B. UNE SITUATION FINANCIÈRE PRÉOCCUPANTE POUR LE RÉSEAU

1. Une dette colossale...
a) Le poids de la dette héritée de la SNCF

En 1996, à la veille de la création de RFF, la dette de la SNCF s'élevait à près de 30,4 milliards d'euros. Elle était devenue insupportable pour l'entreprise, malgré son allègement à partir de 1991 grâce à la création du service annexe d'amortissement de la dette (SAAD).

RFF a été conçu comme un organisme de défaisance de la dette de la SNCF . Près des deux tiers de la dette de la SNCF, soit 20,5 milliards d'euros, lui ont été affectés.

En 1994, l'Allemagne a fait un tout autre choix, puisque l'État fédéral a repris la dette du système ferroviaire, qui s'élevait alors à 35,8 milliards d'euros 17 ( * ) . Cette mesure a grandement facilité le redressement de la situation financière de la Deutsche Bahn et le développement de ses activités.

Cette solution n'a pas été retenue par la France, qui cherchait, à l'inverse, à réduire au maximum sa dette publique en vue de sa qualification pour la zone euro. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement a préféré transférer 20,5 milliards de dette à une entité qui n'était pas considérée en comptabilité nationale comme une administration publique, RFF 18 ( * ) .

Comme le relève le bilan financier de la réforme de 1997 effectué par la Cour des comptes 19 ( * ) , cette opération a effectivement permis à l'opérateur historique de rétablir l'équilibre de ses comptes. Mais elle n'a pas résolu la question de la dette du système ferroviaire pris dans son ensemble.

b) La double dérive des coûts de gestion du réseau existant et de développement de nouvelles lignes

Au fil des ans, s'est ajouté à cette dette « historique » issue de la SNCF, un endettement propre à RFF, résultant du déficit d'exploitation du réseau, de ses charges financières, et des investissements nouveaux.

La dette de RFF, qui atteint 37 milliards d'euros en 2013, connaît une augmentation tendancielle de 2 à 3 milliards d'euros par an (2,4 milliards en 2013), qui s'explique :

- pour près de la moitié, par le déficit structurel du réseau existant : les recettes d'exploitation (péages et subventions) sont insuffisantes pour couvrir à la fois, les dépenses d'exploitation, la rémunération du capital et les opérations de rénovation assurant la pérennité du réseau ferré national ; à cet égard, les dysfonctionnements créés par la loi de 1997 et l'insuffisant pilotage de l'État sont directement en cause ;

- pour un peu plus d'1,5 milliard d'euros, par l'endettement contracté pour financer les projets de développement : il s'agit à la fois d'achever les projets régionaux issus des CPER 2007-2013 et les quatre lignes à grande vitesse en cours de construction.

L'endettement de RFF au titre des projets de développement a, en théorie, vocation à se résorber dans le temps. L'article 4 du décret n° 97-444 du 5 mai 1997 relatif aux missions et aux statuts de RFF dispose en effet que « RFF ne peut accepter un projet d'investissement sur le réseau ferré national, inscrit à un programme à la demande de l'État, d'une collectivité locale ou d'un organisme public local ou national, que s'il fait l'objet de la part des demandeurs d'un concours financier propre à éviter toute conséquence négative sur les comptes de RFF sur la période d'amortissement de cet investissement ». Il devait ainsi protéger l'établissement public des pressions politiques exercées en faveur d'investissements non rentables.

Mais cette règle n'a pas toujours été respectée par l'État, qui a imposé à RFF, sur certains projets, une participation bien supérieure à ce qu'elle aurait dû être . La Cour des comptes l'a illustré, dans son rapport de 2008, par l'exemple de la branche Est de la LGV Rhin-Rhône, où la contribution de RFF a été arbitrairement multipliée par plus de deux pour boucler le plan de financement, passant de 302 millions d'euros à 642 millions d'euros.

De fait, les investissements de développement ont connu une forte croissance ces dernières années.

Montant des investissements de développement depuis 2005

Millions d'euros

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

Investissements de développement

1 358

1 148

1 338

1 570

1 572

1 387

2 460

3 080

dont part financée au titre de l'article 4

348

221

311

397

491

527

676

794

dont autres financements sur fonds propres (hors article 4)

31

52

34

35

21

-

-

dont cofinancements

979

875

993

1 138

1 060

860

1 784

2 286

cofinancements par l'État (AFITF)

488

473

443

354

639

761

cofinancements par les collectivités locales

505

665

617

506

1 145

1 525

Source : DGITM

En particulier, la construction concomitante de quatre nouvelles lignes à grande vitesse, à la suite du Grenelle de l'environnement, pèse largement sur les comptes de RFF . Auparavant, le rythme de construction était environ d'une LGV tous les six ans.

Les quatre projets de lignes à grande vitesse en cours de réalisation

La LGV Tours Bordeaux

Le tronçon central Tours-Bordeaux de la LGV SEA permettra de mettre Bordeaux à 2h05 de Paris contre environ 3h actuellement. Ce projet comprend la réalisation de 302 km de lignes nouvelles entre Saint-Pierre-des-Corps et Bordeaux, auxquels s'ajoutent 39 km de raccordements ainsi que la seconde phase de résorption du bouchon ferroviaire de Bordeaux.

Le coût d'investissement du tronçon central Tours-Bordeaux s'établit à environ 6,7 milliards d'euros HT 20 ( * ) . Le tronçon central a été confié en concession à la société LISEA. Sa mise en service est prévue en 2017.

La contribution des collectivités publiques au financement du projet s'élève à 2 681 millions d'euros et celle de RFF à 1 760 millions d'euros.

La 2ème phase de la LGV Est européenne

Après la mise en service de la première phase de la LGV Est-européenne de Vaires à Baudrecourt, le 10 juin 2007, permettant de relier Paris à Strasbourg en 2h20, la seconde phase du projet a pour objet la réalisation de 106 km de lignes nouvelles entre Baudrecourt et Vendenheim, au nord de Strasbourg. Elle permettra un gain supplémentaire de 30 minutes sur le trajet Paris-Strasbourg, qui durera 1h50. Elle améliorera encore les liaisons entre la France, l'Allemagne et le Luxembourg, en reliant Paris et Munich en 5h30, ainsi que Luxembourg et Strasbourg en 1h25.

Une convention de financement et de réalisation a été signée le 1 er septembre 2009 par l'État, RFF et seize collectivités intéressées par ce projet. Le coût de l'opération arrêté est de 2 milliards d'euros 21 ( * ) , pris en charge par l'État et l'ensemble des collectivités à hauteur de 680 millions d'euros chacun, l'Union européenne pour 118 millions d'euros et RFF pour 532 millions d'euros. Sa mise en service est prévue en mars 2016.

La LGV Bretagne - Pays-de-la-Loire

Le projet de ligne à grande vitesse (LGV) Bretagne - Pays-de-la-Loire est le prolongement, en direction de Rennes et de Nantes, de la LGV Paris - Le Mans. Il s'inscrit dans la continuité de la LGV Atlantique mise en service en 1989. Le projet porte sur 182 kilomètres entre Le Mans (Connerré) et Rennes (Cesson-Sévigné) en section courante. Le projet est à dominante trafic voyageur ; seule la section nord du Mans est mixte voyageur/fret.

Le projet a pour objectif d'améliorer de manière significative la desserte de la Bretagne et des Pays-de-la-Loire, avec un gain de 37 minutes entre Paris et Rennes, et au-delà, avec l'ensemble de la Bretagne occidentale jusqu'à Brest et Quimper.

Le coût de l'opération est estimé à 3,3 milliards d'euros courants . Un contrat de partenariat a été signé le 28 juillet 2011 entre RFF et la société Eiffage Rail Express pour la réalisation de cette ligne. L'achèvement des travaux est prévu en 2016, pour une mise en service en 2017.

Le coût du projet est pris en charge à 43 % par RFF (soit 1 430 millions d'euros), le solde étant réparti quasiment à parité entre l'État (955 millions d'euros), d'une part, et les collectivités territoriales (945 millions d'euros), d'autre part. Le projet a, en outre, bénéficié d'un soutien communautaire d'un montant total de 11 millions d'euros au titre des appels à projets annuels des réseaux trans-européens des transports.

Le contournement ferroviaire de Nîmes et Montpellier

Il s'agit d'une ligne nouvelle à grande vitesse de 80 km, dont 19 km de raccordements, conçue pour un trafic mixte de voyageurs et de marchandises. La mise en service de ce contournement soulagera la ligne ferroviaire actuelle, proche de la saturation, et contribuera à assurer la continuité du réseau à grande vitesse entre la France et l'Espagne.

Par ailleurs, le débat public relatif à la ligne nouvelle Montpellier-Perpignan, qui s'est déroulé en 2009, a permis d'acter la réalisation d'une gare nouvelle dans l'agglomération de Montpellier dès la mise en service du contournement, ainsi que la réalisation d'une gare nouvelle dans l'agglomération de Nîmes.

Un contrat de partenariat a été signé le 28 juin 2012 entre RFF et Oc'Via, d'un montant de 1,3 milliard d'euros 22 ( * ) pour la conception, la construction, l'exploitation, la maintenance et le financement du projet. La mise en service de l'infrastructure est prévue pour 2017.

Parallèlement à la procédure de dévolution, un dispositif conventionnel a été établi pour permettre le financement public du projet. Ce dispositif a été signé le 25 avril 2012 par l'État, RFF, le Conseil régional de Languedoc-Roussillon, le Conseil général du Gard et les communautés d'agglomération de Nîmes et de Montpellier. Il porte sur un montant de 1 987 millions d'euros permettant de financer :

- le contrat de partenariat du contournement ainsi que des travaux réalisés sous maîtrise d'ouvrage de RFF regroupant les raccordements et jonctions de la ligne nouvelle et des travaux sur la ligne classique, pour un montant total de 1 757 millions d'euros,

- les gares nouvelles de Nîmes et Montpellier, pour des montants respectifs de 95 millions d'euros et 135 millions d'euros.

Source : DGITM

2. ...qui obère les capacités d'action du gestionnaire d'infrastructure
a) 1,3 milliard d'euros de frais financiers annuels et une interrogation forte sur la soutenabilité de la dette du réseau...

Aujourd'hui, RFF assume chaque année 1,3 milliard d'euros de charges financières pour sa dette.

En l'absence de mesure de redressement, l'augmentation annuelle de la dette du réseau s'élèverait à 2,8 milliards d'euros en 2025, pour atteindre un stock de 69 milliards d'euros.

Ces chiffres posent bien sûr la question de la soutenabilité de la dette du réseau. Comme le soulignait déjà la Cour des comptes dans son rapport de 2008, le portage par RFF d'une dette qu'il ne peut pas amortir, et qui ne peut l'être que par l'État, a un caractère artificiel.

C'est d'ailleurs la raison pour laquelle l'INSEE vient d'inclure plus de dix milliards d'euros 23 ( * ) de la dette de RFF dans la dette publique au sens de Maastricht. Ce montant est lié à la proportion de concours publics dans les produits d'exploitation de RFF, à l'ampleur de ses investissements et des aides à l'investissement que l'État lui verse. Pour RFF, le seul effet de cette requalification porte sur la structure de sa dette, dont une fraction est désormais due à l'État. Il continue à en assumer le coût.

b) ... alors que les besoins en termes de maintenance sont considérables

La maintenance du réseau se décompose en deux types d'activités : l'entretien du réseau, qui consiste à identifier et réparer ses défaillances, et les opérations de renouvellement 24 ( * ) , par lesquels les constituants du réseau sont remplacés. Commandé par la SNCF et par RFF, l'audit Rivier de 2005 réalisé par l'école polytechnique de Lausanne 25 ( * ) a dressé un bilan alarmant de l'état du réseau et constaté une insuffisance historique des moyens alloués au renouvellement du réseau.

À la suite de ce rapport, deux plans de rénovation ont été lancés, de 2006 à 2010 et de 2008 à 2012, dans le cadre du contrat de performance signé entre RFF et l'État, ce qui a permis une augmentation des dépenses de renouvellement de 88% entre 2006 et 2011, particulièrement notable à partir de 2008.

Dépenses de renouvellement par type d'actifs sur la période 2006-2011

Source : RFF et Cour des comptes

Mais cet effort, bien que réel, est resté insuffisant pour inverser la tendance au vieillissement du réseau , comme le relève l'actualisation de l'audit Rivier de septembre 2012 26 ( * ) .

Il a par ailleurs davantage bénéficié aux lignes à faible trafic 27 ( * ) , au détriment des lignes les plus fréquentées . D'après le rapport de la Cour des comptes de juillet 2012, le retard pris dans ce domaine est en cours de rattrapage mais prendra plusieurs années, alors que des besoins de renouvellements commencent à apparaître pour les LGV les plus anciennes (Sud-Est et Atlantique) et que des besoins de financement imprévus apparaissent dans d'autres catégories.

En juin 2013, la commission « Mobilité 21 », présidée par Philippe Duron, et notamment chargée de formuler des recommandations en vue de créer les conditions d'une mobilité durable, a mis en exergue la nécessité de poursuivre les efforts d'investissement pour atteindre les objectifs d'état du réseau préconisés par l'Ecole polytechnique de Lausanne.

Le 18 septembre 2013, RFF a remis au ministre des transports, Frédéric Cuvillier, un grand plan de modernisation du réseau (GPMR). Avec une enveloppe de 15 milliards d'euros sur six ans, soit 2,5 milliards d'euros par an, ce plan s'attache en particulier à résoudre les difficultés rencontrées en zone dense et dans les noeuds ferroviaires. Il vise à rendre le réseau plus performant, en diminuant les incidents liés à l'infrastructure et leurs conséquences pour l'exploitation du réseau, afin d'améliorer la régularité des trains. Il a aussi pour vocation d'augmenter la capacité du réseau en termes de circulation des trains et de maintenir un haut niveau de sécurité du réseau.


* 17 Source : rapport n° 177 sur la création de l'établissement public "Réseau Ferré National », réalisé par François Gerbaud, Sénat 1996/1997.

* 18 Plus de la moitié de ses coûts de production sont en effet couverts par des recettes marchandes.

* 19 « La réforme ferroviaire de 1997 : un bilan financier », Rapport de la Cour des comptes au Président de la République, Suivi des réponses des administrations, collectivités, organismes et entreprises, 2003.

* 20 Aux conditions économiques de juillet 2009.

* 21 Aux conditions économiques de juin 2008.

* 22 Aux conditions économiques de juillet 2011.

* 23 10,8 milliards d'euros en 2010, 10,7 en 2011 et 10,4 en 2012.

* 24 Les termes de « rénovation » ou « régénération » sont aussi employés.

* 25 Audit sur l'état du réseau ferré national français, par MM. Robert Rivier & Yves Putallaz, École polytechnique fédérale de Lausanne - LITEP Laboratoire d'Intermodalité des Transports et de Planification, 7 septembre 2005.

* 26 Audit revisité sur l'état du réseau, par MM. Yves Putallaz et Panos Tzieropoulos, École polytechnique fédérale de Lausanne - LITEP Laboratoire d'Intermodalité des Transports et de Planification, septembre 2012.

* 27 En termes d'augmentation des dépenses et non de volume des dépenses.

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