B. LES DÉROGATIONS AU PRINCIPE D'ÉGALITÉ DEVANT LE SUFFRAGE

Le Conseil constitutionnel admet lui-même que le principe d'égalité devant le suffrage n'implique pas une proportionnalité absolue entre la population représentée et la répartition des sièges. En revanche, seul un motif d'intérêt général peut permettre de déroger à cette règle « dans une mesure limitée ».

1. L'existence d'un motif d'intérêt général

Lorsqu'il est saisi de dispositions législatives délimitant des circonscriptions ou répartissant des sièges, le Conseil constitutionnel apprécie s'il existe un motif d'intérêt général.

Le Conseil contrôle également l'existence de ce motif lorsqu'il examine des dispositions législatives déterminant les règles qui s'imposent au pouvoir réglementaire pour déterminer les limites des circonscriptions et le nombre de sièges.

Le Conseil constitutionnel est rétif à admettre, de manière générale et a priori , des motifs d'intérêt général qui permettraient de déroger à la proportionnalité. Lorsque le législateur a indiqué trois cas 15 ( * ) dans lesquels le Gouvernement pourrait déroger pour un motif d'intérêt général à la stricte proportionnalité pour délimiter les circonscriptions législatives, le Conseil constitutionnel, sans remettre en cause chacun de ces critères, a émis une réserve d'interprétation restrictive : « Il ne pourra y être recouru que dans une mesure limitée et en s'appuyant, au cas par cas, sur des impératifs précis d'intérêt général [car] leur mise en oeuvre devra être strictement proportionnée au but poursuivi » 16 ( * ) .

Dans le même esprit, il a censuré des motifs d'intérêt général instaurés par la loi pour encadrer le pouvoir de délimitation des cantons par le pouvoir règlementaire non sur leur bien-fondé mais au motif de leur généralité 17 ( * ) . Il privilégie donc une appréciation in concreto à une approche in abstracto .

Le Conseil constitutionnel se montre traditionnellement ouvert aux motifs géographiques . Il a même admis, pour ce motif, des dérogations qui allaient au-delà de 20 % d'écart à la moyenne de représentation pour admettre un sénateur 18 ( * ) élu à Saint-Barthélemy et un autre à Saint-Martin 19 ( * ) ou la création de la onzième circonscription législative à l'étranger regroupant l'Asie et l'Océanie 20 ( * ) .

Il refuse à l'inverse des motifs institutionnels comme la règle qui aurait voulu que chaque collectivité d'outre-mer dispose par principe d'un parlementaire 21 ( * ) ou que le nombre de communes entre en compte dans le découpage cantonal 22 ( * ) . En revanche, il a admis un nombre minimal de conseillers territoriaux par département « pour assurer le fonctionnement normal d'une assemblée délibérante locale » 23 ( * ) .

2. L'écart de représentation toléré

Le Conseil constitutionnel s'est progressivement attachée, de manière prétorienne, à une limite maximale d'écart de représentation plafonnée à 20 % .

Lorsqu'il a statué sur la création des conseillers territoriaux, le Conseil constitutionnel a censuré la répartition des sièges entre départements au sein des régions pour méconnaissance du principe d'égalité devant le suffrage en se bornant à indiquer que dans six régions « le rapport du nombre des conseillers territoriaux du département [...] à sa population s'écarte de la moyenne régionale dans une mesure qui est manifestement disproportionnée » 24 ( * ) .

Le commentaire de la décision du Conseil constitutionnel est plus précis puisqu'il indique que « le Conseil constitutionnel a estimé que toutes les régions dans lesquelles le ratio d'un département s'écartait de la moyenne régionale de plus de 20 % méconnaissaient le principe d'égalité devant le suffrage », l'écart de 20 % ayant été pris comme base de travail par le Gouvernement pour élaborer son projet de loi. A l'appui de ce choix, le commentaire avance que « en retenant ce seuil de 20 %, le Conseil a repris à son compte les limites que le législateur lui-même s'était assigné en 1986 puis en 2009 en vue de la réalisation de la délimitation des circonscriptions électorales pour l'élection des députés au sein d'un même département ».

3. L'étendue du contrôle du Conseil constitutionnel

Le commentaire de la décision n° 2008-573 DC du 8 janvier 2009 explique que dans les limites de 20 %, le Conseil a « confirmé le caractère restreint de son contrôle en n'examinant pas les écarts à la moyenne à l'intérieur des 20 % » sans renoncer à exercer son contrôle 25 ( * ) . En revanche, le Conseil constitutionnel a précisé que ne disposant pas d'un « pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement », « il ne lui appartient donc pas de rechercher si les circonscriptions ont fait l'objet de la délimitation la plus juste possible » 26 ( * ) .

Au titre de son contrôle, le Conseil prend en compte l' amélioration de la situation au regard du principe d'égalité devant le suffrage pour apprécier une répartition des sièges : s'agissant du redécoupage des circonscriptions législatives en 2009, le Conseil a jugé que « quel que puisse être le caractère discutable des motifs d'intérêt général invoqués pour justifier la délimitation de plusieurs circonscriptions, notamment dans les départements de la Moselle et du Tarn, il n'apparaît pas, compte tenu, d'une part, du progrès réalisé par la délimitation résultant de l'ordonnance du 29 juillet 2009 susvisée et, d'autre part, de la variété et de la complexité des situations locales pouvant donner lieu à des solutions différentes dans le respect de la même règle démographique, que cette délimitation méconnaisse manifestement le principe d'égalité devant le suffrage » 27 ( * ) .

Son contrôle semble néanmoins s'être resserré par rapport à celui que le Conseil avait exercé en 2003 sur la nouvelle répartition des sièges des sénateurs où il avait estimé que l'amélioration de la situation suffisait à écarter la censure « si l'application d'un système de répartition par tranches maintient certaines disparités démographiques, les modifications qui résultent de la loi déférée n'en réduisent pas moins sensiblement les inégalités de représentation antérieures [et], en second lieu, [...] en conservant aux départements de la Creuse et de Paris leur représentation antérieure, le législateur a apporté une dérogation au mode de calcul qu'il avait lui-même retenu ; [...] toutefois, pour regrettable qu'elle soit, cette dérogation, qui intéresse quatre sièges, ne porte pas au principe d'égalité devant le suffrage une atteinte telle qu'elle entacherait d'inconstitutionnalité la loi déférée » 28 ( * ) .


* 15 Le 1° du II de l'article 2 de la loi prévoit que, « sauf exception justifiée par des raisons géographiques ou démographiques, les circonscriptions sont constituées par un territoire continu. Sont entièrement compris dans la même circonscription pour l'élection d'un député d'un département toute commune dont la population est inférieure à 5 000 habitants ainsi que tout canton constitué par un territoire continu, dont la population est inférieure à 40 000 habitants et qui est extérieur aux circonscriptions des villes de Paris, Lyon et Marseille. Est entièrement comprise dans la même circonscription pour l'élection d'un député élu par les Français établis hors de France toute circonscription électorale figurant au tableau n° 2 annexé à l'article 3 de la loi n° 82-471 du 7 juin 1982 relative à l'Assemblée des Français de l'étranger, dès lors que cette circonscription électorale ne comprend pas de territoires très éloignés les uns des autres ».

* 16 Conseil constitutionnel, 8 janvier 2009, n° 2008-573 DC.

* 17 Conseil constitutionnel, 16 mai 2013, n° 2013-667 DC

* 18 Un seul député est élu par les électeurs des deux îles de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin.

* 19 « Aucun impératif d'intérêt général n'impose que toute collectivité d'outre-mer constitue au moins une circonscription électorale [et] il ne peut en aller autrement, si la population de cette collectivité est très faible, qu'en raison de son particulier éloignement d'un département ou d'une collectivité d'outre-mer » (Conseil constitutionnel, 8 janvier 2009, n° 2008-573 DC).

* 20 « Les écarts démographiques importants sont justifiés par la nécessité de constituer deux circonscriptions géographiquement cohérentes sur le continent américain et, en outre, par la difficulté qu'il y aurait à agrandir la onzième circonscription qui regroupe déjà l'Asie centrale et orientale ainsi que le Pacifique et l'Océanie » (Conseil constitutionnel, n° 2010-602 DC du 18 février 2010).

* 21 Conseil constitutionnel, 8 janvier 2009, n° 2008-573 DC.

* 22 Conseil constitutionnel, 16 mai 2013, n° 2013-667 DC.

* 23 Conseil constitutionnel, 9 décembre 2010, n° 2010-618 DC.

* 24 Conseil constitutionnel, 9 décembre 2010, n° 2010-618 DC.

* 25 Conseil constitutionnel, 9 décembre 2010, n° 2010-618 DC.

* 26 Conseil constitutionnel, 18 février 2010, n° 2010-602 DC.

* 27 Conseil constitutionnel, 18 février 2010, n° 2010-602 DC.

* 28 Conseil constitutionnel, 24 juillet 2003, n° 2003-475 DC.

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