III. LA POSITION DE LA COMMISSION : PROCÉDER AUX REFORMES NÉCESSAIRES POUR RENFORCER LA COMPLÉMENTARITÉ DES FORCES DE SÉCURITÉ TOUT EN PRÉSERVANT LES LIBERTÉS PUBLIQUES

Tout en partageant la nécessité d'un renforcement du continuum de sécurité qui passe par une meilleure articulation entre polices municipales, police nationale et gendarmerie, la montée en compétence de la sécurité privée et l'usage des nouvelles technologies, la commission a estimé que ces évolutions ne pouvaient être que mesurées à l'aune de la protection des libertés publiques.

Usant des prérogatives que lui donne la loi, le Président François-Noël Buffet a donc saisi la CNIL de la proposition de loi. Son avis a été remis à la commission en janvier et a permis aux rapporteurs d'élaborer un dispositif d'encadrement du recours aux drones mais aussi de diffusion de l'image des forces de l'ordre qui soit conforme aux principes de protection des données personnelles et de la vie privée.

Sur l'ensemble des aspects du texte, la commission a cherché à renforcer les garanties données aux citoyens tout en facilitant l'action des forces de sécurité.

1. Conforter la police municipale en tant que force de la sécurité du quotidien

Prenant acte de la montée en puissance des polices municipales, la commission a en premier lieu approuvé le principe d'un élargissement à titre expérimental des prérogatives judiciaires des agents de police municipale en leur permettant de constater davantage d'infractions, sous l'autorité du parquet . Elle a souhaité mieux encadrer le dispositif, afin d'en assurer l'opérationnalité et la constitutionnalité. Elle a donc adopté l'amendement COM-246 des rapporteurs. Celui-ci porte la durée de l'expérimentation à cinq ans , afin que le législateur puisse bénéficier d'une évaluation et d'un recul suffisants sur ces nouveaux pouvoirs. Il prévoit également une évaluation intermédiaire , à la moitié de la durée fixée pour l'expérimentation. L'amendement institue par ailleurs une obligation de formations complémentaires pour les agents de police municipale participant à l'expérimentation, qui devra être remplie au cours de la première année de mise en oeuvre de l'expérimentation. La commission a également mieux défini les conditions de candidature des communes et établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre, et réduit le nombre de policiers municipaux et gardes champêtres nécessaire pour que la commune puisse candidater à quinze . En ce qui concerne le contenu même de l'expérimentation, la commission a conservé la grande majorité des infractions proposées, mais a supprimé la possibilité pour les policiers municipaux de procéder à des saisies judiciaires , estimant qu'il s'agissait d'un acte impliquant une appréciation de son opportunité à laquelle les policiers municipaux n'étaient pas formés.

La commission a approuvé la création d'une police municipale à Paris , conséquence logique des différents transferts de compétences en matière de police intervenus dans les années récentes. Elle a maintenu le principe d'une définition des statuts particuliers des corps de la police municipale parisienne par décret en Conseil d'État afin que les statuts soient parfaitement alignés sur ceux des policiers municipaux de droit commun.

Elle a également approuvé et amplifié les dispositions facilitant la mutualisation des polices municipales et accroissant les prérogatives des policiers municipaux .

La commission a à l'inverse refusé la création pour les policiers municipaux d'un engagement de servir la commune ou l'établissement public de coopération intercommunal qui a pris en charge leur formation . En faisant peser un risque financier sur les agents eux-mêmes, le dispositif risquait d'être contre-productif en diminuant l'attractivité des communes qui peinent déjà à attirer et à fidéliser des agents de police municipale.

Par l'adoption d'un article additionnel (amendement COM-248 des rapporteurs), la commission a rendu obligatoire la conclusion d'une convention de coordination des interventions de la police municipale et des forces de sécurité de l'État et en a renforcé le contenu. Quel que soit le nombre d'agents de police municipale, elle a en effet considéré qu'il était fondamental que les différentes forces de sécurité se réunissent afin de définir leurs missions respectives, sur la base d'un diagnostic préalable des problématiques de sûreté et de sécurité auxquelles est confrontée la commune.

Elle a enfin recentré la commission consultative des polices municipales sur les enjeux d'organisation de la police municipale , en supprimant son avis préalable en cas de demande d'inspection d'un service de police municipale et en renvoyant les questions liées au statut des agents au Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (amendements identiques COM-140 de Françoise Gatel et COM-224 de Alain Richard).

2. Rendre plus opérationnel l'encadrement des activités de sécurité privée

S'agissant de la sécurité privée, la commission a d'abord souhaité rendre plus opérationnelles les dispositions tendant à limiter le recours à la sous-traitance : s'il est nécessaire de lutter contre les abus, il convient de ne pas déstabiliser le secteur ni d'introduire des obligations inadaptées aux besoins des entreprises et impossibles à contrôler. À cette fin, elle a notamment adopté les amendements identiques COM-250 de ses rapporteurs et COM-216 des membres du groupe RDPI, qui suppriment le maximum de 50 % introduit par l'Assemblée nationale, et l'amendement COM-263 qui réserve l'application des dispositions nouvelles aux contrats conclus après l'entrée en vigueur de la loi.

La commission a approuvé le renforcement des pouvoirs du CNAPS hormis sur la question des sanctions pécuniaires infligées aux salariés , quelle a supprimées par l'adoption de l'amendement COM-251 de ses rapporteurs, les jugeant disproportionnées et d'une utilité discutable.

La commission a ensuite voulu mieux concilier le souci de contrôler strictement l'accès aux professions de la sécurité privée avec celui de ne pas empêcher l'accès à l'emploi de personnes peu qualifiées pour qui le secteur de la sécurité privée constitue une voie d'insertion professionnelle. Dans ce but, elle a notamment adopté l'amendement COM-252 de ses rapporteurs qui supprime l'exigence d'un bulletin n° 2 vierge de toute mention et qui rétablit le pouvoir d'appréciation du CNAPS. Concernant les ressortissants étrangers, elle a adopté l'amendement COM-183 présenté par Jérôme Durain et plusieurs de ses collègues qui ramène de cinq ans à trois ans la durée minimale de séjour régulier sur le territoire.

Sur le volet formation, elle a jugé prématuré de vouloir fermer l'accès à la VAE à l'occasion de l'examen de ce texte, alors que le Gouvernement demande par ailleurs à être habilité à réformer le secteur de la formation, ce qui nécessitera une concertation approfondie avec l'ensemble des acteurs. Elle a en conséquence adopté les trois amendements identiques de suppression COM-266, présenté par ses rapporteurs, COM-49, présenté par Serge Babary et COM-209 du groupe RDPI.

3. Encadrer les nouvelles technologies de captation des images pour mieux préserver les libertés

Malgré leur intérêt évident, les nouvelles technologies de captation numérique des images peuvent être particulièrement intrusives, et posent donc également d'importantes questions de protection des données personnelles et de préservation de la vie privée. Avocats, journalistes, observateurs internationaux et tous les acteurs de la société civile reçus en audition ont fait part de vives inquiétudes.

Conformément aux recommandations formulées dans l' avis rendu par la CNIL sur saisine du président de la commission des lois, les rapporteurs ont privilégié une approche équilibrée : ne pas refuser le progrès technique quand il renforce l'efficacité de nos forces de l'ordre, mais toujours vérifier que ces innovations ne menacent pas les libertés publiques auxquelles nos concitoyens sont légitimement attachés.

La commission a tenu à s'assurer que les captations d'images répondent à des nécessités opérationnelles précises, que les finalités soient bien établies, que la formation des personnels destinataires de ces images soit suffisante, que la sécurité des enregistrements et la traçabilité des accès soient bien garanties.

Sur le recours aux drones : des finalités mieux définies et un régime d'autorisation

Les drones peuvent évidemment être utiles (le secours aux victimes a, par exemple, tout à gagner de ces outils qui permettent d'épargner les vies des sauveteurs). Mais les modes de surveillance policière par drones risquent aussi d'être beaucoup plus intrusifs : contrairement aux caméras fixes, les drones filment en hauteur, avec une grande précision, peuvent enregistrer des milliers de personnes, suivre leur cible, zoomer sur les visages et à l'intérieur des bâtiments, et certains sont furtifs, voire équipés de caméras thermiques... Les garanties doivent donc être d'autant plus fortes que les risques pour les libertés sont importants.

La commission (amendement COM-282 des rapporteurs) a donc proposé :

- de recentrer le nouveau régime juridique sur les seuls drones (sans pilotes à bord), pour bien le distinguer des règles plus souples régissant d'autres dispositifs (caméras embarquées) ;

- de réaffirmer les principes de nécessité et de proportionnalité et la soumission de l'usage des drones à la loi « Informatique et libertés » ;

- de mieux encadrer les finalités justifiant l'usage de drones, en réservant leur usage à certaines circonstances où ils sont particulièrement adaptés (infractions graves, lieux difficiles d'accès ou exposant les agents à des dangers particuliers),

- de prévoir un régime souple d'autorisation préalable par le préfet ou le procureur , selon les cas, lorsque des drones sont utilisés dans le cadre d'opérations de police administrative ou judiciaire,

- de réaffirmer, à ce stade, la prohibition des techniques qui ne sont pas expressément autorisées par le législateur (captation des sons, reconnaissance faciale , interconnexions automatisées de données).

Sur les caméras mobiles : refuser la « guerre des images »

La commission a supprimé la disposition qui permettait désormais aux forces de sécurité de participer à une véritable « bataille médiatique » en diffusant les images de leurs propres interventions directement dans les médias ou sur les réseaux sociaux (amendements identiques COM-254 et COM-201 des rapporteurs et de M. Durain).

En effet, à l'origine, le recours aux caméras mobiles a été autorisé dans l'objectif d'apaiser les relations entre la police et la population et d'assurer la sécurité de nos forces de l'ordre. À l'inverse, la nouvelle finalité proposée risquait plutôt d'alimenter le cycle médiatique qui se nourrit d'images de violences.

Pour la commission, les images captées par la police doivent garder un caractère exclusivement probatoire, et non polémique ou illustratif . Elles ne sauraient donc juridiquement être mises sur le même plan que celles tournées par des journalistes voire de simples particuliers.

Au surplus, les choix qu'effectueraient les services parmi les images qu'ils décident - ou non - de diffuser risqueraient d'ouvrir de nouvelles polémiques et de conduire à de véritables feuilletonnages déstabilisant la sérénité des enquêtes .

La commission a souhaité, dès lors, s'en tenir à l'état actuel du droit en la matière, qui prévoit des possibilités maitrisées de communication officielle sur les enquêtes en cours, sous certaines conditions, à l'initiative et sous le contrôle du parquet .

4. Mieux protéger les forces de sécurité intérieure

Sur la protection des forces de sécurité, la commission a, à l'initiative des rapporteurs, supprimé la rédaction de l'article 24 dont la constitutionnalité lui paraissait fragile pour proposer une nouvelle rédaction dénuée d'ambiguïté sur la protection du droit à informer (amendement COM-272). Ce nouveau dispositif insère dans le code pénal une nouvelle infraction dans la section relative à la protection de la vie privée, la provocation à l'identification d'un policier, gendarme ou policier municipal, ou d'un membre de leur famille. Il insère également dans la section relative aux atteintes aux droits des personnes du fait des fichiers ou traitements informatiques une interdiction de la création de fichier à des fins d'identification malveillante des agents publics .

Considérant que l' article 23 posait en l'état des questions au regard des principes d'égalité, de proportionnalité, et d'individualisation des peines et risquait de rendre difficile le maintien du bon ordre en détention, la commission a adopté un amendement COM-239 des rapporteurs. Celui-ci centre le dispositif sur les infractions les plus graves et élargit le champ des victimes concernées afin d'inclure les magistrats et les personnes dépositaires de l'autorité publique, par cohérence avec les listes des victimes retenues pour caractériser une circonstance aggravante. Pour maintenir un dispositif incitant à la bonne conduite en détention, la commission a également créé une nouvelle forme de crédits de réduction de peine qui pourront être attribués si les personnes condamnées ont donné des preuves suffisantes de bonne conduite.

La commission, enfin, partage la volonté de mieux sanctionner et prévenir le détournement de l'usage des feux d'artifice à l'encontre des forces de l'ordre tout en adoptant deux amendements visant à couvrir plus largement les situations dans lesquelles cet usage pourrait être réglementé, en contrepartie de nouvelles garanties en matière de protection des données personnelles visant à assurer la sécurité juridique du dispositif.

5. Renforcer la sécurité dans les transports

La commission a souhaité faciliter l'intervention des forces de sécurité intérieure dans les réseaux de transports tout en garantissant la sécurité juridique des dispositifs . Pour ce faire, elle a accepté de pérenniser l'expérimentation des caméras mobiles dont bénéficiaient les services internes de sécurité de la RATP et de la SNCF, tout en mettant en cohérence le périmètre de celle-ci avec le nouveau périmètre d'intervention de ces services (amendements identiques COM-271 et COM-275 des rapporteurs et du rapporteur pour avis).

La commission a également souhaité trouver un équilibre plus protecteur des libertés publiques en matière d' accès des forces de sécurité intérieure aux images de vidéoprotection des entreprises ferroviaires en gardant un  caractère circonstancié à la transmission des images (dès que des circonstances font redouter la commission d'une atteinte aux biens ou aux personnes). Elle devra, en revanche, continuer à être limitée au temps nécessaire aux services de police pour leur intervention ou la levée de doute (amendement identiques COM-283 et COM-281 des rapporteurs et du rapporteur pour avis).

Enfin, la commission a pleinement souscrit aux objectifs de renforcement de la sécurité routière . Elle a néanmoins réservé la simplification des modalités de vérification de l'état alcoolémique aux situations les plus graves et encadré plus strictement l'extension des prérogatives des gardes particuliers assermentés à l'initiative de ses rapporteurs (amendements identiques COM-284, COM-278, COM-285 et COM-279 des rapporteurs et rapporteurs pour avis).

La commission a adopté la proposition de loi ainsi modifiée.

La proposition de loi sera examinée en séance publique le mardi 16 mars 2021.

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