B. UN TEXTE DONT L'OBJET EST PLUS DE BÂTIR DES « RÉGIONS EUROPÉENNES » QUE DE RÉALISER DES ÉCONOMIES

1. Des économies d'échelle limitées en attendant les transferts de compétences prévus dans le second texte

En mai dernier, M. André Vallini, secrétaire d'État chargé de la réforme territoriale, avait évoqué le chiffre de 12 à 25 milliards d'euros d'économies grâce à la réforme territoriale , en se fondant sur une réduction de 5 à 10 % des dépenses totales des collectivités. Mais ces estimations portent sur l'ensemble de la réforme territoriale , c'est-à-dire sur les deux textes déposés le 18 juin 2014, et principalement sur le second, qui prévoit des mutualisations importantes au niveau communal mais également régional, à partir des transferts de compétences des départements.

L'objectif de réaliser des économies d'échelle est cependant présent dans le présent texte. Ainsi, l'étude d'impact indique 5 ( * ) : « L'objectif poursuivi est de doter les régions françaises d'une taille critique qui leur permette [...] de réaliser des gains d'efficience ». Il s'agit de leur permettre de réaliser des économies d'échelle, grâce aux regroupements, avant même de considérer les transferts de compétences qui pourraient être réalisés.

L'étude d'impact ne procède à aucune évaluation de ces « gains d'efficience », qui dépendront in fine des décisions des collectivités elles-mêmes et des mutualisations qu'elles auront su mettre en oeuvre. Elle se livre en revanche à une comparaison du niveau de dépenses par habitant de chaque région, en constatant que les régions les moins peuplées ont en moyenne un niveau de dépenses par habitant plus élevé . Elle semble ainsi suggérer que les fusions de régions permettront un alignement à la baisse des niveaux de dépenses par habitant .

Votre rapporteur n'est pas convaincu par le fait que la seule réduction du nombre de régions permettra de réduire le niveau des dépenses par habitant. Il souligne de plus que les chiffres présentés par le Gouvernement portent sur les dépenses réelles totales, et comprennent donc les dépenses d'investissement. Néanmoins, il a souhaité se livrer à un rapide calcul afin d'évaluer les économies d'échelle qui semblent suggérées par le Gouvernement dans l'étude d'impact .

Il a donc étudié les conséquences d'un alignement à la baisse du niveau de dépenses par habitant des « nouvelles régions » sur la moyenne nationale (408 euros par habitant) - ce qui semble optimiste ; ceci aboutirait à une économie totale de 393 millions d'euros, comme le montre le tableau ci-dessous :

(en millions d'euros)

Régions
(concernées par la réforme et ayant un niveau de dépenses par habitant supérieur à la moyenne)

Population municipale
(en millions d'habitants)

Dépenses réelles totales (2012)

Dépenses totales par habitant
(en euros)

Économies réalisées dans l'hypothèse retenue

Limousin

0,7

406

548

104

Franche-Comté

1,2

485

413

6

Champagne-Ardenne

1,3

601

450

56

Auvergne

1,4

641

475

90

Basse-Normandie

1,5

624

423

22

Bourgogne

1,6

722

440

52

Picardie

1,9

822

429

39

Languedoc-Roussillon

2,7

1 114

417

25

TOTAL

393

Source : commission spéciale, à partir des données de l'étude d'impact

Votre rapporteur ne reprend pas ce chiffre à son compte, mais tenait à souligner que, même dans l'hypothèse très favorable qu'il a évoquée, les économies seraient assez limitées au regard des effets du texte.

Cela est d'autant plus vrai que les fusions pourraient signifier une hausse des frais de personnel, en cas d'alignement à la hausse des régimes indemnitaires des personnels des « nouvelles régions ». Enfin, si des économies devaient être constatées, elles ne se réaliseraient probablement qu'à l'échelle de plusieurs années.

Les auditions menées par votre rapporteur ont d'ailleurs montré que ce point de vue était partagé.

Ainsi, M. André Laignel, président du Comité des finances locales (CFL), lui a indiqué que son expérience des fusions lui laissait penser que les premières années montreraient plutôt une hausse des dépenses, bien que l'on puisse espérer, au bout de quelques années, des économies, qui resteraient toutefois modestes. Et de conclure : « si cette réforme se justifie, ce n'est pas pour son aspect financier ».

2. Un projet dont l'objet est avant tout de bâtir des « régions européennes »

L'objet du texte n'est donc pas tant de faire des économies que de bâtir des régions « de taille européenne » ou, pour reprendre les termes de l'étude d'impact, « de doter les régions françaises d'une taille critique qui leur permette [...] de rivaliser avec les collectivités comparables en Europe ».

Votre rapporteur a donc souhaité comparer les régions françaises actuelles à leurs homologues des pays européens les plus comparables, c'est-à-dire l'Italie, l'Allemagne et l'Espagne :

Population (en millions d'habitants)

France

Italie

Allemagne

Espagne

Minimum

0,74

0,32

0,66

0,31

Maximum

11,85

9,92

17,85

8,26

Moyenne

2,99

3,30

5,11

2,71

Médiane

2,35

2,88

3,15

2,05

Superficie (en milliers de km²)

France

Italie

Allemagne

Espagne

Minimum

8,28

4,44

0,42

4,99

Maximum

45,35

25,71

70,55

94,23

Moyenne

25,49

15,80

22,31

29,76

Médiane

25,81

16,16

20,05

11,31

Densité (en habitants au km²)

France

Italie

Allemagne

Espagne

Minimum

44

59

71

26

Maximum

987

429

3 899

793

Moyenne

150

199

669

164

Médiane

98

171

215

100

PIB régional (en milliards d'euros)

France

Italie

Allemagne

Espagne

Minimum

15,41

6,28

26,22

8,52

Maximum

542,05

330,04

556,57

207,16

Moyenne

82,97

83,61

157,59

65,38

Médiane

49,20

55,78

91,82

39,57

PIB régional ramené au PIB total (en pourcentage)

France

Italie

Allemagne

Espagne

Minimum

0,9 %

0,4 %

1,0 %

0,8 %

Maximum

30,4 %

21,9 %

22,1 %

18,6 %

Moyenne

4,7 %

5,6 %

6,3 %

5,9 %

Médiane

2,8 %

3,7 %

3,6 %

3,6 %

N.B. Certaines régions aux caractéristiques particulières ont été écartées : il s'agit, pour la France, de la Corse, pour l'Italie, de la vallée d'Aoste et des provinces autonomes de Bolzano et de Trento, et pour l'Espagne, des régions de Ceuta et Melilla.

Source : commission spéciale, à partir des données Eurostat 2011

On observe ainsi que les régions françaises sont moins denses et ont un poids économique globalement plus faible que leurs homologues européennes .

En termes de population, les régions françaises sont plutôt assez proches de leurs homologues italiennes et espagnoles, mais bien moins peuplées que les régions allemandes. S'agissant de la superficie, les régions françaises sont plutôt plus grandes que celles des autres pays européens. Il en résulte une moins grande densité : la médiane des densités des régions est ainsi de 98 habitants par km² en France, contre 100 en Espagne, 171 en Italie et 215 en Allemagne.

Concernant la richesse régionale, les régions françaises ont un PIB bien inférieur à celles de l'Allemagne. Si l'on raisonne en PIB régional ramené au PIB national, on constate même que les régions françaises sont les moins puissantes des quatre pays comparés, que ce soit en moyenne ou en médiane. Ainsi, la part de chaque région dans le PIB est de 2,8 % en médiane quand elle est de 3,6 % environ dans les trois autres pays, soit près de 30 % de plus.

Si les régions françaises ne semblent pas si éloignées de leurs homologues en termes de population, elles ont clairement un poids économique - au sens de la production de richesse sur leur territoire - qui est bien inférieur . La comparaison avec l'Allemagne est particulièrement éclairante, avec un PIB régional en valeur absolue deux fois plus important de l'autre côté du Rhin (en moyenne comme en médiane).

Les regroupements de régions proposés par le Gouvernement aboutiraient aux données présentées dans le tableau ci-dessous :

Population
(en millions d'habitants)

Superficie
(en milliers
de km²)

Densité
(en habitants
au km²)

PIB régional
(en milliards d'euros)

PIB régional ramené
au PIB total

(en pourcentage)

Minimum

2,82

12,01

59

62,70

3,5 %

Maximum

11,85

81,90

987

542,05

30,4 %

Moyenne

4,83

41,18

185

134,03

7,5 %

Médiane

4,04

32,08

111

89,34

5,0 %

N.B. La Corse a été écartée.

Source : commission spéciale, à partir des données Eurostat 2011

Ces regroupements permettraient donc de placer les régions françaises dans le haut du classement en termes de population et de superficie, et de rapprocher leur poids économique de celui des régions allemandes.

Votre rapporteur rappelle d'ailleurs que le comité pour la réforme des collectivités locales, dit « comité Balladur », suggérait, dès mars 2009, « que le périmètre de certaines des régions françaises soit revu, de telle manière que, sans méconnaître la force de certaines identités régionales attachées à des territoires d'importance inégale, le découpage des régions leur permette de mieux prendre rang dans l'ensemble européen des régions » 6 ( * ) .


* 5 Étude d'impact (page 10).

* 6 « Il est temps de décider », Rapport au Président de la République, Comité pour la réforme des collectivités locales, 5 mars 2009, p. 67.

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