D. UN RECUEIL D'OBSERVATIONS EN VUE DE DÉTERMINER LA SUITE DE LA PROCÉDURE

1. La possibilité d'un renvoi, d'une clôture ou d'une poursuite de la procédure

Le troisième paragraphe constitue le coeur du protocole additionnel.

Il concerne le cas où une procédure est engagée auprès d'un juge français par un Marocain ou une personne d'une autre nationalité que française ou marocaine pour des faits commis au Maroc par un Marocain 5 ( * ) . Dans ce cas, selon le premier alinéa, l'autorité judiciaire française doit recueillir dès que possible auprès de l'autorité judiciaire de l'autre partie ses observations ou informations .

La CNCDH et le collectif d'associations entendues par votre rapporteur ont fait valoir que l'hypothèse visée par ce premier alinéa du troisième paragraphe entrait nécessairement dans le champ de la compétence quasi-universelle prévue par les articles 689-1 et suivants du code de procédure pénale sur la base de conventions répressives multilatérales ratifiées par la France (en matière de crimes extrêmement graves tels que les actes de torture, les crimes terroristes ou les disparitions forcées), dès lors que ni la compétence personnelle (liée à la nationalité française de la victime ou de l'auteur des faits) ni la compétence territoriale (liée au fait que les actes punissables auraient été commis en France) ne trouvent à s'appliquer s'agissant de faits commis à l'étranger, par un étranger et sur une victime étrangère.

Or, le deuxième alinéa du même troisième paragraphe prévoit que l'autorité marocaine, une fois informée, « prend toutes les mesures qu'elle juge appropriées y compris le cas échéant l'ouverture d'une procédure » et le troisième alinéa qu' « au vu des éléments ou informations reçues », l'autorité judiciaire française « détermine les suites à donner à la procédure, prioritairement son renvoi à l'autorité judiciaire de l'autre Partie ou sa clôture » .

Dès lors, la combinaison de ces trois alinéas constituerait, d'après le collectif d'associations, une remise en cause de la compétence universelle que la France s'efforce pourtant de promouvoir au sein des instances internationales afin de lutter contre l'impunité des auteurs des faits les plus graves, car elle obligerait le magistrat saisi en France à renvoyer les affaires concernées à la Partie marocaine ou à les clôturer. En outre, inciter au « renvoi »  de l'affaire - ce renvoi constituant selon les associations entendues un dessaisissement sans exemple dans notre droit positif, en tout cas dans le domaine de la coopération judiciaire - équivaudrait, selon elles, à renoncer à l'application effective de la justice en raison d'un risque d'inertie de la justice marocaine dans certaines affaires sensibles.

Votre rapporteur ne partage cependant pas cette appréciation.

En premier lieu, rappelons que la compétence extraterritoriale est réglementée d'une part, par l'article 689 du code de procédure pénale qui prévoit que, de manière générale, « les auteurs ou complices d'infractions commises hors du territoire de la République peuvent être poursuivis et jugés par les juridictions françaises soit lorsque, conformément aux dispositions du livre Ier du code pénal ou d'un autre texte législatif, la loi française est applicable, soit lorsqu'une convention internationale donne compétence aux juridictions françaises pour connaître de l'infraction », d'autre part, par l'article 689-1, qui limite cette compétence aux infractions prévues par certaines conventions internationales énumérées aux articles 689-2 à 689-13 : « En application des conventions internationales visées aux articles suivants, peut être poursuivie et jugée par les juridictions françaises, si elle se trouve en France, toute personne qui s'est rendue coupable hors du territoire de la République de l'une des infractions énumérées par ces articles. (...) ».

Or, le troisième paragraphe de l'article 2 s'applique sans préjudice de ces règles applicables en matière de compétence quasi-universelle . Il organise certes une forme de priorité de l'exercice de la compétence territoriale sur la compétence universelle, mais pas une procédure de subsidiarité obligatoire devant nécessairement aboutir au dessaisissement du juge français et à une renonciation à la mise en oeuvre de la compétence universelle.

En effet, d'une part, ce sera bien le juge qui décidera en dernier ressort s'il va clôturer l'affaire ou la renvoyer à l'autorité judiciaire de l'autre partie . Le protocole ne prévoit aucun automatisme qui obligerait le juge à se dessaisir. Votre rapporteur souhaite tout particulièrement insister sur ce point dans la mesure où la plupart des critiques faites à l'encontre du protocole ne vaudraient que si le magistrat devait automatiquement renvoyer ou clôturer l'affaire . En réalité, sur ce point précis, le protocole n'ajoute rien au droit en vigueur tel qu'il résulte de la convention de 2008. Il constitue plutôt une sorte de guide ou de ligne directrice pour le magistrat qui pourra ainsi aborder de manière plus efficace certaines affaires complexes. En effet, en raison des éléments d'extranéité de la procédure, pour une meilleure administration de la justice, il peut être préférable d'envisager la clôture ou le renvoi. D'ailleurs, il est également précisé qu'« en l'absence de réponse ou en cas d'inertie de l'autre partie, l'autorité judiciaire saisie poursuit la procédure », ce qui confirme la marge de manoeuvre laissée au juge français pour traiter lui-même l'affaire. C'est donc bien au juge saisi et à lui seul qu'il reviendra de décider des suites à donner à la procédure dont il a été saisi, initialement ou a posteriori en l'absence de décision définitive dans l'autre Etat.

En second lieu, le « renvoi » évoqué par le troisième paragraphe ne constitue pas une procédure nouvelle mais consiste en l'application de la procédure de « dénonciation aux fins de poursuite » définie par l'article 23 de la convention de 2008 , comme l'indique d'ailleurs l'étude d'impact. L'article 23 prévoit en effet que, dans cette procédure qui permet au juge français de transférer le traitement d'une affaire à l'autorité judiciaire marocaine, « la Partie requise fera connaître la suite donnée à cette dénonciation et transmettra s'il y a lieu copie de la décision intervenue ». Ainsi, depuis 2000, 133 dénonciations officielles françaises et 24 dénonciations officielles marocaines ont eu lieu .

Ce mécanisme ne constitue en aucun cas un transfert de compétence , puisque l'autorité judiciaire saisie ne renonce pas à l'exercice de son droit de poursuivre. En outre, lorsqu'une dénonciation comporte des difficultés juridiques particulières, le ministère de la justice peut saisir son homologue étranger afin de conditionner la dénonciation officielle à l'obtention de la garantie que les éventuelles peines encourues contraires à l'ordre public français ne seront pas appliquées.

Notons que la Chancellerie réexamine tous les quatre à six mois les procédures faisant l'objet d'une dénonciation officielle . En outre, les autorités de l'Etat requis doivent informer régulièrement les autorités requérantes des suites réservées à leur demande, le ministère de la justice transmettant au parquet qui a effectué la dénonciation officielle les informations ainsi obtenues. L'autorité judiciaire française peut ainsi apprécier les suites qu'elle donnera dans la mesure où elle reste toujours saisie de la procédure. La clôture de la procédure pénale en France n'aura lieu qu'avec l'exécution totale de la peine prononcée à l'étranger ou la prescription de cette peine .

Il convient également de rappeler dans ce cadre que, tant que la procédure n'est pas close, la victime dispose des recours juridictionnels habituels liés à la procédure engagée en France : saisine du juge d'instruction par une plainte avec constitution de partie ou demandes d'acte auprès du juge d'instruction si celui-ci conduit déjà la procédure. En outre, la victime pourra contester devant le Procureur de la République, puis devant le Procureur général, un éventuel classement sans suite. La décision de classement elle-même n'empêche pas la victime de porter plainte avec constitution de partie civile devant le juge d'instruction.

Certes, dès lors qu'une juridiction de l'une des parties aura rendu son jugement, la juridiction de l'autre partie saisie des mêmes faits devra clôturer la procédure en vertu du principe non bis in idem qui interdit la double poursuite et la double condamnation, en France et au Maroc, de la même personne. Toutefois, la Cour de cassation a estimé qu'une juridiction française peut juger des faits pénalement répréhensibles à propos desquels une juridiction étrangère a déjà rendu une décision si elle estime que la décision de justice étrangère ne constitue pas en réalité un jugement définitif des faits 6 ( * ) . La juridiction française initialement saisie pourra ainsi éventuellement toujours reprendre les poursuites afin d'obtenir une bonne administration de la justice.

Ainsi, le protocole instaure un mécanisme visant in fine à améliorer le traitement d'affaires qui comportent des éléments d' « extranéité ». En effet, les procédures menées en France pour des faits commis à l'étranger sont souvent très complexes, notamment parce que les éléments de preuve doivent être recueillis hors du territoire national et nécessitent des demandes d'entraide.

2. Une application aux binationaux

Le quatrième paragraphe constitue un complément du troisième. Il prévoit que celui-ci s'applique « aux individus possédant la nationalité de l'une et l'autre partie ». Cette formulation quelque peu sibylline qui vise des personnes possédant à la fois la nationalité française et la nationalité marocaine a pu être interprétée comme désignant les seuls auteurs des faits ou bien les victimes, ou encore à la fois les auteurs et les victimes. Par ailleurs, les associations entendues et la CNCDH ont estimé qu'il existait un risque d'inégalité de traitement entre Français et Franco-marocains. Votre rapporteur demandera à ce sujet au ministre de confirmer l'interprétation présentée en séance publique à l'Assemblée nationale par Mme Annick Girardin, secrétaire d'État chargée du développement et de la francophonie, qui a déclaré que « le ministre Laurent Fabius l'a dit clairement : le texte s'applique aux binationaux. Si une procédure est engagée en France par un ressortissant marocain, franco-marocain ou d'une nationalité autre que française et marocaine, contre un ressortissant marocain ou franco-marocain pour des faits commis au Maroc, l'autorité judiciaire française recueille dès que possible auprès de l'autorité judiciaire marocaine ses observations ou informations . »

En tout état de cause, il convient ici encore de rappeler que le magistrat conserve son indépendance et que le renvoi ne consiste pas en un dessaisissement ; dès lors, il semble difficile de soutenir que l'application aux binationaux introduirait par elle-même un traitement différencié entre Français et Franco-marocains.

En conclusion, après un examen attentif du texte de cet accord, la commission recommande l'adoption de ce projet de loi, qui permettra d'améliorer la qualité et l'efficacité de la coopération judiciaire entre la France et le Maroc, dans le respect des principes de notre droit et des conventions internationales dont la France est signataire.


* 5 Ou bien le cas où une procédure est engagée auprès d'un juge marocain par un Français pour des faits commis en France par un Français.

* 6 Cass. Crim., 6 décembre 2005, Bull. crim. N° 317.

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