CHAPITRE II - FACILITER L'ACCÈS À LA JUSTICE

Article 2 (art. L. 123-3 [nouveau] du code de l'organisation judiciaire) - Création d'un service d'accès unique du justiciable

Le présent article vise à créer, dans chaque juridiction, un service d'accueil, le « service d'accès unique du justiciable » (SAUJ), capable de renseigner le justiciable sur sa procédure et de recevoir les actes que ce dernier lui remettrait, même s'ils sont relatifs à une procédure devant une autre juridiction.

• Une idée ancienne, dont la pertinence est avérée, mais dont la réalisation se heurte à de réelles difficultés pratiques

Cet article donne corps à une idée ancienne, énoncée pour la première fois voici près de vingt ans dans le rapport du groupe d'études présidé par le premier président de la cour d'appel d'Orléans, M. Francis Casorla 16 ( * ) , puis reprise successivement par le rapport de la commission présidée par le doyen Serge Guinchard 17 ( * ) , par le rapport de votre rapporteur et de notre ancienne collègue Virginie Klès sur la justice de première instance 18 ( * ) et, enfin, par le rapport du groupe de travail présidé par M. Didier Marshall 19 ( * ) : celle du guichet unique de greffe, aussi dénommé guichet universel de greffe.

Pour ses auteurs, « le principe même du guichet unique de greffe implique qu'il puisse devenir effectivement un point unifié d'entrée dans le système judiciaire pour l'accomplissement de certaines formalités administratives ou judiciaires même si le contentieux n'est pas jugé sur le lieu où est physiquement implanté ce guichet » 20 ( * ) . L'intérêt, pour le justiciable est évident : il peut ainsi suivre la procédure en se rendant auprès de la juridiction la plus proche de son domicile. L'accès à la justice s'en trouve facilité.

La concrétisation de ce dispositif s'est néanmoins heurtée à plusieurs difficultés, ce qui explique que, jusqu'à présent, les guichets universels de greffe mis en place, n'aient rien de commun avec le projet initial 21 ( * ) .

Les premières difficultés sont d'ordre législatif : l'article L. 123-1 du code de l'organisation judiciaire assigne un greffe composé de fonctionnaires d'État à chaque juridiction judiciaire, de la Cour de cassation aux juridictions de proximité, en passant par les conseils de prud'hommes,. Ce faisant, comme le Conseil d'État l'a lui-même relevé dans son avis sur le présent article, le greffe d'une juridiction n'est juridiquement pas compétent pour intervenir sur des actes ou des procédures suivis par le greffe d'une autre juridiction.

D'autres difficultés sont d'ordre organisationnel : le personnel affecté à ces guichets universels doit maîtriser l'ensemble des procédures, ce qui suppose un effort supplémentaire de formation continue. Il convient en outre de renforcer l'effectif de ces services d'accueil, puisque ceux-ci doivent traiter non seulement le contentieux propre à la juridiction mais celui d'autres tribunaux.

Enfin le principal obstacle est d'ordre informatique. En effet, longtemps, l'organisation informatique des juridictions a été telle que chaque juridiction était close sur elle-même et qu'il n'était pas possible pour le greffe d'une juridiction donnée d'accéder à distance aux traitements informatiques du greffe d'une autre juridiction.

Le projet Cassiopée a permis de concevoir un outil commun à toutes les juridictions pénales, rendant possibles ces accès à distance. Mais il n'existe pas, à l'heure actuelle, un dispositif semblable pour les procédures civiles. Le ministère de la justice a certes mis en place un ambitieux projet, « Portalis », destiné à créer une chaîne applicative civile unique, mais celui-ci débute à peine et ne devrait remplacer les applications informatiques existantes qu'en 2021.

• Le dispositif proposé par le Gouvernement

Le présent article vise à lever la première des trois difficultés signalées, celle relative à la compétence territoriale limitée des greffes des juridictions.

Un nouvel article L. 123-3 serait ajouté au chapitre dédié aux dispositions générales relatives aux greffes du code de l'organisation judiciaire, qui définirait la double mission du service d'accueil unique du justiciable - informer les personnes sur les procédures et recevoir de leur part des actes afférents à celles-ci - et qui préciserait que sa compétence s'étend au-delà de celle de la juridiction où il est implanté.

Les conditions d'accès à l'application pénale Cassiopée étant définies à l'article 48-1 du code de procédure pénale, il est nécessaire de les modifier afin d'autoriser les agents du SAUJ à y accéder. Le deuxième paragraphe du présent article y pourvoit, en y attachant deux garanties.

La première tient au fait que cet accès est limité aux seuls besoins de fonctionnement du service d'accès unique, c'est-à-dire l'information du mis en cause ou de la victime sur le déroulement de la procédure et la réception puis la transmission d'un acte donné à la juridiction compétente. Il n'est notamment pas prévu que le greffier du SAUJ puisse enregistrer de nouvelles informations ou modifier les informations existantes. En effet, conformément au neuvième alinéa de l'article 48-1, cet enregistrement ou cette modification ne peuvent être effectués que sous la responsabilité du procureur de la République ou du magistrat du siège de la seule juridiction compétente.

La seconde garantie, ajoutée à la demande du Conseil d'État, consiste à prévoir une habilitation spéciale des agents du SAUJ susceptibles de consulter Cassiopée .

Enfin, le dernier paragraphe de l'article étend la compétence du SAUJ à la réception des demandes d'aide juridictionnelle, qui, en principe, doivent être adressées au bureau d'admission à l'aide juridictionnelle (BAJ) compétent. Ces bureaux étant installés au siège du tribunal de grande instance, la modification proposée permettra au justiciable qui souhaiterait déposer physiquement sa demande plutôt que de l'envoyer par courrier, de se rendre au SAUJ de la juridiction la plus proche de son domicile.

• La position de votre commission

Votre rapporteur salue la mesure proposée, qu'il avait lui-même appelée de ses voeux dans son rapport d'information précité. Le service d'accès unique simplifiera la vie du justiciable et permettra, dans certains cas, de compenser l'éloignement de certaines juridictions.

Le présent article ne lève cependant qu'un seul des trois obstacles au succès de cette réforme, l'obstacle juridique.

Le Gouvernement est conscient des deux autres difficultés, organisationnelles et informatiques. Il a engagé l'effort nécessaire pour, d'une part, former le personnel des greffes aux nouvelles exigences du SAUJ et renforcer les effectifs de greffiers, et, d'autre part, faire aboutir le programme Portalis . Il a par ailleurs lancé plusieurs expérimentations limitées pour tester le dispositif du SAUJ.

Inévitablement, au début, la charge de travail sera bien supérieure, comme l'ont confirmé les représentants des greffiers et des magistrats entendus par votre rapporteur : faute d'une application informatique opérationnelle, il faudra téléphoner au greffe de la juridiction éloignée pour informer le justiciable. Cette difficulté passagère pèse toutefois peu par rapport au bénéfice social attendu de la réforme.

L'étude d'impact évalue à quatre-vingts emplois de greffiers le renforcement des effectifs rendu nécessaire par la généralisation de la réforme.

Ces emplois supplémentaires seront pourvus par les voies classiques du redéploiement et des créations de postes. Or, une autre voie serait envisageable : celle de la mutualisation des greffes.

Le rapport d'information de votre commission sur la justice de première instance avait d'ailleurs lié la réforme du guichet universel de greffe et celle de la mutualisation des greffes, qui devait permettre au chef de juridiction de redéployer au sein du ressort du tribunal de grande instance les effectifs de greffe, afin, notamment, de renforcer les guichets universels les plus sollicités 22 ( * ) .

Votre commission a suivi cette recommandation et adopté un amendement de son rapporteur créant un article additionnel après l'article 13, organisant cette mutualisation en offrant aux greffiers et aux fonctionnaires des garanties quant à la localisation de leur emploi 23 ( * ) .

Outre deux amendements rédactionnels ( COM-21 et COM-109 ), elle a adopté un amendement ( COM-1 ) de notre collègue Jacques Bigot et des membres du groupe socialiste et républicain, remplaçant la mention erronée à la compétence dont disposerait le SAUJ par celle selon laquelle sa mission n'est pas limitée à la compétence de la juridiction dans laquelle il est implanté.

Votre commission a adopté l'article 2 ainsi modifié .


* 16 Rapport au garde des sceaux du groupe d'études et de réflexion sur l'amélioration de l'accès à la justice par la mise en place d'un guichet unique de greffe et la simplification des juridictions de première instance, présidé par M. Francis Casorla , 1997, dit « rapport Casorla », p. 68.

* 17 L'ambition raisonnée d'une justice apaisée, rapport au garde des sceaux de la commission sur la répartition des contentieux présidée par Serge Guinchard, La documentation française , 2008, p. 183.

* 18 Pour une réforme pragmatique de la justice de première instance , Rapport d'information n° 54 (2013-2014) de Mme Virginie Klès et M. Yves Détraigne, fait au nom de la commission des lois, 9 octobre 2013, p. 45 et s. (http://www.senat.fr/rap/r13-054/r13-054.html).

* 19 Les juridictions du XXI ème siècle, précité, p. 29.

* 20 Rapport Casorla, p. 68.

* 21 Comme votre rapporteur avait pu le constater dans son rapport précité sur la justice de première instance, « dans l'immense majorité des cas (93 sur 99), le guichet unique est implanté dans un palais de justice qui réunit en son sein une ou plusieurs juridictions, et qu'il n'est compétent que pour traiter leur contentieux. S'il facilite l'accueil, il n'offre aucun bénéfice supplémentaire en termes de proximité. Ainsi, il n'existe pas de guichet unique de greffe déconcentré : on ne peut, en se présentant au greffe d'un tribunal d'instance d'une autre commune du ressort, déposer une requête destinée au tribunal de grande instance de la ville centre » ( Pour une réforme pragmatique de la justice de première instance , ibid ).

* 22 Pour une réforme pragmatique de la justice de première instance , rapport d'information précité, p. 48.

* 23 Cf. infra , commentaire de l'article 13 bis .

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