AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Près de 40 % des personnes âgées de plus de 78 ans hébergées dans un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) n'ont pas de lunettes adaptées à leur vue. La première raison de cet alarmant constat se trouve dans un accès limité aux soins de ville, notamment de spécialité ophtalmologique, qui reste l'incontournable porte d'entrée de la filière des soins visuels.

Dans un contexte de pénurie de professionnels de santé libéraux dans les zones sous-denses, au premier rang desquels les médecins spécialistes, la continuité du suivi médical en Ehpad est difficile. Les opticiens-lunetiers, qui assurent l'équipement des personnes âgées en perte d'autonomie en matériel d'acuité visuelle (verres correcteurs et lentille de contact oculaire), ne peuvent intervenir sans prescription médicale.

De plus, les tests de réfraction ainsi que les adaptations d'équipement doivent être réalisées dans l'enceinte de leur magasin. Dans le cas de résidents d'Ehpad, souvent dans l'incapacité de se déplacer de façon autonome, les gestionnaires d'Ehpad ne sont pas en mesure de dégager des ressources pour assurer leur accompagnement.

C'est pourquoi la présente proposition de loi propose d'assouplir les conditions d'accomplissement de ces opérations, en autorisant l'opticien-lunetier à se rendre au sein de l'Ehpad pour les effectuer directement auprès du résident.

Votre commission est favorable à cet assouplissement. Toutefois, un meilleur accès des personnes âgées en perte d'autonomie aux soins visuels reste conditionné à une réforme en profondeur de l'ensemble de la filière, et tout particulièrement aux acteurs prescripteurs.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

I. L'INTERVENTION DES ACTEURS DE LA FILIÈRE VISUELLE AUPRÈS DES PERSONNES ÂGÉES SOUFFRE DE PLUSIEURS DÉFICIENCES

A. LA FILIÈRE VISUELLE COMPREND PLUSIEURS ACTEURS DONT LES COMPÉTENCES RESTENT IMPARFAITEMENT COORDONNÉES

Les compétences en matière de santé oculaire et visuelle font l'objet d'une répartition complexe :

- les médecins spécialistes en ophtalmologie disposent d'une compétence générale d'intervention au terme d'une formation d'une durée de dix ans ;

- les orthoptistes , professionnels de santé reconnus par le code de la santé publique (CSP) ont une formation d'une durée de trois ans dans les facultés de médecine, sanctionnée par un certificat de capacité d'orthoptiste. Ils assurent le dépistage, la rééducation, la réadaptation et l'exploration fonctionnelle des troubles de la vision, et peuvent coter les actes ainsi réalisés. Ils peuvent également, sous la responsabilité d'un médecin, réaliser diverses techniques d'imagerie du fond d'oeil, les électrorétinogrammes, les tomographies en cohérence optique, qui permettent le diagnostic et le suivi des maladies du nerf optique et des voies visuelles, et les échographies ;

- les optométristes , dont la profession s'acquiert après un double cursus comprenant l'obtention du BTS opticien-lunetier (deux ans) puis d'un master de biologie en spécialité sciences de la vision (trois ans) suivi dans une faculté de sciences et sanctionné par un diplôme d'État délivré par le ministère de l'Éducation nationale. La profession telle qu'elle existe actuellement en France est compétente sur la seule partie fonctionnelle de la vision et non sur le dépistage pathologique. Les actes pratiqués par l'optométriste ne peuvent l'être que sous le contrôle d'un médecin et ne font pas l'objet d'une cotation dans la nomenclature générale des actes professionnels. De ce fait, les optométristes sont soit, pour la grande majorité d'entre eux, opticiens, soit salariés de cabinets ou de services d'ophtalmologie, où ils effectuent le plus souvent des examens préparatoires à la consultation. On en dénombre environ 3 000 ;

- les opticiens sont des professionnels de santé et auxiliaires médicaux reconnus par le code de la santé publique. À l'issue du BTS d'opticien-lunetier, ils ont la possibilité d'opter pour une licence professionnelle permettant d'acquérir une compétence particulière en réfraction, contactologie, basse vision ou pathologie.

De façon générale, les professionnels de la filière visuelle ont à connaître de deux grandes catégories de besoins exprimés par les patients : le soin à apporter aux cas de pathologie visuelle , qui demeure du ressort exclusif du médecin et des professionnels de santé agissant par délégation d'acte, et l' équipement optique (verres correcteurs et lentilles de contact oculaire) requis en cas de perte de l'acuité visuelle. C'est ce besoin particulier qui mobilise l'ensemble de la filière, depuis la prescription médicale jusqu'à la délivrance en magasin.

La loi du 26 janvier 2016 portant modernisation de notre système de santé 1 ( * ) a apporté plusieurs modifications à l'organisation de la filière visuelle, dans le but d'une meilleure coordination de ses acteurs, dont deux ont particulièrement retenu l'attention de votre rapporteure.

1) L'affirmation de l'orthoptiste dans la prise en charge de la pathologie visuelle

En application du nouvel article L. 4342-1 du CSP, un décret du 5 décembre 2016 2 ( * ) dispose que, lorsqu'il exerce dans le cadre du cabinet d'un médecin ophtalmologiste ou au sein d'un établissement de santé, l'orthoptiste peut réaliser certains actes de diagnostic, de bilan ou de traitement, à la condition préalable d'une prescription médicale ou, de manière plus souple, dans le cadre d'un protocole organisationnel établi par un ou plusieurs médecins ophtalmologistes.

Le texte définit le cadre juridique d'une délégation d'actes médicaux aux orthoptistes et confirme ces derniers dans un statut de professionnels de santé habilités, avec l'objectif de spécialiser le temps strictement médical sur l'analyse des pathologies visuelles en le déchargeant des actes de diagnostic et de bilan primaire.

Ce cap n'est pas unanimement approuvé par la profession d'orthoptiste, dont certaines instances représentatives estiment qu'elle relève prioritairement du soin strictement optique, au titre notamment de sa spécialité en rééducation et réadaptation de la vision. Plus largement, le décret du 5 décembre 2016 fait craindre une « auxiliarisation » de l'orthoptiste vis-à-vis de l'ophtalmologiste, qui serait de nature à menacer son indépendance et à compromettre l'exercice de sa profession en libéral. Un recours conjointement déposé en ce sens par le syndicat national autonome des orthoptistes (SNAO) et par l'association des optométristes de France (AOF) contre le décret a récemment été rejeté par une décision du Conseil d'État du 21 décembre 2018 3 ( * ) .

Votre rapporteure, très attachée à l'objectif d'efficience qui doit animer la réorganisation de la filière visuelle, se montre quant à elle favorable aux initiatives visant à faciliter les délégations d'actes médicaux.

2) Un renforcement avorté du rôle de l'opticien dans la délivrance de l'équipement optique

Les délivrances de verres correcteurs ou de lentilles de contact oculaire par un opticien-lunetier sont soumises à l'existence d'une prescription médicale en cours de validité. Il lui est toutefois permis d' adapter , uniquement dans le cadre d'un renouvellement , les prescriptions médicales initiales, à la condition que le médecin ne s'y soit pas préalablement opposé. La loi du 26 janvier 2016 a par ailleurs attribué à l'opticien la possibilité de délivrer un équipement de remplacement en cas de bris ou de perte, sans nécessité d'une prescription.

Ces différents aménagements, qui s'inscrivent dans le strict champ de la vérification de l'acuité visuelle et non du diagnostic pathologique, ne doivent pas s'interpréter comme des délégations d'acte médical, mais comme une facilitation du suivi de l'équipement optique des patients. Ils respectent la dichotomie des tâches qui structure la filière visuelle, selon laquelle l'acte thérapeutique est réservé aux professionnels de santé et la délivrance du matériel optique ordinaire est assurée, dans une autonomie renforcée, par des professionnels commerciaux.

Ces assouplissements prévus par la loi ont néanmoins été paradoxalement restreints par un décret d'application du 12 octobre 2016 4 ( * ) . Ce dernier confirme en effet la possibilité pour l'opticien, dans le cadre d'un test de réfraction, de procéder à l'adaptation de l'équipement optique, mais limite cette faculté aux cas où la prescription médicale a été émise moins de trois auparavant , pour les personnes âgées de plus de 42 ans.

Or, dans les cas des personnes âgées accueillies en établissement que concerne la présente proposition de loi, il est extrêmement rare qu'une prescription médicale ait été émise moins de trois ans avant leur admission.


* 1 Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.

* 2 Décret n° 2016-1670 du 5 décembre 2016 relatif à la définition des actes d'orthoptie et aux modalités d'exercice de la profession d'orthoptiste.

* 3 Conseil d'État, 5 e chambre, 21 décembre 2018, n° 410187.

* 4 Décret n° 2016-1381 du 12 octobre 2016 relatif aux conditions de délivrance de verres correcteurs ou de lentilles de contact oculaire correctrices et aux règles d'exercice de la profession d'opticien-lunetier.

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