II. LA NÉCESSITÉ DE METTRE EN CONFORMITÉ LE SYSTÈME DE RÉPRESSION DES ABUS DE MARCHÉ AVEC LA JURISPRUDENCE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME

A. LA JURISPRUDENCE DE LA CEDH PROHIBANT LE CUMUL DES POURSUITES : L'ARRÊT GRANDE STEVENS DU 4 MARS 2014

Dans un arrêt Grande Stevens 24 ( * ) du 4 mars 2014, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a affirmé que les décisions de sanctions prononcées par la Commissione Nazionale per le Società e la Borsa (CONSOB), l'autorité administrative indépendante de régulation des marchés financiers en Italie, susceptibles d'être assimilées à des sanctions de nature pénale, interdisent de ce fait à une juridiction pénale de sanctionner, pour les mêmes faits, les comportements incriminés déjà sanctionnés par l'autorité administrative.

Pourtant, comme la France, l'Italie avait formulé une réserve au protocole additionnel n° 7 afin d'en limiter les effets aux seules infractions et procédure qualifiées de « pénales » par la loi italienne.

La CEDH a examiné la validité de la réserve italienne au regard des exigences de l'article 57 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CESDH), qui stipule que « tout État peut, au moment de la signature de la [...] Convention ou du dépôt de son instrument de ratification, formuler une réserve au sujet d'une disposition particulière de la Convention, dans la mesure où une loi alors en vigueur sur son territoire n'est pas conforme à cette disposition. Les réserves de caractère général ne sont pas autorisées aux termes du présent article. » Cet article précise que « toute réserve émise conformément au présent article comporte un bref exposé de la loi en cause ».

En conséquence, la Cour a rappelé que, pour être valable, une réserve doit répondre aux conditions suivantes 25 ( * ) :

- elle doit être faite au moment où la Convention ou ses Protocoles sont signés ou ratifiés ;

- elle doit porter sur des lois déterminées en vigueur à l'époque de la ratification ;

- elle doit comporter un bref exposé de la loi visée ;

- elle ne doit pas revêtir un caractère général, c'est-à-dire être « rédigée en des termes trop vagues ou amples pour que l'on puisse en apprécier le sens et le champ d'application exacts ».

En l'espèce, la Cour relève que la réserve italienne se contente d'exclure du champ d'application de l'article 4 du Protocole n° 7 toutes les infractions et les procédures qui ne sont pas qualifiées de « pénales » par la loi italienne.

Or selon elle, « une réserve qui n'invoque ni ne mentionne les dispositions spécifiques de l'ordre juridique italien excluant des infractions ou des procédures du champ d'application de l'article 4 du Protocole n° 7, n'offre pas à un degré suffisant la garantie qu'elle ne va pas au-delà des dispositions explicitement écartées par l'État contractant ». En outre, « la Cour rappelle que même des difficultés pratiques importantes dans l'indication et la description de toutes les dispositions concernées par la réserve ne sauraient justifier le non-respect des conditions édictées à l'article 57 de la Convention ».

En conséquence, « la réserve invoquée par l'Italie ne satisfait pas aux exigences de l'article 57 § 2 de la Convention ».

La portée de cette décision va bien au-delà de la réserve italienne. En effet, toutes les réserves faites sur la qualification des infractions pénales reprennent la rédaction que la Cour a invalidée. Seraient ainsi écartées les réserves non seulement de la France, mais également de l'Allemagne, de l'Autriche, de l'Italie, du Liechtenstein et du Portugal.

Il est désormais difficile de soutenir que l'article 4 du protocole n° 7 ne s'applique pas à la France, en particulier, compte tenu des circonstances de l'arrêt Grande Stevens , s'agissant du cumul des poursuites devant la Commission des sanctions de l'AMF et le juge pénal.


* 24 Grande Stevens et autres c/ Italie, n° 18640/10, 18647/10, 18663/10,18668/10 et 18698/10.

* 25 Voir Põder et autres c/ Estonie (déc.), n° 67723/01, CEDH 2005 VIII, et Liepãjnieks c/ Lettonie (déc.), n° 37586/06, § 45, 2 novembre 2010.

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