression en fonction des dispositions de son code pénal. La zone économique exclusive est assimilée à la haute mer.

L'article 101 de la Convention définit l'acte de piraterie qui autorise les États, sans violer le droit international, à se saisir de ses auteurs et de leurs navires, quelle que soit leur nationalité et celle de leurs victimes.

L'article 105 réaffirme le principe de juridiction universelle en habilitant tout État à appréhender et à juger les pirates que ses représentants pourraient rencontrer et saisir. Il permet de déroger au principe de compétence exclusive de l'État du pavillon à l'égard des navires pirates, lesquels ne perdent pas automatiquement leur nationalité aux termes de l'article 104. La répression de la piraterie est ouverte exclusivement aux navires et aux aéronefs militaires clairement identifiés, selon l'article 107.

Des résolutions des Nations Unies viennent compléter le dispositif, par exemple pour la répression des actes de piraterie au large de la Somalie.

1. Un phénomène en pleine expansion

Au total et toutes zones géographiques confondues, 264 attaques ont été comptabilisées en 2013 par le Bureau Maritime International (BMI) et, d'ores et déjà, 72 pour le début de l'année 2014. Les pirates, toujours mieux équipés et plus audacieux, mènent une véritable guerre contre les navires marchands, n'hésitant pas à retenir en otage et à torturer des équipages pour obtenir des rançons. Pour l'année 2013, on dénombre ainsi 304 membres d'équipages pris en otages, 36 kidnappings, un mort et un porté disparu .

Selon un rapport publié en novembre 2013 par la Banque mondiale, plus de 330 millions de dollars de rançons auraient été versés entre 2005 et 2012 aux seuls pirates agissant au large de la Somalie et de la Corne de l'Afrique. Une grande partie de cet argent a été utilisée pour alimenter un vaste éventail d'activités criminelles allant du trafic d'êtres humains au financement de milices, jusqu'à la déstabilisation politique des États de la région.

Après un pic en 2010-2011, les actes de piraterie tendent à diminuer en raison d'une forte mobilisation internationale. La France y prend toute sa part, notamment à travers la mission Atalante effectuée sous le drapeau de l'Union européenne 2 ( * ) . On observe ainsi, en 2013, une réduction substantielle des actes de piraterie : de 11 % par rapport à 2012 (297 actes) et de 41 % par rapport à 2010 (445 actes).

Il convient cependant de relativiser ces « bonnes » statistiques, dans la mesure où, reposant sur un système déclaratif, elles ne fournissent qu'une image imparfaite de la réalité du phénomène. En effet, les équipages n'indiquent pas systématiquement au BMI les attaques qu'ils sont parvenus à déjouer. En outre, si une diminution s'observe à l'échelle du globe, elle ne doit pas masquer la persistance de fortes disparités régionales.

Elle ne doit pas non plus occulter les tendances de long terme : la piraterie, qui constitue une activité humaine aussi ancienne que la navigation elle-même, connaît une évolution sinusoïdale en fonction des périodes, des zones, et de la capacité des États riverains à assurer la sécurité de leurs approches maritimes. Sur les deux dernières décennies, ce ne sont pas moins de 4 000 actes de pirateries qui ont été recensés, avec une tendance à l'accélération au cours de la période récente. Un rapport de la RAND Corporation (institution américaine de recherche privée à but non lucratif) estime le nombre d'attaques et de tentatives d'attaques à 214 durant la période 1994-1999 et à 2 458 entre les années 2000 et 2008, ce qui souligne l'augmentation très importante de ces pratiques au cours de la dernière décennie.

Il convient donc de ne pas relâcher les efforts : la piraterie reste une menace majeure, alors que 90 % des échanges mondiaux de marchandises transitent par la mer.

2. Des attaques concentrées dans quelques zones à risque

Les zones ayant connu le plus grand nombre d'attaques de piraterie depuis dix ans, ont été le détroit de Malacca, le golfe de Guinée et le large de la Somalie. S'agissant de la zone du détroit de Malacca, alors qu'elle constituait une menace pour le trafic maritime à destination de l'Asie du Sud-Est et des États-Unis (25 % du trafic maritime y transitant), la piraterie a pu être jugulée par l'implication forte des états riverains (Malaisie, Indonésie et Singapour). Le détroit de Malacca n'est ainsi plus classé route maritime dangereuse par le Lloyds Register (société de classification maritime britannique) depuis fin 2006. En revanche, la piraterie au large des côtes indonésiennes tend à prendre le relai en Asie du Sud-Est : on y dénombre 106 attaques en 2013 contre 15 en 2009. Ces attaques sont cependant moins violentes et moins sophistiquées (souvent à l'arme blanche) que celles observées au large de l'Afrique.

S'agissant des zones d'approche de la Somalie, la piraterie y revêt un caractère unique, lié à l'importance stratégique du golfe d'Aden pour les flux maritimes, en particulier énergétiques : il constitue le passage obligé vers le canal de Suez pour 15 % du pétrole mondial et la totalité des échanges par conteneur entre l'Europe et la Chine. Pour faire face à cette menace, diverses actions ont été mises en oeuvre à l'échelle internationale : l'opération Atalante (sous l'égide de l'Union européenne), l'opération Ocean Shield et Task force 151 (au sein de l'OTAN), ainsi que des actions menées par les forces navales de nombreux pays (Chine, Russie, Inde, Japon, Indonésie, Malaisie, Arabie Saoudite, Yémen). On observe, de ce fait, une diminution sensible des actes de piraterie dans la région : alors qu'environ 25 000 navires y transitent chaque année, seuls sept ont été attaqués en 2013 contre 49 en 2012 et 160 en 2011.

S'agissant enfin de la zone du golfe de Guinée, elle concentre un niveau de plus en plus élevé d'attaques, notamment autour du Nigeria (31 en 2013). Les découvertes récentes de gisements offshores d'hydrocarbures ont en effet accru l'intérêt géostratégique de cette région : 40 % des importations de pétrole et 6 % des importations de gaz mondiales en proviennent. Les attaques visent principalement au siphonage des navires transportant des hydrocarbures : le groupe danois Risk Intelligence indiquait en octobre 2013 que l'équivalent de 100 millions de dollars (75 millions d'euros) de marchandises a été siphonné dans la région depuis 2010.

Le BMI fait état d'un mode opératoire « très violent » au cours d'attaques à main armée lors desquelles les éléments de valeur appartenant au navire ou à son équipage sont volés, les agresseurs prenant rapidement la fuite. Elles ne débouchent cependant pas sur la prise en otage des bâtiments agressés, ni sur une demande de rançon. Elles ne menacent pas une route maritime particulière mais se concentrent sur les bâtiments entrant ou sortant des ports des pays concernés. Pour les bâtiments en transit, il est donc possible d'éviter la menace par l'éloignement.

En raison de ce mode opératoire particulier et du fait que la majorité des attaques a lieu dans les eaux territoriales de nations souveraines, celles-ci relèvent généralement du régime juridique du « brigandage maritime » plutôt que de la « piraterie ». Cette différence explique pourquoi un dispositif militaire d'une ampleur comparable à celui déployé au large de la Somalie n'est pas envisagé aujourd'hui dans le Golfe de Guinée. Les attaques ont lieu dans les eaux territoriales d'États souverains, à leurs abords, ou autour des plates-formes pétrolières situées dans leurs zones économiques exclusives. La compétence pour agir dans ces secteurs relève donc exclusivement des forces armées de ces pays ainsi que des sociétés militaires privées, mandatées, le plus souvent hors d'un cadre juridique international, pour assurer la protection des plates-formes et patrouiller aux approches de leurs infrastructures.

La France applique néanmoins dans cette zone certaines des dispositions pratiquées en océan Indien, en particulier le « contrôle naval volontaire » qui permet à la Marine nationale de suivre la position des bâtiments marchands dans le golfe de Guinée, de leur communiquer la situation d'ensemble, assortie des recommandations sur le comportement et les manoeuvres à adopter. De plus, un bâtiment et un avion de patrouille maritime, déployés dans la zone de l'Afrique de l'Ouest, peuvent intervenir en réponse à certaines exigences particulières de protection.

BILAN PAR ZONE DES ACTES DE PIRATERIE ET DE BRIGANDAGE MARITIMES

Zone géographique / Pays

2009

2010

2011

2012

2013

ASIE DU SUD-EST

Détroit de Malacca

2

2

1

2

1

Détroit de Singapour

9

3

11

6

9

Indonésie

15

40

46

81

106

Malaisie

16

18

16

12

9

Myanmar (Birmanie)

1

1

Thaïlande

2

2

EXTRÊME-ORIENT

Chine

1

1

2

1

Mer de Chine méridionale

13

31

13

2

4

Vietnam

9

12

8

4

9

SOUS-CONTINENT INDIEN

Bangladesh

18

23

10

11

12

Inde

12

5

6

8

14

AMÉRIQUE DU SUD

Colombie

5

3

4

5

7

Costa Rica

3

1

3

1

Équateur

2

3

6

4

3

Guyana

2

1

2

Haïti

4

5

2

2

Pérou

13

10

2

3

4

République dominicaine

1

1

Venezuela

5

7

4

AFRIQUE

Algérie

1

Angola

1

Bénin

1

20

2

Cameroun

3

5

1

Congo

1

3

4

3

Côte d'Ivoire

2

4

1

5

4

Égypte

2

3

7

7

Gabon

2

Ghana

3

2

2

1

Golfe d'Aden

117

53

37

13

6

Guinée-Bissau

1

Kenya

1

1

1

1

Liberia

1

Maroc

1

Mauritanie

1

Mer Rouge

15

25

39

13

2

Mozambique

2

2

Nigeria

29

19

10

27

31

République démocratique du Congo

2

3

4

2

Sierra Leone

1

1

2

Somalie

80

139

160

49

7

Tanzanie

5

1

2

1

Togo

2

6

15

7

RESTE DU MONDE

Golfe d'Oman

1

Irak

2

Mer d'Arabie

1

2

Mer Caspienne

1

Mer Méditerranée

1

Océan Indien

1

Oman

4

1

TOTAL

410

445

439

297

264

Source: BMI, Piracy and Armed Robbery Against Ships - 2013 Annual Report

NOMBRE TOTAL D'INCIDENTS PAR RÉGION EN 2013

Source: BMI, Piracy and Armed Robbery Against Ships - 2013 Annual Report

LES SEPT ZONES AYANT CONCENTRÉ 75% DES ATTAQUES ENREGISTRÉES EN 2013

Source: BMI, Piracy and Armed Robbery Against Ships - 2013 Annual Report


* 1 Cette convention a été ratifiée par la quasi-totalité des États de la planète, à l'exception notable des États-Unis.

* 2 Le Conseil Affaires étrangères du 23 mars 2012 a prolongé la présence militaire européenne dans la zone au moins jusqu'à la fin de l'année 2014.

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