TRAVAUX DE LA COMMISSION

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Audition de MM. Gérard Rivière, président et Pierre Mayeur, directeur, de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav)

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Réunie le mercredi 14 octobre 2015, sous la présidence de M. Alain Milon, président, la commission procède à l'audition de MM. Gérard Rivière, président et Pierre Mayeur, directeur, de la Caisse nationale d'assurance vieillesse sur le projet de loi n° 128 de financement de la sécurité sociale pour 2016.

M. Alain Milon , président . - Nous accueillons Gérard Rivière, président du conseil d'administration, et Pierre Mayeur, directeur, de la caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav) afin qu'ils nous présentent la situation générale de la branche vieillesse, qu'ils précisent les enjeux de gestion auxquels elle est confrontée et qu'ils répondent aux questions de notre rapporteur Gérard Roche et de tous ceux qui souhaiteraient les interroger.

M. Gérard Rivière, président du conseil d'administration de la Cnav . - La première actualité de la branche vieillesse est son retour à l'équilibre, annoncé pour 2016, avec un excédent de 0,4 milliard d'euros. C'est la première fois depuis 2004, et il y a lieu de s'en réjouir.

Toutefois, structurellement, les dépenses du régime général évoluent à un rythme plus rapide que celui des recettes en raison du « papy boom », qui a débuté en 2005 et devrait s'achever vers 2035. Les dernières réformes ont eu pour effet de limiter l'accroissement des dépenses, par le recul de l'âge légal de départ à la retraite et par le décalage puis l'absence de revalorisation des pensions. Dans le même temps, les recettes ont fortement progressé grâce au décret du 2 juillet 2012 et à la loi du 20 janvier 2014, qui ont apporté un surcroit de cotisations à la branche qui s'élève à 6 milliards d'euros en 2016. Le recul des bornes d'âge, issu de la réforme de 2010, générera pour cette même année une économie de 5 milliards d'euros.

De 2014 à 2017, l'augmentation des recettes sera, pour la première fois depuis fort longtemps, plus forte que celle des dépenses, ce qui permet le retour à l'équilibre. Sur les années 2016-2018, l'excédent pourrait atteindre 1,2 milliard d'euros, avant de basculer à nouveau dans le rouge en 2019. Cela ne permet pas de reconstituer des réserves pour le futur.

La situation du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) vient nuancer cette situation. Certains ont affirmé que le déficit de la Cnav lui aurait été transféré. Je ne partage pas ce point de vue. Le FSV découle d'une autre logique que celle mise en oeuvre par la Cnav. Son déficit est conjoncturel, lié à l'effet de ciseaux de la persistance du sous-emploi, qui diminue les recettes du FSV tout en augmentant ses dépenses, liées à la prise en charge de la validation des périodes de chômage. Tant que la situation de l'emploi ne s'améliorera pas, et à défaut d'affectation de ressources nouvelles, le FSV demeurera durablement en déficit.

M. Pierre Mayeur, directeur de la Cnav . - La Cnav est confontée à plusieurs chantiers de simplification et de modernisation. Tout d'abord, le groupement d'intérêt public (GIP) Union retraite, créé par la loi du 20 janvier 2014, est chargé de coordonner l'action des régimes pour essayer de gommer les conséquences de la complexité de notre système et d'améliorer la satisfaction des usagers. La convention d'objectifs qui le lie à l'Etat a été signée en février 2015, et il mène depuis une action volontariste, avec notamment la mise en place d'un portail interrégime, qui devrait voir le jour dans le courant de l'année 2016, et celle du répertoire général des carrières uniques, qui sera commun à l'ensemble des régimes.

La loi du 20 janvier 2014 a également prévu la liquidation unique des pensions dues par le régime général et les régimes alignés. Il n'y aura désormais plus qu'une seule pension pour les personnes ayant été affiliées, au cours de leur carrière, au régime général, au régime social des indépendants (RSI) ou à celui des salariés agricoles géré par la mutualité sociale agricole (MSA). Au 1 er janvier 2017, il appartiendra au dernier régime d'affiliation de calculer et de liquider la pension du titulaire. Cette réforme très importante va diminuer de manière significative le nombre de polypensionnés. Les systèmes d'information doivent être prêts à partir du 1 er juillet 2016 : c'est un calendrier nécessairement tendu, mais plusieurs étapes ont déjà été franchies avec succès.

Par ailleurs, à la suite de difficultés rencontrées dans les caisses Nord-Picardie et Languedoc-Roussillon du régime général, le Gouvernement a institué une garantie de versement de leur pension de retraite aux personnes ayant déposé, au moins quatre mois avant leur départ à la retraite, leur dossier complet auprès de leur caisse. Il s'agit d'un filet de sécurité supplémentaire pour l'ensemble des assurés. Entrée en vigueur le 1 er septembre dernier, elle devrait voir ses premières applications au début de l'année 2016.

Enfin, une revalorisation des pensions de 0,1 % a eu lieu au 1 er octobre. Cela concerne 13,8 millions de personnes, qui en verront la traduction dans les pensions qui seront versées le 9 novembre prochain.

M. Gérard Rivière, président du conseil d'administration de la Cnav . - Je me félicite de la deuxième lecture prochaine au Sénat du projet de loi relatif à l'adaptation de la société au vieillissement. Dans l'attente de l'adoption définitive de ce texte, la ministre Laurence Rossignol a mis en place à titre expérimental des conférences des financeurs auxquelles la Cnav, au titre de l'action sociale interrégime, participe avec le RSI et la MSA. C'est un succès incontestable. Désormais, une véritable démarche interrégime d'accompagnement du vieillissement a été instituée puisque le partenariat Cnav-RSI-MSA a été étendu à la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) par un amendement adopté en deuxième lecture à l'Assemblée nationale.

En 2015, la Cnav et la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) ont renouvelé le plan d'investissement en faveur de la modernisation du logement intermédiaire qu'elles avaient établi en 2014, doté de 10 millions d'euros pour chacune de ces deux années. Il faut savoir que la demande des porteurs de projets s'élève à 110 millions d'euros.

Enfin, je dois vous informer que le conseil d'administration de la Cnav a rendu un avis négatif sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2016 par 21 voix contre, 6 pour, une abstention et une prise d'acte.

M. Gérard Roche, rapporteur pour la branche vieillesse . - Je veux tout d'abord évoquer les perspectives financières du régime général au-delà de 2019. Le solde de la branche sera en léger excédent entre 2016 et 2018, avant de retomber en déficit, ce que corroborent d'ailleurs les prévisions du Conseil d'orientation des retraites (COR). Comme chaque année, je regrette que les comptes du FSV ne soient pas plus explicitement intégrés dans le solde général de la branche vieillesse, ce qui peut donner l'image de comptes insincères. Le déficit du FSV, qui s'élève en 2014 à 3,5 milliards d'euros, est directement corrélé à la conjoncture économique et à la montée du chômage, entraînant l'effet ciseaux que vous avez parfaitement décrit. Je tiens d'ailleurs à souligner qu'au-delà du retour à l'équilibre du FSV, il ne faut pas trop attendre de la baisse du chômage sur l'équilibre de long terme du système de retraite. Les travaux du COR montrent en effet que le maintien d'un chômage à 10 % ne modifie qu'à la marge les trajectoires du solde financier du système des retraites dans les différents scénarios économiques étudiés. Il faut cependant être vigilant sur la persistance du déficit du FSV et sur la dégradation du solde du régime général à partir de 2019.

Je souhaiterais vous interroger plus spécifiquement sur deux sujets. Tout d'abord sur l'intégration du RSI et du FSV à la Cnav. Quel bilan tirez-vous de l'intégration financière du RSI et quelles sont les répercussions sur les comptes du régime général ? De même, comment préparez-vous l'intégration administrative du FSV prévue par le décret du 7 octobre dernier ? La caisse souhaitait-elle ces rapprochements ?

Je vous soumets également quelques questions sur la mise en oeuvre du compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P) et du compte personnel d'activité (CPA). La Cnav est l'opérateur de gestion du C3P en partenariat avec la MSA. Comment s'est déroulée concrètement la mise en oeuvre de ce nouveau dispositif au sein de votre caisse ? Pensez-vous que la future intégration du C3P dans la CPA posera des difficultés particulières ?

Enfin, en lien avec vos propos sur l'action sociale de la Cnav, en particulier en faveur de l'autonomie, je conclurai en évoquant la deuxième lecture du projet de loi sur l'adaptation de la société au vieillissement dont je suis le co-rapporteur. Nous avions insisté avec George Labazée pour que les organismes de protection sociale soient présents autour de la table de la conférence des financeurs et je me réjouis que la Cnav soit pleinement partie prenante des expérimentations opérées dans certains départements. Nous insisterons pour que cette conférence ne soit ouverte qu'aux seuls financeurs de la politique de prévention de la perte d'autonomie, les conseils départementaux de la citoyenneté et de l'autonomie devant être les instances de dialogue avec les usagers.

Alors que l'Assemblée nationale a repris la majeure partie des améliorations du texte adoptées au Sénat, il demeure un vrai point de désaccord sur le ciblage du produit de la contribution additionnelle de solidarité à l'autonomie (Casa) au sein du budget de la CNSA. Nous souhaitons que les parts du produit de la Casa consacrées au financement des conférences des financeurs, à la diminution du reste à charge pour les familles ou encore à la formation des bénévoles soient fixées directement dans la loi et non par le pouvoir réglementaire. Une révision régulière de ces taux pourrait intervenir, au besoin, à l'occasion de la discussion d'un projet de loi ordinaire ou de financement de la sécurité sociale, ce qui permettrait au Parlement d'avoir un pouvoir de contrôle sur le budget de la CNSA.

M. Gérard Rivière, président du conseil d'administration de la Cnav . - La Cnav n'a été consultée ni sur l'intégration financière du RSI, ni sur la mesure concernant le FSV. Pour ma part, j'ai appris l'intégration financière du RSI lors de la commission des comptes de la sécurité sociale. Cela dénote un manque de préparation.

L'inquiétude du conseil d'administration sur cette intégration financière est vive. Elle s'accompagne d'un transfert de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), qui doit disparaître en 2017. Qu'en sera-t-il ensuite ? Faudra-t-il s'assurer chaque année, lors de la présentation du PLFSS, qu'une recette ou qu'un panier de recettes nous aura bien été affecté ?

Sur le FSV, la consultation du conseil d'administration sur le projet de décret a abouti à un avis très largement négatif, avec une cohésion peu courante de l'ensemble des représentants des partenaires sociaux sur ce point. Nous nous étions félicités de sa création : il visait à faire financer par la solidarité nationale les périodes non-contributives, qui avant 1994 étaient prises en charge par les régimes. Les difficultés persistantes du FSV pourraient conduire à son rapprochement avec la Cnav, ce qui est l'objet de ce décret, voire à des comptes combinés, puis une intégration financière et, au final, à sa disparition si la situation financière de la Cnav s'améliorait durablement. Il est évident que son déficit de 3,5 milliards d'euros, ce qui représente plus de 20 % de ses engagements de dépense, n'aurait pas le même impact sur les comptes de la Cnav. Je suis avant tout inquiet de la confusion des missions suscitée par ces hypothèses, entre celles relevant de la contributivité, financées par des cotisations assises sur la masse salariale, et celles relevant de la solidarité nationale, qui ne sont pas de la compétence de la Cnav.

M. Pierre Mayeur, directeur de la Cnav . - L'intégration financière du RSI a été décidée par la loi du 8 août 2014 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014, qui prévoit qu'une partie de la C3S est affectée à la Cnav en compensation du transfert que celle-ci verse au RSI, qui est de l'ordre d'un milliard d'euros. En raison des modifications de la C3S prévues dans les années à venir, cette part diminuera en 2016. En contrepartie, la Cnav bénéficiera d'une fraction supplémentaire de la taxe sur les salaires - la part de la Cnav passant de 53,5 % à 61,1 % - et du forfait social : c'est ce que prévoit l'article 14 du PLFSS.

Quant à l'intégration financière en tant que telle, deux conventions ont été signées, une première avec la caisse nationale du RSI, l'agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) et la caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) pour organiser les modalités de versement de la C3S par le RSI aux organismes du régime général, et une seconde le 24 juillet 2015 avec l'Acoss fixant nos relations financières au titre de la dotation d'équilibre et des flux centralisés. Les conditions sont tout à fait satisfaisantes.

J'en viens au C3P. La Cnav en est l'opérateur, mais pas en tant que branche retraite du régime général. Une séparation étanche a donc été mise en place, aussi bien en ce qui concerne le budget que les personnels qui sont affectés à cette mission. Il s'agit d'un chantier qui est toujours en cours, notamment en matière de systèmes d'information. Une plateforme d'accueil et d'assistance téléphonique, que nous avons dans un souci d'aménagement du territoire décidé d'installer à Limoges, a été inaugurée le 3 novembre 2014. Nous sommes actuellement en train de recruter des gestionnaires de comptes ainsi que des conseillers enquêteurs, qui seront chargés de réagir aux signalements des salariés estimant que la façon dont ils ont été déclarés par leur employeur est erronée. C'est la caisse de Rennes qui centralisera, au titre de la Cnav, la gestion des comptes. L'alimentation de ceux-ci débutera dans le courant de l'année 2016 sur la base des déclarations annuelles des données sociales (DADS) concernant les quatre premiers facteurs de pénibilité, les six autres n'entrant en vigueur qu'au 1 er juillet 2016. La gestion administrative et budgétaire est clairement distincte de celle de la branche retraite, et nous sommes en mesure de savoir précisément ce qui a été dépensé pour la mise en place du C3P.

Mme Nicole Bricq . - Je souhaiterais parler de l'avenir. Les mesures de 2010 ont apporté des gains provisoires. Qu'en est-il dans la durée ? Quel regard portez-vous sur les négociations entre les partenaires sociaux sur l'avenir des régimes de retraite complémentaire ? Quel serait l'impact des mesures d'âge envisagées sur le régime général ?

Sur le CPA, vous avez été auditionné par France Stratégie, qui a récemment remis un rapport sur le sujet. Une loi préparée par la ministre du travail devrait venir en préciser le contenu. Vous y préparez-vous, alors qu'il est envisagé que les droits à la retraite soient inscrits dans ce dispositif et qu'il aura un impact certain sur les politiques de protection sociale ?

Mme Isabelle Debré . - Comment pourrait-on améliorer, voire même uniformiser, le système de liquidation des pensions de retraite des polypensionnés ainsi que le rythme de versement des pensions, qui peut être mensuel, trimestriel voire même annuel ? Les difficultés que cette hétérogénéité représente pour nos concitoyens sont réelles : certains d'entre eux ne peuvent pas faire face à leurs échéances pour cette raison. Pourquoi y-a-t-il un tel cloisonnement ? Cette question était déjà soulevée lorsque je siégeais au COR.

M. Gérard Rivière, président du conseil d'administration de la Cnav . - Je regarde évidemment l'évolution de la négociation Agirc-Arrco avec attention, mais il ne m'appartient pas de prendre position ou de me prononcer sur le fond. Il en va de la responsabilité des partenaires sociaux, qui par le passé ont su prendre des décisions courageuses. J'espère que le bon sens l'emportera et qu'un accord sera trouvé. Il ne faut toutefois pas se laisser abuser par la presse : ces régimes sont certes en déséquilibre, mais ne sont pas au bord de l'explosion financière. Ils disposent de réserves, et sont en mesure de verser les pensions en 2016.

Si un accord introduisait des abattements avant un autre âge de départ à la retraite que celui fixé par la loi, cela relèverait de la responsabilité des signataires mais n'aurait aucune répercussion immédiate sur la Cnav. La question de leur éventuelle transposition au régime général relèverait en tout état de cause du législateur.

Toutefois, ce ne serait sans doute pas une mesure à effet immédiat, mais dont l'entrée en vigueur serait différée dans le temps. En conséquence, elle créerait un appel d'air et provoquerait des départs massifs à la retraite de salariés qui, pour diverses raisons, ont fait le choix de ne pas liquider leur pension alors que leurs droits pourraient être ouverts.

Des progrès ont été réalisés pour améliorer la fluidité de la liquidation des pensions des polypensionnés grâce à la loi du 20 janvier 2014. La création du GIP Union retraite ou la liquidation unique pour le régime général et les régimes alignés au 1 er janvier 2017 en font partie. A cette date, nous serons capables de liquider en une fois les pensions des ressortissants ayant cotisé au régime général, à la MSA salariés ou au RSI. Il n'y aura plus qu'un interlocuteur, un seul calcul de pension et une seule carrière. Cela est rendu possible car ce sont des régimes alignés, à la réglementation identique au regard du code de la sécurité sociale. Pour les autres régimes, les conditions d'âge ou de calcul de pension varient. Il n'est pas possible d'aller au-delà de ce qui existe aujourd'hui, si ce n'est en développant l'information des cotisants, à travers notamment les différents portails qui existent. Dès l'an prochain, un simulateur permettra de calculer une pension à partir de carrières-types. A l'horizon 2020, il sera plus performant et il devrait être possible de calculer les pensions futures pour l'ensemble des régimes.

Enfin, sur le rythme de paiement des pensions, la mensualisation adoptée par l'Agirc-Arrco l'an dernier règle les principales difficultés. Pour les autres régimes, le choix de la trimestrialisation ou de l'annualisation relève de la responsabilité de chaque gestionnaire.

M. Pierre Mayeur, directeur général de la Cnav . - Le CPA ne peut que susciter notre intérêt. La Cnav a déjà joué un rôle très important dans le système des données sociales avec la DADS et la mise en place de la déclaration sociale nominative (DSN). Notre système national de gestion des carrières a été utilisé pour mettre en place le droit à l'information interrégime. La Cnav porte la mémoire de la carrière de la majorité des actifs. La transformation de la base « carrières » du régime général en répertoire des carrières unique vise à créer la grammaire commune des régimes de retraite et, au-delà, de l'ensemble des organismes de protection sociale.

Le rapport de France Stratégie ne donne aucune indication sur l'opérateur du CPA. La Caisse des dépôts et consignation, qui gère le compte personnel de formation (CPF), a déjà fait part de son intérêt. Nous serions également légitimes, en tant que gestionnaire du C3P, en coopération avec les acteurs compétents. Il faut, sur ce point, qu'un dialogue s'ouvre.

Les partenaires sociaux doivent négocier, puis un projet de loi doit être examiné par le Parlement. La construction du CPA ne peut être que progressive. Des droits existent déjà dans des bases de données relevant d'opérateurs publics (CPF, C3P). Ce n'est pas le cas de nombreux autres, comme le compte épargne-temps ou l'épargne salariale. De plus, comment construire le système d'acquisition progressive de droits ? Nous n'en sommes qu'au tout début de la réflexion sur le sujet.

Concernant la liquidation des pensions des polypensionnés, il ne faut pas sous-estimer la première étape fondamentale que constitue la liquidation unique pour le régime général et les régimes alignés. Il s'agit de la réaliser dans les délais, alors qu'un récent rapport de deux députés propose de la reporter. A ce stade, nous ne faisons face à aucun obstacle qui nous contraindrait à un tel décalage.

Enfin, ce n'est pas à cause des systèmes d'information ou des gestionnaires que les régimes ne sont pas coordonnés. Leurs règles fondatrices, écrites dans un système juridique et une période historique différents des nôtres, ne l'envisageaient pas. Leur coordination n'était alors pas prévue. Une intervention préalable de l'autorité publique est donc nécessaire pour aller plus loin lorsque les règles sont différentes.

Audition de M. François-Xavier Selleret, directeur général de l'Association générale des institutions de retraite des cadres - Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (Agirc-Arrco)

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M. Jean-Noël Cardoux , président. - Je remercie François-Xavier Selleret d'être venu aussi promptement devant la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) du Sénat pour présenter le contenu de l'accord du 30 octobre 2015 dont l'encre est à peine sèche. Il y a quelque temps encore personne ne croyait en la possibilité de trouver un accord. Il faut donc se féliciter de l'attitude responsable d'une majorité de partenaires sociaux.

La mesure phare de ce texte est l'instauration d'une décote temporaire de 10 % sur la retraite complémentaire, si un salarié décide de partir à la retraite l'année d'obtention de son taux plein pour le régime de base. S'il accepte de reculer d'un an son départ à la retraite, il bénéficiera immédiatement de l'intégralité de sa retraite complémentaire.

Bien sûr, il n'y a pas que cette disposition dans l'accord. La fusion des régimes Agirc-Arrco, à compter de 2019, au sein d'un nouveau régime unifié est un élément structurant qui reprend une recommandation ancienne.

Au total, cet accord est susceptible de ramener le déficit des régimes à 5 milliards d'euros en 2017 et à 2,3 milliards d'euros en 2020.

Est-ce qu'à moyen terme ces mesures suffiront à assurer le financement des régimes de manière pérenne ? Par ailleurs, pensez-vous que cet accord va avoir une influence directe sur l'âge de liquidation de la retraite du régime général ?

M. François-Xavier Selleret, directeur de l'Agirc-Arrco. - Dans la négociation se jouaient deux éléments : l'engagement et la confiance.

L'engagement, c'est celui des partenaires sociaux, acteurs intermédiaires dans un pays qui s'en méfie, à continuer à porter une part de l'intérêt général. En effet, la gestion d'un régime obligatoire de droit commun, que sont les régimes Agirc-Arrco, participe de l'intérêt général. L'enjeu de la négociation était donc de montrer que les partenaires sociaux avaient à coeur de continuer à porter cet intérêt général, sans s'en remettre à la puissance publique.

La confiance ensuite, en particulier envers les jeunes générations qui ont une forte interrogation quant à l'avenir du système de retraite par répartition. L'accord permet de restaurer la confiance, au-delà des simples déclarations d'intentions.

Cet accord est une bonne nouvelle pour notre pays.

L'équilibre financier des régimes était en danger. Je veux d'abord rappeler que si l'Agirc et l'Arrco connaissent des déficits depuis quelques années, ces régimes n'ont pas un euro de dette. Cette situation est le résultat de la gestion paritaire qui, pour des raisons tant techniques que politiques, avait permis de constituer des réserves financières dont le montant cumulé avoisine aujourd'hui les 60 milliards d'euros. L'objectif de ces réserves, accumulées pendant une dizaine d'année au cours d'une période économiquement plus favorable, était de pouvoir les mobiliser afin de faire face aux déficits qui allaient forcément survenir dans le futur, comme le prévoyaient les projections démographiques et économiques. Les déficits actuels sont couverts par les réserves financières, comme continueront de l'être les déficits à venir.

L'une des caractéristiques de la négociation a été la prudence dans les chiffrages retenus. Si rien n'avait été fait, les régimes complémentaires auraient enregistré un déficit d'un peu plus de 8 milliards d'euros en 2020. De même, les pensions de l'Agirc auraient également pu être baissées de 11 % en 2018. L'épuisement des réserves financières de l'Agirc était en effet programmé dès 2018, alors que celui des réserves de l'Arrco n'aurait dû intervenir qu'à l'horizon 2030.

D'où l'urgence du calendrier qui s'est tout de même étalé tout au long de l'année 2015. Ce calendrier a été précédé d'un certain nombre de travaux qui ont permis aux partenaires sociaux de s'approprier l'ensemble des leviers à leur disposition. Plusieurs leviers de pilotage ont été mobilisés au cours de la négociation. Ils concernent à la fois le montant des prestations et des cotisations, l'âge de départ à la retraite et la durée de cotisation.

Le point commun de ces mesures est d'être à impact rapide. En matière de retraite, 2020 c'est demain, et dans ce domaine les dépenses sont assez certaines car les équilibres se font notamment sur la base d'éléments liés à la démographie. Les recettes peuvent en revanche connaitre des aléas liés à la situation économique.

L'accord du 30 octobre combine à la fois des mesures paramétriques, applicables dès le 1 er janvier 2016 et des mesures systémiques, qui entreront en vigueur en 2019.

J'aborderai tout d'abord les mesures paramétriques applicables dès 2016. L'accord prévoit la poursuite, pendant trois ans, de la sous-indexation des pensions de 1 point par rapport au taux d'inflation. Cette mesure, qui était déjà appliquée depuis l'accord du 13 mars 2013, est accompagnée d'une « clause plancher » permettant le gel des pensions en cas d'inflation négative ou inférieure à 1 %. Elle devrait permettre de générer 1,3 milliard d'euros d'économie en 2017, 2,1 milliards en 2020 et 2,6 milliards en 2030.

Le décalage de la date de revalorisation des retraites complémentaires du 1 er avril au 1 er novembre a également été instauré. Cette date n'avait pas été reculée au moment où le Gouvernement décidait de le faire au 1 er octobre pour les régimes de base. La mesure devrait permettre de rapporter 300 millions d'euros dès 2017 avec une montée en charge progressive pour atteindre 1,5 milliard d'euros en 2015.

L'accord prévoit ensuite une augmentation du prix d'achat du point Agirc-Arrco qui va peser sur les actifs en diminuant légèrement le rendement du point. Il devrait passer entre 2016 et 2019 de 6,56 % à 6 %. C'est une montée en charge très progressive et qui ne concerne que l'acquisition des nouveaux points.

Le salaire de référence sera désormais fixé en fin d'année pour pouvoir être appliqué au premier janvier de l'année suivante. Les partenaires sociaux ont voulu réaffirmer qu'un régime de retraite par répartition dépendait de l'évolution de la masse salariale. La question de l'indexation sur les prix ou sur la masse salariale est un long débat. Dans les modalités de pilotage retenues par les partenaires sociaux, la référence au salaire moyen permet de rappeler l'ancrage sur l'évolution de la masse salariale.

D'autres mesures seront applicables à partir de l'année 2016, parmi lesquelles l'extension de la cotisation à destination de l'Association pour la gestion du fonds de financement (AGFF) aux salaires équivalents à la tranche C de l'Agirc, soit les salaires compris entre 12 680 et 25 360 euros. Il s'agit d'un mécanisme qui donne la possibilité pour les hautes rémunérations de cotiser, ce qui leur permet en cas de départ en retraite avant 65 ans, et demain 67 ans, de ne pas subir d'abattement sur leur pension.

De même, l'accord prévoit le maintien de la contribution exceptionnelle et temporaire à 0,35 % ainsi que celui du pourcentage d'appel des cotisations à 125 % jusqu'en 2018. Ce dernier augmentera de deux points à partir de 2019.

Un effort sur la dotation de gestion sera également accompli. Cette dotation est en baisse sur la période 2016-2018, le montant constaté au titre de l'exercice précédent, en euros constants étant de -4 %. Une baisse annuelle de 2 % de la dotation d'action sociale a aussi été décidée.

Je veux également citer la réaffirmation du souhait, formulé par les partenaires sociaux, de mettre en place des échanges d'information entre l'Acoss et les Urssaf sur les redressements d'assiette. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 prévoyait cette mesure qui n'avait toutefois jamais été appliquée.

Par ailleurs, et l'on y reviendra, l'une des dispositions qui a été décidée est la création d'un régime unifié de retraite complémentaire. Ce régime reprendra à compter du 1 er janvier 2019, les droits et les obligations de l'Agirc-Arrco. Dans cette perspective, les organisations syndicales souhaitaient que la définition de l'encadrement puisse donner lieu à l'ouverture d'une négociation interprofessionnelle.

Le rendement de ces mesures devrait approcher 2 milliards d'euros en 2017 et 6 milliards d'euros en 2020. Pour l'année 2016, le rendement va dépendre de l'inflation observée au cours des deux prochaines années. L'hypothèse retenue pour l'année 2016 est une inflation égale à 1 %. D'ici 2017, le rendement attendu de ces mesures s'élèverait donc à 1,7 milliard d'euros.

J'en viens maintenant aux mesures systémiques applicables à partir du 1 er janvier 2019. L'accord prévoit la création d'un nouveau régime unifié de retraite complémentaire (NRU) qui reprendra les droits et obligations de l'Agirc-Arrco. Le NRU implique d'harmoniser les tranches de cotisation. L'augmentation du taux d'appel des cotisations à 127 % à partir de 2019 sera répartie à 60 % à la charge des employeurs et à 40 % à celle des salariés, ce qui implique d'augmenter la cotisation salariale de 0,56 point puisque la répartition actuelle se fait sur la base 62-38 à l'Agirc.

Un groupe de travail va être constitué afin de préciser les modalités de fonctionnement et de gouvernance du NRU. Des décisions des commissions paritaires de l'Agirc-Arrco seront présentées en 2016.

Les futurs retraités seront également mis à contribution avec la mise en place du coefficient de solidarité, qui est le fameux « bonus-malus » qui a concentré l'attention à la suite de l'annonce de l'accord. J'en rappelle brièvement le principe. Ce mécanisme prévoit qu'un salarié, en âge de liquider sa retraite de base à taux plein, ne puisse bénéficier de l'intégralité de sa retraite complémentaire que s'il reporte la fin de son activité d'un an. En cas de départ à la retraite l'année d'obtention de son taux plein au régime de base, il se voit appliquer le coefficient de solidarité, c'est-à-dire une décote de 10 % sur le montant de sa retraite complémentaire pendant trois ans. Ce mécanisme ne s'applique plus après l'âge de 67 ans et ne concerne donc pas, en réalité, les salariés à la carrière incomplète. Pour les assurés qui décalent la liquidation de leur retraite complémentaire au-delà de la date à laquelle les conditions du taux plein sont remplies dans le régime de base, il est prévu dans l'accord une majoration des droits à retraite complémentaire pendant 1 an de 10 % pour ceux décalant de 8 trimestres, de 20 % pour ceux décalant de 12 trimestres et de 30 % pour ceux décalant de 16 trimestres.

J'insiste sur ce point : les notions retenues ne sont pas, à proprement parler, des critères d'âge. L'accord met en avant cette idée de retraite à la carte, laissant le salarié libre d'arbitrer entre une durée de cotisation et un montant de pension.

Il avait été question, pendant la négociation, de mesures de fixation d'un âge en dessous duquel la liquidation de la retraite complémentaire n'aurait pas été possible. L'accord n'est pas dans cette logique mais plutôt sur celle d'un couple âge/durée qui permet à chacun de déterminer, en fonction de l'âge à partir duquel il peut prétendre au taux plein au sein du régime de base, l'âge auquel il souhaite partir. Par définition cet équilibre est différent d'une personne à une autre. Les partenaires sociaux ont souhaité partir de l'élément individuel permettant de traiter chaque retraité de manière personnalisée en fonction du moment où il remplit la double condition d'âge et de durée.

Ce coefficient de solidarité sera appliqué au 1 er janvier 2019 pour les générations nées après le 1 er janvier 1957. Il ne s'applique toutefois pas aux assurés, dont le revenu fiscal au moment de la liquidation de la retraite leur permet d'être exonérés de cotisation sociale généralisée (CSG). De même, les retraités assujettis à un taux réduit de CSG ne pourraient se voir appliquer une décote que de 5 % seulement.

De même, le coefficient ne s'appliquant pas après 67 ans, il ne concernera pas les salariés aux carrières incomplètes. Je vous rappelle que des abattements viagers s'appliquent déjà à l'Agirc-Arrco pour les carrières incomplètes. L'accord ne prévoit donc pas une double peine.

Enfin, ce mécanisme ne s'appliquera pas non plus aux assurés handicapés remplissant les conditions d'un départ anticipé lié à l'amiante, ni même aux assurés inaptes avec un taux d'incapacité permanente partielle de 50 % médicalement constaté. Enfin seront également exonérés de cet abattement, les assurés ayant apporté une aide effective à leur enfant handicapé.

Au final, près de 30 % des salariés partant à la retraite ne seront pas ou très peu concernés par ce système d'abattement. J'ajoute que la décote ne porte que sur le montant de retraite complémentaire. Elle devrait représenter en moyenne de 40 à 50 euros, le montant moyen de retraite complémentaire s'élevant en France entre 400 et 500 euros.

Je veux enfin évoquer la mise en place d'un pilotage pluriannuel au sein du futur NRU. Au cours de la négociation, il y a eu une volonté de la part des partenaires sociaux de se doter d'éléments de gouvernance afin d'assurer la pérennité des retraites complémentaires.

Le pilotage du régime complémentaire se fera sur la base d'un niveau stratégique et tactique.

Le niveau stratégique permettra aux partenaires sociaux au niveau national de mener une négociation tous les quatre ans afin de fixer les objectifs en termes de trajectoire d'équilibre du régime en fonction du scénario économique. Une fois ce cadre fixé, ils pourront déterminer les critères de soutenabilité sur 15 ans du régime (en particulier le niveau de réserves à conserver) ainsi que les paramètres (valeur d'achat du point, taux d'appel...).

S'agissant du niveau tactique, le conseil d'administration réuni annuellement aura pour mission d'ajuster en tant que de besoin les paramètres dans la limite fixée par le pilotage stratégique.

Les organisations représentatives seront par ailleurs réunies obligatoirement en vue d'ajuster les ressources ou les charges du régime unifié en cas d'alerte par le conseil d'administration ou de changement significatif de la conjoncture économique.

Un dernier mot s'agissant de l'objectif de dépenses de gestion. Les partenaires sociaux ont fixé un objectif supplémentaire d'économie de gestion de 300 millions d'euros qui se cumule aux 300 millions d'euros d'économie déjà demandés sur le montant annuel global. Cette décision amène à un total d'économie de gestion globale de 600 millions d'euros.

En conclusion, les points fixés au cours de cette négociation amèneront dans tous les cas à des ajustements qui seront permis grâce au pilotage semi-automatique mis en oeuvre.

De même, les hypothèses de modification de comportement, à la suite de la mise en oeuvre des coefficients temporaires, sont extrêmement prudentes. Si la modification de comportement est plus importante que prévue et si le rendement de la mesure des 10 % donne un résultat plus élevé, ce sont aussi des éléments qui pourront donner lieu à un reparamétrage par les partenaires sociaux.

M. Jean-Noël Cardoux , président. - L'accord est très récent. L'affichage médiatique de cet accord s'est réduit à l'expression selon laquelle pour pouvoir liquider les retraites complémentaires, il va falloir travailler au moins jusqu'à 63 ans. Or, ce que vous nous exposez est beaucoup plus complexe. L'élément essentiel à retenir est le coefficient de solidarité. Ce coefficient est à géométrie variable et se calcule en fonction du taux plein et de l'âge de la personne assurée. Les choses restent toutefois pour les non-initiés relativement compliquées. Avez-vous prévu dans les jours à venir un gros effort de communication ? Sur la fusion des caisses, quel sera le nombre de salariés concernés et quelles seront les répercussions de la fusion sur l'ensemble des salariés ?

M. François-Xavier Selleret. - Sur le premier point, la volonté des partenaires sociaux est de bâtir un système de retraite à la carte. Cela suppose de pouvoir répondre de manière très personnelle et très individuelle aux interrogations des assurés. C'est un changement culturel majeur. Nous sommes actuellement dans un système ou chaque assuré est traité de la même manière. Il existe pour autant un souhait social de pouvoir tenir un double équilibre, à savoir, d'une part, un régime de retraite obligatoire par répartition, qui reste légitime car il couvre la totalité des salariés du privé, et d'autre part, une demande d'accompagnement individualisé à chacun des assurés.

Cela suppose aussi de mettre un certain nombre d'informations à disposition de l'assuré afin de lui permettre de faire ses propres choix. C'est pourquoi, dans les prochains jours, l'Agirc-Arcco va déployer un premier simulateur de retraite complémentaire personnalisé, qui sera perfectionné à l'avenir avec les données réelles de l'assuré. In fine, chaque assuré pourra en trois clics effectuer sa propre simulation individualisée. Cela va permettre d'accompagner de manière beaucoup plus fine et plus précise l'assuré dans son choix. La retraite complémentaire doit pouvoir « coller » à la situation des personnes. Si l'accord réaffirme le principe d'un régime de retraite obligatoire par répartition dont la force est la solidarité interprofessionnelle, il introduit dans le même temps des éléments de retraite à la carte dont la mise en oeuvre obéira à des facteurs éminemment individuels et variables.

En ce qui concerne les incidences de la fusion sur les effectifs, il y a une pyramide des âges qui est plutôt favorable pour cette réforme. Le régime unifié c'est d'abord l'occasion unique d'une remise à plat de notre modèle organisationnel interne. La mutualisation peut prendre différentes formes : un groupe de protection sociale pourra gérer une tâche pour le compte de plusieurs, les achats pourront être regroupés... Les sommes engagées dans la gestion doivent être justifiées au premier euro. Comme les efforts sont demandés à tous, il est normal que la gestion contribue en retour à l'équilibre des régimes. L'objectif est de continuer à moderniser les régimes pour qu'ils puissent à la fois répondre au mieux en termes de qualité de service et de coûts de gestion.

M. Gérard Roche , rapporteur pour l'assurance vieillesse. - L'accord des partenaires sociaux sur les régimes complémentaires a été salué par tous les responsables politiques. C'est en effet un accord important mais qui malheureusement ne ramènera pas à l'équilibre les régimes d'assurances complémentaires. Il devrait simplement permettre de reporter dans le temps l'extinction des réserves financières du futur régime unifié. Nous nous en félicitons. En revanche je m'interroge. L'avis du comité de suivi des retraites avait indiqué qu'en l'absence d'accord, le déficit de ces régimes constituerait la part prépondérante du déficit du système de retraites à l'horizon 2020. Pensez-vous que cet accord soit allé assez loin ?

Par ailleurs, je considère que le fameux dispositif du « bonus-malus » est particulièrement astucieux. Pensez-vous qu'il soit suffisamment incitatif pour permettre un changement de comportement ? C'est en tout cas une mesure nécessaire et nous préparons une proposition forte au Sénat à l'occasion de la discussion du PLFSS qui commence demain, pour accompagner cette mesure. Je proposerai d'augmenter l'âge légal d'un an pour la génération 1957 à compter du 1 er janvier 2019 pour éviter que cet accord n'introduise une nouvelle distorsion entre le public et le privé.

J'aurais également une question plus technique à vous poser. La presse s'est faite l'écho vendredi soir de l'éventuel rétablissement d'une taxe frappant les entreprises sur les licenciements des seniors. Est-ce le rétablissement de la contribution « Delalande » ? Et si non, pouvez-vous nous donner plus d'éléments sur ses futurs contours ?

Mme Annie David. - Tout d'abord pouvez-vous préciser qui a signé l'accord ? Concernant la fusion des caisses, vous avez parlé d'une baisse de 11 % des retraites de l'Agirc en 2018. Est-ce que cela veut dire que les non cadres vont être solidaires des cadres ? Quelle sera la participation des cadres pour rétablir les comptes de leur régime de retraite complémentaire ? Hormis ce qui est fait à l'heure actuelle, quelle est la solidarité des employeurs dans cet accord ? Ensuite, je souhaite vous poser des questions sur les conséquences concrètes du régime unique. Vous nous avez parlé de la somme de 40 euros par mois, je suis assez sceptique sur ce montant. Pouvez-vous nous préciser quelles seront les conséquences de cet accord sur le niveau de pension des retraités actuels ? Quelles seront également les conséquences de cet accord sur la durée de cotisation ? Que prévoyez-vous pour les salariés privés d'emploi ainsi que pour les salariés qui sont en carrière longue ou ceux en invalidité ?

Enfin, je ne partage pas du tout votre point de vue selon lequel cet accord serait une bonne chose pour notre pays. Tous les responsables politiques n'ont pas salué cet accord, loin de là.

M. François-Xavier Selleret. - Pour commencer d'où partons-nous sur la question du régime unifié ? L'Arrco couvre l'ensemble des salariés de notre pays, cadres comme non cadres. Les cadres, qui cotisent à l'Arrco depuis 1973, cotisent en plus à l'Agirc. Si on devait comparer les contributions nettes par catégories socio-professionnelles, on constaterait que les cadres contribuent plus à l'Arrco que ce qu'ils n'en reçoivent. Le système de subventionnements croisés est en fait assez difficile à mesurer. S'il n'y avait pas eu d'accord, en raison de l'extinction probable des réserves financières de l'Agirc dès 2018, il aurait fallu équilibrer les recettes et les dépenses, ce qui aurait conduit à baisser de 11 % les retraites de l'Agirc.

Les organisations représentatives des salariés signataires de l'accord sont la CFDT, la CFTC et la CGC. Ces organisations ont souhaité aussi créer ce régime unifié afin que dans l'attente de la montée en charge des mesures, les réserves de l'Arrco puissent être mobilisées au profit de l'ensemble de la communauté. L'une des difficultés de l'Agirc, c'est aussi la traduction de l'évolution de la notion de cadre dans la société française. Les lignes hiérarchiques sont plus courtes. Le nombre de cotisant à l'Agirc n'a pas nécessairement suivi l'évolution de la population. Cette volonté d'arriver à un régime unifié a d'abord été portée par une organisation comme la CFDT.

Pour répondre à M. Roche concernant les projections du comité de suivi des retraites, sachez qu'aujourd'hui les hypothèses retenues rapportent 6 à 8 milliards d'euros à l'échéance de 2020. Si plus de personnes décalent leur départ à la retraite, à la fois du fait de l'attractivité du coefficient majorant, et du coefficient de solidarité, il y aura de facto un effet positif pour l'ensemble des régimes. Les carrières ne sont plus linéaires et certains assurés, après avoir cotisé à l'Arrco par exemple, ont pu entrer dans la fonction publique ou sont devenus indépendants. Aujourd'hui 90 % des Français ont des points à l'Arrco. La modification de comportement en lien avec le coefficient de solidarité pourra avoir des conséquences sur tous les régimes. Il est donc difficile d'en mesurer le plein effet.

Sur la contribution en cas de licenciement des seniors, les partenaires sociaux se sont fixés, dans l'article 9 de l'accord, un objectif lors de la prochaine négociation Unedic de mise en place d'une contribution aux régimes Agirc-Arrco assise sur le montant des transactions accordées à la suite de la rupture du contrat de travail. À ce stade, le terme de « transaction », de même que le taux de contribution et l'âge minimal n'ont pas été précisés. La prochaine négociation sur l'Unedic devrait se tenir dans les prochains mois.

Sur les différentes catégories de populations concernées par le mécanisme d'abattement, je rappelle que 30 % des salariés devraient en être exclus. En sont exonérés les futurs retraités qui ne seront pas assujettis à la CSG. Les assurés qui le seront à un taux réduit verront le coefficient de solidarité divisé par deux. Ces situations concernent les personnes dont le revenu imposable est compris entre 1 et 1,3 Smic par mois.

Pour pouvoir rentrer dans le dispositif carrière longue, il faut la même durée de cotisation que le dispositif de droit commun sauf qu'il faut avoir commencé à travailler plus tôt. Autant par le passé le dispositif carrière longue supposait d'avoir deux ans de cotisation de plus que la durée classique et attendue, autant depuis le décret de 2014, les conditions de carrière longue ont été revues. Retenons qu'aujourd'hui, 30 % des départs à la retraite sont dus au dispositif de départ anticipé. Les conditions d'entrée en carrière longue ont été élargies. C'est un régime qui a plus évolué vers un dispositif de « carrière précoce » que vers un dispositif de carrière longue car le nombre d'annuités nécessaires est moins élevé qu'auparavant. Pour les retraités ayant disposé du dispositif de carrière longue, la retraite moyenne à l'Arrco est de 30 % plus élevée que la retraite moyenne. Pour les personnes ayant liquidé leur retraite en 2013, la retraite moyenne à l'Arrco est à 5 000 euros par an, contre 7 000 euros pour une carrière longue. Ce sont des éléments qui ont amené les organisations syndicales à traiter les carrières longues de la même manière que les autres. En effet, l'âge effectif de départ pour les personnes ayant eu une carrière est rarement à 62 ans.

Les partenaires sociaux ont prévu une clause de revoyure en 2021 pour pouvoir apprécier l'effet modification du comportement.

En ce qui concerne le chiffre de 40 euros, il faut préciser que dans le flux des personnes qui partent en retraite, le montant moyen de la retraite en France est de 1 600 euros par mois. En moyenne la retraite Arrco représente le tiers soit environ 500 euros. On arrive donc bien autour de 40 à 50 euros en moyenne.

Mme Annie David. - On ne connait pas les mêmes retraités.

M. François-Xavier Selleret. - Je parle de ceux qui partent actuellement en retraite et non de ceux qui sont déjà en retraite. La retraite moyenne en France est de 1 200 euros par mois pour le stock mais pour le flux elle est de 1 600 euros. De plus, au risque de me répéter, les personnes qui percevront des petites retraites ne seront pas concernées par l'abattement. En revanche, les personnes exonérées de l'abattement sont éligibles au « bonus ». Ces personnes peuvent, si elles le décident, prolonger leur activité et bénéficier du coefficient majorant.

La mise en place de ce mécanisme rejoint le débat qu'il y a eu il y a 10 ans, au sein du régime général, au moment de l'adoption de la décote et de la surcote viagère. À cette époque, personne ne savait anticiper la modification de comportement. Aujourd'hui au régime général en moyenne 11 % de personnes partant à la retraite ont une surcote liée à une durée d'activité équivalente à 8 trimestres supplémentaires. Il y a donc bien eu des effets de modification du comportement. La différence avec le débat au sein du régime général, c'est que la décote sur l'assurance complémentaire est temporaire et non viagère. La prudence est donc de mise pour l'évaluation de l'impact du dispositif. De même, l'abattement de 10 % s'appliquera sur un montant très variable de retraite complémentaire. La part de l'Arrco dans le montant total de la retraite d'un salarié non-cadre est de 30 % en moyenne. Si cette part est inférieure, le poids des 10 % sera moindre.

À l'inverse, un abattement de 10 % rapporté aux salaires des cadres représente une somme plus élevée. La part de la retraite complémentaire dans la retraite totale des cadres est plus élevée que pour les salariés non-cadres.

Mme Annie David. - Vos réponses m'ont semblé floues sur les conséquences de la fusion des régimes. Sur un autre sujet, vous avez dit qu'en l'absence d'accord les personnes qui sont à l'Agirc auraient vu leur retraite diminuer de 11 %. Or, leur retraite de l'Agirc vont être maintenues, mais à quel prix ? Vous dites que 90 % des Français sont à l'Arrco. Tous les cotisants de l'Agirc sont à l'Arcco, en revanche tous les cotisants de l'Arrco ne sont pas à l'Agirc. Donc si on veut maintenir le niveau de retraite complémentaire de l'Agirc, ce sont les cotisants de l'Arcco qui vont payer et pas le contraire. J'ai bien compris que pour pouvoir toucher leur retraite à taux plein, les salariés vont devoir travailler plus longtemps avec un point moindre. Donc le montant de leur pension va diminuer automatiquement. Pour le moment, la pénibilité ne permet pas de prendre en compte la situation des cotisants ayant un travail éprouvant pour les organismes.

M. François-Xavier Selleret. - Le compte pénibilité n'est pas finalisé. Par construction, il ne pouvait entrer dans le champ de l'accord qui vient d'être signé.

M. Jean-Noël Cardoux , président. Je ne pense pas que le régime complémentaire puisse supprimer l'effet de la bonification. La pénibilité relève de la loi.

Mme Annie David. - Les travailleurs auront bien le coefficient majorant mais pour avoir

M. Jean-Noël Cardoux , président. - Nous sommes dans la phase de mise en oeuvre. Il sera nécessaire de refaire le point dans un an. M. Selleret, nous vous remercions.

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