B. L'ARMÉE FRANÇAISE EST ENGAGÉE AU-DELÀ DE SES MOYENS DEPUIS PLUSIEURS ANNÉES

La LPM n'apporte que des changements modestes aux contrats opérationnels fixés en 2013.

Pourtant, depuis 2014, les contrats opérationnels ont été si amplement dépassés que la nécessité de leur évolution semblait s'imposer d'elle-même. Le niveau d'engagement des armées a ainsi été d'environ 30 % supérieur aux contrats opérationnels définis dans le Livre blanc de 2013, comme le rappelle l'encadré suivant.

DES CONTRATS OPÉRATIONNELS DÉPASSÉS

Selon les informations communiquées par le ministère des armées, en synthèse, sur la durée de la LPM en cours d'exécution, la comparaison entre la réalité des engagements et les contrats opérationnels définis dans le Livre blanc de 2013 s'est établie comme suit :

- engagement des armées sur 4 théâtres d'opérations significatifs, dont 2 majeurs, alors que le Livre blanc de 2013 ne prévoyait que 2 à 3 théâtres, dont 1 majeur ;

- 4 à 5 déploiements maritimes dont 3 à 4 permanents, contre 2 à 3 déploiements prévus;

- déploiement de 3 bases aériennes projetées, alors que le Livre blanc de 2013 n'en prévoyait qu'une seule ;

- un engagement dans la durée de 7 000 hommes dans l'opération Sentinelle, avec des pics allant jusqu'à 10 000 hommes, au-delà du contrat prévu dans le Livre blanc de 2013.

Au cours de la même période, pour ce qui relève de la gestion de crise ont été engagées en moyenne les capacités suivantes :

-  plus de 300 véhicules de l'avant blindé contre les 200 prévus ;

- plus de 20 avions de combat en moyenne contre 12 prévus dans le Livre blanc de 2013 ;

- 6 à 7 avions de transport tactique contre les 6 prévus ;

- une dizaine de bâtiments de la marine nationale (dont des SNA) contre les 6 prévus.

Les contrats opérationnels prévus par le présent projet de loi affichent finalement des ambitions plus limitées que ce que l'on aurait pu espérer. En effet, le niveau de ces contrats est déterminant pour le format d'armée, et notamment les besoins en équipement. La forte contrainte budgétaire que cela représente a eu raison de l'ambition qui aurait consisté à mettre les contrats opérationnels au niveau des besoins constatés depuis 4 ans.

Nos armées vont donc durablement rester dans ce format « juste insuffisant » que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat dénonce depuis plusieurs années.

Ce choix peut s'expliquer, dans un contexte de contrainte forte des finances publiques. Mais est-il réaliste, dans le contexte géostratégique décrit par la Revue stratégique, de ne rendre possible aucune nouvelle marge de manoeuvre d'engagement des armées en ne prévoyant que trois théâtres d'opérations - déjà en cours- avec la capacité à assumer le rôle de nation cadre sur un théâtre et à être contributeur majeur au sein d'une coalition ? Peut-on ainsi exclure d'emblée l'ouverture de tout nouveau théâtre pendant toute la période de programmation, ou bien escompte-t-on pouvoir se désengager d'un des théâtres d'opérations ? En ce domaine, aucune évidence ne s'impose, et l'expérience prouve qu'il est difficile de mettre fin à une OPEX.

Cette suractivité a eu d'importantes conséquences sur les niveaux d'entraînement et de disponibilité des matériels. L'accomplissement des missions demandées et la réalisation d'opérations caractérisées par le durcissement des conditions d'emploi et leur durée ont entraîné de fortes tensions sur la régénération des matériels et la préparation des personnels. Le cycle de préparation opérationnelle de l'Armée de Terre, également soumis à pression par la remontée de la force opérationnelle terrestre (FOT) et l'opération Sentinelle, a été durement affecté. La Marine a connu des répercussions sur la formation de ses personnels engagés dans la lutte anti-sous-marine et la surveillance maritime. Enfin, l'Armée de l'air a connu, hors opération, un déficit d'activité aérienne, qui a allongé la durée de formation des équipages de près de 30 % en moyenne, alors que dans le même temps, les équipages plus expérimentés étaient confrontés au surengagement.

Votre commission a regretté année après année, que les normes d'entraînement de nos armées qui sont, avant même d'être gage de leur efficacité, leur première défense, la source de leur sécurité, soient inférieures de 10 % en moyenne aux normes de l'OTAN .

Alors que la coopération avec nos Alliés est une réponse à certains choix ou à certaines contraintes de la période de programmation à venir, la nécessité de respecter les normes d'entraînement international auxquelles nous avons souscrit s'affirme.

De même, la disponibilité technique opérationnelle des matériels n'a pas atteint pendant la précédente période de programmation tous les objectifs fixés. Ont particulièrement été contraintes les disponibilités des équipements aéronautiques et des équipements de l'armée de terre .

La disponibilité technique opérationnelle (DTO) des équipements de l'armée de terre est à la peine. La disponibilité des chars LECLERC souffre de l'engagement du personnel en charge de sa maintenance sur l'opération « Sentinelle », celle des chars AMX 10 RCR du vieillissement du parc, malgré les efforts de prolongation de sa durée de vie. Le parc des véhicules de l'avant blindés (VAB) souffre d'un déficit de régénération, celui des véhicules blindés de combat d'infanterie (VBCI) des actions de « rétrofit » chez l'industriel.

La remontée de la DTO des équipements aéronautiques , toujours annoncée et espérée, est restée lente et encore insatisfaisante. La disponibilité des hélicoptères de l'armée de terre annoncée en progression de 10 % en 2018 par rapport à 2017, ne permet de remplir que 58 à 66 % du contrat opérationnel selon la flotte concernée. Pour les hélicoptères de la marine, ce taux est encore plus bas avec seulement 55 % du contrat opérationnel . La DTO des hélicoptères de l'armée de l'air devrait atteindre en 2018 85 % du contrat opérationnel . La transformation de la Structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques du ministère-SIMMAD 4 ( * ) en Direction de la maintenance aéronautique-DMAé en 2018 est une nouvelle tentative pour résoudre les difficultés et atteindre enfin les niveaux de disponibilité nécessaires tant à la préparation opérationnelle qu'à l'accomplissement des contrats opérationnels.

Enfin, les forces de souveraineté et les forces prépositionnées ont souffert lors de la précédente LPM d'un sous-dimensionnement réel.

Pour les forces de souveraineté, les capacités militaires françaises ont été réduites de moitié alors que le Livre blanc de 2008 jugeait déjà ces forces « à peine suffisantes pour exprimer la souveraineté de notre pays sur ces territoires » 5 ( * ) . Le partenariat stratégique noué entre l'Australie et la France en 2012, le Livre blanc de 2013 et le contrat du siècle de 2016 6 ( * ) ont pourtant confirmé l'intérêt stratégique de notre pays notamment pour la zone de l'Asie-Pacifique.

Or ces moyens sont insuffisants au regard des besoins et du rôle que notre pays entend jouer. C'est particulièrement le cas des patrouilleurs de souveraineté dit P400 dont 3 sur 10 sont encore en activité. La quasi-disparition de la flotte de patrouilleurs a entraîné une surveillance moindre de pans entiers du territoire maritime français. En outre, le fort taux d'emploi accélère le vieillissement des P400 et leur indisponibilité en mer. Le trou capacitaire, prévu, risque de s'accroître. Il a été partiellement atténué par la livraison de quatre bâtiments multi-missions (B2M) et 2 patrouilleurs légers guyanais (PLG) entre 2016 et 2018.

Mais un déficit capacitaire est prévu entre 2020 et 2024 outre-mer. Cette situation n'est pas tenable, l'effort budgétaire à réaliser n'étant pas si conséquent au regard des enjeux ! Au cours de la LPM 2019-2025, sans que plus de précision ne soit apportée sur le moment précis, l'effort portera sur la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française et la Guyane. Les effectifs permanents devraient être renforcés d'ici 2023 dans certains domaines ciblés, tandis qu'un patrouilleur léger guyanais (PLG) devrait être livré en 2019 et 6 patrouilleurs outre-mer (POM) entre 2022 et 2024.

Or, sans patrouilleurs, la France risque de voir sa souveraineté sur ses espaces ultramarins et ses zones économiques exclusives (ZEE) plus facilement mise à mal. De même, la lenteur de la réaction de l'État après le passage de l'ouragan Irma sur les îles de Saint-Martin et Saint-Barthélemy tient notamment aux manques de moyens des forces de souveraineté.

De la même façon, nos forces prépositionnées sont autant d'interfaces stratégiques dont on a eu tort de réduire les moyens. Votre commission a ainsi organisé au mois de mars une mission à Djibouti qui a mis en évidence l'importance stratégique des Forces françaises basées à Djibouti (FFDJ), sur le plan militaire, bien sûr, mais aussi plus généralement sur le plan de la présence française dans cette zone très sensible. A ce titre, une réflexion doit être menée sur les affectations dans les forces prépositionnées, à la fois sur la durée des missions et, dans le cas des missions de longue durée, sur le profil familial des militaires affectés. Dans un pays comme Djibouti, la présence des familles d'une partie des militaires des FFDJ est aujourd'hui la clef de voûte de la présence française dans le pays. Le coût du maintien et, là où c'est nécessaire, du renforcement des forces prépositionnées apparaît marginal au regard de leur importance stratégique.


* 4 Créée en 2000 pour répondre déjà aux difficultés de la gestion de la chaîne des pièces de rechange des équipements aéronautiques, qui était l'une des principales explications selon la DGA des piètres résultats du maintien en condition opérationnelle des équipements aéronautiques.

* 5 D'après le Livre blanc de 2008, on a ainsi procédé à une réduction de 2 400 postes, représentant une baisse globale des effectifs de 25 %, avec de fortes disparités selon les implantations (de -50 % en Polynésie française à +10 % en Guyane). La réduction des moyens a provoqué une érosion des capacités opérationnelles, notamment dans le domaine des moyens navals.

* 6 C'est-à-dire l'achat par l'Australie de douze sous-marins français, contrat de 34 milliards d'euros, ou 50 milliards de dollars australiens.

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