N° 598

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2019-2020

Enregistré à la Présidence du Sénat le 8 juillet 2020

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi , adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à homologuer des peines d' emprisonnement prévues en Nouvelle - Calédonie ,

Par M. Jacques BIGOT,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Bas , président ; MM. François-Noël Buffet, Jean-Pierre Sueur, Mme Catherine Di Folco, MM. Jacques Bigot, André Reichardt, Mme Sophie Joissains, M. Arnaud de Belenet, Mme Nathalie Delattre, MM. Pierre-Yves Collombat, Alain Marc , vice-présidents ; M. Christophe-André Frassa, Mme Laurence Harribey, M. Loïc Hervé, Mme Marie Mercier , secrétaires ; Mmes Catherine André, Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Philippe Bonnecarrère, Mmes Agnès Canayer, Maryse Carrère, Josiane Costes, MM. Mathieu Darnaud, Marc-Philippe Daubresse, Mme Jacky Deromedi, MM. Yves Détraigne, Jérôme Durain, Mme Jacqueline Eustache-Brinio, MM. Jean-Luc Fichet, Pierre Frogier, Mmes Françoise Gatel, Marie-Pierre de la Gontrie, M. François Grosdidier, Mme Muriel Jourda, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Jean Louis Masson, Thani Mohamed Soilihi, Alain Richard, Simon Sutour, Mmes Lana Tetuanui, Claudine Thomas, Catherine Troendlé, M. Dany Wattebled .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) :

1959 , 2101 et T.A. 378

Sénat :

242 et 599 (2019-2020)

L'ESSENTIEL

Réunie le mercredi 8 juillet 2020 sous la présidence de Philippe Bas (Les Républicains - Manche), la commission des lois a adopté , sur le rapport de Jacques Bigot (Socialiste et républicain - Bas-Rhin), la proposition de loi n° 242 (2019-2020) visant à homologuer des peines d'emprisonnement prévues en Nouvelle-Calédonie , adoptée par l'Assemblée nationale le 14 janvier 2020.

Déposée par le député Philippe Dunoyer (UDI et Indépendants -Nouvelle-Calédonie), cette proposition de loi procède à l'homologation de peines d'emprisonnement adoptées par le Congrès de la Nouvelle-Calédonie ou par les assemblées provinciales de ce territoire.

Régulièrement mise en oeuvre depuis la fin des années 1970 1 ( * ) , l'homologation des peines d'emprisonnement adoptées en Nouvelle-Calédonie répond à une nécessité juridique , qui découle du cadre constitutionnel national et de l'organisation institutionnelle qui lui est propre 2 ( * ) .

En vertu des articles 74, 76 et 77 de la Constitution, la Nouvelle-Calédonie dispose d'une large autonomie qui s'exerce dans des conditions définies par une loi organique statutaire.

La loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie a doté ce territoire d'une assemblée délibérante - le Congrès - à laquelle revient la responsabilité d'élire le gouvernement de Nouvelle-Calédonie, compétent pour diriger l'administration et représenter le territoire. La loi organique a également consacré la division de la Nouvelle-Calédonie en trois provinces semi-autonomes (la province Nord, la province Sud et la province des îles Loyauté), qui disposent chacune de leur propre assemblée délibérante et d'un exécutif local. Chaque province est représentée au sein du Congrès en proportion de son poids démographique.

La loi organique a fixé la répartition des compétences entre l'État, la Nouvelle-Calédonie, les provinces et les communes 3 ( * ) . Le Congrès de la Nouvelle-Calédonie et les assemblées délibérantes des provinces ont le pouvoir de légiférer, en adoptant des lois du pays dans les matières qui relèvent de leurs domaines de compétence.

En vertu des articles 87 et 157 de la loi organique précitée, le Congrès et les assemblées de province peuvent ainsi, en matière pénale , dans les domaines de compétence de la Nouvelle-Calédonie, définir des infractions et les assortir de peines d'amende et de peines d'emprisonnement.

Pour être applicables, ces peines d'emprisonnement doivent toutefois être homologuées par le Parlement . Dans l'attente de l'homologation, seules les peines d'amende et les peines complémentaires éventuellement prévues par la loi du pays sont applicables. Cette situation plaide pour que le Parlement procède régulièrement à des homologations afin d'éviter que certaines infractions ne demeurent que faiblement réprimées sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie.

*

À l'occasion de l'examen d'un texte d'homologation, il revient au Parlement d'effectuer un quadruple contrôle afin de s'assurer de la conformité des dispositions adoptées en Nouvelle-Calédonie au regard des règles constitutionnelles et organiques .

En premier lieu, les infractions et les peines d'emprisonnement prévues doivent respecter les dispositions constitutionnelles applicables en matière pénale . Par le passé, il est par exemple arrivé, afin d'assurer l'effectivité du principe de légalité des délits et des peines , que soit écartée l'homologation d'une peine de prison infligée pour une infraction dont « la formulation manquait de clarté 4 ( * ) ».

En deuxième lieu, en application de la loi organique statutaire, l'adoption de peines d'emprisonnement par le Congrès ou par les assemblées de province doit intervenir dans des domaines de compétence propres à la Nouvelle-Calédonie. Au cours de l'examen d'un projet ou d'une proposition de loi d'homologation, le Parlement peut donc refuser l'homologation de dispositions adoptées dans des domaines qu'il estime relever de sa compétence 5 ( * ) .

En troisième lieu, en vertu de l'article 87 de la loi organique, le niveau de la peine d'emprisonnement ne doit pas excéder le quantum prévu pour l'infraction de même nature applicable sur le reste du territoire de la République . Comme le relevait, notre collègue Thani Mohamed Soilihi en 2012, « pour établir la comparaison, la notion d'infraction de même nature doit être entendue de manière pragmatique puisque, dans des cas certes rares, l'infraction existant localement peut différer ou ne pas trouver de strict équivalent parmi les infractions applicables sur le reste du territoire de la République . » Il faut donc adopter une lecture souple de cette condition. Exiger une stricte équivalence entre infractions reviendrait à priver l'assemblée locale de sa faculté de s'écarter du droit « métropolitain », ce qui serait contraire à l'esprit de la loi organique.

Enfin, ce même article de la loi organique exige que les peines édictées respectent la classification des délits . Selon ce principe, la Nouvelle-Calédonie ne saurait, par exemple, ériger en délit ce qui relèverait, en métropole, d'une contravention, ni en crime ce qui relèverait d'un délit. La compétence reconnue à la Nouvelle-Calédonie en matière pénale apparaît ainsi fortement encadrée.

Au-delà de ces contrôles concernant le respect des normes organiques et constitutionnelles, le Parlement est libre d'apprécier l'opportunité même d'assortir les infractions en cause de la peine d'emprisonnement prévue par la Nouvelle-Calédonie . Le Sénat a ainsi pu être conduit à ne pas homologuer des peines s'appliquant à des infractions dont l'existence ne lui semblait pas pertinente 6 ( * ) .

*

Depuis sa création par la loi n° 76-1222 du 28 décembre 1976 relative à l'organisation de la Nouvelle-Calédonie et dépendances, la procédure d'homologation des peines d'emprisonnement prévues par la Nouvelle-Calédonie a été mise en oeuvre soit par le biais de textes de lois ad hoc , soit grâce à des dispositions législatives spécifiques insérées dans des textes de plus grande ampleur concernant les outre-mer.

La loi n° 83-1047 du 8 décembre 1983 portant homologation des dispositions pénales de deux délibérations de l'Assemblée territoriale de la Nouvelle-Calédonie et dépendances constitue le premier texte d'homologation concernant ce territoire, suivi quelques années plus tard de la loi n° 89-469 du 10 juillet 1989 relative à diverses dispositions en matière de sécurité routière et en matière de contraventions. Les homologations sont devenues plus fréquentes au cours de la dernière décennie, conséquence d'une activité législative plus soutenue des assemblées néo-calédoniennes, puisque des textes d'homologation ont été adoptés en 2011, 2012, 2013 et 2015 7 ( * ) .

La proposition de loi qui nous est aujourd'hui soumise tend à procéder à un nombre d'homologations particulièrement élevé. L e texte initial tendait à l'homologation de cinquante-neuf peines d'emprisonnement, dont une quarantaine figurant dans l'ancien code de la santé publique applicable en Nouvelle-Calédonie.

Sur proposition de son rapporteur, la commission des lois de l'Assemblée nationale a enrichi le texte en y insérant trois articles additionnels. Le premier procède à l'homologation de peines d'emprisonnement spécifiquement prévues par la province Sud de la Nouvelle-Calédonie. Le deuxième tend à homologuer les peines d'emprisonnement prévues par la récente loi du pays n° 2019-1 du 14 janvier 2019 modifiant le livre IV de la partie législative de l'ancien code de la santé publique applicable en Nouvelle-Calédonie. Le dernier vise à homologuer une peine d'emprisonnement prévue par la loi du pays n° 2019-9 du 2 avril 2019 relative à la réglementation des établissements d'accueil petite enfance et périscolaire.

*

Le rapporteur a examiné avec attention le texte transmis par l'Assemblée nationale pour vérifier si les peines prévues par la Nouvelle-Calédonie pouvaient être homologuées, compte tenu des règles de nature constitutionnelle et organique qui viennent d'être rappelées.

Il a constaté que les peines d'emprisonnement prévues étaient toutes identiques à celles prévues dans le droit commun pour les mêmes infractions et qu'elles avaient été adoptées dans des domaines relevant de la compétence de la Nouvelle-Calédonie. Leur homologation ne soulève donc pas de difficultés. D'une manière générale, Le rapporteur a observé que les dispositions du droit néo-calédonien étaient souvent le décalque des dispositions applicables en métropole .

Plus d'un an s'est écoulé depuis l'examen de la proposition de loi par la commission des lois de l'Assemblée nationale, le 3 juillet 2019, et six mois depuis son adoption par l'Assemblée le 14 janvier 2020. L'encombrement de l'ordre du jour parlementaire n'a pas permis d'achever la navette parlementaire dans un délai raisonnable, de sorte que plusieurs peines sont en attente d'homologation depuis déjà trois ou quatre ans. Cette situation a conduit la commission des lois à faire le choix d'un vote conforme afin de ne pas retarder davantage l'entrée en vigueur de ces peines d'emprisonnement sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie .

*

* *

Pour l'ensemble de ces raisons, la commission a adopté la proposition de loi n° 242 (2019-2020) visant à homologuer des peines d'emprisonnement prévues en Nouvelle-Calédonie sans modification .


* 1 Le dispositif a été prévu dès la première loi statutaire de la Nouvelle-Calédonie (voir en particulier l'article 50 de la loi n° 76-1222 du 28 décembre 1976 relative à l'organisation de la Nouvelle-Calédonie et dépendances), même si les conditions limitant le pouvoir des assemblées locales ont été ultérieurement fixées par le législateur organique.

* 2 Parmi les outre-mer français, seule la Polynésie française dispose d'un dispositif semblable. Voir l'article 21 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française.

* 3 Voir, en particulier, les articles 20, 21 et 22 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie .

* 4 Cf. le rapport n° 25 (1990-1991) fait par notre ancien collègue Bernard Laurent au nom de la commission des lois, p. 8, à propos du premier alinéa de l'article 36 ter de la délibération modifiée n° 61-44 de l'assemblée territoriale de la Polynésie française.

* 5 Ainsi, « deux dispositions de [la délibération n° 85-1050 de l'assemblé territoriale de la Polynésie française du 24 juin 1985 portant règlementation générale sur la police de la circulation routière] n'ont pu être homologuées car elles portaient sur la procédure pénale qui relève de la compétence exclusive de l'État », relevait notre ancien collègue Bernard Laurent (rapport précité, p. 6).

* 6 En ce sens, le Sénat, lors de l'examen de la loi n° 91-6 du 4 janvier 1991, avait confirmé le choix du Gouvernement de ne pas homologuer l'article 34 de la délibération n° 83-122 de l'assemblée territoriale de la Polynésie française qui interdisait aux seuls étrangers de posséder ou d'exploiter un établissement sanitaire privé.

* 7 Cf . l'article 15 de la loi n° 2011-884 du 27 juillet 2011 relative aux collectivités territoriales de Guyane et de Martinique, l'article 29 de la loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique Outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux Outre-mer, l'article 9 de la loi n° 2013-1029 du 15 novembre 2013 portant diverses dispositions relatives aux outre-mer, l'article 68 de la loi n° 2015-1268 du 14 octobre 2015 d'actualisation du droit des outre-mer.

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