EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

À la demande du Gouvernement, la proposition de loi, présentée par M. Jean-Pierre Sueur et ses collègues du groupe socialiste et républicain, sera examinée en séance publique le 5 novembre 2015.

Selon la volonté affichée par notre collègue dès l'exposé des motifs, ce texte vise à corriger une malfaçon législative issue de l'article 16 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique . Cette loi a été examinée dans des conditions d'urgence inédites puisque transmise, en première lecture, au Sénat le 26 juin 2013, elle a été adoptée, après modifications, le 15 juillet suivant. Après l'échec de la commission mixte paritaire, elle était examinée, en nouvelle lecture, par notre assemblée le 24 juillet 2015 en commission et le lendemain en séance publique, soit deux jours après l'examen du texte en séance publique à l'Assemblée nationale.

À l'initiative des députés, l'Assemblée nationale a introduit, au stade de la première lecture, des dispositions relatives au financement de la vie politique dont le Sénat s'est trouvé saisi. La section 3 du chapitre I er de la loi du 11 octobre 2013 modifie donc la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique dont le titre III fixe le cadre juridique des partis politiques et de leur financement.

Depuis 1988, les partis politiques bénéficient en France d'une aide publique constituée, depuis 1990, de deux fractions.

La première fraction, calculée pour la durée de la législature, revient aux partis politiques ayant réuni un électorat suffisant lors des précédentes élections législatives autour de leurs candidats : au moins 1 % des suffrages exprimés dans au moins cinquante circonscriptions en métropole ou à l'étranger ou au moins 1 % des suffrages exprimés pour chaque candidat présenté dans une ou plusieurs circonscriptions situées outre-mer. Ce montant est, en principe, proportionnel au nombre de suffrages obtenus par les partis politiques concernés au premier tour des élections législatives générales. Cependant, pour favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux, ce montant est d'autant plus réduit que l'écart entre candidats de chaque sexe est important 1 ( * ) .

La seconde fraction repose sur le nombre de parlementaires qui déclarent s'inscrire ou se rattacher pour l'année au parti politique de leur choix bénéficiant de la première fraction. Avec l'article 14 de la loi du 11 octobre 2013, le choix d'une inscription ou d'un rattachement à un parti politique ultramarin est désormais réservé aux parlementaires qui sont élus dans une circonscription située outre-mer.

Les partis politiques peuvent également bénéficier d'un financement privé . Cependant, compte tenu du financement public, le juge constitutionnel a admis des limitations législatives à cette possibilité. Ainsi, sont interdits les dons financiers ou en nature provenant :

- d'une personne morale (État, collectivité territoriale, association, société, etc.), à l'exception des autres partis politiques 2 ( * ) ;

- d'une personne physique si le montant des dons cumulés excède 7 500 euros par an, à l'exception des « cotisations versées par les titulaires de mandats électifs nationaux ou locaux ».

L'article 15 de la loi du 11 octobre 2013 a modifié la prise en compte de ce plafond. Auparavant, chaque personne physique pouvait consentir un don maximal de 7 500 euros à chaque parti politique. Cette règle connaissait un contournement puisqu'un individu pouvait donner la somme maximale à plusieurs partis politiques chaque année, y compris des « micro-partis », qui pouvaient reverser à l'un d'entre eux ou à un parti tiers la somme ainsi collectée. Aussi le législateur a-t-il décidé que ce plafond ne s'appréciait plus par parti politique mais par donateur, quel que soit le nombre de partis bénéficiant d'un don de cette personne.

Cette modification introduite par l'Assemblée nationale en première lecture a été approuvée par le Sénat. En séance publique, par le dépôt d'un amendement, notre collègue Jean-Yves Leconte a soulevé la question de l'inadaptation de la sanction pénale attachée à la violation de cette règle du fait de sa modification. En effet, auparavant, était puni de 3 750 euros d'amende et d'un an d'emprisonnement, au même titre que le donateur, tout parti politique qui acceptait un don d'une personne physique en méconnaissance du plafond fixé par la loi. Cette infraction n'était plus envisageable en l'état car autant un parti politique savait qu'il méconnaissait la loi en acceptant un don supérieur à 7 500 euros, autant il n'était désormais plus capable de savoir si la personne physique avait déjà versé des dons, au cours de l'année, à d'autres partis politiques, la conduisant à dépasser le plafond légal. Par exemple, un parti politique aurait pu accepter en toute bonne foi le don de 2 000 euros d'une personne physique alors qu'il était illégal en raison d'un don concomitant de la même personne à un autre parti politique de 6 000 euros, don dont le second parti politique n'a pas les moyens d'avoir connaissance afin de le refuser. Seul pouvait donc rester sanctionné le fait de bénéficier du don d'une même personne physique au-delà du montant maximal car le parti politique ne pouvait alors ignorer que l'infraction était constituée.

En conséquence, l'article 16 de la loi du 11 octobre 2013 a été inséré par le Sénat, en première lecture, par un amendement défendu par notre collègue Jean-Pierre Sueur, alors rapporteur au nom de votre commission des lois, qui avait repris en séance publique cet amendement non défendu par son auteur. Adoptée par le Sénat avec l'avis favorable du Gouvernement, cette disposition a été maintenue, sous réserve de simples précisions rédactionnelles de son rapporteur, notre collègue député Jean-Jacques Urvoas, par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture. La nouvelle rédaction de l'article 11-5 de la loi du 11 mars 1988 est entrée en vigueur le 13 octobre 2013.

Cette rédaction malencontreuse de l'amendement et de la disposition qui en est issue en 2013 a permis un raisonnement a contrario qui empêche toute poursuite pénale en cas de violation de cette règle. Lorsque les dirigeants d'un parti politique ont été poursuivis en juin 2015 au chef de financement illégal de ce parti par une personne morale, sur le fondement de l'article 11-5 de la loi du 11 mars 1988, ces derniers ont relevé que la nouvelle rédaction de la disposition ne pénalisait pas le financement d'un parti politique par une personne morale puisqu'entrait dans les prévisions de cet article le seul financement illégal par une personne physique.

Si le financement d'un parti politique par une personne morale reste illégal en application de l'article 11-4 de la loi du 11 mars 1988, l'interprétation stricte de la loi pénale empêche d'incriminer ceux qui effectuent ou reçoivent un tel don.

Avec son article unique, la proposition de loi dont est saisie votre commission propose justement de redéfinir l'infraction, sans modifier les peines encourues de telle sorte que soit passible de ces sanctions le don d'une personne morale au même titre que le don d'une personne physique au-delà du plafond légal.

Toutefois, le principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère, affirmé par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, fait obstacle à l'engagement de poursuites pénales pour des faits commis entre le 13 octobre 2013 et la date d'entrée en vigueur de la présente proposition de loi.

Votre commission a estimé que cette disposition visait à rétablir le périmètre de l'infraction que le législateur n'avait pas voulu modifier sur ce point en 2013 mais que la rédaction qu'il avait adoptée avait eu pour effet de restreindre. Sur proposition de son rapporteur, votre commission a néanmoins adopté un amendement COM-2 proposant une rédaction alternative de l' article unique mais poursuivant la même finalité. Cette rédaction s'inspire fortement de celle de l'article 36 de la loi n° 2015-993 du 17 août 2015 portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne que le Conseil constitutionnel a censuré au motif qu'elle n'avait pas de lien avec le texte en discussion 3 ( * ) .

D'une part, cette rédaction lève toute ambiguïté en précisant que la sanction pénale s'attache au financement par une personne morale d'un ou plusieurs partis politiques. D'autre part, elle distingue spécifiquement le don par une personne morale et celui par un État étranger ou une personne morale de droit étranger, interdit respectivement par le troisième alinéa et le sixième alinéa de l'article 11-4 de la loi du 11 mars 1988. Enfin, elle supprime une mention superfétatoire selon laquelle peut être encourue de manière cumulative ou alternative la peine d'amende ou la peine d'emprisonnement, sachant que cette faculté relève, en tout état de cause, du pouvoir d'appréciation du juge pénal.

Votre commission a également adopté un amendement COM-3 présenté par son rapporteur, introduisant un article 2 , pour assurer l'application de cette modification sur l'ensemble du territoire national, comme l'avait été la modification précédente de l'article 11-5 de la loi du 11 mars 1988 par l'article 35 de la loi du 11 octobre 2013.

*

* *

Votre commission des lois a adopté la proposition de loi ainsi modifiée.


* 1 En application de l'article 9-1 de la loi du 11 mars 1988, le montant de la première fraction est réduit à hauteur d'un pourcentage égal aux trois quarts de l'écart constaté entre candidats masculins et féminins rapporté au nombre total de ces candidats, dès lors que cet écart est supérieur à 2 % du nombre total de ces candidats.

* 2 En 1988, la loi n'a pas interdit les dons des personnes morales aux partis politiques mais en a plafonné le montant puis les a assortis d'un avantage fiscal dès 1990 et a obligé leur publicité à partir de 1993 avant qu'en 1995, le principe d'interdiction soit finalement retenu par le Parlement.

* 3 Conseil constitutionnel, 13 août 2015, n° 2015-719 DC.

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