I. LA CRISE SANITAIRE REDISTRIBUE LES CARTES DE NÉGOCIATIONS DÉJÀ DIFFICILES SUR LE PROCHAIN CADRE FINANCIER PLURIANNUEL

A. DES NÉGOCIATIONS QUI S'ENLISENT DEPUIS MAINTENANT DEUX ANS

1. Les négociations ont été ouvertes en mai 2018 par la Commission européenne

En application de l'article 312 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), « le cadre financier pluriannuel vise à assurer l'évolution ordonnée des dépenses de l'Union dans la limite de ses ressources propres . [...] Le budget annuel de l'Union respecte le cadre financier pluriannuel ». Ainsi, le cadre financier pluriannuel (CFP) définit une programmation pluriannuelle des finances de l'Union européenne, et fixe des plafonds annuels maximaux de dépenses juridiquement contraignants.

Il est adopté au terme d'une procédure législative spéciale, requérant l'unanimité au Conseil , après approbation du Parlement européen qui se prononce à la majorité de ses membres.

Cette procédure diffère de celle en vigueur en matière de ressources propres . Aux termes de l'article 311 du TFUE, la décision relative au système des ressources propres (DRP) est adoptée à l'unanimité par le Conseil, après consultation du Parlement européen, puis approuvée par les États membres selon leurs règles constitutionnelles respectives. Si elle est négociée concomitamment avec le CFP, son entrée en vigueur est généralement plus tardive, en raison du processus de ratification par l'ensemble des États membres selon leurs règles constitutionnelles ne vigueur.

Le 2 mai 2018 , la Commission européenne a présenté ses propositions relatives au prochain CFP, initiant ainsi le cycle de négociations.

Elle a proposé un plafond de dépenses fixé à 1 134 milliards d'euros (prix 2018) en crédits d'engagement, soit 1,11 % du revenu national brut (RNB) de l'Union européenne . Elle a ensuite décliné ses propositions sectorielles, pour chacune des rubriques du cadre financier pluriannuel 2021-2027.

Le rapporteur rappelle que l'appréciation des propositions de la Commission européenne par rapport au CFP 2014-2020 se heurte à une triple difficulté méthodologique 1 ( * ) :

- l'architecture budgétaire est modifiée pour la période 2021-2027, notamment du fait de la budgétisation du Fonds européen pour le développement (FED) ;

- la Commission européenne a présenté ses propositions en euros courants et en euros constants de 2018 , alors que le CFP 2014-2020 avait été présenté en euros courants et en euros constants de 2011 ;

- enfin, le CFP 2021-2027 est prévu pour 27 États membres , et non 28, en raison du retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne.

Afin d'évaluer l'évolution des montants alloués à chacune des politiques de l'Union européenne, il est proposé de comparer, en euros constants de 2018, les propositions de la Commission européenne avec un CFP 2014-2020 dont les données ont été retraitées pour simuler le retrait du Royaume-Uni 2 ( * ) .

Sous ces réserves méthodologiques, en euros constants de 2018, et en crédits d'engagement, le volume proposé en 2018 par la Commission européenne était supérieur de 5 % à l'actuel CFP .

En février 2020, à l'occasion de l'examen par la commission des finances d'une précédente proposition de résolution européenne sur ce sujet, le rapporteur avait déjà mis en exergue la volonté de la Commission européenne de bâtir ses propositions autour de la notion de « valeur ajoutée » de l'Union européenne . En effet, en s'inspirant des principes de subsidiarité et de proportionnalité du droit de l'Union européenne, le concept de la « valeur ajoutée européenne » désignerait des domaines d'intervention dans lesquels la coordination des politiques nationales ne permettrait pas d'atteindre les mêmes résultats, ce qui entraînerait de facto une priorisation des politiques publiques à financer au niveau de l'Union .

Ainsi, l'augmentation du volume global proposé par la Commission européenne en mai 2018 masquait en réalité de grandes disparités entre les politiques de l'Union européenne . Les crédits alloués aux « nouvelles priorités », telles que la recherche, la sécurité, le contrôle des frontières ou encore Erasmus, augmentaient respectivement de 30 %, 23 %, 207 %, et 92 % en engagement.

En revanche, la Commission européenne avait proposé des baisses significatives pour les politiques traditionnelles, à savoir la politique agricole commune (PAC), la politique maritime, et la politique de cohésion , qui voient leurs crédits d'engagement diminuer respectivement de 15 % et de 10 %.

Si la France souscrit au financement des nouvelles priorités choisies par la Commission européenne, de sérieuses inquiétudes ont été exprimées depuis maintenant deux ans quant à l'avenir de la politique agricole commune et de la politique de cohésion, par l'intermédiaire des Parlements nationaux, mais aussi des Gouvernements qui craignent une hiérarchisation des politiques de l'Union.

Outre les désaccords entre les États contributeurs nets et les bénéficiaires sur le niveau de dépenses de l'Union, la préservation des budgets de ces deux politiques constituait, depuis mai 2018, le second clivage majeur des négociations.

Propositions de la Commission européenne de mai 2018
pour le CFP 2021-2027

(en milliards d'euros (prix 2018), et en crédits d'engagement)

CFP 2014-2020**

CFP 2021-2027

Évolution

Rubrique 1 « Marché unique, innovation et économie numérique »

116,36

166,30

43 %

Rubrique 2 « Cohésion et Valeurs », dont :

387,25

391,97

1 %

Fonds européen de développement régional

196,56

200,62

2 %

Fonds de cohésion

75,85

41,37

- 45 %

Fonds social européen

96,22

89,69

- 7 %

Erasmus

13,70

26,37

92 %

Rubrique 3 « Ressources naturelles et environnement » dont :

399,61

336,62

- 16 %

Fonds européen agricole de garantie (FEAGA)

286,14

254,25

- 11 %

Fonds européen agricole de développement rural (FEADER)

96,71

70,04

- 28 %

Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP)

6,24

5,45

- 13 %

Rubrique 4 « Migration et Gestion des frontières »

10,05

30,83

207 %

Rubrique 5 « Résilience, sécurité et défense »* dont :

1,96

24,32

-

Fonds européen de défense

-

11,45

-

Rubrique 6 « Le voisinage et le monde »

96,30

108,23

13 %

Rubrique 7 « Administration publique »

70,79

75,60

7 %

Total

1 082,32

1 134,58

5 %

* La rubrique 5 était intitulée « Sécurité et défense » dans le CFP 2014-2020.

** à 27 États membres et incluant le FED.

Note de lecture : la somme des arrondis n'est pas égale à l'arrondi de la somme.

Source : tableau simplifié à partir des données issues de la communication de la Commission européenne du 2 mai 2018 (COM(2018) 321 final) et d'une note du secrétariat de la commission des budgets du Parlement européen intitulée « A preliminary analysis of President Michel's figures », en date du 18 février 2020

2. Avant la crise sanitaire, aucun accord de principe entre les États membres n'avait été trouvé

Outre les désaccords entre les États membres précédemment exposés, le rapporteur avait déjà souligné en février 2020 que les négociations pâtissaient dès 2018 d' une conception à géométrie variable de la « valeur ajoutée européenne ». Ce point de crispation entre les États membres s'explique en partie par le retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne.

S'agissant du Parlement européen, dès le début des négociations, il s'est prononcé en faveur d'un niveau de dépenses plus ambitieux que celui proposé par la Commission européenne, établi à 1,3 % du RNB de l'Union européenne à 27 États membres 3 ( * ) . Cette proposition vise à conserver, en euros constants, les enveloppes dédiées à la PAC et à la politique de cohésion, tout en finançant les nouvelles priorités de la Commission européenne.

En décembre 2019, la présidence finlandaise du Conseil a proposé une nouvelle « boîte de négociations », sans pour autant convaincre les États membres. Elle a proposé d'établir un plafond de dépenses à 1 087 milliards d'euros (prix 2018) pour la période 2021-2027, soit 1,07 % du RNB de l'Union .

Si cette nouvelle proposition donnait satisfaction en partie à la France, via la hausse de 10 milliards d'euros de l'enveloppe du second pilier de la PAC , elle a été jugée très insatisfaisante sur d'autres sujets, en particulier sur le fonds européen de la défense pour lequel il est proposé de lui allouer 6 milliards d'euros , contre 11,5 milliards d'euros dans la proposition de la Commission européenne.

Lors de la réunion extraordinaire du Conseil européen qui s'est tenue les 20 et 21 février 2020 , le Président du Conseil européen, Charles Michels , a proposé aux États membres un plafond de dépenses s'élevant à 1 094,8 milliards d'euros en crédits d'engagement , soit une position médiane entre les propositions de la Commission européenne et celles de la présidence finlandaise. Toutefois, aucun accord de principe n'a été trouvé.

Niveaux de dépenses successivement proposés pour le prochain CFP

(en milliards d'euros, et en crédits d'engagement)

Source : commission des finances du Sénat à partir des documents de la Commission européenne et du Parlement européen


* 1 Cf. rapport n° 303 (2019-2020) de Jean-François Rapin, fait au nom de la commission des finances sur la proposition de résolution européenne présentée au nom de la commission des affaires européennes, en application de l'article 73 quater du Règlement, sur le cadre financier pluriannuel de l'Union européenne (2021-2027).

* 2 Le retraitement des données pour le CFP 2014-2020 est issu de la note du secrétariat de la commission des budgets du Parlement européen intitulée « A preliminary analysis of President Michel's figures », en date du 18 février 2020, et des tableaux détaillés annexés.

* 3 Résolution du Parlement européen du 14 novembre 2018 sur le cadre financier pluriannuel pour la période 2021-2027.

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