EXAMEN EN COMMISSION

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Réunie le mercredi 16 janvier 2019, sous la présidence de M. Alain Milon, président, la commission examine selon la procédure de législation en commission (articles 47 à 47 quinquies du Règlement) le rapport de Mme Élisabeth Doineau sur la proposition de loi n° 185 (2018-2019) visant à améliorer la santé visuelle des personnes âgées en perte d'autonomie.

M. Alain Milon , président. - Nous examinons ce matin la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à améliorer la santé visuelle des personnes âgées en perte d'autonomie.

Ainsi qu'il a été décidé par la conférence des présidents, avec l'accord de tous les présidents de groupe, nous légiférons selon la procédure de législation en commission prévue aux articles 47 ter et suivants du règlement du Sénat. Le droit d'amendement s'exerce donc uniquement en commission. Notre réunion est publique, avec une retransmission sur le site du Sénat ; elle se tient en présence du Gouvernement. Je salue donc Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État auprès de la ministre de la santé et des solidarités.

Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. - La qualité de vie des personnes âgées et l'accompagnement de la perte d'autonomie sont deux priorités du Gouvernement. Nous sommes tous convaincus que mieux prendre en charge nos aînés est un devoir de solidarité ; c'est la marque d'une société qui reconnaît ce qu'elle doit aux plus anciens.

Plusieurs réformes sont déjà en cours pour avancer vers une société plus inclusive et protectrice pour les personnes âgées. Je pense à la transformation du système de santé autour du vieillissement de la population et de l'augmentation des maladies chroniques, aux nouvelles synergies entre médecine de ville, médico-social et hôpital et à la suppression progressive du reste à charge pour les assurés dans les domaines de l'optique, du dentaire et de l'audiologie. Cette dernière réforme était une promesse de campagne forte du Président de la République et elle répondra aux attentes des personnes âgées qui auront accès plus facilement à un ensemble de prestations de soins identifiées et nécessaires : bien voir, bien entendre et soigner son hygiène bucco-dentaire.

L'amélioration de la qualité de vie des personnes âgées passe aussi par une transformation en profondeur de la manière dont est reconnu et pris en charge le risque de perte d'autonomie lié au vieillissement.

Le Gouvernement a lancé en octobre dernier une vaste concertation et un débat national autour du grand âge et de la perte d'autonomie. Cette mission conduite par Dominique Libault devra formuler, d'ici au mois de mars, des propositions couvrant l'ensemble des aspects de la prise en charge des personnes âgées.

Sans remettre en cause ces différents travaux qui s'inscrivent dans le temps long, la proposition de loi vise à résoudre un problème précis et concret : l'accès aux soins visuels dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).

En effet, le dispositif actuel ne permet pas aux personnes accueillies en Ehpad de disposer de lunettes adaptées à leur correction. Obtenir un rendez-vous est déjà délicat pour les patients ordinaires, mais cela s'avère être un parcours du combattant pour les personnes âgées en établissement. Au regard des projections démographiques concernant la profession d'ophtalmologue, les difficultés d'accès à une consultation ophtalmologique sont appelées à perdurer. Des mesures ont été prises pour étendre les champs de compétences des orthoptistes et des opticiens-lunetiers, mais elles n'ont pas résolu l'ensemble des problèmes.

L'article unique de la proposition de loi visait initialement à lever une restriction, afin que les personnes âgées hébergées en Ehpad puissent bénéficier d'un test de réfraction et d'une adaptation de leur correction sans se déplacer chez un opticien.

Néanmoins, si cette préoccupation est légitime, il est compliqué de légiférer sur ce sujet sans s'assurer au préalable que les conditions de qualité et de sécurité des soins sont réunies. Or, chez la personne âgée, les pathologies oculaires qui peuvent se traduire par une baisse de l'acuité visuelle sont fréquentes et nombreuses et seul un examen ophtalmologique complet permet de les détecter, examen que l'opticien n'est pas en mesure de faire.

Pour cette raison, le Gouvernement souhaite privilégier la voie de l'expérimentation et a soutenu la modification du texte en séance. Le texte modifié autorise ainsi les opticiens-lunetiers à réaliser directement dans les Ehpad une réfraction et à adapter, dans le cadre d'un renouvellement, les prescriptions médicales. Cette expérimentation n'étend donc pas les compétences des opticiens-lunetiers, mais les autorise à délocaliser leur exercice au profit des personnes ne pouvant se déplacer.

Mme Élisabeth Doineau , rapporteur. - Si l'accès aux soins ophtalmologiques est un casse-tête pour l'ensemble de la population, le problème est exacerbé pour les patients hébergés dans une structure médico-sociale. Inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale sur l'initiative de la députée Agnès Firmin Le Bodo, du groupe UDI, Agir et Indépendants, cette proposition de loi, d'envergure modeste, pose les premiers jalons d'une politique publique qui retiendra toute notre attention cette année, dans le cadre du débat national sur le grand âge et de la discussion de la future loi Santé : l'accompagnement de la perte d'autonomie et la prise en charge financière et humaine de la perte de certaines facultés.

La filière visuelle présente plusieurs blocages auxquels ce texte entend remédier.

Plusieurs acteurs interviennent lorsqu'une personne âgée perd de l'acuité visuelle : tout acte de correction de la vue doit d'abord être prescrit par un ophtalmologue ; la prescription peut être ensuite adaptée par un opticien-lunetier. Cette adaptation se fait dans le cadre d'une opération dite « de réfraction », au cours de laquelle le professionnel mesure le défaut optique et détermine la qualité de l'équipement à fournir.

Bien que le code de la santé publique consacre explicitement l'opticien-lunetier comme auxiliaire médical, l'exercice du test de réfraction n'est en aucun cas une délégation d'acte médical : l'ophtalmologue et l'opticien exercent chacun leur art dans le cadre distinct de l'activité médicale libérale ou hospitalière pour le premier, et commerciale pour le second. Cette dichotomie, conséquence logique de la différence des métiers, n'en est pas moins préjudiciable in fine.

La loi du 26 janvier 2016 portant modernisation de notre système de santé avait eu le mérite d'apporter plusieurs assouplissements à la rigidité de ce partage des tâches. Ils ont été intégralement neutralisés par un décret d'application le 12 octobre de la même année.

Auparavant, la délivrance de verres correcteurs, sur prescription médicale, ne pouvait être adaptée par l'opticien qu'à la double condition d'un renouvellement et d'une prescription initiale datant de moins de trois ans. La loi du 26 janvier 2016 a supprimé cette deuxième condition pour les verres ; le décret d'application l'a néanmoins maintenue pour la délivrance des lentilles de contact.

Ce même décret a conditionné la délivrance de verres correcteurs à l'existence d'une ordonnance médicale de moins de trois ans, pour tout patient âgé de plus de 42 ans. C'est tout simplement le rétablissement de la situation antérieure ! Pour le dire de façon plus explicite, les réformes les plus récentes ont mis en échec les tentatives pour atténuer les contraintes liées à la pluralité des acteurs de la filière visuelle.

Ce primat de la prescription médicale a des causes tout à fait légitimes, mais se heurte de plus en plus à certaines difficultés de terrain, dont les personnes âgées accueillies en établissement sont plus particulièrement victimes.

En premier lieu, l'écrasante majorité des personnes âgées, que ce soit pour des raisons financières ou d'arbitrage personnel, négligent leur santé visuelle. Au moment de l'admission en Ehpad, les ordonnances dépassent très souvent la limite de trois ans imposée par le décret, rendant impossible toute adaptation de l'équipement par un opticien.

La situation peut alors prendre un tour doublement déconcertant. D'abord, la personne âgée se voit contrainte de recourir à un prescripteur médical, alors même que l'intervention d'un opticien-lunetier serait dans la plupart des cas suffisante - et facilitée par la chalandise importante des enseignes. Ensuite, la personne âgée se trouve confrontée à la pénurie criante de soins ophtalmologiques, aggravée par un exercice de la profession concentré dans les pôles urbains et éloigné de la plupart des Ehpad situés en milieu rural ou sous-dense.

La durée moyenne d'attente d'un rendez-vous chez l'ophtalmologue, hors région parisienne, est de 87 jours. À ce problème de délai s'ajoute celui, non moins prégnant, du transport de la personne âgée au cabinet.

C'est ce dernier point qui motive la présente proposition de loi. Le décret d'application précité mentionne l'obligation pour l'opticien-lunetier de procéder au test de réfraction dans l'enceinte de son magasin ou dans un local y attenant. Cette restriction est d'autant moins compréhensible qu'est prévue, quelques lignes plus bas, la possibilité de délivrer des lentilles ou des verres aux patients à leur domicile ou en établissement. La personne âgée doit donc se déplacer en magasin pour bénéficier du test de réfraction, mais a la possibilité de se voir délivrer un équipement, directement consécutif à ce test, à domicile ou en établissement !

C'est à cette aberration que le présent texte entend remédier. Son article unique prévoit la possibilité, pour le directeur général de l'Agence régionale de santé (ARS), d'autoriser au sein des Ehpad la réalisation par les opticiens-lunetiers des tests de réfraction et l'adaptation, dans le cadre d'un renouvellement, des verres correcteurs ou des lentilles de contact. Cette disposition est indéniablement bienvenue, mais reste d'ampleur limitée.

Premièrement, alors que l'intention initiale de notre collègue députée était d'habiliter directement les opticiens-lunetiers à effectuer des opérations de réfraction et d'adaptation en Ehpad, le groupe La République en marche en séance publique a voulu ajouter une autorisation préalable du directeur général de l'ARS. Ce qui risque de compliquer l'accès à ce droit nouveau. Les députés de la majorité ont invoqué le risque de conventions anticoncurrentielles que les gestionnaires d'Ehpad pourraient être tentés de signer avec un ou plusieurs opticiens partenaires. Or ces conventions sont déjà incluses dans le contrôle de qualité externe imposé aux Ehpad par la loi relative à l'adaptation de la société au vieillissement ! La précaution est donc largement superflue : au lieu de protéger la personne, elle risque au contraire de la priver du droit ouvert par le texte.

Deuxièmement, je déplore que ce texte se limite au seul exercice des missions de l'opticien en Ehpad. Il aurait été tout aussi judicieux d'y traiter de l'allongement de la durée de validité de l'ordonnance émise par le prescripteur médical, ainsi que du partage des tâches au sein de la filière visuelle, car il est trop éloigné des réalités de terrain.

L'intitulé de cette proposition de loi a fait naître chez nous certains espoirs, rapidement déçus. Le texte affiche l'ambition d'« améliorer la santé visuelle des personnes âgées en perte d'autonomie » mais se limite à ouvrir la possibilité d'un test de réfraction en Ehpad, négligeant ainsi la grande majorité des pathologies visuelles dont sont atteints les résidents et qui ne peuvent être traitées par la simple délivrance d'un équipement optique.

Traiter d'un tel sujet nous éloignerait certes des bornes étroites de notre texte, mais nous toucherions alors aux enjeux réels et substantiels de l'organisation de la filière visuelle. Après avoir entendu l'ensemble des acteurs concernés, je suis convaincue que tous sont d'accord pour valoriser davantage les compétences de l'orthoptiste dans le dépistage et le diagnostic de ces pathologies.

Au vu de cet enjeu de santé publique, les réponses apportées par cette proposition de loi, limitées au seul champ de l'équipement en verres correcteurs des personnes âgées accueillies en Ehpad, sont insuffisantes. Mme la secrétaire d'État me répondra probablement que l'ampleur de ces sujets appelle un texte plus ambitieux et qu'une prochaine loi Santé ne manquera pas de leur apporter une réponse adéquate.

Ce n'est pas la première fois que le Sénat est appelé à se prononcer sur des textes modestes, dont la discussion est si étroitement corsetée par le Gouvernement qu'elle ne manque jamais de mêler une légère amertume à la légitime fierté de leurs auteurs. Ces initiatives se voient limitées à l'échelon restreint d'un acte ou d'une autorisation particulière, sans que l'appréhension globale du problème posé nous soit ouverte, alors que notre expérience d'élus locaux nous en donne bien souvent la connaissance fine.

Aux ajouts profitables que le Sénat pourrait faire est opposée la menace implicite d'une interruption de la navette ou d'un retrait du soutien de la majorité de nos collègues députés, avec pour conséquence regrettable la privation d'un droit nouveau pour nos concitoyens. C'est pourquoi malgré l'intention louable dont ce texte est animé et que je tiens à saluer, je vous recommande sans enthousiasme son adoption conforme dans la version adoptée par l'Assemblée nationale.

M. Daniel Chasseing . - Les troubles de la vision aggravent la perte d'autonomie des personnes âgées. Une étude réalisée auprès de 700 personnes de 84 ans révèle que 40 % d'entre elles présentent des troubles de la réfraction. Or les personnes âgées, même lorsqu'elles sont encore autonomes, ne vont pas consulter, notamment en raison de l'absence de prise en charge des transports et des délais pour obtenir un rendez-vous auprès d'un ophtalmologue. Les opticiens peuvent effectivement examiner la vue et adapter la correction, mais il faut que le patient se rende au magasin : on retrouve alors les problèmes de transport.

La proposition de loi autorise les opticiens à se rendre dans les Ehpad pour examiner les troubles de réfraction, cela me paraît important. Bien sûr, il existe d'autres pathologies associées aux troubles de réfraction qui devront être prises en charge par un ophtalmologue. L'opticien pourrait adresser un compte rendu au médecin traitant pour signaler que les troubles de réfraction ne sont pas seuls en cause. Toutefois, si la situation de 40 % des personnes concernées peut être améliorée, cette expérimentation mériterait d'être généralisée.

M. Alain Milon , président. - Notre collègue a fait allusion aux transports sanitaires, sujet sur lequel nous devrions travailler. En effet, l'article 80 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2017 pose des problèmes aux petits transporteurs ; les gros transporteurs, dans nos régions, prennent de plus en plus le contrôle de l'ensemble des transports sanitaires.

Mme Catherine Deroche . - Je vais voter ce texte, mais je partage tout à fait l'analyse d'Élisabeth Doineau. Malgré un titre ronflant, il s'agit simplement de permettre aux opticiens de faire le test de réfraction dans les Ehpad.

Je suis plus réservée quant à l'extension de la durée de validité des ordonnances, car il faut bien distinguer les pathologies médicales des simples troubles de réfraction, surtout chez les personnes âgées.

La filière visuelle s'est réorganisée, mais pas suffisamment. Ce sujet mérite un texte consensuel, élaboré avec tous les professionnels, pour définir le champ d'intervention de chaque professionnel et simplifier le parcours du patient, quel que soit son âge ou son lieu de résidence. En adoptant des mesures ponctuelles, on n'arrive à rien de lisible ni d'efficace.

Si le cloisonnement au sein de la filière a longtemps posé problème, tel n'est plus le cas aujourd'hui, car chacun est conscient des difficultés. Les ministres successifs nous promettent un texte spécifique à chaque PLFSS, mais on ne voit rien venir. Ce n'est pas cette proposition de loi qui changera la donne.

Mme Nassimah Dindar . - Je partage l'analyse de Catherine Deroche : nous devons envisager la perte d'autonomie des personnes âgées à l'aune de ses différentes manifestations, visuelles certes, mais également auditives. Le champ de la présente proposition de loi n'apparaît pas suffisamment large pour casser les cloisonnements que notre commission dénonce régulièrement.

Dans certains territoires isolés - je pense notamment à La Réunion - les ophtalmologues, comme d'autres professionnels, s'organisent déjà pour mieux répondre aux besoins de santé. Dès lors, il ne me semble pas nécessaire de prévoir, s'agissant des opticiens-lunetiers, une autorisation du directeur général de l'ARS préalablement à l'intervention en Ehpad. Cette limitation risque de contraindre l'application du dispositif proposé, voire d'entrer en contradiction avec le principe du reste à charge zéro. Le texte prévoit le lancement d'une expérimentation dans quatre régions. Comment ces territoires seront-ils choisis ? L'outre-mer bénéficiera-t-elle de l'expérimentation ? J'estime, pour ma part, que la mesure devrait s'appliquer immédiatement à l'ensemble des régions. Par ailleurs, un texte plus ambitieux en matière d'accès aux soins me semble indispensable.

M. Yves Daudigny . - Nos collègues députés ont adopté la présente proposition de loi à l'unanimité. Son ambition paraît certes limitée, mais elle n'en apportera pas moins une amélioration concrète pour les personnes âgées en Ehpad. En France, l'accès aux soins visuels représente un défi plus général compte tenu des inégalités territoriales en matière d'offre et de la diminution du nombre d'ophtalmologues. La Cour des comptes estime ainsi que, d'ici 2030, la densité ophtalmologique aura reculé de 20 %. Je regrette, à l'aune de ce constat, l'exclusion des optométristes des plans régionaux de santé. Un quart des résidents en Ehpad ne dispose pas des appareils visuels nécessaires. L'initiative des députés mérite donc d'être saluée : nous soutenons le texte proposé. La rémunération des interventions d'opticiens-lunetiers en Ehpad n'a cependant pas été évoquée. Des précisions pourraient-elles nous être apportées sur ce point ?

Mme Florence Lassarade . - Je rejoins également Catherine Deroche. La proposition de loi tente de répondre, modestement, au nombre insuffisant d'ophtalmologues sans remédier véritablement au problème. Nous nous installons un peu plus, avec ce texte, dans une logique de gestion de la pénurie qui pourrait concerner à terme bien d'autres spécialités. La dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA) représente la principale pathologie visuelle des personnes âgées. Il faudrait permettre sa prise en charge spécifique au sein des Ehpad. Par ailleurs, le médecin traitant peut déjà prescrire des verres correcteurs.

Mme Laurence Cohen . - Je remercie notre rapporteure pour son travail d'une grande pédagogie. La présente proposition de loi ressort hélas du bricolage : elle répond à une urgence sans envisager le problème dans son ensemble. En outre, la nécessité de l'adopter conforme pour assurer sa rapide application dévalue une fois de plus le rôle du Sénat et, au-delà, du Parlement. À l'heure où nos concitoyens réclament davantage de démocratie, cette restriction n'a nul sens ! Le texte reste muet sur le fait que les personnes en perte d'autonomie ne peuvent consulter facilement un professionnel de santé par manque de personnel dans les Ehpad. Les revendications en la matière sont pourtant connues. Il est urgent que le Gouvernement agisse ! Rien ne ressort non plus s'agissant des inégalités territoriales et des déserts médicaux, qui ne concernent pas uniquement les zones rurales. Au-delà des seuls soins optiques, le manque de praticiens apparaît pourtant général. Devrons-nous encore voter des textes pour trouver des alternatives à la pénurie de telle ou telle professions de santé ? La réflexion doit être globale. Par ailleurs, j'insiste à nouveau : le Gouvernement doit cesser de brider l'initiative parlementaire sous le prétexte de l'urgence. La méthode ne grandit ni l'action gouvernementale ni la démocratie représentative !

M. Daniel Chasseing . - Les opticiens-lunetiers peuvent déjà délivrer des lunettes en magasin. Il me semble pertinent qu'ils y soient également autorisés en Ehpad, même s'ils ne pourront prendre en charge des pathologies comme la cataracte ou la DMLA. Le texte, bien que modeste, contribuera à l'amélioration de la prise en charge sanitaire de nos aînés.

Mme Élisabeth Doineau , rapporteure. - Je vous remercie de l'intérêt que vous portez à ce sujet, même si je perçois dans vos propos une certaine frustration. Victoire Jasmin, qui a assisté à mes côtés aux auditions, pourra témoigner de la volonté des professionnels de santé de réfléchir de concert à une meilleure coordination des tâches.

Il existe indéniablement un problème de santé visuelle dans les Ehpad. Une meilleure coopération des professionnels concernés, au niveau des territoires, améliorera sans nul doute l'accès aux soins visuels, mais également auditifs et bucco-dentaires. Elle existe déjà entre ophtalmologues et médecins traitants ; elle pourrait également s'organiser entre ces derniers et les opticiens-lunetiers.

J'approuve les propos de Catherine Deroche sur le parcours de santé visuelle. Il convient, par une meilleure collaboration entre professionnels, de dégager du temps d'expertise au profit des ophtalmologues.

Nous avons examiné la situation des orthoptistes, avec lesquels certains ophtalmologues collaborent déjà afin de se consacrer aux consultations plus techniques. Ils souhaiteraient intervenir dans les Ehpad aux côtés des opticiens-lunetiers en vue de détecter des pathologies et de travailler sur les équipements.

Madame Dindar, l'outre-mer doit évidemment participer à l'expérimentation prévue par la proposition de loi. Je vous indique qu'une expérimentation de télémédecine menée récemment dans le département du Finistère avec des ophtalmologues a donné des résultats fort intéressants s'agissant du nombre de consultations menées. Il convient donc de poursuivre, en lien avec les ARS, les expérimentations en matière de coordination des soins, tel que le prévoit l'article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018.

Monsieur Daudigny, les statistiques que vous avez évoquées apparaissent effectivement inquiétantes. L'amélioration de la santé visuelle constitue une priorité pour les personnes âgées. Vous avez raison, Madame Lassarade, nous ne prétendons pas, avec le présent texte, gérer la pénurie d'ophtalmologues, mais cela vaut mieux, il me semble, que de demeurer impuissants. Nous devons agir au mieux avec les moyens dont disposent les territoires, car la situation continuera à s'aggraver d'ici 2030.

Je vous rejoins, madame Cohen, sur le peu de cas que le Gouvernement fait de l'initiative parlementaire. Les sénateurs, pourtant, ont à coeur de trouver des solutions en mobilisant leur connaissance des territoires, dans le souci d'améliorer la cohésion sociale et territoriale. Sur ce sujet comme sur d'autres, je crois utile de croiser le regard des députés et celui des sénateurs.

Il convient enfin de renforcer la formation du personnel des Ehpad afin d'améliorer l'accompagnement de nos aînés souffrant de troubles visuels et de leur assurer, en matière de prise en charge, la dignité qui leur est due. À cet égard, j'estime qu'un bilan des troubles cognitifs et sensoriels devrait être systématiquement réalisé à l'entrée en établissement.

Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État. - Je tiens à rappeler qu'il ne s'agit pas d'un texte du Gouvernement, mais d'une initiative parlementaire. Nous le soutenons, car il apportera aux personnes âgées en Ehpad une amélioration appréciable de leur prise en charge sanitaire dans un contexte de pénurie d'ophtalmologues. Le sujet apparaît d'importance car les troubles visuels peuvent constituer le signe annonciateur de pathologies plus lourdes. À cet égard, il demeure évident qu'une visite médicale reste préférable à l'intervention d'un opticien-lunetier.

Madame Dindar, la Haute Autorité de santé (HAS) ayant émis un avis défavorable à un transfert de compétences plus large des ophtalmologues aux opticiens-lunetiers, les députés de la majorité ont modifié la proposition de loi pour prévoir l'expérimentation du dispositif dans quatre régions avant une éventuelle généralisation. Il convient de veiller, dans ce cadre, à prendre en compte les territoires ultramarins.

Les échanges d'informations entre les professionnels médicaux et paramédicaux doivent être renforcés. Les ARS procèderont, pour fonder l'expérimentation, à une évaluation des dynamiques et des ressources locales pour recenser les opticiens-lunetiers, déjà en lien avec des ophtalmologues, susceptibles d'intervenir en Ehpad.

Enfin, monsieur Daudigny, la rémunération des interventions en Ehpad, y compris dans le cadre du reste à charge zéro, sera identique à celle pratiquée en magasin.

M. Alain Milon , président. - Madame la ministre, la loi, si elle ouvre de nouvelles possibilités aux professionnels de santé, doit les laisser libres de s'organiser à leur guise. Par ailleurs, l'initiative parlementaire doit être davantage respectée par le Gouvernement, ne serait-ce que parce que les sénateurs, malgré l'interdiction du cumul des mandats, apportent au débat leur connaissance fine du ressenti des territoires.

La proposition de loi est adoptée sans modification.

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