B. UN CUMUL CONSIDÉRÉ RÉGULIER JUSQU'AUX RÉCENTES DÉCISIONS DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME

1. L'absence d'obstacle constitutionnel au cumul

La règle ne bis in idem (ou non bis in idem ) est un principe classique de la procédure pénale qui veut que nul ne puisse être poursuivi ou puni plus d'une fois à raison des mêmes faits.

En France, cette règle trouve à s'appliquer en matière pénale, notamment en application de l'article 6 de code de procédure pénale qui dispose que « l'action publique pour l'application de la peine s'éteint par [...] la chose jugée ».

Elle s'impose également dans le cadre de la répression administrative, le Conseil d'État considérant, par exemple, qu'un agent public ne peut être sanctionné deux fois au disciplinaire à raison de mêmes faits 19 ( * ) .

En revanche, le législateur peut prévoir que des mêmes faits puissent être punis à la fois pénalement et administrativement. La question a été tranchée par le Conseil constitutionnel à l'occasion de l'examen de la loi n° 89-531 du 2 août 1989 relative à la sécurité et à la transparence du marché financier qui, parmi d'autres dispositions, investissait la Commission des opérations de bourse (COB) d'un pouvoir de sanction. Il a ainsi considéré dans sa décision du 28 juillet 1989 20 ( * ) que, « sans qu'il soit besoin de rechercher si le principe [ne bis in idem] a valeur constitutionnelle, il convient de relever qu'il ne reçoit pas application au cas de cumul entre sanctions pénales et sanctions administratives ».

De manière générale, la règle ne bis in idem ne s'est jamais vue reconnaître de valeur constitutionnelle par le Conseil constitutionnel, la décision du 18 mars 2015 ne l'évoquant d'ailleurs qu'au titre des arguments avancés par les mis en cause.

En revanche, le Conseil constitutionnel contrôle la conformité d'un dispositif prévoyant la possibilité d'une double procédure pénale et administrative aux principes constitutionnels de nécessité et de proportionnalité. C'est ainsi que dans sa décision précitée du 28 juillet 1989, il émet une réserve consistant à affirmer que « si l'éventualité d'une double procédure peut ainsi conduire à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique, qu'en tout état de cause, le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues ».

2. L'inapplicabilité du principe ne bis in idem découlant de la Convention européenne des droits de l'homme au cumul des poursuites pénales et administratives

En droit européen, le principe ne bis in idem est consacré à l'article 4 du protocole n° 7, additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CESDH), qui stipule que « nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même État en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet État ».

Littéralement, la prohibition du cumul des poursuites et des sanctions ne semble ainsi concerner que la matière pénale. Toutefois, la Cour européenne des droits de l'homme, assez logiquement, ne s'arrête pas à la qualification retenue par les États pour déterminer ce qui constitue une poursuite ou une sanction pénale car, dans le cas contraire, ces derniers auraient toute latitude pour s'affranchir de leurs obligations conventionnelles en la matière.

C'est ainsi que dans un arrêt Engel du 8 juin 1976 21 ( * ) , la CEDH a dégagé les critères 22 ( * ) permettant de considérer qu'une sanction, pourtant qualifiée de disciplinaire par un État contractant, relevait de la matière pénale au sens de l'article 6 de la CESDH.

Pour autant, les juridictions françaises ont toujours refusé d'appliquer ce principe en cas de cumul de poursuites ou de sanctions pénales et administratives, au motif que la France, à l'occasion de la ratification du protocole n° 7, avait exprimé une réserve ainsi formulée : « le Gouvernement de la République française déclare que seules les infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale doivent être regardées comme des infractions au sens des articles 2 à 4 du présent protocole ».

En vertu de cette réserve, les juridictions françaises considèrent donc, jusqu'à maintenant, que la règle ne bis in idem posée par l'article 4 du protocole n° 7 s'applique aux seules procédures formellement désignées comme pénales 23 ( * ) et non à l'ensemble de celles débouchant sur des sanctions qui répondent aux critères de l'arrêt Engel .


* 19 CE, 18 décembre 1992, requête n° 101505.

* 20 Décision n° 89-260 DC du 28 juillet 1989.

* 21 CEDH, 8 juin 1976, Engel c. Pays-Bas, n° 5100/71.

* 22 Ceux-ci sont au nombre de trois : la qualification donnée par le droit interne de l'État en cause, la nature de l'infraction et enfin la nature et la gravité de la peine encourue.

* 23 Par exemple, Cass. crim., 1er mars 2000, n° 99-86.299, P : Bull. crim. 2000, n° 98. - Cass. crim., 2 avr. 2008, n° 07-85.179. - Cass. crim., 28 janv. 2009, n° 07-81.674 - Cass. com., 8 févr. 2011, n° 10-10.965.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page