N° 706

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 23 juin 2021

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur la proposition de loi,
adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée,
pour
renforcer la prévention en santé au travail ,

Par M. Stéphane ARTANO et Mme Pascale GRUNY,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : Mme Catherine Deroche , présidente ; M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général ; M. Philippe Mouiller, Mme Chantal Deseyne, MM. Alain Milon, Bernard Jomier, Mme Monique Lubin, MM. Olivier Henno, Martin Lévrier, Mmes Laurence Cohen, Véronique Guillotin, M. Daniel Chasseing, Mme Raymonde Poncet Monge , vice-présidents ; Mmes Florence Lassarade, Frédérique Puissat, M. Jean Sol, Mmes Corinne Féret, Jocelyne Guidez , secrétaires ; Mme Cathy Apourceau-Poly, M. Stéphane Artano, Mme Christine Bonfanti-Dossat, MM. Bernard Bonne, Patrick Boré, Laurent Burgoa, Jean-Noël Cardoux, Mmes Catherine Conconne, Annie Delmont-Koropoulis, Élisabeth Doineau, MM. Alain Duffourg, Jean-Luc Fichet, Mmes Laurence Garnier, Frédérique Gerbaud, Pascale Gruny, M. Xavier Iacovelli, Mmes Corinne Imbert, Annick Jacquemet, Victoire Jasmin, Annie Le Houerou, M. Olivier Léonhardt, Mmes Viviane Malet, Colette Mélot, Michelle Meunier, Brigitte Micouleau, Annick Petrus, Émilienne Poumirol, Catherine Procaccia, Marie-Pierre Richer, Laurence Rossignol, M. René-Paul Savary, Mme Nadia Sollogoub, M. Dominique Théophile .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) :

3718 , 3881 et T.A. 570

Sénat :

378 et 707 (2020-2021)

L'ESSENTIEL

La proposition de loi pour renforcer la prévention en santé au travail fait suite à un long processus de démocratie sociale et parlementaire , précédé par la publication de plusieurs rapports ayant dressé le constat d'un système de santé au travail essoufflé , marqué par une très grande hétérogénéité dans le contenu et la qualité de l'offre des services de santé au travail (SST), confronté à de multiples défis dont celui de la démographie médicale et qui peine encore à développer la prévention primaire en entreprise.

Parmi ces rapports, on recense en particulier celui de la députée Charlotte Lecocq et de MM. Henri Forest et Bruno Dupuis plaidant pour une remise à plat de la gouvernance du système de santé au travail, publié en août 2018 1 ( * ) ; celui produit en octobre 2019 2 ( * ) par les rapporteurs, M. Artano et Mme Gruny, proposant des évolutions destinées à garantir un service universel de la santé au travail de qualité pour tous les travailleurs ; et enfin celui publié en février 2020 3 ( * ) par l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) procédant à l'évaluation des services de santé au travail interentreprises (SSTI).

de salariés relèvent
d'un SSTI en 2019

de visites sont réalisées chaque année
par les SSTI

Évolution du nombre de médecins du travail et collaborateurs médecins entre 2015 et 2019

Après l'échec d'une première négociation, en juillet 2019, sur les orientations d'une réforme de la santé au travail qui leur apparaissait pour partie déjà « ficelée » par l'administration 4 ( * ) , les partenaires sociaux, conscients de la nécessité de parvenir à un accord sur un sujet apparu plus que jamais déterminant à la faveur de la crise sanitaire , ont relancé leurs travaux après la réception d'une nouvelle lettre d'orientation du Gouvernement en juin 2020. Ils sont ainsi parvenus, le 9 décembre 2020, à la conclusion d'un accord national interprofessionnel (ANI) « pour une prévention renforcée et une offre renouvelée en matière de santé au travail et conditions de travail » qui aura été signé par l'ensemble des organisations patronales et syndicales, à l'exception de la confédération générale du travail (CGT).

Les diagnostics posés par les rapports précités ont alimenté les réflexions des partenaires sociaux qui, dans l'ANI, ont repris plusieurs des propositions qui y ont été formulées.

Le Gouvernement s'étant engagé à veiller « lors de la transcription de cet accord dans le droit du travail, au respect de son contenu et de son équilibre » 5 ( * ) , la proposition de loi, déposée par Charlotte Lecocq, Carole Grandjean et les députés membres de la majorité présidentielle s'emploie à transcrire fidèlement l'ANI. Elle s'articule autour de quatre axes rappelés par le Conseil d'État dans son avis sur la proposition de loi 6 ( * ) : « renforcer la prévention au sein des entreprises et décloisonner la santé publique et la santé au travail », « améliorer la qualité du service rendu par les services de santé au travail », « renforcer l'accompagnement de certains publics, notamment vulnérables, et lutter contre la désinsertion professionnelle », et « réorganiser la gouvernance de la santé au travail », que celle-ci soit interne aux services de santé au travail ou concerne le pilotage national et territorial de la santé au travail.

Si elle partage les principaux objectifs poursuivis par la proposition de loi, la commission a veillé à garantir le caractère opérationnel de plusieurs de ses dispositions « phares » et à réunir les conditions d'un développement effectif de la prévention au sein des entreprises tout au long de la vie du travailleur. Elle a également renforcé la définition de l'offre socle de services proposée par les services de prévention et de santé au travail interentreprises (SPSTI) ainsi que le contrôle de ces services . Elle a réaffirmé le rôle du médecin du travail dans l'animation et la coordination d'une équipe pluridisciplinaire qui a vocation à se diversifier et a étendu aux services de prévention et de santé au travail (SPST), succédant aux services de santé au travail, des obligations de mise en conformité aux référentiels d'interopérabilité et de sécurité en faveur d'une meilleure protection et d'une exploitation plus efficace des données en santé au travail au service de la recherche dans ce domaine.

I. RENFORCER LA PRÉVENTION ET DÉCLOISONNER SANTÉ AU TRAVAIL ET SANTÉ PUBLIQUE

A. SYSTÉMATISER UNE DÉMARCHE D'ÉVALUATION ET DE PRÉVENTION DES RISQUES PROFESSIONNELS ENCORE TRÈS INÉGALE SELON LA TAILLE DE L'ENTREPRISE

Dans leur rapport d'information précité d'octobre 2019, les rapporteurs de la commission des affaires sociales du Sénat avaient déjà fait le constat d'une culture de la prévention des risques professionnels insuffisamment répandue au sein des très petites entreprises (TPE) qui représentent pourtant près d'un cinquième 7 ( * ) de l'emploi salarié du secteur privé en France. Selon la dernière enquête 8 ( * ) du ministère du travail, seuls 45 % des employeurs interrogés ont élaboré ou réactualisé un DUERP au cours des douze mois précédant l'enquête.

Ils appelaient ainsi à faire du document unique d'évaluation des risques professionnels (DUERP) un véritable « document stratégique contractuel définissant non seulement l'engagement de l'employeur mais également ceux du service de santé au travail dans le déploiement de la stratégie de prévention de l'entreprise ». L'ANI du 9 décembre 2020 s'inscrit dans la même logique, en préconisant de faire du DUERP la « base d'un plan d'action » et un instrument de traçabilité collective.

L' article 2 de la proposition de loi prend acte de ces orientations en rehaussant au niveau législatif l'obligation pour tout employeur d'élaborer un DUERP qui soit le résultat d'une démarche d'évaluation des risques professionnels engagée en concertation avec les instances internes de l'entreprise et avec l'appui des acteurs de la prévention, dont le service de santé au travail, désormais dénommé « service de prévention et de santé au travail » (SPST) ( article 1 er ). Le DUERP est, par ailleurs, fusionné avec le programme annuel de prévention des risques professionnels et d'amélioration des conditions de travail qui regroupe les actions de prévention et de protection à mettre en oeuvre et qui devra ainsi être établi par toutes les entreprises et non plus seulement celles de plus de 50 salariés.

La commission est revenue sur la fusion de ces deux documents : elle estime en effet préférable de recentrer le DUERP sur son objectif principal, l'évaluation des risques, et de ne pas le complexifier à l'excès afin que toutes les entreprises se l'approprient pleinement, quelle que soit leur taille. Par suite, elle a veillé à distinguer les modalités de définition des actions de prévention et de protection à mettre en oeuvre à l'issue de cette évaluation selon la taille de l'entreprise, en maintenant, comme c'est déjà le cas aujourd'hui, l'obligation d'élaborer un programme annuel de prévention des risques professionnels et d'amélioration des conditions de travail pour les seules entreprises de plus de 50 salariés . En effet, seules les entreprises d'une certaine taille disposent des ressources internes nécessaires à la construction d'un tel document dont les exigences de contenu ont d'ailleurs été renforcées. En conséquence, elle a adapté les modalités de définition des actions de prévention et de protection pour les TPE et les petites et moyennes entreprises (PME) en prévoyant que la liste de ces actions pourra être consignée dans le DUERP.

Soucieuse que la démarche d'évaluation des risques professionnels s'inscrive dans une démarche de co-construction , la commission a également précisé le champ des instances internes de l'entreprise et des acteurs externes de la prévention qui pourront être mobilisés pour accompagner l'employeur dans cette évaluation dont il conserve seul la responsabilité. Elle a en outre posé dans la loi le principe d'un dépôt dématérialisé des DUERP afin de garantir la pérennité de leur conservation et de leur mise à disposition , au travers d'un portail numérique géré par les organisations patronales. Il est prévu que ce dépôt dématérialisé devienne effectif pour l'ensemble des entreprises à compter du 1 er juillet 2024 au plus tard.

Attachée au renforcement du suivi post-exposition des travailleurs exposés à des risques particulièrement dangereux pour la santé - notamment ceux exposés à des agents chimiques cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques -, la commission a élargi, à l' article 2 ter , la notion de surveillance post-professionnelle à celle de surveillance post-exposition . Le déclenchement du suivi post-exposition ne sera plus ainsi restreint au seul moment du départ à la retraite, la cessation de l'exposition à des risques particuliers pouvant intervenir bien avant. Elle a, enfin, consacré dans la loi le triptyque médecin du travail-médecin traitant-médecin conseil dans la mise en oeuvre du suivi post-exposition.


* 1 Charlotte Lecocq, Bruno Dupuis, Henri Forest, avec l'appui d'Hervé Lanouzière, Santé au travail : vers un système simplifié pour une prévention renforcée, rapport fait à la demande du Premier ministre, août 2018.

* 2 Pour un service universel de santé au travail, rapport d'information n° 10 (2019-2020) de M. Stéphane Artano et Mme Pascale Gruny, fait au nom de la commission des affaires sociales du Sénat, déposé le 2 octobre 2019.

* 3 Delphine Chaumel, Benjamin Maurice et Jean-Philippe Vinquant, avec la participation d'Antoinette Rousteau, Évaluation des services de santé au travail interentreprises , rapport n° 2019-070R1 de l'inspection générale des affaires sociales, février 2020.

* 4 Ils avaient été mobilisés dès mars 2019 au sein du groupe permanent d'orientation (GPO) du conseil d'orientation des conditions de travail (COCT).

* 5 Communiqué de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion et du secrétaire d'État chargé des retraites et de la santé au travail du 10 décembre 2020.

* 6 Conseil d'État, avis sur la proposition de loi pour renforcer la prévention en santé au travail, 4 février 2021, n° 401.872.

* 7 Selon la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère du travail (Dares), « les entreprises (sociétés et entrepreneurs individuels) de un à neuf salariés regroupent 19 % de l'emploi salarié du secteur privé (hors agriculture), soit 3,3 millions de salariés au 31 décembre 2018 », « L'emploi dans les très petites entreprises fin 2018 », collection « Dares résultats », n° 004, février 2020.

* 8 Dares, « La prévention des risques professionnels en 2016 - Des résultats contrastés selon les secteurs et les risques », collection « Dares Résultats », n° 029, juin 2019.

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