B. LE MAINTIEN D'IMPORTANTES LIGNES ROUGES

Pour autant, sur de nombreux sujets déterminants, des désaccords profonds entre les deux chambres se maintiennent.

1. La territorialisation de l'offre de soins hospitaliers

Sur la réorganisation territoriale de l'offre de soins hospitaliers, les positions réaffirmées en nouvelle lecture par l'Assemblée nationale témoignent d'une ambiguïté surprenante .

Alors que l'ensemble des acteurs auditionnés - ainsi que les pouvoirs publics - s'accordent sur l'urgence d'assurer, en partenariat avec les acteurs locaux de santé, un maillage plus pertinent et mieux intégré de l'offre de soins , les dispositions introduites par le Sénat allant dans ce sens ont été systématiquement balayées, sans pour autant que soit remis en cause le dispositif unanimement décrié de l'article 4 sur l'attribution à l'établissement support du GHT d'une compétence de recrutement pour le compte d'un établissement partie, rétabli par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture.

Attentif à l' opinion contrastée qu'inspirent actuellement les GHT aux acteurs locaux de santé - défiance pour ceux qui estiment qu'ils appauvrissent l'offre de proximité, nécessité pour ceux qui y voient un outil opportun de rationalisation de l'offre territoriale - le Sénat avait prévu, en première lecture, plusieurs mesures visant à renforcer l'implication des acteurs locaux de santé dans leur élaboration , afin de les prémunir contre toute forme de « logique descendante ». Il s'agissait :

- à l' article 4 , de l'association des acteurs de santé privés, avec voix consultative, au comité stratégique des GHT ;

- à l' article 5 , de l'association des chefs de service des établissements parties au PMP des GHT qu'ils intègrent ;

- à l' article 6 , de l'association des CSIRMT à ces mêmes PMP ;

- enfin, à l' article 7 bis A , d'une disposition issue d'un amendement de M. Patrice Joly et tendant à inscrire dans la loi le principe de l'attribution d'une voix par membre ayant voix délibérative au sein d'un GHT.

Aucune de ces dispositions n'a été retenue par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture.

Par ailleurs, la commission des affaires sociales du Sénat s'était efforcée de répondre, en première lecture, à l'une des demandes émises par l'ensemble des professionnels de santé et directeurs d'établissement auditionnés, qui ont exprimé l'urgence de faire du projet territorial de santé (PTS) un instrument déterminant dans la structuration de l'offre de soins . À l'heure actuelle, bien que fortement encouragée par les pouvoirs publics et recommandée par le rapport du professeur Olivier Claris 1 ( * ) , son élaboration n'est pas obligatoire, privant ainsi les projets régionaux de santé édictés par les agences régionales de santé (ARS) de l'expression directe des besoins de santé par les acteurs concernés.

L'Assemblée nationale, confondant curieusement la cause et la conséquence, a estimé que « les PTS ne [pouvaient] aboutir que lorsqu'il existe déjà un certain niveau de coordination entre [les] différents acteurs », ce que le PTS a pourtant précisément vocation à impulser... Elle a par conséquent supprimé la disposition que le Sénat avait introduite à l' article 4 sur l'élaboration obligatoire des PTS par les acteurs locaux de santé.

2. La composition et l'organisation de diverses instances de gouvernance hospitalière

La réforme de plusieurs instances de gouvernance hospitalière a constitué un autre point d'achoppement.

À l' article 8 , le Sénat s'était montré en première lecture globalement favorable à un élargissement de la liberté d'organisation de l'établissement, sous réserve d'une préservation du directoire , dont le maintien avait été estimé indispensable à de nombreux acteurs auditionnés. Cette réserve n'a pas été retenue par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture.

De même, à l' article 9 , considérant que « les étudiants exercent très temporairement dans les établissements : leur apport réel sur la stratégie d'établissement ne peut qu'être limité, sachant qu'il est [déjà] jugé mince au sein des CME » 2 ( * ) , le Sénat n'avait pas jugé utile d'ouvrir le directoire aux étudiants en santé, possibilité rétablie par l'Assemblée nationale.

L'Assemblée nationale a par ailleurs supprimé deux dispositifs additionnels introduits par le Sénat :

- l' article 9 ter A , sur l'initiative de M. Franck Ménonville (LIRT), qui prévoyait la participation de droit au conseil de surveillance de l'établissement du président du conseil régional et qui réservait la présidence du conseil de surveillance à un élu local ;

- l' article 9 ter , sur l'initiative de M. Bernard Jomier (SER), qui attribuait au conseil de surveillance un pouvoir de délibération sur les orientations stratégiques et financières pluriannuelles.

Quant à l' article 8 bis , relatif à la présence de parlementaires au sein du conseil de surveillance, la rédaction finalement retenue par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture ne laisse pas de surprendre .

L'article 8 bis issu des travaux de l'Assemblée nationale en nouvelle lecture :
un dispositif incongru

Alors que la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale avait initialement maintenu la suppression de cet article décidée au Sénat en première lecture, un amendement de la rapporteure adopté en séance publique en seconde délibération a procédé à son rétablissement, en prévoyant que « peuvent participer aux réunions du conseil de surveillance avec voix consultative le député de la circonscription où est situé le siège de l'établissement principal de l'établissement public de santé et un sénateur élu du département où est situé le siège de l'établissement principal de l'établissement public de santé, désigné par la commission des affaires sociales du Sénat ».

Ce dispositif alternatif à celui présenté par l'Assemblée nationale en première lecture, censé pallier les difficultés de désignation des parlementaires élus dans le cadre d'une circonscription départementale, pose un problème d'effectivité et un problème juridique.

D'une part, il est difficilement imaginable pour la commission des affaires sociales du Sénat de procéder, sur son ordre du jour ordinaire, au recensement exhaustif de l'ensemble des établissements publics de santé et à la désignation, sur des critères non définis et parmi les sénateurs du département concerné (dont la plupart ne seront par ailleurs pas membres de ladite commission), de celle ou celui qui pourra siéger à chaque conseil de surveillance.

D'autre part, la désignation de parlementaires au sein d'organismes extra-parlementaires (OEP) est, en vertu de l' article 9 du Règlement du Sénat , une prérogative exercée par le président du Sénat, et non par une commission permanente.

Outre l'incongruité de la rédaction retenue, la commission des affaires sociales du Sénat maintient les réserves qu'elle avait exprimées à l'égard de l'article 8 bis , considérant que le relais des besoins de la population auprès du conseil de surveillance est déjà largement assuré par ses membres élus locaux.

3. Le retrait à la CSIRMT de la qualité d'organe représentatif

Malgré la volonté revendiquée par le texte initial de traduire par voie législative les recommandations issues des concertations du Ségur de la santé, la demande exprimée par les personnels paramédicaux d'une participation accrue à la direction de l'établissement et d'une plus grande représentativité du président de la CSIRMT , bien qu'explicitement formulée par le rapport Notat, ne faisait l'objet d'aucune disposition. C'est la raison pour laquelle la commission des affaires sociales du Sénat avait prévu à l' article 6 , en première lecture, l'inscription de la CSIRMT au rang des organes représentatifs de l'établissement et l' élection de son président par ses membres . Elle en avait déduit plusieurs conséquences à l' article 9 sur la présence de ce président élu au directoire.

L'objectif de ces mesures était de rehausser le rôle de la CSIRMT parmi les organes de l'établissement, afin de garantir aux personnels paramédicaux la représentation assurée par ailleurs au corps médical et la participation au projet d'établissement. Le Sénat s'est étonné de la vive opposition qu'elles ont suscitée auprès de diverses associations de directeurs de soins, auxquels était pourtant conservée l'appartenance de droit au directoire.

On ne peut que déplorer que l'Assemblée nationale n'ait pas souhaité, en nouvelle lecture, saisir cette occasion, aux seuls motifs que les modifications apportées par le Sénat changeraient « profondément la nature de [la CSIRMT] , apporterai[en]t de la confusion entre le rôle de celle-ci et le rôle du comité technique d'établissement et affaiblirai[en]t le rôle du directeur des soins, qui doit au contraire être revalorisé ».

4. Des questions irrésolues sur les ressources humaines hospitalières

C'est sans doute sur les questions relatives à la gestion des ressources humaines hospitalières que les oppositions entre les deux chambres ont été les plus manifestes.

Concernant la simplification de recrutement des praticiens hospitaliers prévue par l' article 3 , l'Assemblée nationale ne s'est pas montrée aussi sensible que le Sénat sur les risques que cet article comportait pour le principe du recrutement par concours et a choisi de rétablir sa version de première lecture.

De façon assez surprenante, l'Assemblée nationale s'est montrée particulièrement rétive aux facilités introduites par le Sénat en première lecture à l' article 5 pour la nomination du chef de service . Bien que sensible à l'idée d'une décision conjointe de l'autorité gestionnaire et de l'autorité médicale, qui matérialise l'une des revendications fortes du Ségur de la santé sur la « remédicalisation » de la gouvernance hospitalière, le Sénat avait identifié un risque de blocage en cas de désaccord entre ces deux autorités et avait estimé préférable d'éviter les conflits potentiels en prévoyant la décision du directeur d'établissement en dernier recours. Cette disposition, décrite par la rapporteure de l'Assemblée nationale comme « point de blocage majeur », a donc été supprimée en nouvelle lecture.

Au même article 5 , l'Assemblée nationale n'a pas retenu le principe d'une délégation de signature du directeur d'établissement au chef de pôle pour la gestion des ressources humaines ainsi que pour l'engagement de dépenses de fonctionnement et d'investissement de montant limité. Ces modifications, qui allaient pourtant dans le sens de la recommandation issue du Ségur de la santé sur une gestion hospitalière plus décentralisée, ont été écartées par la rapporteure, pourtant « loin d'y être défavorable », au seul motif qu'elles auraient été « imposées par la loi à chaque établissement ».

Mais c'est sur l' article 10 , qui renforce la lutte contre le recours abusif à l'intérim , que le Sénat s'est montré le plus circonspect. Bien qu'il rejoigne absolument l'Assemblée nationale dans la conviction que cette lutte doit être résolument menée, il ne partage pas ses vues sur la méthode envisagée.

Le décret du 24 novembre 2017 sur les plafonds de rémunération des praticiens intérimaires a indéniablement constitué une première avancée, mais son application gravement lacunaire a conduit l'Assemblée nationale à proposer, par l'article 10, un dispositif consistant à investir le comptable public de l'hôpital d'une mission de police du recours abusif. Le Sénat a tenté d'alerter, en commission des affaires sociales puis en séance publique au terme d'un débat nourri avec le ministre des solidarités et de la santé, contre les faux espoirs suscités par cette idée : il est en effet fort peu probable qu'un directeur d'hôpital de zone sous-dotée contraint de recourir à l'intérim refuse d'emblée les prix qui lui sont imposés par l'intérimaire au motif que le comptable public pratiquera une régularisation a posteriori .

Le transfert du contrôle de légalité de la dépense d'intérim à l'issue de l'engagement de cette dernière exposera au contraire l'hôpital - et son directeur - à d'importants contentieux . Cette disposition, essentiellement d'affichage, présente beaucoup plus de dangers que de ressources.

Sur cette question particulièrement délicate, la commission des affaires sociales du Sénat remarque que les reproches adressés par la rapporteure de l'Assemblée nationale au dispositif alternatif qu'elle avait proposé ne sont pas fondés . En considérant que le recours aux instruments budgétaires ordinaires par lesquels l'établissement de santé rend compte à l'ARS de sa gestion - établissement prévisionnel de recettes et de dépenses (EPRD) et compte financier - n'offre pas le degré de précision suffisant à la détection d'un recours abusif à l'intérim médical, l'Assemblée nationale ignore les dispositions de l'article L. 6146-3 du code de la santé publique, auxquelles le Sénat avait arrimé son dispositif alternatif, et qui mentionne expressément un « montant journalier des dépenses susceptibles d'être engagées par praticien par un établissement public de santé au titre d'une mission de travail temporaire ».

La commission entend précisément faire figurer au compte financier de l'établissement les dépenses individuelles facturées par intérimaire et, en cas de dépassement du montant journalier évoqué, prévoyait l'obligation pour le directeur général de l'ARS de déférer au tribunal administratif les actes contractuels irréguliers avec recours de plein contentieux.

Enfin, l'Assemblée nationale a rétabli dans sa rédaction originelle l' article 11 de la proposition de loi, qui prévoit un volet managérial et de gouvernance au projet d'établissement, que le Sénat avait supprimé le considérant déjà largement satisfait.


* 1 Recommandation n° 42.

* 2 Conférence nationale des directeurs de centre hospitalier.

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