II. LA POSITION DE LA COMMISSION : CONCILIER EFFICACITÉ DU DISPOSITIF ET GARANTIES JURIDIQUES DU DROIT DE PROPRIÉTÉ

La protection du droit de propriété est garantie par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Les limites apportées à son exercice doivent donc être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi, comme l'a rappelé le Conseil constitutionnel à plusieurs occasions 8 ( * ) .

Votre commission a considéré que la situation tout à fait particulière du foncier ultramarin, décrite dans le rapport d'information de la délégation sénatoriale aux outre-mer précité, constituait un motif d'intérêt général justifiant, dans son principe, la mise en place du régime dérogatoire de sortie d'indivision proposé par le présent texte.

Quant au caractère proportionné à l'objectif poursuivi des mesures proposées, votre commission estime que l'Assemblée nationale, en imposant une notification du projet de vente ou de partage par acte extrajudiciaire à tous les indivisaires, en renforçant les modalités de publicité du projet et en renversant la charge de la saisine du juge en cas d'opposition d'un indivisaire minoritaire au projet, a apporté de solides garanties qui s'ajoutent au caractère temporaire du dispositif créé.

Aussi votre commission a-t-elle entendu s'inscrire dans la continuité des travaux engagés par l'Assemblée nationale, en proposant des modifications de nature à renforcer encore l'efficacité du dispositif tout en lui apportant de nouvelles garanties en termes de sécurité juridique.

À l' article 1 er , elle a étendu l'application du dispositif dérogatoire aux collectivités de Saint-Barthélemy et Saint-Martin.

Elle a ensuite prévu qu'il ne s'appliquerait qu'aux successions ouvertes depuis plus de dix ans et non pas aux successions ouvertes depuis plus de cinq ans, pour permettre aux héritiers d'exercer pleinement les actions qui leur sont ouvertes par le code civil, comme l'action en possession d'état pour établir une filiation post mortem avec le de cujus , qui se prescrit par dix ans, ou l'option successorale qui peut être exercée par l'héritier dans ce même délai.

Elle a considéré que les praticiens, conscients du risque de voir le partage ou la vente contesté par des héritiers dont les droits n'auraient pas été purgés, seraient réticents à mettre en oeuvre le dispositif dérogatoire de sortie d'indivision avant l'expiration de ce délai de dix ans.

Par ailleurs, elle a estimé que les situations d'indivisions problématiques étaient justement les plus anciennes et que l'efficacité du texte ne serait donc pas amoindrie en ciblant les successions ouvertes depuis plus de dix ans.

Enfin, par souci de cohérence, votre commission a modifié la majorité requise pour effectuer des actes d'administration ou de gestion, jusqu'à présent fixée à deux tiers des droits indivis, pour éviter qu'il soit plus difficile d'effectuer ces actes que de procéder à des actes de disposition, puisque la proposition de loi autorise la vente ou le partage du bien à l'initiative des indivisaires titulaires de plus de la moitié des droits indivis.

À l' article 2 , en cas de projet de vente du bien à une personne étrangère à l'indivision, votre commission a prévu la possibilité pour tout indivisaire qui le souhaiterait, d'exercer un droit de préemption, pour se porter acquéreur du bien aux prix et conditions de la cession projetée.

Elle a ensuite supprimé la notion de présomption de consentement au projet de l'indivisaire qui ne se serait pas manifesté, estimant qu'il était plus pertinent de prévoir que la vente ou le partage du bien lui serait opposable.

Pour encourager les héritiers à partager les biens indivis, votre commission a introduit dans le texte un nouvel article 2 bis qui met en place une exonération de droit de partage de 2,5 % pour les immeubles situés dans les territoires ultramarins concernés par le dispositif dérogatoire de sortie d'indivision.

À l'initiative de Mme Lana Tetuanui, elle a également introduit dans le texte un nouvel article 5 A , qui consacre la possibilité de procéder, en Polynésie française, à un partage du bien par souche, quand le partage par tête est rendu impossible en raison notamment du nombre d'héritiers ou de l'ancienneté de la succession.

À l' article 5 , elle a étendu aux autres collectivités ultramarines concernées par le texte l'application du mécanisme créé au bénéfice de la Polynésie française, consistant à permettre au conjoint survivant ou à un héritier copropriétaire de bénéficier de l'attribution préférentielle du bien, en démontrant qu'il y a sa résidence de manière continue, paisible et publique depuis plus de dix ans au moment de l'introduction de la demande de partage en justice.

Votre commission a procédé à la même extension, à l' article 6 , s'agissant du dispositif visant à empêcher la remise en cause d'un partage judicaire transcrit ou exécuté, par un héritier omis à la suite d'une erreur ou d'une ignorance, en limitant son action à « demander de recevoir sa part, soit en nature, soit en valeur, sans annulation du partage ».

Bien consciente que ce texte ne résoudra pas, à lui seul, les difficultés foncières des territoires ultramarins, dans la mesure où son efficacité dépendra en grande partie de la capacité des notaires à identifier l'ensemble des indivisaires, et dans la mesure où la procédure restera hors du tribunal seulement en l'absence d'opposition des indivisaires minoritaires, votre commission estime néanmoins qu'il pourrait constituer un outil utile de sécurisation du foncier, s'il était associé à d'autres initiatives comme la mise en place de groupements d'intérêt public ayant pour objet la reconstitution des titres de propriété.

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Votre commission a adopté la proposition de loi ainsi modifiée.


* 8 Voir notamment la décision n° 2010?60 QPC du 12 novembre 2010.

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