B. UNE PRÉVISION DE CROISSANCE OPTIMISTE

Si les hypothèses relatives à la hausse des prix en 2015, qui devrait être de 0,9 %, ont été jugées « plausibles » par le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) dans son avis relatif au présent projet de loi 32 ( * ) , tel n'est pas le cas de la prévision de croissance du PIB, de 1,0 %, qui a été qualifiée d'« optimiste » . Le ralentissement non anticipé de l'activité au cours de l'année 2014 rend, en effet, peu probable le rebond conjoncturel anticipé par le Gouvernement en 2015. Par ailleurs, il apparaît que le scénario gouvernemental demeure soumis à de nombreux aléas.

1. Un ralentissement non anticipé de l'activité en 2014

Les « bonnes nouvelles » de la fin de l'année 2013, à savoir le léger rebond de l'activité aux deuxième et quatrième trimestres de l'année, avec une croissance trimestrielle du PIB de respectivement 0,7 % et 0,2 %, avaient conduit le Gouvernement à réviser à la hausse ses perspectives de croissance pour l'année 2014 à 1,0 % dans le cadre du programme de stabilité 2014-2017 , contre 0,9 % dans celui du projet de loi de finances pour 2014. Le Haut Conseil des finances publiques avait, d'ailleurs, dans son avis relatif au programme de stabilité 33 ( * ) , considéré que la nouvelle prévision gouvernementale pour 2014 « [était] réaliste et que le scénario sur lequel elle repos[ait] n'était affecté d'aucun risque baissier majeur ». Il faut rappeler que cette hypothèse de croissance était alors partagée par la Commission européenne 34 ( * ) , l'OCDE 35 ( * ) , ainsi que par le Fonds monétaire international (FMI) 36 ( * ) ; elle était également proche de la projection du Consensus Forecasts d'avril 2014 (+ 0,9 %).

Ainsi, de nombreux éléments laissaient présager un redémarrage de l'activité économique en 2014 , l'Insee prévoyant même, dans sa Note de conjoncture du mois de mars de cette année, qu'à la « mi-2014, le PIB afficherait un acquis de croissance de + 0,7 % » 37 ( * ) du fait d'une croissance trimestrielle de 0,1 % puis de 0,3 % au cours des premier et deuxième trimestres de l'année.

Néanmoins, la publication par l'Insee des comptes nationaux trimestriels, au mois d'août dernier 38 ( * ) , a mis fin à tout espoir de sursaut de l'activité en 2014 , faisant apparaître l'apathie de la croissance au cours du deuxième trimestre (cf. tableau ci-avant).

Pour les deux derniers trimestres de l'année, les prévisions disponibles à ce jour tablent sur une très légère croissance du PIB , le Point de conjoncture de l'Insee d'octobre 2014 39 ( * ) prévoyant une hausse du PIB de 0,1 % pour chacun de ces trimestres et une croissance annuelle de 0,4 %. De même, la Banque de France anticipe une progression de l'activité de 0,1 % au dernier trimestre 40 ( * ) .

Dans ces conditions , l'hypothèse d'évolution du PIB de + 0,4 % pour l'exercice 2014, retenue par le Gouvernement dans le projet de loi de finances pour 2015, paraît tout à fait plausible et a, d'ailleurs, été qualifiée de « réaliste » par le Haut Conseil des finances publiques dans son avis précité du 26 septembre 2014 41 ( * ) . Cette analyse est corroborée par l'acquis de croissance 42 ( * ) de + 0,3 % à la fin du deuxième trimestre et par le Consensus Forecasts d'octobre, qui évalue aussi la croissance en 2014 à 0,4 %. Quoi qu'il en soit, les causes de l'atonie de la croissance en 2014 laissent penser que le dynamisme de l'activité pourrait être, en 2015, moindre que ce qu'anticipe le Gouvernement , venant fragiliser sa prévision de croissance de 1,0 %.

2. Une prévision de croissance fragile et optimiste

Comme cela a été indiqué, l'anticipation gouvernementale d'une progression du PIB de 1,0 % en 2015 a été jugée « optimiste » par le Haut Conseil des finances publiques dans son avis relatif au présent projet de loi 43 ( * ) . Le rapport de la commission des finances sur le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 a, en effet, d'ores et déjà mis en évidence les principales fragilités affectant le scénario macroéconomique du Gouvernement pour l'année 2015 44 ( * ) .

Tout d'abord, ce dernier prévoit une accélération très progressive de la demande mondiale , le rapport économique, social et financier (RESF) annexé au présent projet de loi retenant une hypothèse d'accroissement de la demande étrangère adressée à la France de 5,1 %. Toutefois, la prévision de croissance du commerce mondial pour 2015 de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) a été abaissée à 4,0 % en septembre de cette année , contre 5,3 % dans celle d'avril, en raison du faible dynamisme des échanges constaté au cours du premier semestre 2014.

De même, le Gouvernement prévoit que l'activité économique serait soutenue par les mesures prises en faveur de la compétitivité, de la croissance et de l'emploi , en particulier par le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et le Pacte de responsabilité et de solidarité, qui visent à réduire le coût du travail. Ces dispositifs ont pour finalité de favoriser une reprise de l'investissement des entreprises et les créations d'emplois.

Néanmoins, ainsi que l'a relevé le rapport de la commission des finances précité, les tendances actuellement à l'oeuvre indiquent que les effets de ces dispositifs pourraient être plus limités que prévu . En particulier, en dépit de ce que le CICE ait été accordé pour la première fois aux entreprises en 2014, l'investissement de ces dernières demeure atone. À cet égard, le Point de conjoncture de l'Insee d'octobre 2014 anticipe un nouveau recul de l'investissement des entreprises lors des deux derniers trimestres de l'année , de 0,3 % puis 0,2 %, après une baisse de 0,6 % et 0,7 % au cours des premier et deuxième trimestres. Interrogés par l'Insee, les chefs d'entreprise de l'industrie prévoient, d'ailleurs, une légère baisse de leurs investissements en 2015 45 ( * ) ; un peu plus de la moitié d'entre eux (53 %) projetterait de consacrer les dépenses d'investissement au renouvellement et à la modernisation des équipements, un quart seulement (26 %) déclarant vouloir étendre les capacités de production ou introduire de nouveaux produits. Dès lors, la reprise de l'investissement des entreprises en 2015 pourrait être plus modérée que ce que prévoit le scénario gouvernemental.

Ceci peut s'expliquer, d'une part, par la faiblesse du taux de marge des entreprises , qui devrait s'établir selon l'Insee à 29,4 % en 2014, contre 29,8 % en 2013 et, d'autre part, par la dégradation du climat des affaires depuis le printemps . L'indicateur de climat des affaires 46 ( * ) de l'Insee a, en effet, reculé de 95,2 en mars 2014 à 90,9 en septembre, pour se redresser néanmoins légèrement à 91,3 en octobre, comme le fait apparaître le graphique ci-après.

En octobre 2014, l'indicateur de retournement de l'Insee 47 ( * ) était, quant à lui, toujours à son niveau minimal , soit - 1, atteint en septembre dernier. Par conséquent, le recul substantiel de l'indicateur de retournement, engagé en juillet, de même que le maintien à un faible niveau de l'indicateur de climat des affaires, semblent présager une reprise mesurée de la croissance économique en 2015.

Dans ces conditions, l'hypothèse d'un accroissement de la consommation des ménages en 2015, de 1,3 % selon le Gouvernement, peut paraître également fragile . L'atonie persistante de l'activité économique et du marché du travail - l'Insee prévoit une légère hausse du taux de chômage d'ici la fin de l'année 2014, celui-ci devant atteindre 10,3 %, contre 10,1 % en 2013 - pourrait limiter la hausse du pouvoir d'achat et favoriser le maintien d'un haut niveau d'épargne de précaution. À ce titre, dans le Point de conjoncture précité d'octobre, l'Insee table sur un taux d'épargne des ménages de 15 % à la fin de l'année 2014 , contre 14,6 % en 2013.

L'accélération de l'activité que supposerait la réalisation de la prévision de croissance de 1,0 % retenue par le Gouvernement pourrait ne pas avoir lieu. À supposer que les anticipations précitées de l'Insee concernant la progression du PIB au cours des deux derniers trimestres se réalisent, l'acquis de croissance ne serait que de + 0,1 % à la fin de l'année 2014 . Par suite, il ne peut être exclu que les espoirs du Gouvernement de voir rebondir l'activité économique en 2015 soient de nouveau déçus , tout comme ceux apparus au début de l'année 2014.

3. Quelles perspectives de croissance en 2015 ?

À l'instar du Gouvernement, les organisations internationales anticipaient, avant l'été, une progression du PIB de la France significativement supérieure à 1,0 % en 2015 48 ( * ) . Toutefois, à la suite de la publication des comptes nationaux pour le deuxième trimestre 2014 par l'Insee en août dernier (cf. supra ), les prévisions de croissance ont été révisées à la baisse . Ainsi, le Gouvernement a ramené son anticipation de croissance pour 2015 de 1,7 % à 1,0 % entre la présentation du dernier programme de stabilité en avril 2014 et le présent projet de loi. La prévision gouvernementale de progression du PIB en 2015 est identique à celle du FMI d'octobre et très légèrement supérieure à celle avancée par l'OCDE (+ 0,9 %) dans ses prévisions intermédiaires de novembre.

La projection retenue par la Commission européenne dans ses prévisions d'automne s'élève, quant à elle, à + 0,7 % en 2015 . En particulier, la Commission estime que les entreprises françaises ne profiteraient que de manière limitée de l'accélération du commerce international, en raison d'une compétitivité insuffisante, et n'anticipe pas de rebond de l'investissement avant 2016. Aussi, selon celle-ci, la progression modérée de l'activité en 2015 et 2016 serait essentiellement portée par la consommation privée.

Le Consensus Forecasts d'octobre, enfin, prévoit une croissance du PIB de 0,8 % et une progression des prix à la consommation de 1,0 % en 2015. Il convient de noter que la prévision de croissance du consensus pour 2015 se situe dans une fourchette comprise entre + 0,3 % et + 1,3 %.

Quelle que soit l'anticipation d'évolution du PIB considérée, il apparaît donc que la croissance effective en 2015 serait inférieure à la croissance potentielle , estimée à 1,1 % dans le cadre du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 ainsi que par le consensus de la croissance potentielle établi par la commission des finances 49 ( * ) , contribuant au creusement de l'écart de production au cours de cette année - soit de la différence entre le PIB effectif et le PIB potentiel 50 ( * ),51 ( * ) .

Au total, l'examen de la prévision de croissance retenue par le Gouvernement à l'aune des projections des organisations internationales et du Consensus Forecasts montre que celle-ci ne paraît pas manifestement surestimée, même si le scénario gouvernemental comporte plusieurs fragilités , comme cela a été mis en évidence supra . À ce titre, votre rapporteur général a indiqué, dans son rapport sur le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019, que si la croissance effective était inférieure de 0,5 point à la prévision gouvernementale, soit + 0,5 % au lieu de + 1,0 %, le déficit public s'élèverait à 4,5 % du PIB et la dette publique à près de 98 % du PIB en 2015 52 ( * ) . Le déficit et la dette publics s'établiraient également à ces niveaux si les anticipations de croissance (+ 0,7 %) et d'inflation (+ 0,7 %) de la Commission européenne pour 2015 venaient à se réaliser.


* 32 Cf. avis du Haut Conseil des finances publiques n° HCFP-2014-05 du 26 septembre 2014, op. cit.

* 33 Cf. avis du Haut Conseil des finances publiques n° HCFP-2014-01 du 22 avril 2014 relatif aux prévisions macroéconomiques associées au projet de programme de stabilité pour les années 2014 à 2019.

* 34 Commission européenne, « European Economic Forecast. Winter 2014 », European Economy , 2/2014, février 2014 .

* 35 OCDE, OECD Economic Outlook , novembre 2013 .

* 36 Fonds monétaire international, World Economic Outlook. Recovery Strengthens, Remains Uneven , avril 2014.

* 37 Insee, Note de conjoncture , mars 2014, p. 12.

* 38 Insee, « Stabilité du PIB au deuxième trimestre 2014 », Informations rapides , n° 186, août 2014.

* 39 Insee, op. cit. , octobre 2014.

* 40 Banque de France, Indicateurs conjoncturels - France , 7 novembre 2014.

* 41 Cf. avis du Haut Conseil des finances publiques n° HCFP-2014-05 du 26 septembre 2014, op. cit.

* 42 L'acquis de croissance du PIB pour l'année en cours correspond au taux de croissance annuel qui serait observé si le PIB restait, jusqu'à la fin de l'année considérée, stable à son dernier niveau trimestriel observé.

* 43 Cf. avis du Haut Conseil des finances publiques n° HCFP-2014-05 du 26 septembre 2014, op. cit.

* 44 Cf. rapport n° 55 (2014-2015), op. cit. , p. 31-34.

* 45 Insee, « Les chefs d'entreprise de l'industrie prévoient une légère baisse de l'investissement en 2015 après une stabilité en 2014 », Informations Rapides , n°255, 7 novembre 2014.

* 46 L'indicateur de climat des affaires est calculé par l'Insee sur la base d'enquêtes réalisées auprès des chefs d'entreprise des principaux secteurs d'activité. Il s'agit d'un indicateur d'un intérêt tout particulier dès lors qu'il apparaît que les indicateurs de climats des affaires sont assez fortement corrélés aux grandeurs macroéconomiques, et notamment à l'évolution du PIB.

* 47 L'indicateur de retournement est également construit sur la base des enquêtes réalisées auprès des chefs d'entreprise et retrace à chaque date la différence entre la probabilité que la phase conjoncturelle soit favorable et la probabilité qu'elle soit défavorable. Il évolue entre + 1 et - 1, un point proche de + 1 signalant que l'activité est en période d'accélération, alors qu'à l'inverse, un point proche de - 1 signale que l'activité est en nette décélération. Un indicateur proche de 0 correspond généralement à une période de stabilisation.

* 48 Cf. rapport n° 55 (2014-2015), op. cit. , p. 30.

* 49 Cf. rapport n° 55 (2014-2015), op. cit. , p. 20.

* 50 Le PIB potentiel peut être défini comme le produit intérieur brut pouvant être obtenu durablement, c'est-à-dire sans produire de déséquilibre sur les marchés des biens et du travail.

* 51 Au-delà de son intérêt économique, la notion d'écart de production présente une utilité d'un point de vue budgétaire puisqu'elle est utilisée pour le calcul du solde structurel. Ce point est explicité dans le rapport de la commission des finances du Sénat sur le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 (cf. rapport n° 55 (2014-2015), op. cit. , p. 9-12).

* 52 Cf. rapport n° 55 (2014-2015), op. cit. , p. 80-81.

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