II. LA RÉVISION DE L'ACCORD ENTRE LA FRANCE ET LES ÉTATS MEMBRES DE L'UNION MONÉTAIRE OUEST-AFRICAINE MODERNISE LES PRINCIPES DE FONCTIONNEMENT DE LEUR COOPÉRATION MONÉTAIRE, SANS REVENIR SUR SES CARACTÉRISTIQUES FONDAMENTALES

L'accord de coopération liant la République française aux États membres de l'UMOA n'a pas été modifié depuis 1973. Le rapporteur estime que cette stabilité peut être interprétée de deux façons. Elle témoigne d'abord, en dépit de critiques récurrentes et parfois violentes, des avantages que procure, pour les pays de l'UMOA, la coopération monétaire dans les termes qui la régissent depuis 1973. Elle peut également être perçue comme l'expression d'une réticence à tout effort de modernisation ou de réforme, ce qui a pu porter préjudice à la France. Or, le rapporteur tient à rappeler qu' il revenait aux pays de l'UMOA, souverains et dont le franc CFA est la monnaie commune, de choisir de réviser ou non les principes et les bases de leur coopération monétaire avec la France .

A. LA NÉCESSAIRE MODERNISATION D'UN ACCORD LAISSÉ INCHANGÉ DEPUIS 46 ANS

1. Des critiques fortes, malgré des avantages indéniables

Lors de l'annonce de la réforme du franc CFA de l'Afrique de l'Ouest à Abidjan le 21 décembre 2019, le président de la République française a souligné tout le poids symbolique que représente, aujourd'hui encore, le franc CFA : « je vois votre jeunesse qui nous reproche une relation économique et monétaire qu'elle juge postcoloniale. Donc rompons les amarres ». Cette impulsion devait obligatoirement venir des pays membres de l'UMOA, la France apportant seulement son soutien, en tant que garant. Toute initiative de réforme proposée exclusivement par la partie française aurait pu être considérée comme une tentative d'imposer aux États membres de l'UMOA une réforme dont ils n'auraient peut-être pas voulue.

Les principales critiques émises à l'encontre du franc CFA ces dernières années relèvent avant tout des symboles, les détracteurs du franc CFA visant plus particulièrement son héritage colonial, la place octroyée aux représentants français dans les instances techniques de la BCEAO et de l'UMOA ou encore l'obligation de centraliser une partie des réserves de change auprès du Trésor français . Comme l'ont montré nos collègues Nathalie Goulet et Victorin Lurel 12 ( * ) , ces critiques s'appuient le plus souvent sur des malentendus et sur une méconnaissance des mécanismes de fonctionnement de la Zone franc .

Leurs travaux ont également montré que le franc CFA présentait, sur un plan plus strictement économique, des avantages indéniables : maîtrise de l'inflation, croissance forte au sein de l'UMOA, stabilité de la monnaie en dépit de crises économiques et sécuritaires, attractivité pour les investisseurs internationaux avec un risque de dépréciation des actifs limité. Dans le même temps, ils ont souligné que le régime de change fixe, qui caractérise l'UMOA, présentait également des inconvénients , que ce soit en termes de maîtrise de la politique monétaire, de capacité à s'adapter aux chocs exogènes ou encore de diversification économique. Il est vrai, comme l'ont utilement rappelé les rapporteurs que « chaque système monétaire, chaque système de change, chaque union monétaire présente des avantages et des inconvénients ».

Une étude récente de la Fondation pour les études et recherches sur le développement international tend par ailleurs à montrer que les bénéfices liés à la stabilité monétaire sont significatifs en termes de réduction de la pauvreté, tandis que les coûts liés à la fixité du régime de change apparaissent en réalité assez limités 13 ( * ) . Il convient par conséquent d'éviter la tentation de surévaluer le rôle de la monnaie dans les trajectoires économiques des pays membres de la Zone franc .

Comme l'ont par ailleurs rappelé les représentants de la Banque de France au rapporteur, près de quatre cinquièmes des pays africains ont fait le choix aujourd'hui d'un régime de change fixe ou semi-fixe . C'est bien le choix de ce régime de change fixe, choix maintenu dans le cadre du nouvel accord de coopération monétaire , qui contraint la politique monétaire de la BCEAO, et non pas les accords de coopération ou les conventions conclues avec la France. L'ancrage externe permet par ailleurs de mieux résister aux attaques spéculatives, par exemple lors des épisodes de crise économique, comme nous en connaissons actuellement.

Les critiques à l'égard du franc CFA révèlent toutefois qu'il est impossible d'examiner une monnaie seulement sous l'angle de son bilan coûts / avantages. Si la monnaie est une unité de compte, c'est aussi un instrument de souveraineté, d'identité, une référence commune partagée par une population . Les mouvements de protestation contre le franc CFA sont, dans ce contexte, difficiles à analyser : ils sont d'ampleur et de virulence inégales selon les pays et la critique provient bien plus souvent des intellectuels que des économistes ou des responsables politiques. Enfin, le franc CFA n'est parfois rien de plus qu'un élément supplémentaire au service d'une contestation plus générale de la politique du Gouvernement concerné.

Néanmoins, lesté de ces symboles et de ces critiques, marqué par son origine coloniale, il devenait difficile pour le franc CFA de l'Afrique de l'Ouest de perdurer dans sa forme actuelle . Quarante-six ans après la signature du premier accord de coopération entre la République française et les États membres de l'UMOA, une modernisation s'imposait .

2. Une modernisation qui conserve les deux piliers fondamentaux de la coopération avec l'UMOA, la garantie de convertibilité et la parité avec l'euro

D'après les informations transmises au rapporteur et celles contenues dans l'étude d'impact du présent projet de loi, les discussions entre la France et l'UMOA sur une révision des paramètres de leur coopération monétaire ont commencé au début de l'année 2019 , à l'initiative des pays membres de l'UMOA. Le président ivoirien Alassane Ouattara, président en exercice de l'UMOA, ancien directeur général adjoint du FMI, a joué un rôle moteur dans la conclusion de cet accord, tout en maintenant un lien permanent avec ses homologues.

Une fois cette phase préparatoire de six mois achevée, les paramètres de la réforme ont été finalisés, puis présentés le 21 décembre 2019, après la signature à Abidjan d'un nouvel accord de coopération entre la France et l'UMOA. Ce dernier s'articule autour de trois axes, qui sont autant de modifications apportées à l'accord du 4 décembre 1973 :

- la suppression de l'obligation de centralisation des réserves de change de la BCEAO auprès du Trésor français et donc la clôture du compte d'opérations. Le compte d'opérations était peut-être la plus grande source de fausses informations sur la coopération monétaire entre la France et l'UMOA. La France était en effet accusée de s'accaparer, via le compte d'opérations, les richesses des pays de l'UMOA, au détriment de leur développement et de leurs populations. Le rapporteur a pourtant rappelé que les dépôts demeuraient librement accessibles et étaient rémunérés à un taux plutôt favorable ;

- la mise en place de mécanismes de dialogue et de surveillance des risques ad hoc . Si la garantie de convertibilité n'étant pas modifiée, la France doit continuer de pouvoir évaluer le risque encouru au titre de cette garantie, par un autre moyen que la centralisation de 50 % des réserves de change de la BCEAO ;

- le retrait de la France des instances de la BCEAO et de l'UMOA dans lesquelles elle était présente .

A également été acté le changement de nom de la monnaie, l'UMOA souhaitant que la dénomination « eco » se substitue à celle de franc CFA . Ce paramètre ne relève toutefois pas d'une disposition de l'accord de coopération mais est mentionné dans son préambule : « en prenant acte de leur décision de changer le nom de la monnaie des États membres de l'Union ». Toutefois, d'après les informations transmises au rapporteur, la concrétisation de cette modification pourrait prendre quelques années , les changements de monnaie fiduciaires étant à la fois longs et coûteux .

Le nouvel accord de coopération entre la France et l'UMOA conserve donc, à la demande des pays membres de l'Union, les deux piliers fondamentaux du régime monétaire que sont la garantie de convertibilité et la parité avec l'euro . Le rapporteur considère que cet accord répond aux aspirations légitimes des États membres de l'UMOA, en quête d'une modernisation des principes de fonctionnement de leur zone monétaire et d'une émancipation plus forte vis-à-vis de la France, dont le rôle devient strictement celui d'un garant financier . La directrice du FMI,
Kristalina Georgieva, a elle aussi salué dans un tweet une « étape clé dans la modernisation des accords monétaires entre la France et l'UEMOA ».

Pour le rapporteur, et comme le lui a indiqué une personne auditionnée, mettre fin aux symboles les plus irritants du franc CFA de l'Afrique de l'Ouest pourrait enfin permettre de recentrer le débat sur les paramètres économiques de la coopération monétaire .


* 12 Rapport d'information n° 729 (2019-2020) de Mme Nathalie GOULET et M. Victorin LUREL, fait au nom de la commission des finances, déposé le 30 septembre 2020 .

* 13 Sosso Feindouno, Samuel Guérineau, Patrick Guillaumont, Sylviane Guillaumt Jeanneney, Patrick Plane, « Zone franc, croissance économique et pauvreté », décembre 2019. Fondation pour les études et recherches sur le développement international.

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