Rapport n° 319 (2017-2018) de M. Jean-Pierre SUEUR , fait au nom de la commission des lois, déposé le 21 février 2018

Disponible au format PDF (876 Koctets)

Tableau comparatif au format PDF (300 Koctets)

Synthèse du rapport (197 Koctets)


N° 319

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2017-2018

Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 février 2018

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi visant à instituer le Conseil parlementaire d' évaluation des politiques publiques et du bien - être ,

Par M. Jean-Pierre SUEUR,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Bas , président ; MM. François Pillet, Jean-Pierre Sueur, François-Noël Buffet, Jacques Bigot, Mmes Catherine Di Folco, Sophie Joissains, M. Arnaud de Belenet, Mme Nathalie Delattre, MM. Pierre-Yves Collombat, Alain Marc , vice-présidents ; M. Christophe-André Frassa, Mme Laurence Harribey, MM. Loïc Hervé, André Reichardt , secrétaires ; Mme Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Philippe Bonnecarrère, Mmes Agnès Canayer, Maryse Carrère, Josiane Costes, MM. Mathieu Darnaud, Marc-Philippe Daubresse, Mme Jacky Deromedi, MM. Yves Détraigne, Jérôme Durain, Mme Jacqueline Eustache-Brinio, MM. Jean-Luc Fichet, Pierre Frogier, Mmes Françoise Gatel, Marie-Pierre de la Gontrie, M. François Grosdidier, Mme Muriel Jourda, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Sébastien Leroux, Henri Leroy, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Jean Louis Masson, Mme Marie Mercier, MM. Thani Mohamed Soilihi, Alain Richard, Simon Sutour, Mmes Lana Tetuanui, Catherine Troendlé, M. Dany Wattebled .

Voir les numéros :

Sénat :

611 rect. (2016-2017) et 320 (2017-2018)

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

Réunie le mercredi 21 février 2018, sous la présidence de M. Philippe Bas , président , la commission des lois a examiné, sur le rapport de M. Jean-Pierre Sueur, la proposition de loi (n° 611 rectifié, 2016-2017) visant à instituer le Conseil parlementaire d' évaluation des politiques publiques et du bien-être , présentée par M. Franck Montaugé et les membres du groupe socialiste et républicain.

Tout en insistant sur la nécessité de renforcer l'évaluation des lois , le rapporteur a rappelé les expériences peu probantes de l'Office parlementaire d'évaluation de la législation (OPEL) et de l'Office parlementaire d'évaluation des politiques publiques (OPEPP), créés en 1996 et supprimés depuis, ainsi que de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois, créée en 2011 et supprimée également, pour en conclure que la création d'un nouvel organe parlementaire, commun aux deux assemblées et dédié à l'évaluation, n'était pas la modalité la plus pertinente .

Il a rappelé que la mission d'évaluation des lois incombait en premier lieu aux commissions permanentes , qui devaient développer leurs travaux en la matière.

Il a néanmoins considéré que cette proposition de loi était une utile contribution au débat sur le renforcement de la mission d'évaluation des lois et des politiques publiques au sein des assemblées , dans la perspective de la réforme institutionnelle.

La commission des lois a décidé de présenter une motion tendant au renvoi en commission de la proposition de loi.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a complété les missions du Parlement, en mentionnant dans la Constitution, qui prévoyait déjà que la loi était votée par le Parlement, que celui-ci « contrôle l'action du Gouvernement » et « évalue les politiques publiques ». De façon récurrente, les voies et moyens de nature à améliorer la manière dont le Sénat accomplit sa mission de contrôle et d'évaluation sont régulièrement discutés au sein de notre assemblée, la réalité du contrôle étant sans doute encore perfectible au regard des objectifs qui peuvent être poursuivis au titre de cette seconde fonction du Parlement, à côté de la fonction législative.

En réalité, même si le débat sur la mission de contrôle et d'évaluation du Parlement se renouvelle, votre rapporteur tient à rappeler que cette mission fait partie de l'essence même du travail parlementaire et qu'elle est assumée, particulièrement au sein des commissions permanentes et des délégations et autres organes permanents ou temporaires créés au sein des assemblées.

Notre collègue Franck Montaugé a mené une réflexion approfondie sur cette question, dès 2016, axée sur le développement de la culture de l'évaluation des politiques publiques et son élargissement à la prise en compte de nouveaux indicateurs de richesse pour apprécier globalement le niveau de vie et le bien-être des populations ainsi que la soutenabilité de la croissance.

Cette réflexion a abouti, en juillet 2017, au dépôt de la proposition de loi (n° 611 rectifié, 2016-2017) visant à instituer le Conseil parlementaire d'évaluation des politiques publiques et du bien-être, aujourd'hui soumise à l'examen de votre commission. Ce nouvel organe serait un office parlementaire, composé à parité de députés et de sénateurs, assisté d'un comité scientifique, sur le modèle de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). Notre collègue a aussi déposé, dans une commune intention, la proposition de loi organique (n° 610 rectifié, 2016-2017) visant à améliorer la qualité des études d'impact des projets de loi, elle aussi soumise à l'examen de votre commission.

La présente proposition de loi consisterait, en réalité, à rétablir l'Office parlementaire d'évaluation des politiques publiques, qui avait été créé en 1996 à l'initiative de notre regretté collègue Philippe Séguin, président de l'Assemblée nationale, et supprimé dès 2000, en raison de l'insuffisance de ses travaux mais aussi de son inadaptation au cadre de la fonction parlementaire de contrôle.

À l'heure des réflexions préparatoires à la révision constitutionnelle annoncée par le Président de la République dans une déclaration devant le Parlement réuni en Congrès, le 3 juillet 2017, au cours de laquelle il a insisté, notamment, sur le développement des activités de contrôle et d'évaluation, la proposition de loi aujourd'hui soumise à l'examen de votre commission peut représenter une utile contribution à nos débats. Toutefois, elle paraît en deçà des évolutions nécessaires pour améliorer l'implication du Parlement dans l'évaluation de la loi et des politiques publiques.

I. UNE FLUCTUATION DES ORGANES PARLEMENTAIRES DÉDIÉS À LA MISSION DE CONTRÔLE ET D'ÉVALUATION, EN DÉPIT DE LA PRIORITÉ AFFIRMÉE EN FAVEUR DE CETTE MISSION

En vertu de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la V e République, la Constitution dispose, dans son article 24, que le Parlement non seulement vote la loi, mais également « contrôle l'action du Gouvernement » et « évalue les politiques publiques ».

A. LE RENFORCEMENT DE LA MISSION DE CONTRÔLE ET D'ÉVALUATION

Si la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 n'a évidemment pas fait naître la fonction de contrôle, consubstantielle à l'existence d'un Parlement dans un régime de séparation des pouvoirs, elle a traduit l'intention du constituant de la renforcer et de la moderniser, en lui adjoignant l'évaluation des politiques publiques et plus seulement le strict contrôle de l'action du Gouvernement. Elle a également prévu l'assistance de la Cour des comptes au Parlement dans le contrôle de l'action du Gouvernement et l'évaluation des politiques publiques 1 ( * ) .

La création d'une semaine dont l'ordre du jour doit être prioritairement consacré à des travaux de contrôle, en dépit du bilan très mitigé que nombre de collègues en dressent aujourd'hui, traduit également cette priorité renouvelée accordée au contrôle parlementaire.

La période ouverte par cette révision constitutionnelle a conduit les deux assemblées à tenter d'approfondir la mission de contrôle parlementaire, en créant de nouvelles modalités d'exercice de cette mission, en complément des modalités traditionnelles. Les assemblées ont ainsi cherché à diversifier les débats de contrôle, par exemple l'Assemblée nationale en y faisant intervenir des personnalités extérieures ou le Sénat en développant des formes nouvelles de questions, mais également à créer de nouveaux organes, comme le comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques, désormais bien installé à l'Assemblée nationale, ou encore les délégations aux collectivités territoriales et aux entreprises, au Sénat. Certains organes n'ont pas survécu, par exemple la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois, qui n'a pas été maintenue en 2014, les commissions permanentes assumant, de fait, l'essentiel de cette mission de contrôle.

Votre rapporteur observe que la mission de contrôle et d'évaluation est relativement malaisée à mener en séance publique, en dehors de certains débats permettant d'interroger le Gouvernement ou des séances de questions. Le travail dans des organes plus restreints, en particulier dans les commissions permanentes, préparé par des collègues désignés à cet effet, paraît donc plus propice au développement des activités de contrôle et d'évaluation.

L'article 22 de notre Règlement précise d'ailleurs que « les commissions permanentes assurent l'information du Sénat et mettent en oeuvre, dans leur domaine de compétence, le contrôle de l'action du Gouvernement, l'évaluation des politiques publiques et le suivi de l'application des lois » 2 ( * ) . Il ajoute que « la commission des finances suit et contrôle l'exécution des lois de finances et procède à l'évaluation de toute question relative aux finances publiques » et que « la commission des affaires sociales suit et contrôle l'application des lois de financement de la sécurité sociale et procède à l'évaluation de toute question relative aux finances de la sécurité sociale ».

Par ailleurs, depuis plusieurs années, le Sénat organise un débat annuel sur l'application des lois, au cours duquel les commissions permanentes interrogent le Gouvernement.

Ainsi, la mission d'évaluation est déjà pleinement intégrée dans notre Règlement et dans nos pratiques. Encore faut-il l'accomplir efficacement, sujet de nombreuses réflexions ces dernières années.

B. FLUX ET REFLUX DES ORGANES PARLEMENTAIRES DÉDIÉS À LA MISSION DE CONTRÔLE ET D'ÉVALUATION

La proposition de loi de notre collègue Franck Montaugé semble partir du postulat que le renforcement de la mission d'évaluation suppose la création d'un organe spécifique, alors que cette mission est déjà exercée - certes sans doute d'une manière perfectible - au sein des organes existants, qu'il s'agisse des commissions permanentes, de la commission des affaires européennes, des délégations et offices ou des structures temporaires que sont les commissions d'enquête et les missions communes d'information.

En outre, le développement de nouveaux organes dédiés au contrôle, dès les années 1970 et surtout dans les années 1990, la rationalisation de ces organes après la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 3 ( * ) puis la création de nouvelles instances plus récemment ne semblent pas montrer que la mise en place de tels organes suffise à elle seule à renforcer l'efficacité du contrôle.

Ainsi, dans le domaine de l'évaluation, ont été créés en 1996 un Office parlementaire d'évaluation de la législation (OPEL) 4 ( * ) et un Office parlementaire d'évaluation des politiques publiques (OPEPP) 5 ( * ) , tous les deux communs aux deux assemblées, c'est-à-dire composés de députés et de sénateurs.

L'OPEPP a été supprimé dès 2000 6 ( * ) , après avoir réalisé quatre rapports seulement et avoir souffert de la discordance des majorités entre l'Assemblée nationale et le Sénat les années précédentes, ainsi que le notait notre ancien collègue Philippe Marini dans son rapport, en première lecture, sur la loi ayant supprimé l'OPEPP.

L'OPEL a été supprimé, quant à lui, en 2009 7 ( * ) , mais n'avait produit que trois rapports, dont deux à la demande de votre commission des lois et un à la demande de la commission des lois de l'Assemblée nationale 8 ( * ) .

Ces deux organes n'ont pas su trouver leur place. Comme l'indiquait notre ancien collègue Patrice Gélard, dans son rapport, en première lecture, sur la loi ayant, notamment, supprimé l'OPEL, « les commissions permanentes demeurent le cadre privilégié de l'évaluation de la législation » et « peuvent, du reste, si elles le souhaitent, recourir à des moyens d'investigation en tous points comparables à ceux reconnus à l'OPEL ».

En 2002 a été créé l'Office parlementaire d'évaluation des politiques de santé (OPEPS) 9 ( * ) , sur le modèle de l'OPEL, avec comme mission d'informer le Parlement sur les conséquences des choix de santé publique. Si cet organe a élaboré de nombreux rapports 10 ( * ) , dans le cadre de deux programmes d'études annuels, il a aussi été supprimé en 2009, au motif que ses travaux pouvaient être menés au sein des commissions des affaires sociales de chaque assemblée, par les missions d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (MECSS).

Au-delà du seul domaine de l'évaluation, de nombreux organes, au sein des deux assemblées, concourent à la mission de contrôle et d'évaluation.

Au sein de notre assemblée, existent aujourd'hui la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, créée en 2009 et faisant suite à l'observatoire de la décentralisation, la délégation à la prospective, créée en 2009, la délégation aux outre-mer, créée en 2011, de statut législatif depuis la récente loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique, ainsi que la délégation aux entreprises, créée en 2014. L'Assemblée nationale, après avoir créé une délégation à l'outre-mer en 2012, vient également de créer une délégation aux collectivités territoriales à la fin de l'année 2017.

À l'Assemblée nationale, le comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques, créé en 2009 par la réforme du Règlement de l'Assemblée, paraît fonctionner de façon satisfaisante. Sa présidence est assurée par le président de l'Assemblée nationale et en sont membres de droit, entre autres, les présidents des groupes politiques et ceux des commissions permanentes, traduisant une implication politique et institutionnelle forte par rapport aux autres organes dédiés aux activités de contrôle et d'évaluation.

Outre l'OPECST, créé en 1983 et évoqué supra 11 ( * ) , le législateur a créé 12 ( * ) la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes en 1999 13 ( * ) , au sein de chaque assemblée, ainsi que la délégation parlementaire au renseignement en 2007 14 ( * ) , qui est en réalité un office commun aux deux assemblées.

Enfin, en vertu de l'article 88-4 de la Constitution, chaque assemblée dispose d'une commission des affaires européennes, laquelle s'est substituée aux anciennes délégations à l'Union européenne.

Votre rapporteur tire de ces diverses évolutions la conséquence qu'il est nécessaire de passer d'une réflexion sur la création d'organes parlementaires spécifiques chargés des activités de contrôle, laquelle est nécessaire mais semble montrer ses limites, à une réflexion plus large sur les méthodes, les outils et les moyens nécessaires pour accomplir de façon plus efficace les missions de contrôle de l'action du Gouvernement et surtout d'évaluation des lois et des politiques publiques . Les propositions issues du groupe de travail du Sénat sur la révision constitutionnelle, évoquées infra , se situent clairement dans cette seconde option.

II. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION : RENVOYER LE TEXTE EN COMMISSION AU PROFIT D'UNE RÉFLEXION PLUS VASTE SUR LE RENFORCEMENT DE LA FONCTION D'ÉVALUATION, DANS LA PERSPECTIVE DE LA RÉFORME INSTITUTIONNELLE

Dans le cadre des réflexions préparatoires à l'élaboration de la révision constitutionnelle annoncée par le Président de la République le 3 juillet 2017 devant le Parlement réuni en Congrès, notre assemblée a mis en place en son sein un groupe de travail, dont les travaux étaient dirigés par le président Gérard Larcher et dont notre collègue François Pillet était le rapporteur. Votre rapporteur était membre de ce groupe de travail.

L'examen par votre commission de la présente proposition de loi se situe nécessairement dans ce contexte.

Parmi les 40 propositions présentées à l'issue des réunions de ce groupe de travail 15 ( * ) , plusieurs visent à développer la fonction de contrôle de l'action du Gouvernement et d'évaluation des politiques publiques .

A. UN TEXTE NE PERMETTANT PAS DE RÉPONDRE À TOUS LES ENJEUX DU RENFORCEMENT DES MISSIONS DE CONTRÔLE ET D'ÉVALUATION

La proposition de loi présentée par notre collègue Franck Montaugé comporte trois articles.

Premièrement, elle tend à créer une nouvelle délégation parlementaire, dénommée Conseil parlementaire d'évaluation des politiques publiques et du bien-être ( article 1 er ), dans un nouvel article 6 quater au sein de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires. Ce nouvel organe serait composé de façon paritaire de dix-huit députés et dix-huit sénateurs, à l'instar de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). À l'instar de l'OPECST également, il serait assisté d'un comité scientifique, composé de trente membres représentant des organismes publics d'évaluation ou universitaires.

Ce nouvel organe aurait pour mission « d'informer le Parlement sur la politique suivie par le Gouvernement, notamment en matière de choix budgétaires, au regard de nouveaux indicateurs de richesse (...) sans préjudice des compétences des commissions permanentes ». Une telle mission peut paraître relativement limitée, même si elle vise légitimement à développer, de façon plus large, une nouvelle culture de l'évaluation au sein des assemblées.

En outre, cet organe devrait mettre en place et animer « une plateforme participative numérique relative aux nouveaux indicateurs de richesse » et organiser chaque année « une conférence citoyenne sur l'état des inégalités en France ». Il semble à votre rapporteur que de telles initiatives pourraient d'ores et déjà être prises, dans le cadre des missions actuelles du Sénat et de ses organes, sans qu'il soit nécessaire de créer à cette fin une nouvelle délégation parlementaire.

Deuxièmement, la proposition de loi tend à compléter la loi n° 2015-411 du 13 avril 2015 visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques, laquelle se limite à prévoir la remise chaque année par le Gouvernement d'un « rapport présentant l'évolution (...) de nouveaux indicateurs de richesse, tels que des indicateurs d'inégalités, de qualité de vie et de développement durable, ainsi qu'une évaluation qualitative ou quantitative de l'impact des principales réformes engagées l'année précédente et l'année en cours et de celles envisagées pour l'année suivante, notamment dans le cadre des lois de finances, au regard de ces indicateurs et de l'évolution du produit intérieur brut ».

D'une part, elle dispose que le Conseil parlementaire d'évaluation des politiques publiques et du bien-être devrait évaluer, tous les trois ans, « la pertinence des indicateurs de richesse existants » et formuler dans ce cadre « des propositions d'amélioration ou de création de nouveaux indicateurs dans le but de disposer notamment d'une mesure de l'état des inégalités économiques et sociales, du niveau de précariat, du degré de cohésion de la société, du patrimoine national et de sa soutenabilité, de la responsabilité écologique de la France dans le monde » ( article 2 ).

D'autre part, elle précise que le rapport annuel du Gouvernement sur les nouveaux indicateurs de richesse devrait faire l'objet d'une « contre-expertise réalisée par un ou plusieurs organismes indépendants » ( article 3 ).

Là encore, il apparaît à votre rapporteur que ces objectifs pourraient aisément s'insérer dans les travaux des commissions permanentes, par exemple ceux de la commission des finances, qui avait eu à connaître la loi n° 2015-411 du 13 avril 2015 précitée, issue d'une proposition de loi de notre ancienne collègue députée Eva Sas, et l'avait adoptée sans modification, sur le rapport de notre collègue Antoine Lefèvre 16 ( * ) .

B. LA NÉCESSITÉ D'AMÉLIORER LES TRAVAUX, LES MÉTHODES ET LES CAPACITÉS D'ÉVALUATION DE LA LOI ET DES POLITIQUES PUBLIQUES

Votre commission juge indispensable de développer les travaux et de renforcer les méthodes et les capacités d'expertise et d'évaluation du Sénat, pour améliorer l'évaluation de l'application des lois, au regard de leurs objectifs initiaux et du contenu de leurs études d'impact, et plus largement l'évaluation des politiques publiques.

Au titre du renforcement du contrôle et de l'évaluation, il a notamment été proposé à l'issue des réunions du groupe de travail du Sénat sur la révision constitutionnelle :

- de donner une plus grande portée au contrôle de l'application des lois, en inscrivant dans la Constitution l'obligation pour le Gouvernement de prendre les mesures réglementaires d'application des lois comme la mission du Parlement de contrôle de l'application des lois et d'évaluation de leur mise en oeuvre, prolongeant ainsi la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, mais aussi en permettant aux présidents des assemblées ainsi qu'à soixante députés ou soixante sénateurs de saisir le Conseil d'État en cas de carence dans la prise des mesures réglementaires d'application des lois ;

- d'élargir la mission d'assistance de la Cour des comptes au Parlement, en prévoyant que celle-ci assiste les assemblées dans leur mission de contrôle de l'application et de l'évaluation des lois de manière générale 17 ( * ) et en étendant à toutes les commissions permanentes la faculté de solliciter la Cour des comptes 18 ( * ) pour la réalisation d'enquêtes ;

- d'étendre les moyens d'investigation des commissions permanentes, en prévoyant dans la Constitution leur compétence en matière de contrôle de l'action du Gouvernement, d'évaluation des politiques publiques, de contrôle de l'application des lois et d'évaluation de leur mise en oeuvre, et en leur confiant les mêmes prérogatives renforcées de contrôle que les commissions des finances, des affaires sociales et de la défense (droit de communication de tout document et pouvoir d'investigation sur pièces et sur place) ;

- de lever l'interdiction faite aux assemblées de créer des commissions d'enquête sur des faits faisant l'objet de poursuites judiciaires en cours, sous réserve du respect du secret de l'instruction.

Votre commission fait siennes ces propositions.

Indépendamment de la modification de la Constitution, d'autres voies permettraient au Sénat, selon votre rapporteur, d'améliorer la manière dont il accomplit sa mission d'évaluation de la loi et des politiques publiques.

Ainsi, développant une méthode utilisée à l'Assemblée nationale, le rapporteur d'un projet ou d'une proposition de loi pourrait être chargé de façon systématique de veiller, chaque année, à l'évaluation de sa mise en oeuvre, présentant ses conclusions devant la commission, le ministre concerné pouvant être ensuite interrogé lors d'une audition . En effet, les commissions permanentes sont le lieu naturel de l'évaluation des lois, qu'elles ont examinées, ce qui suppose de parvenir à un équilibre plus satisfaisant entre le temps consacré à l'activité législative et celui consacré aux travaux d'information, de contrôle et d'évaluation, en particulier pour votre commission des lois.

Pour renforcer les capacités d'évaluation et d'expertise propres à notre assemblée, des compétences spécifiques pourraient être sollicitées (laboratoires universitaires, statisticiens, économistes...) par des partenariats durables avec des organismes extérieurs ou éventuellement par le recrutement de personnels dédiés. Il s'agirait ainsi de renforcer les moyens pratiques du Sénat permettant de conduire des travaux d'évaluation de la mise en oeuvre des lois, mais aussi de contrôler la fiabilité des études d'impact en amont de l'adoption des lois.

Les voies d'amélioration existent, les méthodes peuvent être améliorées et les capacités matérielles et humaines renforcées, les travaux d'évaluation des lois peuvent être systématisés.

Dans ces conditions, la présente proposition de loi peut constituer une utile contribution à la réflexion sénatoriale sur le renforcement des activités de contrôle et d'évaluation, sans pour autant répondre pleinement aux enjeux.

Aussi votre commission a-t-elle, sur la proposition de son rapporteur, décidé de soumettre au Sénat une motion tendant au renvoi en commission de la proposition de loi, présentée par notre collègue Franck Montaugé, visant à instituer le Conseil parlementaire d'évaluation des politiques publiques et du bien-être, ce qui permettrait, tout en prenant en compte l'apport de ce texte, de poursuivre, approfondir et élargir la réflexion sur ces questions essentielles que sont le contrôle et l'évaluation.

*

* *

Votre commission des lois a décidé de présenter une motion tendant au renvoi en commission de la proposition de loi.

EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 21 FÉVRIER 2018

_____

- Présidence de M. François Pillet, vice-président -

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur . - La proposition de loi de M. Franck Montaugé s'inscrit dans le même état d'esprit que sa proposition de loi organique sur les études d'impact : pour une meilleure évaluation de la loi, ne pas prendre en compte uniquement des indicateurs quantitatifs, mais aussi la qualité de vie, le développement durable, une croissance maîtrisée... Mon rapport écrit présentera diverses considérations sur l'évaluation et sur la façon dont elle est conduite par le Sénat et l'Assemblée nationale.

L'Office parlementaire d'évaluation de la législation (OPEL) et l'Office parlementaire d'évaluation des politiques publiques (OPEPP), communs aux deux assemblés, ont été créés en 1996. L'OPEPP a été supprimé en 2000, l'OPEL en 2009, celui-ci après trois rapports seulement - deux à la demande de notre commission, un à la demande de l'Assemblée nationale. Lors de la dernière législature, une commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois renvoyait souvent cet examen, en réalité, aux commissions permanentes.

Si l'évaluation des lois est très importante, la procédure imaginée par M. Montaugé n'est pas forcément la plus efficace : il propose la création d'une instance de 36 membres, sur le modèle de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). Plusieurs collègues m'ont fait part de leurs critiques sur ce dispositif - et non sur l'intention de l'auteur. Je vous propose d'adopter une motion de renvoi en commission pour ce sujet tout à fait pertinent.

Différentes pistes sont possibles pour améliorer l'évaluation des lois, en faisant évoluer nos méthodes de travail.

Je proposerai prochainement une modification du règlement du Sénat avec une proposition de résolution en ce sens : lorsqu'un collègue est nommé rapporteur d'un texte, il pourrait être chargé, le temps de son mandat, de suivre le devenir du texte, notamment la publication des décrets d'application. À la demande du président de la commission, il pourrait ainsi revenir un an après pour présenter un état des lieux de l'application de la loi. La commission en prendrait acte et son président pourrait inviter les ministres à venir s'expliquer chaque année.

Une année, le Sénat a adopté à mon initiative une disposition pour que les femmes dont la mère a été traitée au distilbène puissent bénéficier d'un congé de maternité amélioré. Quatre ans, six mois et plusieurs jours se sont déroulés entre le vote de la loi et la publication des deux décrets nécessaires à son application... Pendant ce temps, je recevais des lettres de femmes me félicitant de l'adoption de la loi, mais s'interrogeant sur une mesure dont elles ne pourraient pas bénéficier...

Dans notre République, il semble y avoir un droit imprescriptible de tout ministre à ne pas appliquer la loi, soit par négligence, soit par volonté. S'il le souhaite, il ne se passe rien. Je propose qu'année après année, la commission se prononce sur l'application des lois. Évaluons l'application des lois, mais un organisme de 36 personnes n'est pas une bonne modalité pour atteindre cet objectif.

M. François Pillet, président . - Merci de votre proposition opportune, vous nous donnez ainsi matière à alimenter le débat. J'ai constaté une certaine inactivité du Gouvernement après l'adoption de certaines lois. Le groupe de travail sur la révision constitutionnelle a proposé des solutions, notamment que plusieurs députés ou sénateurs ou les présidents des assemblées puissent saisir le Conseil d'État pour réagir à une telle situation.

M. Thani Mohamed Soilihi . - Je pense aussi particulièrement aux ordonnances pour adapter les textes dans les outre-mer, trop souvent oubliées...

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur . - Tout à fait ! Vous attendez parfois, des années durant, les textes d'application ou d'adaptation.

La commission décide de soumettre au Sénat une motion tendant au renvoi en commission de la proposition de loi.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

M. Franck Montaugé , auteur de la proposition de loi

Mme Élisabeth Lamure , présidente de la délégation aux entreprises


* 1 Article 47-2 de la Constitution.

* 2 L'article 145 du Règlement de l'Assemblée nationale précise, quant à lui, que « les commissions permanentes assurent l'information de l'Assemblée pour lui permettre d'exercer son contrôle sur la politique du Gouvernement ».

* 3 Voir notamment la loi n° 2009-689 du 15 juin 2009 tendant à modifier l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et à compléter le code de justice administrative.

* 4 Loi n° 96-516 du 14 juin 1996 tendant à créer un Office parlementaire d'évaluation de la législation.

* 5 Loi n° 96-517 du 14 juin 1996 tendant à élargir les pouvoirs d'information du Parlement et à créer un Office parlementaire d'évaluation des politiques publiques.

* 6 Article 94 de la loi n° 2000-1352 du 30 décembre 2000 de finances pour 2001.

* 7 Loi n° 2009-689 du 15 juin 2009 tendant à modifier l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et à compléter le code de justice administrative.

* 8 Ces rapports sont consultables à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/commission/legislation/index.html

* 9 Article 2 de la loi n° 2002-1487 du 20 décembre 2002 de financement de la sécurité sociale pour 2003.

* 10 Ces rapports sont consultables à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/commission/sante/index.html

* 11 Loi n° 83-609 du 8 juillet 1983 portant création d'une délégation parlementaire dénommée office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.

* 12 Ne sont évoqués ici que les organes créés par le législateur qui existent encore à ce jour. Ont ainsi été créées puis supprimées la délégation pour l'Office de radiodiffusion-télévision française (ORTF), créée en 1972 et supprimée en 1986, la délégation aux problèmes démographiques, créée en 1979 et supprimée en 2009, la délégation à la planification, créée en 1983 et supprimée en 2009, à laquelle s'est substituée au Sénat la délégation à la prospective, ainsi que la délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire, créée en 1999 et supprimée en 2009.

* 13 Loi n° 99-585 du 12 juillet 1999 tendant à la création de délégations parlementaires aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.

* 14 Loi n° 2007-1443 du 9 octobre 2007 portant création d'une délégation parlementaire au renseignement.

* 15 Le rapport du groupe de travail est consultable à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/fileadmin/Fichiers/Images/presidence_senat/40_propositions_du_groupe_de_travail_du_Senat_sur_la_revision_constitutionnelle.pdf

* 16 Le dossier législatif de cette proposition de loi est consultable à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl14-269.html

* 17 Actuellement, l'article 47-2 de la Constitution dispose de façon plus limitée que la Cour des comptes « assiste le Parlement dans le contrôle de l'action du Gouvernement » et « dans le contrôle de l'exécution des lois de finances et de l'application des lois de financement de la sécurité sociale ainsi que dans l'évaluation des politiques publiques ».

* 18 Actuellement, la Cour des comptes peut réaliser des enquêtes à la demande de la commission des affaires sociales, sur des organismes entrant dans le champ des lois de financement de la sécurité sociale (article L.O. 132-3-1 du code des juridictions financières), et de la commission des finances ou d'une commission d'enquête, sur des services ou organismes soumis au contrôle de la Cour (article L. 132-4 du même code et article 58 de la loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances), ainsi que des évaluations de politiques publiques à la demande des présidents des assemblées, de leur propre initiative ou sur proposition d'une commission permanente dans son domaine de compétence (article L. 132-6 du même code).

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page