C. QUELLES PERSPECTIVES POUR L'UMOA ET LA ZONE FRANC ?

1. L'intégration monétaire au sein de la Cédéao, des blocages persistants

Les États membres de l'UMOA sont aussi membres de la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (Cédéao), composée de 15 États 21 ( * ) .

Les États membres de la Communauté économique et monétaire de l'Afrique de l'Ouest, de l'Union monétaire ouest-africaine et de la Communauté économique et monétaire d'Afrique centrale

Source : Banque de France, « Réforme de la coopération monétaire avec l'UEMOA »

La Cédéao nourrit depuis 1983 22 ( * ) un projet d'intégration monétaire autour d'une monnaie unique , dénommée « eco » 23 ( * ) . L'eco-Cédéao et
l'eco-UMOA ne doivent toutefois pas être confondus : le premier n'est encore qu'un projet, repoussé à plusieurs reprises, le second correspondrait à la future dénomination d'une monnaie déjà en circulation, le franc CFA de l'Afrique de l'Ouest.

Si, le 21 décembre 2019, les dirigeants de la Cédéao se félicitaient, dans le communiqué final de la 56 e session de leur conférence, des évolutions de la zone monétaire UMOA 24 ( * ) , la reprise de la dénomination « eco » a pu surprendre, certains dirigeants estimant que les États membres de l'UMOA préemptaient le projet eco de la Cédéao, à son détriment . Les dirigeants de la Cédéao ont néanmoins réaffirmé, dans un communiqué du 9 février 2020 25 ( * ) , que la réforme engagée par l'UMOA s'inscrivait bien dans la feuille de route de la Cédéao pour l'adoption de sa propre monnaie unique . Il est à cet égard intéressant de relever que le préambule de l'accord de coopération du 21 décembre 2019 insiste sur « la résolution des États membres de l'Union monétaire ouest-africaine à concrétiser le projet de monnaie unique de la Communauté économique et monétaire des États de l'Afrique de l'Ouest » et sur « le soutien de la République française à la démarche d'intégration régionale ».

Certaines caractéristiques du franc CFA de l'Afrique de l'Ouest sont toutefois aujourd'hui incompatibles avec les aspirations des États membres pour l'eco-Cédéao . En effet, en juin 2019 à Abuja, lors de la session ordinaire de la Conférence des chefs d'État et de Gouvernement 26 ( * ) , ces derniers ont définis plusieurs paramètres clés de leur future monnaie unique : un régime de change flexible, une politique monétaire axée sur le ciblage de l'inflation et un système fédéral pour la banque centrale de la Cédéao .

Il ne revient toutefois pas à la France, dans le cadre de ce nouvel accord de coopération, de se prononcer sur ces choix. Si les États membres de l'UMOA souhaitaient faire évoluer plus profondément les piliers de fonctionnement du franc CFA, pour les rapprocher des caractéristiques envisagées pour l'eco-Cédéao, il leur reviendrait alors de demander une révision plus profonde de l'accord de coopération avec la France, voire sa fin .

Le rapporteur souligne toutefois que la perspective d'une intégration monétaire plus approfondie en Afrique de l'Ouest, sur le périmètre de la Cédéao, demeure encore très lointaine . Plusieurs raisons étayent cette prudence :

- adopter l'eco-Cédéao impliquerait de modifier d'importants paramètres monétaires pour l'UMOA (régime de change, banque centrale unique, parité fixe avec l'euro, garantie de convertibilité de la France), au risque de déstabiliser les économies ;

- les pays de la Cédéao sont encore loin de respecter les critères de convergence fixés 27 ( * ) , critères suspendus avec la crise sanitaire et économique ;

- la volonté politique paraît encore insuffisante . Ainsi, le Nigéria par exemple est encore très réticent et son poids économique - près des deux tiers du PIB de la Cédéao et trois fois plus que celui de l'UMOA - pourrait par ailleurs déséquilibrer toute tentative de formation d'une grande union monétaire. Le Nigéria a d'ailleurs formellement demandé, le 12 février 2020, de reporter l'introduction de l'eco. Ce report a été entériné par la Cédéao au mois de septembre 2020, qui a demandé l'élaboration d'une nouvelle feuille de route 28 ( * ) .

2. Zone monétaire ou accords bilatéraux ?

Lors de l'examen du présent projet de loi, le rapporteur s'est intéressé aux avantages que retiraient les États membres de l'UMOA de leur appartenance à une zone monétaire . Ne serait-il pas opportun d'envisager des accords de coopération bilatéraux, où la France apporterait sa garantie à la banque centrale de chacun des États, avec une parité différenciée ?

Les avantages et les inconvénients d'une monnaie unique

Selon la littérature économique, l'instauration d'une monnaie unique au sein d'une union économique permet de réduire les coûts de transaction, ce qui doit en retour favoriser le développement des échanges au sein de chacune des zones et par là-même leur développement. Ces avantages sont décrits par Robert Mundell dans son article de 1961 sur les zones monétaires optimales, où il rappelle également que le coût d'un tel choix monétaire est de renoncer au taux de change entre les pays adhérents. Les fluctuations du taux de change permettent en effet d'absorber les chocs asymétriques. Résultat, les bénéfices liés à l'adoption d'une monnaie commune dépendent de l'intégration économique des pays de la zone (par exemple la libre circulation des facteurs de production), ainsi que de la fréquence et de l'importance des chocs asymétriques qui affectent les pays membres.

Source : Rapport d'information n° 729 (2019-2020) de Mme Nathalie GOULET et M. Victorin LUREL, fait au nom de la commission des finances, déposé le 30 septembre 2020

Cette question se pose d'autant plus que l'UMOA n'apparaît pas comme une zone monétaire optimale : le niveau des échanges intra-communautaires dans l'UMOA est très limité, principalement du fait de la faible diversification économique ; l'intégration financière est faible ; le marché unique reste à construire et les huit pays de l'UMOA connaissent des trajectoires économiques et macroéconomiques très diverses. La Côte d'Ivoire, le Sénégal ou encore le Bénin font partie des pays avec une bonne signature, tandis que le Burkina Faso et le Togo consentent à beaucoup d'efforts, dans un contexte sécuritaire et économique très difficile. Les mêmes difficultés se posent pour le Mali et la Guinée-Bissau.

Le PIB des huit États membres de l'Union monétaire ouest-africaine en 2019

(en milliards de dollars)

Source : données de la Banque mondiale

L'intégration dans une union monétaire présente toutefois plusieurs avantages pour ces pays , en particulier s'ils sont vulnérables aux aléas économiques et politiques. Ces avantages sont d'abord ceux de la stabilité et de la crédibilité de la monnaie , renforcés par son ancrage externe, sur une monnaie forte. Une monnaie commune permet également de diminuer les coûts de transaction et donc de faciliter les échanges, même si d'importantes marges de progrès demeurent encore dans ce domaine pour l'UMOA. L'existence d'une seule banque centrale - et non d'un système fédéral, comme dans la zone euro - introduit par ailleurs une logique de solidarité (mutualisation des réserves de change) et permet d' éviter les tentations de monétisation du déficit , pratique interdite dans l'UMOA.

3. Les perspectives de réformes dans la Cemac et dans les Comores

D'après les informations dont dispose le rapporteur, il n'est pas prévu, à court terme, de réforme d'une ampleur aussi importante pour le franc CFA de l'Afrique centrale ou pour le franc comorien . Néanmoins, il est possible que les changements apportés dans le cadre du franc CFA de l'Afrique de l'Ouest puissent servir de référence pour de futurs travaux de révision des accords de coopération monétaire, en particulier pour la Cemac.

Ainsi, le 22 novembre 2019, lors d'un sommet extraordinaire à Yaoundé (Cameroun), les États membres de la Cemac ont annoncé « engager une réflexion approfondie sur les conditions et le cadre d'une nouvelle coopération avec la France. À cet effet, ils ont chargé la Commission de la CEMAC et la BEAC de proposer, dans des délais raisonnables, un schéma approprié, conduisant à l'évolution de la monnaie commune » 29 ( * ) . Ils ont, dans le même temps, et à l'instar des États membres de l'UMOA, rappelé leur attachement aux deux principes fondamentaux que sont la parité fixe à l'euro et la garantie de convertibilité apportée par la France. La réforme actuelle du franc CFA de l'Afrique de l'Ouest ouvre également peut-être la porte à des parités différentes pour les deux francs CFA, leur parité identique étant davantage une conséquence historique qu'une réponse à un impératif économique ou technique 30 ( * ) .

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Si certains observateurs s'arrêtent au caractère trop symbolique des révisions apportées au cadre de la coopération monétaire entre la France et les États membres de l'UMOA, ou critiquent son manque d'ambition, le rapporteur soutient qu'il s'agit là d'un pas réformateur décisif, porteur de changements à la fois symboliques et très concrets pour le fonctionnement de la zone monétaire . Il soutient donc l'adoption du présent projet de loi, qui autorise l'approbation du nouvel accord de coopération monétaire entre la France et l'UMOA.

Il reviendra aux pays de l'UMOA, peut-être demain, peut-être dans dix ans, de modifier des éléments plus fondamentaux de leur régime monétaire ou de leur intégration monétaire. Ce choix ne relève pas de la France, qui devra seulement se tenir prête à accompagner les changements portés par les huit États membres de l'UMOA.


* 21 Soit les huit pays de l'UMOA (Bénin, Burkina Faso, Côte d'ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo) et sept autres pays (Cap-Vert, Gambie, Ghana, Guinée Conakry, Libéria, Nigéria, Sierra Leone).

* 22 Décision prise par les chefs d'États de la Cédéao le 1 er juin 1983 à Conakry (Guinée). En 1987, lors du sommet à Abuja, est défini un programme de coopération monétaire devant in fine conduire à l'adoption d'une monnaie unique.

* 23 En anglais, Cédéao se traduit par Economic Community of West African States, ECOWAS.

* 24 Communiqué final de la cinquante-sixième session ordinaire de la Conférence des chefs d'État et de Gouvernement, 21 décembre 2019 à Abuja, République fédérale du Nigéria .

* 25 Communiqué final de la Session extraordinaire de la Conférence des chefs d'État et de Gouvernement de la Cédéao, 9 février 2020 à Addis-Abéba, République démocratique fédérale d'Éthiopie .

* 26 Communiqué final de la cinquante-cinquième session ordinaire de la Conférence des chefs d'État et de Gouvernement, 29 juin 2019 à Abuja, République fédérale du Nigéria .

* 27 Il existe quatre critères de convergence primaires : une inflation inférieure à 10 %, un déficit budgétaire inférieur à 3 % du PIB, une part du définit financé par la Banque centrale inférieure
à 10 % des recettes fiscales de l'année précédente et des réserves de change permettant de couvrir au moins trois mois d'importations. Il existe deux autres critères, dits secondaires : un endettement public inférieur à 70 % du PIB et une variation du taux de change nominal de +/- 10 %.

* 28 Communiqué final de la 57 e session ordinaire de la Conférence des chefs d'État et de Gouvernement de la Cédéao, Niamey, 7 septembre 2020 .

* 29 Communiqué final du sommet extraordinaire des chefs d'État d'Afrique centrale sur la situation économique et monétaire dans la zone Cemac, Yaoundé, 22 novembre 2019. http://www.cemac.int/sites/default/files/ueditor/55/upload/file/20191129/1575034988490700.pdf

* 30 Pour une discussion plus détaillée de cette proposition, se reporter au rapport d'information n° 729 (2019-2020) de Mme Nathalie GOULET et M. Victorin LUREL, fait au nom de la commission des finances, déposé le 30 septembre 2020 .

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