II. LE COMPTE D'AFFECTATION SPÉCIALE « PENSIONS », UNE EXÉCUTION 2019 QUI ILLUSTRE UN RÉGIME FINANCIER PLUS STRUCTUREL DE RÉDUCTION DE L'EMPREINTE DES RÉGIMES DE FONCTIONNAIRES SUR LE SYSTÈME DE RETRAITES

Le compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions » retrace les opérations relatives aux pensions civiles et militaires de retraite et d'invalidité des agents de l'État.

Doté en loi de finances initiale de 59 milliards d'euros 296 ( * ) en 2019, il est structuré en trois programmes, représentant chacun une section du compte spécial :

- le programme 741 « Pensions civiles et militaires de retraite et allocations temporaires d'invalidité » est consacré aux régimes de retraite et d'invalidité des fonctionnaires civils et militaires de l'État, gérés par le service des retraites de l'État (SRE), créé en 2009. Il a mobilisé en 2018 93,9 % des crédits initiaux du CAS (55,4 milliards d'euros) ;

- le programme 742 « Ouvriers des établissements industriels de l'État » retrace les opérations du fonds spécial des pensions des établissements industriels de l'État (FSPOEIE) et du fonds gérant les rentes d'accident du travail des ouvriers civils des établissements militaires (RATOCEM), tous deux gérés par la Caisse des dépôts et consignations. Les dotations de loi de finances initiale correspondantes (1,9 milliard d'euros) représentaient 3,2 % des crédits du CAS ;

- le programme 743 « Pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre et autres pensions » regroupe les pensions dues au titre du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre (CPMIVG) ainsi que des pensions financées par l'État au titre d'engagements historiques et de reconnaissance de la Nation. Programme-miroir reflétant les crédits correspondants ouverts dans le programme 169 de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation », sa part dans les crédits initiaux du CAS « Pensions » tend à diminuer (2,9 % en 2019, soit 1,7 milliard d'euros).

Les deux derniers programmes cités voient leurs crédits reculer tendanciellement. Quant au premier programme (qui présente les enjeux les plus massifs), ses dépenses augmentent, mais sur un rythme qui ralentit très nettement pour des raisons dont les unes tiennent à la structuration des régimes de retraite concernés et les autres à la politique des ressources humaines (emploi et rémunérations) de l'État.

Conformément à la vocation du compte d'affectation spéciale, les crédits sont ouverts moyennant des prévisions de recettes concourant au financement des charges particulières portées au compte.

Généralement, ces recettes doivent avoir un lien « naturel » avec les charges qu'elles financent si bien qu'un plafond de 10 % des crédits initiaux est imposé aux versements que le budget général peut effectuer au profit des comptes d'affectation spéciale.

Toutefois, le compte « Pensions » bénéficie d'une dérogation à cette règle qui s'explique par la structure de financement du CAS. Celle-ci comporte en effet des cotisations salariales et des contributions des employeurs qui se trouvent inévitablement versées à partir du budget général, ces recettes étant incontestablement, par leur nature, en lien avec les charges à financer, comme pour n'importe quel régime de retraite suivant les principes de la répartition et appliquant en outre des mécanismes de solidarité économique, sociale et démographique.

Par ailleurs, les dépenses effectuées à partir des crédits du compte doivent être couvertes par des ressources suffisantes, ce qui ne signifie pas que les recettes d'une année doivent couvrir les dépenses de la période mais que l'addition de ces recettes et des ressources disponibles en trésorerie ne soit pas inférieure aux dépenses.

Autrement dit, le CAS « Pensions » peut présenter un déficit prévisionnel 297 ( * ) sous la condition que sa trésorerie, issue des opérations effectuées lors des exercices précédents couvre ses dépenses.

Ces dernières années, cette faculté n'a pas été utilisée dans la gestion globale du CAS, bien au contraire, même si certains programmes composant le compte ont pu être votés en situation de déficit prévisionnel.

L'exercice 2019 n'a pas dérogé à cette tendance.

Il a été marqué par la poursuite d'une gestion du CAS caractérisée par la constitution d'excédents, les recettes continuant à excéder les dépenses. Cet équilibre qui prévaut depuis déjà plusieurs années, traduit un choix de gestion consistant à maintenir la pression d'une contrainte de financement des retraites sur les ministères et autres employeurs publics obéissant à des principes de prudence mais poursuivant également des finalités pouvant apparaître, pour certaines, un peu « périphériques » par rapport à la problématique du financement des pensions en elle-même.

L'exercice déroge toutefois, comme le précédent, à la tendance observée les années antérieures, à un rythme de progression des recettes supérieur à celui des dépenses du compte.

Ce différentiel tendanciel a pu être attribué principalement aux réformes des retraites publiques adoptées depuis 2003, qui accroissent les prélèvements obligatoires appliqués aux rémunérations des agents publics et modèrent la dynamique des dépenses, en modifiant les comportements de départ des agents, qui ont reculé l'âge de liquidation de leurs droits. Il n'est pas certain que cette dernière dynamique conserve l'ampleur qu'elle a revêtue dans le passé, même si le recul de l'âge de départ en retraite est inscrit dans les projections de comportement des fonctionnaires, catégorie de la population qui a connu une baisse nominale des pensions servies aux affiliés de leurs régimes.

Dans ces conditions, dans un contexte de poursuite de la dégradation du rapport démographique 298 ( * ) des régimes des fonctionnaires de l'État, le bouclage financier du compte pourrait devoir être encore plus sensible aux différentiels concernant les dynamiques respectives des bases de cotisation, d'un côté, et de constitution et de valorisation des droits à retraite des affiliés de l'autre.

Cette sensibilité ne semble pas particulièrement redoutable même s'il faut tenir compte du fait que, si l'équilibre global du compte d'affectation spéciale est mieux que respecté à court et plus encore à long terme, une période plus incertaine pourrait être traversée à moyen terme sous l'effet d'une dégradation transitoire du rapport démographique.

En outre, force est d'observer que l'excédent des régimes de pensions des fonctionnaires civils et militaires de l'État, pour paraître structurel au vu des projections réalisées sur ce point (voir infra ), dépend évidemment d'un grand nombre d'hypothèses plus ou moins robustes, mais surtout plus ou moins soutenables.

Cette problématique de soutenabilité ouvre sur des questions plus larges.

Les régimes de retraite n'ont pas qu'une dimension macro-financière ; ce sont également des « véhicules d'informations », reflets de préférences collectives plus ou moins explicitées, susceptibles d'orienter les choix individuels, et passibles, sous cet angle, d'évaluation en termes d'efficacité et d'équité .

A. UNE EXÉCUTION PRESQUE « NOMINALE » DU COMPTE D'AFFECTATION SPÉCIALE EN 2019

Les dépenses du compte (59,021 milliards d'euros) ont été à peu près (0,001 % de plus) équivalentes aux crédits ouverts en loi de finances initiale (59,015 milliards d'euros), le dépassement s'élevant à 6,1 millions d'euros.

Les crédits ouverts en loi de finances initiale pour 2019 ont été abondés par des reports de crédits d'un montant de 1 281,9 millions d'euros complétant les ouvertures de début d'année principalement pour le programme 741 (1,1 milliard d'euros).

Cependant, après ces reports, les dotations finalement disponibles n'ont pas été toutes consommées, un surplus de l'ordre de 1,3 milliard d'euros (analogue à celui de l'an dernier) soit environ une semaine de dépense de pension, ayant été laissé disponible,

Les reports de crédits intervenus en début d'année (arrêté du 7 mars 2019) n'auront finalement été que partiellement utiles permettant pour l'essentiel d'envisager de nouveaux reports sur l'exercice 2019, selon un schéma habituel.

La sur-exécution des crédits ouverts en loi de finances initiale, qui a atteint 6 millions d'euros s'est une fois n'est pas coutume polarisée sur le programme 743 (33 millions d'euros) du fait d'une sous-estimation des dotations nécessaires pour honorer les allocations de reconnaissance en faveur des rapatriés (ces allocations ne représentent qu'une partie seconde des dépenses du programme correspondant, mais connaissent une certaine dynamique du fait des revalorisations régulières dont elles ont fait l'objet ces dernières années), dont la revalorisation acquise en loi de finances pour 2019 avait été insuffisamment provisionnée.

Dans ce contexte, il convient de remarquer que les dépenses de pension assumées par les programmes 741 et 742 du CAS ne sont pas responsables de la surconsommation des crédits ouverts en début d'année. Elles ont été globalement en ligne avec la prévision.

En ce qui concerne les charges du programme 741, une légère surestimation des dépenses de pension par la loi de finances initiale peut même être constatée, de l'ordre de 3 millions d'euros (solde d'une sous-consommation des pensions civiles- - 27 millions d'euros- et d'une surconsommation des pensions militaires - + 22 millions d'euros). Pour le programme 742, les consommations ont été inférieures aux prévisions de 11 millions d'euros.

En ce qui concerne les dépenses de compensation démographique supportées par le programme 741 (217 millions d'euros), elles ont été inférieures aux prévisions à hauteur de 67 millions d'euros et marquent un net repli par rapport aux opérations provisoirement soldées en loi de règlement pour 2018 (une centaine de millions d'euros) qui avaient été surestimées de 45 millions d'euros.

En ce qui concerne les transferts au profit de la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) en revanche un excédent de dépenses de 38 millions d'euros par rapport à la prévision a dû être constaté pour un total de charges de 408 millions d'euros contre 361 millions d'euros l'an dernier (+ 47 millions d'euros).

En outre, s'agissant des militaires, l'affiliation rétroactive aux régimes général et de l'IRCANTEC des personnels ayant quitté la fonction publique prématurément 299 ( * ) , avec un total de dépenses de 184 millions d'euros contre 225 millions d'euros en 2018 (- 41 millions d'euros) a suscité des dépenses moindres de 47 millions d'euros par rapport à la prévision.

Équilibre en recettes et en dépenses du CAS « Pensions » en 2019

(crédits de paiement, en millions d'euros)

Recettes

Dépenses

Écart dépenses 2019 par rapport à

Solde

LFI 2019

Exécution 2019

Exécution 2018

LFI 2019

Exécution 2019

Exécution 2018

LFI 2019

Prévision LFI 2018

Exécution 2018

Programme 741
« Pensions civiles et militaires de retraite et allocations temporaires d'invalidité »

56 935

56 687

54 743

55 360

55 347

+ 1,1 %

NS

+ 1 574 ,4

+ 1 339,1

Programme 742
« Ouvriers des établissements industriels de l'État »

1 941

1 908

1 918

1 935

1 921

+ 0,1 %

- 0,7 %

+ 5,9

+ 70,2

Programme 743
« Pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre et autres pensions »

1 720

1 725

1 844

1 720

1 752

- 5,0 %

- 2,0 %

0

+ 7,9

Total mission

60 596

60 320

60 319

59 015

59 021

-2,2 %

NS

+ 1580,3

+ 1 298,5

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données du rapport annuel de performances du compte d'affectation spéciale « Pensions » annexé au projet de loi de règlement pour 2019)

Pour les recettes , les prévisions pour 2019 se montaient à 60,596 milliards d'euros. Les recettes finalement encaissées ont été légèrement inférieures à cette prévision , faisant apparaître, avec 60,320 milliards d'euros, un déficit de réalisation de 276 millions d'euros.

La moins-value de recettes, pour n'être pas négligeable, demeure modeste : elle atteint ainsi moins de 0,5% de la prévision.

Il est vrai que la prévision avait été établie sur des bases très prudentes puisqu'elle avait tablé sur une progression des recettes de 0,14 % par rapport à la programmation de 2018.

L'essentiel des moins-values de recettes a été constaté sur le premier programme du compte (- 248 millions d'euros), ce qui n'a rien que de normal compte tenu de son importance relative.

Les assiettes de contribution ont été encore moins dynamiques que prévu dans la fonction publique d'État civile.

Dans ces conditions, l'équation de la réalisation des opérations du compte a permis de constater un excédent, mais en baisse par rapport à l'exercice précédent et moins élevé qu'escompté.

La programmation budgétaire extériorisait un excédent prévisionnel du compte de 1 580,3 millions d'euros (contre 1 457,9 millions d'euros exécuté en 2018 mais un peu plus de 2 milliards en prévision).

Avec 1 298,5 millions d'euros , il s'est avéré inférieur de 281,8 millions d'euros au solde prévisionnel (un niveau inférieur de 17,8 % par rapport à la prévision).

Cette relative déconvenue a joué un rôle non négligeable dans le débat ouvert à l'automne et qui a conduit le Premier ministre à convoquer une « conférence de financement » afin de dégager les moyens d'un retour à l'équilibre de l'ensemble du système de pensions au terme alors prévu de la mise en oeuvre du « régime universel » de retraite.

La décrue de l'excédent du CAS « Pensions », qui, ces dernières années, avait contribué de plus en plus, à l'équilibrage de l'ensemble agrégé des régimes de retraite , a moins joué, laissant apparaître un déficit prévisionnel de l'ensemble du système plus important que prévu.

La question intéressante qui se cache derrière l'évolution ponctuellement observée en 2019 est d'identifier si elle annonce une tendance ou si elle peut être vue comme seulement provisoire. Elle se double bien entendu de l'identification des ressorts structurels des équilibres financiers du CAS « Pensions ». De ce point de vue, en supposant les cotisations salariales équivalentes entre les régimes des fonctionnaires et ceux des salariés, elle renvoie à la détermination et au sens de la contribution employeur au CAS.


* 296 En autorisations d'engagement (AE) = crédits de paiement (CP).

* 297 Situation tout à fait théorique ces dernières années, arquées par des excédents récurrents des recettes sur les charges.

* 298 Le rapport démographique comporte à son numérateur les effectifs de cotisants et à son dénominateur les effectifs de retraités de droit direct ou indirect.

* 299 Ce motif de dépenses concerne principalement la fonction publique militaire du fait des conditions particulières de la carrière de ces personnels, les dépenses d'affiliation rétroactive des personnels civils étant limitées à 13 millions d'euros sur un total de dépenses de 197 millions d'euros.

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