Rapport n° 218 (2015-2016) de Mme Élisabeth LAMURE , fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 2 décembre 2015

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N° 218

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016

Enregistré à la Présidence du Sénat le 2 décembre 2015

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires économiques (1) sur la proposition de loi , ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE , visant à instaurer une dérogation aux délais de paiement interentreprises pour les activités de « grand export » ,

Par Mme Élisabeth LAMURE,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Claude Lenoir , président ; Mmes Élisabeth Lamure, Delphine Bataille, MM. Alain Bertrand, Martial Bourquin, Gérard César, Alain Chatillon, Daniel Dubois, Joël Labbé, Michel Le Scouarnec, Yannick Vaugrenard , vice-présidents ; M. Marc Daunis, Mme Valérie Létard, M. Bruno Sido , secrétaires ; MM. Gérard Bailly, Jean-Pierre Bosino, Henri Cabanel, François Calvet, Roland Courteau, Alain Duran, Mmes Frédérique Espagnac, Dominique Estrosi Sassone, M. Daniel Gremillet, Mme Annie Guillemot, MM. Michel Houel, Serge Larcher, Jean-Jacques Lasserre, Daniel Laurent, Philippe Leroy, Mmes Marie-Noëlle Lienemann, Anne-Catherine Loisier, MM. Michel Magras, Franck Montaugé, Robert Navarro, Jackie Pierre, Ladislas Poniatowski, Mme Sophie Primas, MM. Yves Rome, Henri Tandonnet .

Voir le(s) numéro(s) :

Assemblée nationale ( 14 ème législ.) :

2216 , 2721 et T.A. 517

Sénat :

453 (2014-2015) et 219 (2015-2016)

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

La proposition de loi visant à instaurer une dérogation aux délais de paiement interentreprises pour les activités de « grand export » a été adoptée par l'Assemblée nationale le 13 mai 2015, avant d'être transmise au Sénat.

On peut rappeler que la Commission des affaires économiques du Sénat, saisie au fond sur ce texte, a déjà eu à se prononcer sur les dispositions qu'il contient. Au printemps 2014, lors des débats en deuxième lecture sur le projet de loi sur la consommation, les députés les avaient introduites par voie d'amendement. Prenant une position contraire à celle de l'Assemblée nationale, le rapporteur de la Commission des affaires économiques du Sénat avait alors déposé un amendement visant à les supprimer en évoquant les effets potentiellement dévastateurs pour les PME de toute dérogation en matière de délais de paiement. Pour mémoire, la commission avait alors soutenu de manière unanime son rapporteur.

Ce positionnement clair du Sénat sur des dispositions sur lesquelles, par ailleurs, le Gouvernement avait alors émis un avis de sagesse, explique qu'elles n'aient finalement pas été retenues dans la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation.

Existe-t-il cependant des faits ou des arguments nouveaux qui pourraient donner à penser que les dispositions unanimement rejetées hier par la commission des affaires économiques du Sénat devraient être adoptées aujourd'hui ? Votre rapporteur a abordé cette question sans apriori, en auditionnant les acteurs concernés par cette proposition de loi et en cherchant à mettre en balance les effets positifs et négatifs des mesures envisagées - ce qui n'est pas simple étant donné l'absence de toute étude d'impact sérieuse sur ce sujet.

Si votre rapporteur est consciente que certaines entreprises exportatrices, parmi lesquelles les négociants exportateurs ciblés par ce texte, peuvent rencontrer des difficultés de trésorerie liées à l'écart parfois important entre les délais de paiement clients et fournisseurs, elle estime cependant que la solution qui figure dans cette proposition de loi n'est pas la bonne. Dans un bilan coûts/avantages, ce sont en effet les inconvénients qui l'emportent.

Votre rapporteur souhaite cependant qu'une réponse concrète soit apportée aux difficultés rencontrées par certains de nos exportateurs et que ces derniers puissent se battre à armes égales avec leurs concurrents étrangers.

À un problème financier de trésorerie doit être apportée une solution financière de soutien à la trésorerie . C'est d'ailleurs le sens des préconisations faites par l'Observatoire des délais de paiement dans son rapport de juillet 2013. Si les outils privés et publics de soutien financier à l'export devaient s'avérer inadaptés à la situation du négoce exportateur, il serait souhaitable que le Gouvernement réunisse sans délai les acteurs concernés, pour travailler à la mise au point d'outils d'accompagnement « sur mesure ».

C'est la voie de la prudence, du pragmatisme et de l'efficacité. C'est celle qui doit être privilégiée, au lieu de s'engager dans une dérogation hasardeuse à des règles sur les délais de paiement qui constituent l'un des socles de la pacification des relations commerciales dans notre pays.

C'est pourquoi votre rapporteur propose le rejet de la proposition de loi.

*

* *

Lors de sa réunion du mercredi 2 décembre 2015, la commission n'a pas adopté de texte sur la proposition de loi n° 453 (2014-2015), adoptée par l'Assemblée nationale, visant à instaurer une dérogation aux délais de paiement interentreprises pour les activités de « grand export ».

En conséquence, et en application du premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion portera en séance sur le texte de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

I. LES RÈGLES NATIONALES RELATIVES AUX DÉLAIS DE PAIEMENT ACCUSÉES DE NUIRE AUX ENTREPRISES EXPORTATRICES

A. DES RÈGLES SUR LES DÉLAIS DE PAIEMENT DÉCRITES COMME PLUS STRICTES EN FRANCE QU'AILLEURS, CE QUI AFFECTERAIT LES ENTREPRISES EXPORTATRICES

Dans le souci de pacifier les relations commerciales et de lutter contre des retards de paiement, qui sont l'une des principales causes de défaillance des entreprises 1 ( * ) , le législateur français a opté pour un encadrement strict des délais de paiement interentreprises, en imposant un plafond de 60 jours ou 45 jours fin de mois pour le règlement de toutes les transactions entre entreprises résidentes, sans prévoir aucune dérogation pour les entreprises exportatrices.

Ces dernières sont donc tenues de régler leurs fournisseurs résidents dans les délais de droit commun, alors même que leurs clients étrangers les payent parfois dans des délais sensiblement plus longs. En particulier, du fait de temps de stockage, de transport et de dédouanement particulièrement longs, les entreprises présentes au grand export peuvent attendre 90, 120, voire 180 jours pour être payées par leur clients, ce qui crée un besoin de trésorerie important dès lors qu'elles doivent elles-mêmes régler sous 60 jours leurs fournisseurs résidents.

Ce décalage entre les délais de paiement clients et fournisseurs est de nature à fragiliser financièrement les entreprises exportatrices, avec le risque, de surcroît, que cette fragilité ne se traduise, in fine , par une détérioration de la situation commerciale des exportateurs : « Les entreprises sont confrontées à un choix cornélien : soit supporter une difficulté de trésorerie, soit négocier avec le client étranger des paiements plus rapides. Dans le dernier cas, elles prennent le risque d'affaiblir leur position dans la négociation commerciale voire de mettre en péril la relation contractuelle. Il en résulte un véritable barrage (...) à la valorisation du « made in France » à l'international. La législation française entrave l'économie française dans la compétition internationale . » 2 ( * )

Il semblerait, à en croire les promoteurs de la proposition de loi, que cette situation constitue une spécificité bien française. La législation des autres pays offrirait en effet plus de souplesse en permettant aux exportateurs de négocier avec leurs fournisseurs résidents des délais de paiement plus longs que la normale et donc de partager vers l'amont la charge de trésorerie induite par les délais plus longs des clients étrangers. « Alors que la France ordonne un délai de quarante-cinq jours fin de mois ou de soixante jours à compter de la facture, le reste du monde, notamment certains pays européens comme la Belgique, laisse une entière liberté aux commerçants . 3 ( * ) »

Il est vrai que la directive 2011/7/UE du 16 février 2011 sur les retards de paiement, qui est d'harmonisation minimale, fixe seulement aux États membres d'atteindre un délai paiement « cible » de soixante jours, tout en leur laissant une grande liberté dans la manière de transposer cet objectif en droit interne. Il est ainsi loisible aux États membres d'accorder aux cocontractants la possibilité de définir des délais de paiement supérieurs à 60 jours, à condition que ce dépassement ne constitue pas un abus. Au sein de l'Union européenne, les États membres autres que la France auraient conservé cette souplesse permise par le droit européen. Les entreprises exportatrices résidant dans ces pays auraient ainsi la possibilité, par la négociation avec leurs fournisseurs, de mettre en cohérence leurs délais de paiement fournisseurs et clients.

B. DES CONSÉQUENCES QUI SERAIENT PARTICULIÈREMENT NÉFASTES POUR LES PERFORMANCES DES NÉGOCIANTS AU GRAND EXPORT

Si le décalage entre les délais de paiement fournisseurs et clients est susceptible de concerner et de fragiliser toutes les entreprises exportatrices, la proposition de loi se focalise néanmoins sur le cas particulier des exportations indirectes, c'est-à-dire celles réalisées par le négoce de gros en dehors de l'Union européenne .

Les exportations indirectes depuis la France ont été évaluées par les services des douanes à 119 milliards d'euros en 2014. Elles représentent 27 % des 436 milliards d'euros d'exportations françaises. Les exportations indirectes réalisées par les sociétés de négoce indépendantes (au nombre de 4 600) s'établissent quant à elles à 39 milliards d'euros, dont 36 % (soit 14 milliards d'euros) vont au grand export .

La focalisation du texte sur cet aspect particulier du problème se justifie par plusieurs arguments :

? le décalage entre les délais de paiement fournisseurs et clients est particulièrement sensible au grand export , avec un écart pouvant atteindre 60 ou 120 jours par rapport aux délais imposés par la LME. Dans l'Union européenne en revanche, la transposition de la directive de 2011 sur les retards de paiement, sans éliminer toute disparité, permet néanmoins une convergence progressive des délais de paiement entre États membres. Les difficultés de trésorerie se concentreraient donc davantage sur les échanges hors Union européenne ;

? selon l'OSCI 4 ( * ) et le Gouvernement, les entreprises de négoce rencontreraient des difficultés particulières pour accéder aux outils de soutien financier à l'export (garanties Coface, prêts en trésorerie sous l'égide de Bpifrance). D'une part en effet, ces sociétés de négoce ont très peu de capitaux propres et d'actifs. Elles ne peuvent donc pas offrir de sûretés en contrepartie des garanties financières qu'elles demandent. Et sans garantie pas de prêts. D'autre part, ces sociétés, qui effectuent une pure prestation commerciale d'achat et de revente, réalisent des marges très faibles, ce qui a pour effet que les garanties et les prêts susceptibles de leur être octroyés et qui ne sont pas gratuits, sont susceptibles de faire rapidement basculer les opérations d'exportation sous le seuil de rentabilité. Le partage de la charge de la trésorerie entre ces négociants et leurs fournisseurs, via la modification des règles sur le crédit interentreprises, serait donc la seule manière pour ces entreprises de négoce de faire face au décalage entre délais fournisseurs et délais clients ;

? enfin, la fragilisation financière des entreprises de négoce international aurait des effets négatifs en chaîne dégradant de façon globale les performances de l'économie française, ce qui justifierait une intervention forte et ciblée des pouvoirs publics destinée à :

- éviter que certains négociants exportateurs n'opèrent à partir d'une filiale étrangère (délocalisation de l'activité), limitent l'ampleur de leurs opérations d'export, voire renoncent complètement à certaines d'entre elles, faute de disponibilités en trésorerie suffisantes (rationnement de l'activité) ;

- éviter que les entreprises de négoce ne remplacent tout ou partie de leurs fournisseurs français par des fournisseurs étrangers, puisque, dès lors que ces fournisseurs sont situés hors de France, il devient possible de négocier avec eux des délais de paiement plus longs. De telles substitutions pourraient pénaliser toutes les entreprises qui fournissent les sociétés de négoce. D'après une étude de l'OSCI citée dans le rapport de la rapporteur de l'Assemblée nationale mais dont la méthodologie nous demeure inconnue, chaque fois que les négociants indépendants substituent 1 % de leurs achats auprès des producteurs français par des achats à l'étranger, cela représenterait 360 millions d'euros de chiffre d'affaires perdu par les usines et les agriculteurs français, soit l'équivalent de 3 500 à 7 000 emplois détruits ;

- éviter que la réduction d'activité ou la disparition de ces sociétés de négoce n'obèrent durablement la capacité d'exportation de l'économie française en faisant disparaître ce qui est un levier essentiel dans l'accès aux marchés extérieurs. Les TPE, les PME, voire les petites ETI ont en effet besoin de s'appuyer sur des négociants spécialisés à l'export pour pénétrer certains marchés étrangers lointains et difficiles (Afrique, Asie, Amérique latine).

Le poids des exportations indirectes en France

En milliards d'euros

2009*

2014

(sauf exportations indirectes : données 2013)

Total exportations de la France (FAB/FAB)

346

(CAF/FAB : 342)

436

(CAF/FAB : 428)

Exportations au sein de l'UE (CAF/FAB)

215

258

Exportations hors UE (CAF/FAB)

127

170

Exportations indirectes ( i.e. des entreprises dont l'activité principale est le commerce de gros)

82

119

Exportations indirectes dans l'UE

60 %

58 %

Exportations indirectes hors UE

40 %

42 %

Exportations indirectes - hors filiales de négoce de groupes dont l'activité principale n'est pas le négoce (ex. groupe industriel)

nd

39

Dans l'UE

nd

64 %

Hors UE

nd

36 %

Source : douanes

C. LA SOLUTION AVANCÉE : UNE DÉROGATION AUX RÈGLES COMMUNES SUR LES DÉLAIS DE PAIEMENT

Pour répondre aux difficultés de trésorerie du négoce de gros à l'export, l'article 1 er de la proposition de loi crée une dérogation au plafonnement des délais de paiement dans le cas des exportations réalisées en dehors de l'Union européenne. Les sociétés de négoce pourront négocier avec leur fournisseurs des délais de 90 jours à compter de la date d'émission de la facture lorsque l'achat est effectué auprès d'une micro-entreprise ou d'une petite et moyenne entreprise et de 120 jours à compter de la date d'émission de la facture lorsque l'achat est effectué auprès d'une entreprise de taille intermédiaire ou d'une grande entreprise.

L'article 2 étend cette dérogation aux biens alimentaires et aux boissons alcoolisées.

II. UN TEXTE DONT LE BILAN COÛTS/AVANTAGES EST DÉFAVORABLE

A. UN CONSTAT INITIAL INSUFFISAMMENT ÉTAYÉ

1. La rigueur plus grande des règles nationales en matière de délais de paiement n'est pas clairement démontrée

Aucune donnée d'impact fournie au moment du dépôt de la proposition de loi, pas plus que lors de l'examen de la proposition de loi par l'Assemblée nationale, ne permet d'affirmer avec certitude que la situation de la France, du point de vue des règles relatives aux délais de paiement, est aussi atypique qu'on le prétend parfois.

La DGCCRF, invitée par votre rapporteur à présenter une analyse comparée entre les règles françaises et étrangères (notamment européennes) en la matière, a reconnu ne pas disposer des informations permettant de réaliser ce benchmark.

Un rapport de juillet 2013 réalisé par l'Observatoire des délais de paiement fournit des indications certes incomplètes (il ne dit rien sur le cas de l'Allemagne notamment), mais qui montrent néanmoins que la situation des pays européens est plus variée qu'on ne l'affirme :

- Au Royaume-Uni, s'applique un délai de 30 jours ne devant pas excéder 60 jours ;

- Au Pays-Bas, il est possible de dépasser 60 jours en prouvant qu'il n'y a pas d'abus manifeste ;

- En Espagne, un maximum de 60 jours peut être mis en place par accord des parties ; à défaut s'applique un délai de 30 jours ;

- En Italie, le délai de paiement peut être contractuellement porté au-delà de 60 jours.

2. La France ne se distingue pas de manière évidente par la longueur de ses délais clients à l'export

Au-delà des règles formelles sur les délais de paiement, ce qui doit être pris en compte avant tout, ce sont les pratiques de paiement, c'est-à-dire les délais de paiement - et les retards éventuels - effectivement constatés. Le droit d'un pays en la matière peut en effet prévoir des souplesses sans que cela ne se traduise nécessairement par un allongement des délais de paiement constatés.

Or, ce même rapport de juillet 2013 de l'Observatoire des délais de paiement montre que les délais de paiement effectifs à l'export des entreprises françaises ne sont pas significativement plus longs que ceux des entreprises des pays concurrents : ils se situent à 35,1 jours dans notre pays, soit davantage que les 27 jours observables en Grande-Bretagne et en Allemagne, mais moins que les 40 jours observables en Italie ou que les 50 jours en vigueur en Espagne (cf. tableau suivant). Comme par ailleurs les délais fournisseurs sont en moyenne plus longs en France qu'en Grande-Bretagne et en Allemagne, l'existence d'un impact négatif de nos délais clients à l'export sur la trésorerie des entreprises exportatrices françaises ne va pas de soi.

Délais de paiement demandés aux clients non-résidents (en jours)

Autriche

24,3

Grande-Bretagne

27,2

Allemagne

27,7

Japon

29,6

Pays-Bas

31,7

États-Unis

31,7

France

35,1

Belgique

38,7

Italie

41,8

Espagne

51,1

Sources : Observatoire des délais de paiement, juillet 2013

Il est vrai que ces chiffres sont des chiffres moyens, qui ne tiennent pas compte des différences de taille entre entreprises, pas plus que des différences sectorielles ou de destination (exportations intracommunautaires ou grand export). Il est possible qu'il existe de forts écarts à la moyenne observée. En particulier, il est possible que les entreprises de négoce opérant au grand export connaissent des délais clients sensiblement plus élevés que la moyenne des exportateurs. Toutefois, on ne dispose d'aucune donnée d'impact pour vérifier ce point - ce qu'on ne peut que déplorer.

3. Des performances du négoce de gros à l'export qui ne semblent pas s'être détériorées depuis l'entrée ne vigueur de la LME

Votre rapporteur, pour pallier l'absence d'information directe sur les délais de paiement des exportations réalisées par le négoce, a tenté de réaliser une observation indirecte. Si les règles de paiement issues de la LME avaient créé un lourd handicap à l'export pour les négociants français, cela s'observerait dans l'évolution de leurs ventes et de leurs approvisionnements.

Or, (voir graphique suivant) depuis l'entrée en vigueur de la LME, on ne constate :

- aucune détérioration en valeur absolue des exportations indirectes françaises. Les exportations du négoce de gros entre 2009 et 2014 sont même en croissance sensible : +48 % en 5 ans. Or, on peut penser que s'il existait un désavantage compétitif fort pour les négociants français lié aux règles françaises en matière de délais de paiement, leurs exportations auraient baissé depuis l'entrée en vigueur de la LME ;

- aucun phénomène de substitution massive de fournisseurs non-résidents à des fournisseurs résidents. Les importations du négoce de gros ont en effet augmenté de 35 % entre 2009 et 2014, mais à un rythme moindre que ses exportations.

Évolution des exportations et des importations des entreprises
de commerce de gros entre 2008 et 2014 (Md€)

Source : Insee, douanes

B. UN TEXTE À CONTRE-COURANT DE LA POLITIQUE SUIVIE DEPUIS 2008 POUR RÉDUIRE LES DÉLAIS DE PAIEMENT

1. Un texte qui vise à augmenter les délais de paiement pour les fournisseurs du négoce
a) Un choix contestable : soutenir la trésorerie du négoce en fragilisant celle des fournisseurs

La logique de cette proposition de loi consiste à accroître les délais fournisseurs pour transférer partiellement les besoins de trésorerie induits par les différences de délais de paiement entre la France et l'étranger. Elle soulage la trésorerie des négociants en détériorant celle de leurs fournisseurs .

Avec ce texte, un négociant français qui exporte pourra régler ses fournisseurs, sous réserve d'un accord entre les parties, sous 90 jours s'il s'agit d'une PME ou sous 120 jours s'il s'agit d'une ETI ou d'une grande entreprise. C'est une hausse loin d'être négligeable. Si une grande entreprise pourra sans doute supporter ce transfert de charges, en revanche cela est moins certain pour une ETI et, a fortiori , pour une PME.

Alors que le 23 novembre 2015, le ministre de l'économie donnait de la voix en dénonçant les délais de paiement excessifs et en annonçant que leur réduction constituait un axe essentiel de la politique du Gouvernement, ce texte prend donc une direction contraire et apparaît peu audible.

b) Une mesure potentiellement lourde de conséquences qu'aucune étude d'impact ne vient étayer

Cette dérogation suscite d'autant plus de méfiance qu'elle ne s'appuie sur aucune étude d'impact permettant de mesurer l'acuité réelle des difficultés financières du négoce exportateur. Votre rapporteur n'a obtenu aucune donnée de diagnostic sur ce point.

Les seules données dont on dispose sont celles fournies par le rapport de l'Observatoire des délais de paiement de 2013. Or, ce rapport établit clairement, je cite, que « les structures de financement des entreprises exportatrices n'apparaissent pas statistiquement différentes de celles des entreprises non exportatrices. En dépit des contraintes liées à l'éloignement de leurs marchés, les exportateurs préservent largement leur équilibre financier ».

Certes, cette étude de l'Observatoire ne permet pas d'isoler statistiquement les négociants exportateurs des autres exportateurs, mais il serait souhaitable, avant d'établir une dérogation au grand export pour le négoce, que soient fournis des éléments de diagnostic clairs.

De même, votre rapporteur n'a reçu aucune donnée sur la situation financière des entreprises qui fournissent les négociants exportateurs - alors même qu'il s'agit d'allonger les délais de paiement des fournisseurs . Comment savoir si la situation financière de ces derniers est meilleure que celle des sociétés de négoce et qu'ils seront donc en mesure de supporter le transfert de charges ? Si ce texte est voté, demain, les PME qui fournissent aujourd'hui les négociants exportateurs et qui se satisfont pleinement de la loi actuelle verront leurs délais et leur trésorerie se dégrader. Le Parlement peut-il décider de dégrader leur trésorerie sans même connaître la santé de leur compte d'exploitation relativement à celui du négoce exportateur ?

c) Des doutes sur la préservation de la liberté de choix des fournisseurs

Le Gouvernement précise enfin que l'augmentation du plafond légal des délais fournisseurs à 90 ou 120 jours ne signifie pas automatiquement un allongement des délais de paiement réels ; que tout cela est ouvert à la négociation commerciale et que les fournisseurs n'accepteront un délai plus long que s'ils estiment que cela leur permettra de pénétrer de nouveaux marchés. « La liberté de choix des fournisseurs français est au centre du dispositif », a ainsi affirmé lors des débats à l'Assemblée nationale M. Matthias Fekl, secrétaire d'État chargé du commerce extérieur.

En théorie, cela est exact. Cependant la réalité toujours très âpre des négociations commerciales conduit à émettre quelques réserves. À partir du moment en effet où des délais de paiement excédant 60 jours seront négociables, il y aura une pression des négociants sur leurs fournisseurs et les délais supplémentaires permis par la loi seront mis en oeuvre y compris par les entreprises qui se satisfaisaient de la situation actuelle.

2. Un risque d'extension progressif du champ de la dérogation

Voter une dérogation, même circonscrite, c'est prendre le risque d'une extension progressive du champ de cette dérogation.

Le négoce exportateur n'est en effet pas la seule forme d'exportation à qui une application stricte des règles sur les délais de paiement pose des difficultés. De nombreuses PME ou ETI, qui exportent directement sans passer par des négociants, doivent faire face au même problème. En 2014, les exportations directes hors Union européenne des TPE et des PME ont représenté 27 milliards d'euros ; celle des ETI, 52 milliards d'euros -soit un total de ventes directes au grand export qui atteint 77 milliards d'euros (cinq fois plus que les exportations indirectes visés par cette proposition de loi). Alors pourquoi ne pas leur étendre la dérogation ? Ces entreprises ne sont pas moins légitimes à en bénéficier.

Exportations directes par des TPE-PME

Les catégories d'entreprise ETI et PME créées par la LME ne sont pas disponibles sur les données Douanes de 2009.

59

Dont exportations extra-communautaires

27

Exportations directes par des ETI

148

Dont exportations extra-communautaires

52

Exportations directes par des grandes entreprises

229

Dont exportations extra-communautaires

97

Sources : douanes, en milliards d'euros

Au-delà des exportateurs, tous les secteurs d'activité dont le modèle d'affaires présente un caractère atypique en termes d'encaissements et de décaissements souhaiteront s'engouffrer dans la brèche, à chaque fois avec de bons arguments. Parce qu'à chaque fois il s'agira de déroger au nom du soutien à la croissance et à l'emploi.

Et les fournisseurs de ceux qui ont obtenu des dérogations demanderont à leur tour des dérogations en soulignant, à juste titre, qu'ils doivent faire face à des difficultés de trésorerie accrues du fait des dérogations précédemment admises. Et plus il y aura de dérogations, plus il y aura aussi de possibilités de contourner les règles de délais de paiement.

Ce risque de contagion était le principal argument mis en avant par le rapporteur de la Commission des affaires économiques, Martial Bourquin, lorsqu'il a demandé la suppression de la dérogation à l'export introduite dans la loi sur la consommation.

C'est également l'argument mis en avant par la CGPME et par l'Observatoire des délais de paiement, qui a pris officiellement position sur cette question dans son rapport de février 2014.

C'est enfin l'argument développé de façon constante par les gouvernements successifs depuis 2008. Au cours des dernières années, ont en effet progressivement été supprimées les dérogations admises initialement au moment du vote de la LME. Désormais, il ne subsiste plus que cinq secteurs dérogatoires, dont le régime particulier a été pérennisé par la loi dite Macron, en raison du caractère structurellement irrégulier de leur cycle d'affaires.

Votre rapporteur estime qu'un virage à 180 degrés par rapport à la politique suivie depuis 2008 se justifie d'autant moins que ce texte n'est accompagné d'aucune étude d'impact.

C. DÉVELOPPER LES OUTILS DE FINANCEMENT BANCAIRES PLUTÔT QUE LE CRÉDIT INTERENTREPRISES

1. Le crédit interentreprises n'a pas vocation à pallier les défaillances du crédit bancaire

Si l'on admet que la voie suivie par cette proposition de loi n'est pas la bonne, il convient toutefois de proposer des solutions de financement aux entreprises exportatrices confrontées à des difficultés de trésorerie, et singulièrement au négoce exportateur ; car si aucune étude d'impact ne permet d'évaluer globalement les difficultés qui peuvent découler de l'application des règles sur les délais de paiement, il ne fait pas de doute que de telles difficultés peuvent ponctuellement ou sectoriellement se poser en pratique.

Le premier réflexe de votre rapporteur est évidemment de rappeler qu'à un problème financier de trésorerie doit être apportée une solution financière de soutien à la trésorerie. C'est d'ailleurs le sens des préconisations faites par l'Observatoire des délais de paiement dans son rapport de juillet 2013 :

« Il est difficile de recommander une action par la loi - ou la mise en place de dérogations à la loi - visant les entreprises exportatrices. (...) C'est donc vers les outils de financement et de soutien que doit s'orienter la recherche de solutions propres à soulager les secteurs ou les entreprises spécifiquement pénalisés par les décalages de paiement clients-fournisseurs à l'exportation. La première proposition est de promouvoir auprès des PME les moyens et dispositifs existants [notamment l'affacturage]. (...) La deuxième proposition concerne les outils publics d'aide au financement de l'exportation. »

Il est important que les banques fassent leur travail pour mieux accompagner l'activité des exportateurs, au besoin avec le soutien des outils publics d'accompagnement que sont la Coface et Bpifrance. Comme l'a indiqué la CGPME, on ne peut pas demander aux règles sur les délais de paiement, au travers la dérogation qui est proposée, de pallier les insuffisances d'un système financier qui ne remplit pas toujours correctement son rôle de financement de l'économie réelle.

2. Mobiliser plus efficacement les solutions de financement bancaire

On peut rappeler les principaux outils existants en matière de soutien financier à l'export :

- la garantie de préfinancement de la Coface , permettant de garantir à 80 % les prêts bancaires accordés aux entreprises pour financer la réalisation de leurs opérations à l'export ;

- le « prêt export » , produit distribué par Bpifrance ET destiné à financer le besoin en fonds de roulement des entreprises se tournant vers l'exportation (fusion de 3 produits préexistants dans le cadre du lancement du label Bpifrance export). Ce prêt de 30 000 à 5 millions d'euros est accordé en complément d'un prêt bancaire à partir de 150 000 euros, et peut avoir une durée longue (jusqu'à 7 ans) ;

- la garantie des crédits fournisseurs de la Coface permettant de renforcer la trésorerie des entreprises exportatrices (réalisant un chiffre d'affaires inférieur à 150 millions d'euros) en escomptant auprès des banques les créances des fournisseurs qui sont garanties à 100 % par la Coface ;

- BPI - crédits exports : offre de crédits exports (crédits acheteurs, ou rachat de crédits fournisseurs) assurés par la Coface pour le compte de l'État, d'un montant allant jusqu'à 25 millions d'euros (jusqu'à 75 millions en cofinancement avec des banques commerciales) destinés aux PME/ETI ;

- Avance + Export : ce produit peut permettre aux entreprises françaises de bénéficier d'avances de trésorerie en mobilisant leurs créances sur des débiteurs étrangers, et permet donc de compenser les difficultés qui pourraient naître entre des délais de paiement courts avec des fournisseurs français et des délais de paiement longs à l'export ;

- Refinancement de crédits exports : refinancement de crédits exports de taille importante (supérieurs à 70 millions d'euros) - mis en place par des banques commerciales et assurés par la Coface, pour le compte de l'État - par la société de financement local (SFIL) avec rachat de créance ab initio .

Cette gamme est large. Votre rapporteur a toutefois entendu la critique formulée par l'OSCI à l'encontre de ces dispositifs, à savoir que les outils publics d'aide à l'export ne sont pas toujours adaptés à la réalité des opérations courantes de négoce international . Les garanties publiques couvrent en effet, généralement, des produits financés par du moyen et long terme, supérieur à 2 ans - des produits adaptés par conséquent aux opérations de négoce « structurées ». Or, les opérations courantes des entreprises de négoce ne relèvent pas de cette catégorie : elles ont besoin de s'appuyer sur des outils de couverture à court terme et peu coûteux. Le négoce de gros a donc besoin de procédures de financement ou de garantie souples et rapides, et d'outils de financement dont le coût soit adapté aux marges commerciales en général très faibles du négoce international - sans quoi ces opérations basculent sous le seuil de rentabilité.

Votre rapporteur rappelle toutefois que, afin de pallier les interruptions des opérations de couverture de court terme des assureurs crédits privés en périodes de crise, il a été décidé de créer un mécanisme d'assurance-crédit public de court terme, activable rapidement . L'article 77 de la loi n°2013-1279 du 29 décembre 2013 de finances rectificative pour 2013 a complété le dispositif public d'assurance-crédit français en créant un mécanisme permettant de proposer aux exportateurs une couverture de leurs exportations de court terme (durée de crédit inférieure à deux ans). Ce dispositif peut être adapté à certains besoins des entreprises de négoce. Les lignes existantes de crédits de court terme démontrent que les conditions de tarification peuvent effectivement intéresser les entreprises de négoce.

Si la large palette d'outils déjà disponible et récemment complétée s'avérait malgré tout insuffisante, il appartiendrait au Gouvernement de réunir les acteurs concernés, OSCI, BPI, Coface, pour travailler à la mise au point d'outils d'accompagnement sur mesure.

C'est la voie de la prudence, du pragmatisme et de l'efficacité. C'est celle qui doit être privilégiée au lieu de s'engager dans une dérogation hasardeuse.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er (article L. 441-6 du code de commerce) - Dérogation à l'encadrement des délais de paiement

Commentaire : cet article crée une dérogation au plafonnement des délais de paiement dans le cas des exportations réalisées en dehors de l'Union européenne par les entreprises de négoce de gros

I. Le droit en vigueur

? Les délais de paiement entre entreprises résidentes doivent respecter les dispositions de l'article 21 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie (LME), codifié à l'article L. 441-6 du code de commerce.

Aux termes de l'alinéa 9 de cet article, tel qu'issu de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues ne peut dépasser soixante jours à compter de la date d'émission de la facture. Par dérogation, un délai maximal de quarante-cinq jours fin de mois à compter de la date d'émission de la facture peut être convenu entre les parties, sous réserve que ce délai soit expressément stipulé par contrat et qu'il ne constitue pas un abus manifeste à l'égard du créancier.

Les professionnels ne respectant pas ces dispositions encourent une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75 000 € pour une personne physique et 375 000 € pour une personne morale, avec publication envisageable de la sanction sur tous supports (site Internet de la DGCCRF, mais aussi de l'entreprise sanctionnée, organismes de presse, etc.).

? Lorsqu'une entreprise résidente commerce avec une entreprise non résidente , soit qu'elle achète des biens ou des services à un fournisseur situé hors de France, soit qu'elle exporte des biens ou des services à un client situé à l'étranger, les règles françaises en matière de délais de paiement ne s'appliquent pas .

Le droit applicable par défaut est alors celui issu de la Convention des Nations unies sur les contrats de vente internationale de marchandises (CVIM), s ignée à Vienne le 11 avril 1980 . En matière de délais de paiement, l'article 59 de cette convention renvoie à l'application des dispositions contract uelles sans fixer de limite de durée pour le règlement des factures entre professionnels.

II. Le texte adopté par l'Assemblée nationale

? La proposition de loi, dans sa version initiale , introduisait une dérogation aux règles sur les délais de paiement prévues au neuvième alinéa du I de l'article L. 441-6 du code de commerce.

Le champ d'application de cette dérogation était défini de façon très étroite :

- ne sont concernées que les entreprises exportatrices (juridiquement identifiées par la référence aux achats en dispense de TVA prévus à l'article 275 du code général des impôts) ;

- qui réalisent une activité de négoce de gros, c'est-à-dire qui achètent des biens destinés à faire l'objet d'une livraison en l'état ;

- et qui exportent hors de l'Union européenne ;

- à condition toutefois qu'il ne s'agisse pas de grandes entreprises (au sens de l'article 51 de la LME).

Le texte initial ne prévoyait cependant pas de plafond légal pour encadrer dans le temps la dérogation aux règles de délais de paiement. Le délai de paiement convenu par les parties (en l'occurrence l'entreprise de négoce et les entreprises dont elle commercialise les produits) devait simplement ne pas constituer un abus manifeste à l'égard du créancier.

? Lors de l'examen en commission, puis en séance publique, les députés ont cherché à mieux encadrer la dérogation en procédant à deux ajouts.

Premièrement, ils ont décidé que le délai de paiement convenu entre les parties devrait être expressément stipulé par contrat.

Ils ont en outre introduit une durée légale plafond que la durée dérogatoire contractuellement fixée ne peut excéder. Cette durée maximale est de :

- quatre-vingt-dix jours à compter de la date d'émission de la facture lorsque l'achat est effectué auprès d'une micro-entreprise ou d'une petite et moyenne entreprise ;

- cent vingt jours à compter de la date d'émission de la facture lorsque l'achat est effectué auprès d'une entreprise de taille intermédiaire ou d'une grande entreprise.

Lors de sa réunion du mercredi 2 décembre 2015, la commission n'a pas adopté de texte sur la proposition de loi n°453 (2014-2015), adoptée par l'Assemblée nationale, visant à instaurer une dérogation aux délais de paiement interentreprises pour les activités de « grand export ».

Article 2 (article L. 443-1 du code de commerce) - Dérogation à la communication au ministre chargé de l'économie des informations sur les délais de paiement

Commentaire : cet article étend la dérogation prévue à l'article 1 er aux biens alimentaires et aux boissons alcooliques

I.  Le droit en vigueur

L'article L. 443-1 du code de commerce fixe des délais de paiement spécifiques pour certaines catégories de produits :

1° trente jours après la fin de la décade de livraison pour les achats de produits alimentaires périssables et de viandes congelées ou surgelées, de poissons surgelés, de plats cuisinés et de conserves fabriqués à partir de produits alimentaires périssables, à l'exception des achats de produits saisonniers effectués dans le cadre de contrats dits de culture visés aux articles L. 326-1 à L. 326-3 du code rural et de la pêche maritime ;

2° vingt jours après le jour de livraison pour les achats de bétail sur pied destiné à la consommation et de viandes fraîches dérivées ;

3° trente jours après la fin du mois de livraison pour les achats de boissons alcooliques passibles des droits de consommation prévus à l'article 403 du code général des impôts.

II. Le texte adopté par l'Assemblée nationale

Un amendement présenté par le député Jean-Pierre Le Roch (soc), avec avis favorable de la commission et du Gouvernement, a réécrit l'article 2 pour étendre la dérogation prévue à l'article 1 er aux biens alimentaires et aux boissons alcooliques.

Lors de sa réunion du mercredi 2 décembre 2015, la commission n'a pas adopté de texte sur la proposition de loi n°453 (2014-2015), adoptée par l'Assemblée nationale, visant à instaurer une dérogation aux délais de paiement interentreprises pour les activités de « grand export ».

EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du mercredi 2 décembre 2015, la commission a examiné la proposition de loi visant à instaurer une dérogation aux délais de paiement interentreprises.

Mme Élisabeth Lamure, rapporteur . - Nous examinons une proposition de loi instaurant une dérogation aux délais de paiement pour les exportations réalisées par les sociétés de négoce en dehors de l'Union européenne.

Les députés avaient introduit les mêmes dispositions au printemps 2014, lors des débats sur le projet de loi « Consommation », par voie d'amendement en deuxième lecture. Martial Bourquin, notre rapporteur de l'époque, avait proposé leur suppression en raison des effets potentiellement dévastateurs pour nos PME de toute dérogation en matière de délais de paiement. Notre commission l'avait unanimement soutenu, Alain Chatillon l'encourageant même à tenir bon face aux députés en faisant valoir les conséquences possibles sur le respect des conditions générales de vente.

Pourquoi accepter aujourd'hui ce que nous avons rejeté hier ? Pour répondre à cette question, j'ai auditionné la CGPME qui est franchement hostile au texte ; l'OSCI (Opérateurs spécialisés du commerce international), qui représente le négoce exportateur ; le cabinet du secrétaire d'État chargé du commerce extérieur, qui soutient le texte, et enfin la DGCCRF.

J'ai également reçu du gouvernement, à ma demande, un rapport établi en juillet 2013 par l'Observatoire des délais de paiement sur la situation des entreprises exportatrices face aux dispositions sur les délais de paiement, mais malheureusement jamais rendu public.

Enfin, le Medef et la Confédération française du commerce de gros et international (CGI) n'ont pas donné suite à ma demande d'audition faute d'avoir pu dégager une position en interne, preuve des désaccords que suscite cette proposition de loi dans le monde économique.

La loi de modernisation de l'économie a posé un plafond pour les délais de règlement interentreprises convenus entre les parties : 60 jours à compter de la date d'émission de la facture ou 45 jours fin de mois par dérogation.

Cet encadrement strict des délais de paiement, élément essentiel pour apaiser les relations commerciales dans notre pays, peut cependant affecter la trésorerie des entreprises exportatrices. En effet, la loi française ne s'appliquant pas à l'étranger, l'exportateur français peut attendre d'être payé pendant 120, voire 180 jours.

C'est, aux dires de ceux que nous avons entendus, une spécificité française : dans les autres pays, il semble que la réglementation laisse plus d'espace à la négociation des délais de paiement fournisseurs, rendant possibles les adaptations aux délais clients plus longs auxquels sont confrontés les exportateurs. L'OSCI réclame un retour à la souplesse de négociation des délais fournisseurs dans le cas de l'export, supprimée par la loi de modernisation de l'économie. Les négociants exportateurs souhaitent disposer, comme leurs concurrents étrangers, de délais de règlement négociés avec leurs fournisseurs de 90 ou 120 jours.

L'OSCI, comme le gouvernement, soulignent que les effets positifs de cette dérogation pourraient s'étendre au-delà de la situation des négociants-exportateurs eux-mêmes. D'une part, en effet, faute de la trésorerie nécessaire pour gérer l'écart entre les délais de paiement clients et fournisseurs, certaines sociétés de négoce exportatrices sont contraintes de limiter leurs opérations d'export, voire de renoncer complètement à certaines d'entre elles - autant d'opportunités perdues pour un simple problème de trésorerie. D'autre part, ces négociants exportateurs seraient incités à remplacer tout ou partie de leurs fournisseurs français par des fournisseurs étrangers avec lesquels il est possible de négocier des délais de paiement plus longs.

La mesure proposée serait par conséquent favorable à toutes les entreprises qui utilisent les services des négociants exportateurs et singulièrement aux TPE, aux PME, voire aux petites ETI, qui ont besoin de s'appuyer sur des négociants spécialisés à l'export pour pénétrer les marchés étrangers les plus lointains.

L'OSCI et le Gouvernement, insistent enfin sur le caractère étroitement circonscrit du champ de la dérogation envisagée, qui ne concernerait que les entreprises exportatrices qui réalisent une activité de négoce hors de l'Union européenne.

J'entends tous ces arguments et souhaite évidemment qu'une réponse soit apportée aux difficultés de trésorerie de certaines entreprises exportatrices, afin qu'elles se battent à armes égales. Toutefois, cette proposition de loi n'apporte pas la bonne solution, les inconvénients l'emportant dans le bilan coûts-avantages. Alors que le ministre de l'économie donnait de la voix, la semaine dernière, contre les délais de paiement excessifs, elle allonge à titre dérogatoire les délais de paiement des entreprises qui exportent via des sociétés de négoce, jusqu'à 30 jours pour les TPE-PME et 60 jours pour les entreprises plus grandes, ce qui les porte à 90 ou 120 jours. C'est peu audible. Je ne peux appeler à voter un tel texte, alors que nous dénonçons ici, constamment, les délais excessifs qui étranglent nos PME.

De surcroît, voter une dérogation, même circonscrite, c'est ouvrir la boîte de Pandore. De nombreuses PME ou ETI, qui exportent directement, affrontent le même problème. Pourquoi ne pas leur étendre la dérogation ? Ce risque de contagion a été le principal argument mis en avant par Martial Bourquin pour demander la suppression de la dérogation à l'export dans la loi sur la consommation, mais aussi par la CGPME et l'Observatoire des délais de paiement, qui a officiellement pris position dans son rapport de février 2014, et les gouvernements successifs depuis 2008. Les dérogations admises initialement au moment du vote de la LME ont été progressivement réduites au cours des dernières années.

Un virage à 180 degrés par rapport à la politique suivie depuis 2008 se justifie d'autant moins que la proposition de loi n'est accompagnée d'aucune étude d'impact qui mesure l'acuité réelle des difficultés du négoce exportateur et les effets des dispositions envisagées.

Quelle est la réalité des délais de paiement pour les exportateurs français par rapport à ceux de leurs concurrents ? Y a-t-il vraiment un handicap français ? Je n'ai pu obtenir aucune donnée statistique sur le cas particulier des sociétés de négoce exportatrices. Le rapport de l'Observatoire des délais de paiement de juillet 2013 montre en revanche que les délais clients des exportateurs français, s'ils sont plus longs que les délais clients des entreprises non exportatrices, sont en moyenne inférieurs à 60 jours. Qu'on nous démontre qu'il y a un vrai problème...

Je n'ai pas non plus obtenu de données sur la situation financière du négoce exportateur. On nous demande d'admettre que cette situation est particulièrement fragile en raison des spécificités des délais de paiement au grand export, mais les seuls chiffres sont ceux du rapport de 2013, et ils établissent clairement que les structures de financement des entreprises exportatrices n'apparaissent pas statistiquement différentes de celle des entreprises non exportatrices. En dépit des contraintes liées à l'éloignement de leurs marchés, les exportateurs préservent largement leur équilibre financier.

Je n'ai reçu aucune donnée sur la situation financière des négociants exportateurs, ni sur celle de leurs fournisseurs. Qui nous dit que la situation financière de ces entreprises est meilleure que celle des sociétés de négoce ? Si nous votons cette proposition de loi, les PME qui fournissent les négociants exportateurs, et qui se satisfont pleinement de la loi actuelle, verront leurs délais et leur trésorerie se dégrader. Que dirons-nous à ces chefs d'entreprises, sinon que nous avons décidé de dégrader leur trésorerie sans même connaître les bilans des uns et des autres ?

Le Gouvernement et l'OSCI assurent que l'augmentation du plafond légal des délais fournisseurs ne signifie pas automatiquement un allongement des délais de paiement réels, que tout est ouvert à la négociation commerciale et que les fournisseurs n'accepteront un délai plus long que s'ils le jugent utile à la pénétration de nouveaux marchés. J'en serais plus convaincue si je l'entendais des fournisseurs eux-mêmes, chiffres à l'appui.

Le plus probable est que ce texte affaiblirait la position de négociation des entreprises qui exportent grâce à des négociants, parce que ceux-ci feraient pression sur leurs fournisseurs pour mettre en oeuvre ces délais supplémentaires.

L'argument selon lequel l'allongement des délais de paiement entre négociants et fournisseurs serait le seul moyen de partager équitablement entre eux la charge de trésorerie me laisse sceptique. Ces délais ne sont qu'une des composantes de la négociation commerciale. Je ne doute pas qu'actuellement, en raison de la limitation des délais de paiement par la LME, les partenaires ne s'entendent sur d'autres aspects de la négociation, comme une baisse de prix.

Il nous appartient de proposer une autre voie. Une solution financière de soutien à la trésorerie doit être apportée à un problème financier de trésorerie, comme le rapport de l'Observatoire des délais de paiement le reconnaît en estimant qu'il est difficile de recommander une action par la loi - ou la mise en place de dérogations à la loi, et qu'il faut s'orienter vers les outils de financement et de soutien. Les banques doivent mieux accompagner les exportateurs, au besoin avec le soutien des outils publics que sont la Coface et BPI France. Comme l'a indiqué la CGPME, on ne peut pas demander aux règles sur les délais de paiement de pallier les insuffisances d'un système financier qui ne remplit pas correctement son rôle de financement de l'économie réelle.

L'OSCI et le Gouvernement m'ont déclaré que les outils de financement de la trésorerie export n'étaient pas adaptés dans le cas particulier des sociétés de négoce. Il est vrai que ces sociétés ont très peu de capitaux propres : ne disposant quasiment pas de locaux, n'ayant ni machines ni stocks, elles ne peuvent pas offrir de sûretés en contrepartie des garanties financières qu'elles demandent. D'autre part, ces sociétés, qui effectuent une pure prestation commerciale d'achat et de revente, réalisent des marges très faibles, ce qui a pour effet de rendre leurs opérations peu rentables après paiement des garanties et des prêts qui leur sont éventuellement octroyés.

Si les outils existants sont inadaptés, nous devons presser le Gouvernement de réunir les acteurs concernés - OSCI, BPI, Coface - pour mettre au point des outils d'accompagnement sur mesure. Nous devons privilégier cette voie de la prudence, du pragmatisme et de l'efficacité au lieu de nous engager dans une dérogation hasardeuse.

Pour toutes ces raisons, je vous demande de ne pas adopter la proposition de loi qui nous est soumise.

M. Jean-Claude Lenoir, président . - Merci de cet excellent travail.

M. Martial Bourquin . - Nous avons déjà connu cette situation : l'Assemblée nationale pose une vraie question mais n'y apporte pas la bonne réponse. Les délais de paiement excessifs représentent un grave problème pour notre économie. Ils sont la cause d'un quart des faillites ou redressements judiciaires. Accréditer la thèse selon laquelle l'allongement des délais de paiement accroît les marges de manoeuvre des entreprises est une erreur. Plus on va vers le sud de l'Europe, plus ce problème s'accentue. L'Allemagne, les pays du nord de l'Europe tiennent des délais courts. Les entreprises chinoises paient en 45 jours dans le grand export.

Le ministre de l'économie a mis en avant les amendes très sévères infligées à Airbus. Pensez-vous que cette entreprise florissante n'ait pas les moyens de payer ses fournisseurs ? Numericable, mais aussi des ETI et des PME ont reçu des amendes.

Élisabeth Lamure a travaillé sur la LME, moi-même sur la loi consommation - le Premier ministre de l'époque m'avait demandé un rapport circonstancié sur les délais de paiement. Plus on les réduit, mieux les PME se portent.

Nous sommes, avec mes collègues, en discussion avec M. Matthias Fekl pour bâtir une bonne solution. Certaines réponses ne sont pas utilisées. Les crédits de la BPI pour le grand export ne sont pas consommés. Si la BPI a pu financer le CICE, elle peut aider, avec le secteur bancaire, l'ensemble des entreprises concernées. Nous proposerons un amendement qui améliore l'accessibilité aux circuits financiers pour le grand export. Il faut qu'ils soient suffisamment connus pour que la solution soit durable.

L'allongement des délais de paiement serait un signal catastrophique ! Sortons de cette affaire par le haut. Si le Sénat se contente de rejeter cette proposition, elle reviendra. La position du groupe socialiste est de défendre un amendement auquel nous travaillons.

M. Joël Labbé . - Je suis très convaincu par les arguments percutants de Martial Bourquin.

M. Jean-Claude Lenoir, président . - Si vous êtes d'accord avec Martial Bourquin, vous l'êtes aussi avec la rapporteure. Cette proposition de loi sera discutée le 9 décembre. Quel ministre représentera le Gouvernement ?

M. Martial Bourquin . - Matthias Fekl.

M. Jean-Claude Lenoir, président . - Est-il en plein accord avec le ministre de l'économie ?

M. Martial Bourquin . - Monsieur le président, il s'agit de l'intérêt de l'économie car des entreprises vont couler. N'ouvrons pas de débats partisans, essayons d'avoir de la tenue et recherchons la meilleure solution.

M. Jean-Claude Lenoir, président . - Je constate un large consensus autour de la position de la rapporteure, de Martial Bourquin et de Joël Labbé.

Mme Élisabeth Lamure, rapporteur . - Nous nous retrouvons tous pour dire que déroger aux règles actuelles encadrant les délais de paiement ouvrirait la porte à tout. Il faut tout de même apporter des réponses aux exportateurs négociants, mais pas seulement à eux. Les entreprises qui fabriquent, transforment puis exportent sont confrontées aux mêmes problèmes.

Je suis d'accord avec Martial Bourquin pour trouver des outils de financement, mais peut-être existent-ils déjà : le prêt de développement à l'export de BPI France ; la garantie de préfinancement de la Coface, garantissant 80 % des prêts bancaires ; la garantie des crédits fournisseurs de la Coface. La direction générale du Trésor rappelle en outre que l'article 77 de la loi de finances rectificative du 29 décembre 2013 a complété le dispositif public d'assurance-crédit français par une couverture des exportations de court terme. Ce dispositif peut être adapté à certains besoins des entreprises de négoce. Des solutions alternatives existent à cette proposition de loi que nous n'acceptons pas.

M. Martial Bourquin . - La BPI, étonnée de recevoir si peu de dossiers, n'a aucun problème à financer ce dispositif dix fois moins important que le CICE.

M. Jean-Claude Lenoir, président . - Je constate un large consensus contre cette proposition de loi.

M. Martial Bourquin . - Certains s'interrogent sur le bicamérisme. Nous avons là la preuve de l'utilité du Sénat et de la nécessité de son expertise. Le groupe socialiste s'abstient mais proposera un amendement qui nous rassemblera tous et mettra à profit les indications d'Élisabeth Lamure, loin des débats partisans, dans l'intérêt général des entreprises.

Mme Élisabeth Lamure, rapporteur . - Il n'est pas nécessaire de rédiger d'amendement, la réponse se trouve dans les textes déjà existants.

La proposition de loi n'est pas adoptée.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR

Jeudi 19 novembre 2015 :

- Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) : Mmes Cécile Pendaries , sous-directrice « Affaires juridiques, politiques de la concurrence et de la consommation », et Odile Cluzel , chef de bureau « Commerce et relations commerciales ».

Mercredi 25 novembre 2015 :

- Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) : M. Frédéric Grivot , vice-président en charge de l'industrie, et Mme Sandrine Bourgogne , adjointe au secrétaire général, chargé des relations avec le Parlement ;

- Fédération des entrepreneurs du commerce international (OSCI) : MM. Fabien Buhler , vice-président de l'OSCI et président de Devexport, et Richard Pellevoisin , membre de l'OSCI et gérant de la société Alfa métal international ;

- Cabinet de M. Matthias Fekl, Secrétaire d'État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger : M. Bertrand Walckenaer , directeur adjoint de cabinet.


* 1 Sur 62 000 défaillances d'entreprises enregistrées en 2014, 15 000 sont dues à des retards de paiement.

* 2 Intervention de Mme Chantal Guittet, rapporteur, lors de l'examen de la proposition de loi par la Commission des lois, le mercredi 15 avril 2015.

* 3 Intervention de Mme Chantal Guittet, rapporteur, lors de l'examen de la proposition de loi par la Commission des lois, le mercredi 15 avril 2015.

* 4 Opérateurs Spécialisés du Commerce International. C'est la fédération qui représente les entreprises de négoce international.

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