B. ... QUI NE RÉSOUT PAS LES PRINCIPAUX ÉCUEILS DE LA POLITIQUE IMMOBILIÈRE DE L'ÉTAT

1. L'immobilier, une fonction support utilisée comme le support de politiques
a) Le dispositif « Duflot » contrevient aux principes ayant présidé à la création du CAS

Si la refonte du CAS proposée conduit à supprimer la contribution obligatoire au désendettement de l'État, le dispositif de cessions décotées consenties dans le cadre de la loi « Duflot » du 18 janvier 2013 relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement 100 ( * ) continue de minorer les produits de cessions attribués au CAS et s'inscrit à rebours des principes le régissant , articulant mutualisation et intéressement des ministères à une gestion optimisée de leur fonction immobilière au travers d'un retour financier. En effet, ce dispositif autorise l'État à céder des terrains de son domaine privé à un prix inférieur à leur valeur vénale, lorsque ces terrains sont destinés à la construction de logements, dont une partie au moins de logements sociaux. L'article L. 3211-7 du code général de la propriété des personnes publiques (CG3P) prévoit ainsi que « pour la part du programme destinée aux logements sociaux [...] , la décote ainsi consentie peut atteindre 100 % de la valeur vénale du terrain », de sorte que la cession peut aller jusqu'à la gratuité s'il s'agit de construire des logements sociaux .

Les vingt-deux listes régionales identifiant les terrains de l'État et des établissements publics de transport cessibles publiées fin juin 2016 relèvent 347 terrains pour une surface de 400 hectares , dont 267 terrains appartenant à l'État 101 ( * ) . À la même date, 39 fonciers domaniaux ont fait l'objet d'un acte de cession pour un produit total de 72,5 millions d'euros , permettant la réalisation d'environ 4 700 logements, dont 3 500 logements sociaux, et entraînant une moindre recette sur le CAS d'un montant de 89,5 millions d'euros . Pour le seul exercice 2015, le montant des décotes consenties représente 7 % des recettes tirées des cessions et 12 % des crédits de paiement ouverts sur le programme 723 « Contribution aux dépenses immobilières ».

De surcroît, l'analyse de la liste complète des cessions « Duflot » annexée au présent rapport révèle la prépondérance des biens parisiens , puisqu'ils représentent 37,3 millions d'euros de décote, soit 42 % du total . Si le marché de l'immobilier et le besoin en logements constituent des éléments d'explication, votre rapporteur spécial Michel Bouvard souligne que cette prépondérance pose question à double titre :

- d'une part pour l' équité entre collectivités territoriales , dans la mesure où les territoires où l'État dispose d'un foncier cessible important sont avantagés par rapport aux territoires où l'État dispose de peu d'immeubles, sans que cela ait un quelconque rapport avec les besoins en logements et en logements sociaux ;

- d'autre part en raison de la différence d'utilisation par la ville de Paris des biens de son patrimoine et des biens du patrimoine de l'État . Ainsi, alors que la Régie immobilière de la ville de Paris (RIVP) acquérait en 2015 un terrain du ministère de l'intérieur dans le XIX e arrondissement de Paris pour 6,7 millions d'euros avec une décote de 76 %, la ville de Paris cédait sur son patrimoine propre trois terrains dans les XII e et XVIII e arrondissements pour un montant de 63,9 millions d'euros .

Comparaison des produits de cessions enregistrés sur le CAS
et des montants de décote consentis en 2015

Source : commission des finances du Sénat, à partir des données du questionnaire budgétaire

b) De nouveaux avatars soulignent le conflit persistant entre la politique de l'immobilier de l'État et la politique du logement

En dépit de l'affirmation d'une nouvelle étape de la politique immobilière de l'État, le conflit d'objectifs est réaffirmé . Le principal outil censé guider la conduite du pilotage stratégique du parc immobilier de l'État est inscrit dans ce cadre : la circulaire de généralisation des SDIR a ainsi été précisée par la circulaire du Premier ministre du 6 juillet 2015 relative à la mobilisation du foncier public pour le logement. La démarche des SDIR est directement reliée à l'objectif de création de logement, puisque, selon cette circulaire, ils doivent permettre « une rationalisation accrue du parc immobilier déconcentré, et partant, la libération d'emprises supplémentaires potentiellement mobilisables pour le logement » .

De même, la future création d'une « foncière solidaire » 102 ( * ) , annoncée par le Président de la République lors des célébrations du bicentenaire de la Caisse des dépôts et consignations, vient contrebalancer le renforcement du pilotage de la politique immobilière de l'État avec l'évolution de France Domaine en direction de l'immobilier de l'État.

2. Face à la persistante question de la pérennité financière du CAS...

La dichotomie identifiée entre la rénovation de la gouvernance de la politique immobilière et les moyens budgétaires qui y sont consacrés s'accompagne d'interrogations renouvelées sur la pérennité financière du CAS.

Support d'autres politiques, l'immobilier de l'État constitue aussi la variable d'ajustement des arbitrages budgétaires , ce que traduit la baisse tendancielle des crédits (cf. graphique infra).

Évolution des crédits immobiliers interministériels (P309 et P723)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat

Or la diminution de l'investissement risque d'aboutir à terme à une dégradation de la valeur du patrimoine immobilier de l'État. Cette dynamique est d'autant plus préoccupante que l'équilibre du CAS repose principalement sur les recettes tirées des produits de cessions , qui permettent de financer les dépenses immobilières d'investissement et, désormais, d'entretien du parc immobilier. Si la réforme du CAS doit s'opérer dans le cadre d'une logique de priorisation des financements sur les opérations structurantes et jugées les plus performantes, vos rapporteurs spéciaux émettent une réserve s'agissant des biens qui ne feront pas partie de la sélection . En effet, alors que les cessions les plus faciles ont pour l'essentiel déjà été réalisées, il est à douter que des biens mis de côté et donc non rénovés puissent facilement être vendus ou générer des recettes suffisantes pour alimenter le CAS . De fait, cette logique rend peu viable à long terme la politique consistant à financer la modernisation du parc de l'État et son désendettement par les produits de cessions .

3. ...il convient de définir un cadre et une stratégie à moyen et long termes

Vos rapporteurs spéciaux relèvent l'affectation du produit de certaines redevances domaniales 103 ( * ) au CAS proposée par le présent projet de loi de finances et soulignent la nécessité de développer cette source de revenus .

Jusqu'à présent, la modernisation de la politique immobilière s'articulait uniquement autour de l'arbitrage entre propriété et cession , et n'intégrait pas la valorisation du patrimoine , de sorte qu'il n'existe pas d'exemple de valorisation locative des biens de l'État. Selon la direction de l'immobilier de l'État, une réflexion est engagée pour préciser les modalités actuelles de fixation des redevances domaniales, encore très hétérogènes. Pour ce faire, une mission a été confiée à l'audit interne de la direction générale des finances publiques ; à l'appui de ces travaux, il est prévu d'engager une politique de valorisation des biens de l'État.

Vos rapporteurs spéciaux invitent à approfondir les actions menées en ce sens, dans la mesure où ces recettes permettraient d'une part de compenser la diminution tendancielle des produits de cessions et d'autre part de garantir plus de stabilité au CAS en assurant des revenus récurrents . En effet, les produits des cessions, fortement dépendants du marché immobilier et de la réalisation de quelques ventes importantes, rendent difficile une planification des investissements qu'il peut financer. Le graphique ci-dessous illustre ainsi l'écart entre le solde prévu en loi de finances et exécuté sur l'exercice, traduisant le difficile pilotage du CAS.

Évolution du solde entre la prévision et l'exécution

Source : rapports annuels de performances successifs

Toutefois, l'augmentation des revenus tirés des redevances domaniales nécessite d'inscrire la politique immobilière dans une perspective de long terme , dans la mesure où il est souvent nécessaire de rénover pour ensuite valoriser un bien sur le marché locatif.


* 100 Article 3 de la loi n° 2013-61 du 18 janvier 2013 relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social.

* 101 Questionnaire budgétaire.

* 102 Cf. Rapport de préfiguration remis au Président de la République par Thierry Repentin le 15 septembre 2016.

* 103 Aux termes de l'article 20 du présent projet de loi de finances, il s'agit du produit des « redevances domaniales ou des loyers perçus par l'État, provenant des concessions ou autorisations de toute nature de la compétence du représentant du ministre chargé du budget dans le département, des concessions de logement dont l'État est propriétaire ou locataire et des locations d'immeubles de son domaine privé, à l'exclusion des redevances ou des loyers du domaine public et privé dont le ministère de la défense est le gestionnaire ».

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