II. UN DISPOSITIF QUI POSE DE GRAVES DIFFICULTÉS

A. UN RECOURS À LA LOI QUI N'EST PAS PERTINENT

La proposition de loi vise à instaurer dans la partie législative du code de l'éducation une journée consacrée à la mémoire combattante dans les écoles et les établissements du second degré. Si elle enverrait un signal fort en faveur de la transmission de cette mémoire et affranchirait les actions déjà menées des aléas de la politique ministérielle, votre commission n'est pas convaincue de la nécessité de légiférer sur ce sujet .

Saisi au sujet de la constitutionnalité de la loi du 6 décembre 2012, qui reconnaissait le 19 mars comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre et des combats en Afrique du Nord, le Conseil constitutionnel n'avait pas relevé les moyens liés à la méconnaissance du domaine de la loi ou à son absence de normativité 30 ( * ) . Mais ce texte avait pour objet la création d'une journée nationale de commémoration ; au contraire, les journées de mobilisation ou de commémoration qui ont lieu uniquement au sein des établissements scolaires relèvent d'une circulaire , à l'instar de la journée des droits de l'enfant ou de la journée de la laïcité 31 ( * ) .

Alors qu'il s'agit aujourd'hui de légiférer moins pour légiférer mieux , ainsi que de donner davantage d'autonomie aux établissements et aux équipes enseignantes, votre commission a considéré que l'intervention du législateur dans ce domaine n'était peut-être ni nécessaire ni désirable .

B. UN DISPOSITIF PEU COHÉRENT

1. Un dispositif peu clair

Votre rapporteur s'interroge sur la clarté du dispositif de la proposition de loi , qui tendrait à empiéter sur le domaine règlementaire et sur les compétences de l'État en matière éducative, notamment dans la première phrase du troisième alinéa et les deux derniers alinéas. De plus, la proposition de loi prévoit que l'institution de la journée et la mise en oeuvre des activités qui sont conduites à cette occasion seraient du ressort conjoint de « l'autorité scolaire responsable et [des] maires ». Or l'organisation et le contenu des enseignements relevant uniquement de l'État, en application de l'article L. 211-1 du code de l'éducation, ces dispositions sont de nature à faire naître une ambiguïté et nuiraient à l'intelligibilité de la loi . L'implication du Conseil supérieur des programmes dans la définition des objectifs de cette journée ne paraît également pas justifiée.

De surcroît, la proposition de loi prévoit de compléter le chapitre unique du titre II du livre V de la deuxième partie du code de l'éducation, relatif à « l'organisation du temps et de l'espace scolaires ». Cette insertion au sein du code n'est pas en rapport avec les objectifs poursuivis par le texte . Votre rapporteur souligne qu'il aurait été préférable d'insérer cet article dans le chapitre II du titre premier du livre troisième de la deuxième partie du code, relatif aux enseignements scolaires, et de créer de ce fait un nouvel article L. 312-15-1, qui compléterait la section VIII relative à l'enseignement moral et civique.

2. Une nouvelle échéance mémorielle qui n'irait pas dans le sens d'une simplification ou d'une plus grande mobilisation des élèves

Votre commission s'est longuement interrogée sur l'opportunité d'instaurer une journée supplémentaire consacrée au devoir de mémoire qui, de surcroît, ne correspondrait à aucun événement particulier . Le mois de mai est celui qui compte le plus grand nombre de commémorations ; en 2013, le législateur a créé la journée nationale de la Résistance le 27 mai 32 ( * ) . En ce qu'il ne se substituerait à aucune des dates existantes, ce jour ne serait pas le gage d'un « resserrement » des échéances mémorielles.

Votre rapporteur aurait envisagé de substituer à cette date celle du jour de classe précédant immédiatement le 11 novembre , qui constitue depuis 2012 le jour à l'occasion duquel il est rendu hommage à tous les morts pour la France 33 ( * ) . Cette solution aurait emporté un changement de l'intitulé de cette journée ainsi que de ses modalités d'organisation.

Toutefois, votre commission a considéré que ce texte ne constituait pas une réponse adéquate aux enjeux de la transmission de la mémoire et de l'éducation morale et civique ; son adoption créerait davantage de difficultés qu'elle n'en résoudrait .

*

* *

Votre commission a rejeté la proposition de loi.

En conséquence, en application de l'article 42 de la Constitution, la discussion portera en séance sur le texte de la proposition de loi.


* 30 Conseil constitutionnel, décision n° 2012-657 DC du 29 novembre 2012, Loi relative à la reconnaissance du 19 mars comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc.

* 31 Note de service n° 2015-190 du 15 novembre 2015 relative à la journée internationale des droits de l'enfant, circulaire n° 2015-182 du 28 octobre 2015 relative au 110 e anniversaire de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des églises et de l'État.

* 32 Loi n° 2013-642 du 19 juillet 2013 relative à l'instauration du 27 mai comme journée nationale de la Résistance.

* 33 Loi n° 2012-273 du 28 février 2012 fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page