C. LE CHOIX INITIAL : LA PROTECTION MILITAIRE DES NAVIRES FRANÇAIS

La protection des navires par du personnel militaire a été la solution initialement privilégiée par la France, plutôt que l'embarquement de gardes armés privés.

1. Une évolution récente du cadre juridique

Les dispositions de la convention de Montego Bay ne dispensent pas chaque État d'adopter, s'il le souhaite et pour ce qui le concerne, des lois encadrant effectivement la répression de la piraterie. Non seulement cette convention ne crée aucune infraction pénale, mais elle est de surcroît dépourvue d'effet direct au sein de l'Union européenne (CJCE, 3 juin 2008, Intertanko). De fait, il faut se tourner vers les droits internes pour découvrir le sort éventuellement réservé aux pirates capturés.

La France a récemment modernisé sa législation pour l'adapter à la nouvelle donne géopolitique. Ainsi la loi n° 2011-13 du 5 janvier 2011 relative à la lutte contre la piraterie et à l'exercice des pouvoirs de police de l'État en mer comble le vide juridique ouvert en 2007 par l'abolition de la loi de 1825 réprimant la piraterie. Elle définit l'incrimination de piraterie dans le droit français , permet aux tribunaux nationaux d'en juger en leur attribuant une compétence quasi-universelle, et habilite les forces armées à intervenir avant ou pendant les faits, notamment pour appréhender les commanditaires. Elle permet aussi la consignation à bord des auteurs , exposés à trente années de réclusion criminelle.

LES PRINCIPAUX APPORTS DE LA LOI DU 5 JANVIER 2011

- Énumération des infractions déjà existantes dans notre droit national constitutives d'actes de piraterie : détournement de navire ou aéronefs ou tout moyen de transport ; enlèvement ou séquestration lorsqu'ils précèdent, accompagnent ou suivent un détournement de navire ; participation à une association de malfaiteurs en vue de commettre les actes précités.

- Création d'une nouvelle infraction de détournement de navire ou d'aéronef en bande organisée à l'article 224-6-1 du code pénal (d'où découlent la compétence des juridictions interrégionales spécialisées [JIRS], le recours à une durée spécifique de garde à vue, et les recours à des techniques d'enquêtes adaptées).

- Mise en place d'un cadre juridique pour la privation de liberté sous le contrôle des agents français et du juge des libertés et de la détention ; le régime des mesures de restriction ou de privation de liberté est désormais prévu aux articles L.1521-11 et suivants du code de la défense.

- Mise en place d'une compétence quasi-universelle : au-delà des critères de compétence « classiques » des juridictions françaises (ex : auteur ou victime français, faits commis sur le territoire français), celles-ci sont compétentes pour poursuivre, instruire et juger les individus soupçonnés d'avoir commis des actes de piraterie lorsqu'ils sont appréhendés par des agents français (OPJ, commandant bâtiments de l'État) en l'absence de toute souveraineté étrangère revendiquée et à défaut d'entente avec les autorités d'un autre État susceptible de retenir sa compétence juridictionnelle.

2. Une forte implication opérationnelle de la Marine nationale qui se heurte à des moyens limités

De nombreuses initiatives ont été engagées au niveau international et européen pour lutter contre la piraterie. La France y est associée, notamment dans le cadre d'opérations navales initiées par l'Union européenne (opération Atalante lancée en 2008) ou au sein de l'OTAN (force multinationale Task Force 151 créée en 2009). Au sein d' Atalante , la France déploie par exemple un dispositif de plus de 250 hommes articulé autour d'une frégate et d'un avion de patrouille maritime, en plus de forces prépositionnées.

Depuis l'attaque du Ponant et de thoniers tricolores dans l'océan Indien en 2008, la France assure également la protection de ses navires par le biais d' équipes de protection embarquées (EPE) de la Marine nationale. Dès qu'un navire français transite dans une zone à risque, il peut demander à en bénéficier.

LES ÉQUIPES DE PROTECTION EMBARQUÉES (EPE) DE LA MARINE NATIONALE

Afin d'assurer la protection des navires civils battant pavillon français ou d'intérêt français, et dans le cadre de l'arrêté du 22 mars 2007 établissant la responsabilité du ministère de la défense dans la protection du trafic maritime, l'État français met à disposition des propriétaires ou exploitants de navires exposés à un risque de piraterie, des équipes de protection embarquées (EPE), représentant au total plus de 152 personnels militaires de la Marine nationale (4 à 7 fusiliers marins ayant reçu une formation et un entraînement adaptés).

Au nombre de 26, ces unités sont régulièrement amenées à intervenir dans les zones à risque (bassin somalien et golfe d'Aden principalement, parfois dans le golfe de Guinée). En pratique, 10 à 12 équipes de protection embarquées sont dédiées aux thoniers français qui pêchent au large des Seychelles, les autres pouvant assurer notamment la protection de navires jugés stratégiques et particulièrement vulnérables (faiblesse de leur vitesse de dérobement ou insuffisance de leur franc-bord).

La demande de mise en place d'une équipe militaire de protection embarquée est effectuée par l'armateur auprès du Premier ministre. La décision est prise par ce dernier, après une étude technique menée par les services du ministère de la défense en liaison avec l'armateur. Cette étude permet d'apprécier la menace en fonction de la zone et de la vulnérabilité intrinsèque du navire ainsi que de la capacité à déployer une équipe militaire compte tenu des contraintes diplomatiques et logistiques, en fonction des escales prévues et du préavis disponible.

Une fois l'accord du Premier Ministre obtenu, des accords sont recherchés avec les États d'embarquement et de débarquement de l'équipe, ainsi que l'État du pavillon le cas échéant.

À l'embarquement de l'équipe, un briefing est organisé par le capitaine du navire marchand, qui présente le navire et les mesures de sécurité en place. L'équipe assure une veille active dans les zones d'insécurité. En revanche, elle est inactive (armes et munitions stockées en soute dans un local fermé à clé) lorsque le bâtiment navigue dans les zones ne présentant pas de risque de piraterie, définies dans la convention.

Le remboursement des frais engagés est fondé sur le décret n° 86-366 du 11 mars 1986 relatif à la rémunération de certains services rendus par le ministère de la défense, qui pose la règle d'une rémunération des services rendus par les armées dans la mesure où ils bénéficient à des tiers. La totalité des dépenses supplémentaires entraînées par le déploiement de l'EPE est à la charge de l'armateur : transport de l'équipe et du matériel, hébergement et alimentation, suppléments de rémunération. De plus, l'armateur est tenu d'assurer le personnel et le matériel de l'État ainsi que d'assurer l'État pour les dommages qui pourraient être causés par l'EPE aux tiers. Ces dépenses sont alors directement réglées par l'armateur ou remboursées par celui-ci à l'État en fonction des dépenses réellement effectuées.

Au total, 93 EPE ont été déployées depuis 2009. Elles ont repoussé quinze attaques, sans perte ni blessé.

Cependant, en raison des moyens et des effectifs limités dont elle dispose, la Marine nationale ne peut répondre à toutes les demandes de protection émanant des navires français : environ 70 % des 25 à 35 demandes reçues chaque année sont honorées. Outre les critères d'éligibilité au dispositif, les refus sont principalement motivés par une incompatibilité des délais nécessaires aux démarches diplomatiques et au déploiement des équipes de protection embarquées (EPE), ainsi qu'à des problèmes logistiques soulevés par le transport de ces équipes à un point d'embarquement. En outre, les professionnels se plaignent des délais de traitement de leurs demandes, jugés excessifs au point de mettre en péril les marchés qu'ils détiennent. La question de la disponibilité systématique et immédiate de la protection devient ainsi un facteur essentiel de la compétitivité hors coût des armements français .

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