II. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

L'impact de la crise sanitaire sur les programmes 112 et 162 relatifs à l'aménagement du territoire de la mission « Politique des territoires » aura été limité. Les dépenses d'intervention, qui représentent la majeure partie des crédits, sont conformes dans l'ensemble aux prévisions établies en loi de finances initiale (LFI).

A. LE PROGRAMME 112 « IMPULSION ET COORDINATION DE LA POLITIQUE D'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE »

Les crédits du programme 112 sont inégalement répartis entre les différentes actions. Près des deux-tiers passent par le fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT) , qui apporte le soutien de l'État, en investissement comme en fonctionnement, aux actions qui concourent à mettre en oeuvre les choix stratégiques de la politique d'aménagement du territoire.

1. Malgré une exécution très contrastée selon les actions, une relative sincérité de la programmation

Le projet de loi de finances pour 2020 prévoyait que les crédits du programme 112 s'élevaient à 244 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 208 millions d'euros en crédits de paiement (CP). À l'échelle du programme, l'exécution est conforme à l'autorisation budgétaire , près de 99 % des crédits ayant été consommés en AE et 97,1 % en CP.

Évolution des crédits par action du programme 112

(en millions d'euros et en %)

2019

2020

Exécution / prévision 2020

Exécution

2020 / 2019

Exécution

Crédits votés LFI

Prévision LFI

Exécution

en volume

en %

en volume

en %

11 - FNADT section locale

AE

110,9

123,7

123,7

110,3

- 13,3

- 10,8 %

- 0,5

- 0,5 %

CP

108,3

111,2

111,2

105,2

- 6,0

- 5,4 %

- 3,2

- 2,9 %

12 - FNADT section générale

AE

34,0

24,9

39,9

48,2

+ 8,3

+ 20,7 %

+ 14,2

+ 41,9 %

CP

40,3

32,6

47,6

55,5

+ 7,9

+ 16,6 %

+ 15,1

+ 37,6 %

13 - Soutien aux Opérateurs

AE

36,7

56,5

56,5

71,4

+ 14,9

+ 26,4 %

+ 34,7

+ 94,5 %

CP

34,2

56,5

56,5

73,4

+ 17,0

+ 30,0 %

+ 39,3

+ 114,8 %

14 - Prime d'aménagement du territoire, contrats de ruralité et pacte État-métropoles

AE

0,8

3,0

3,0

-4,7

- 7,7

- 257,9 %

- 5,5

- 686,9 %

CP

46,4

43,9

43,9

32,5

- 11,4

- 25,9 %

- 13,9

- 29,9 %

Total programme

AE

182,4

208,1

223,1

225,2

+ 2,1

+ 1,0 %

+ 42,8

+ 23,5 %

CP

229,3

244,1

259,1

266,6

+ 7,5

+ 2,9 %

+ 37,3

+ 16,3 %

LFI : loi de finances initiale. La prévision en LFI inclut les prévisions de fonds de concours (FDC) et d'attribution de produits (ADP), ce qui n'est pas le cas des crédits votés en LFI. L'exécution constatée dans le projet de loi de règlement inclut les FDC et ADP constatés.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

En revanche, l'exécution est très variable selon les actions, ce qui découle en partie de la crise sanitaire. Par rapport à 2019, la consommation des crédits a également fortement évolué.

L'action 14 est en baisse de 30 % en CP et 686 % en AE, car les dispositifs qu'elle porte sont soit en extinction, soit rattachés aujourd'hui à d'autres programmes . La prime d'aménagement du territoire (PAT), qui constituait l'essentiel de l'action, a pris fin au 31 décembre 2020 1 ( * ) . En conséquence, les AE sont en chute constante au cours des dernières années, et plus aucun crédit ne figure en AE sur le programme 112 à ce titre en 2021. D'autre part, la loi de finances pour 2018 a acté l'arrêt du financement de nouveaux engagements concernant les contrats de ruralité et des pactes État-métropoles sur le programme 112, transférés vers le programme 119 « Concours financiers aux collectivités territoriales et à leurs groupements » de la mission « Relations avec les collectivités territoriales (RCT) ».

L'action 13 « Soutien aux opérateurs » est quant à elle en forte hausse par rapport à 2019 du fait de la création de l'agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) en 2020. De même, la section générale du FNADT est en hausse de 41,9 % en AE et 37,6 % en CP, essentiellement du fait de la création des maisons France services.

Enfin, l'action 11 porte la section locale du FNADT, c'est-à-dire essentiellement des crédits contractualisés entre l'État et les collectivités territoriales. Elle est en baisse par rapport à 2019, du fait du caractère cyclique de l'exécution des contrats de plan État Région (CPER) . S'agissant des CPER 2017-2014, seuls 3,6 millions d'euros de CP étaient prévus en 2020 pour l'exécution des engagements prévus jusqu'à 2014. L'action 11 portait pour la dernière année des AE à hauteur de 119 millions d'euros s'agissant de la génération 2015-2020 des CPER . Les restes à payer s'élevaient pour les CPER 2015-2020 à 175,4 millions d'euros.

Le programme 112 n'a fait l'objet d'aucune ouverture ou annulation de crédits lors des collectifs budgétaires votés en 2020 . En revanche, plusieurs modifications en gestion sont intervenues, et notamment un transfert de 15 millions d'euros en AE et CP en provenance du programme 103 « Accompagnement des mutations économiques et développement de l'emploi », correspondant au financement du Pass numérique, dont l'ANCT assure la mise en oeuvre et reversés à cette dernière. Afin de financer les maisons France services, un transfert de 4,8 millions d'euros en AE et CP en provenance de la mission Administration territoriale de l'État est également intervenu au cours de l'exercice, et devrait selon toute vraisemblance être reconduit en 2021.

La crise sanitaire aura eu un impact limité sur la consommation des crédits. En effet, au 31 août 2020, l'exécution globale du programme 112 s'établissait à 50 % des ressources disponibles en AE et 53 % en CP . Elle explique cependant en partie la faiblesse de l'exécution des CPER, la crise ayant freiné l'investissement local.

La conséquence principale de l'épidémie de covid-19 sur le programme 112 a été d'entraîner le dégel de la réserve de précaution à hauteur de 7 millions d'euros en AE et 8,8 millions d'euros en CP. Ce dégel a permis le financement du dispositif « Campagne d'été » qui vise à apporter un soutien aux élèves des zones rurales après le confinement.

2. Une montée en charge rapide des crédits dédiés à l'agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) malgré la crise sanitaire

La création de l'ANCT au 1 er janvier 2020 2 ( * ) entraîne une forte hausse des crédits de l'action 13 par rapport à 2019, de 94,5 % en AE et 114,8 % en CP.

En 2020, la subvention pour charges de service public (SCSP) versée à l'ANCT s'est élevée à 50,34 millions d'euros en AE et CP , auxquels s'ajoutent 20,8 millions d'euros transférés à l'ANCT en gestion . Les montants accordés à l'ANCT sont donc supérieurs de plus de 20 millions d'euros par rapport aux prévisions en LFI.

En revanche, le plafond d'emplois de l'ANCT a été sous-consommé, seuls 90,2 % des ETPT prévus, soit 297 ETPT, ayant été exécutés, en partie du fait de vacances de postes liés à la crise sanitaire . En 2021, l'ANCT devrait disposer de 329 ETPT, dont 6 hors plafond, qui devraient permettre d'élargir le soutien à l'ingénierie pour les collectivités locales.

La SCSP portée par le programme 112 représente plus des deux-tiers des recettes de l'ANCT , le reste étant partagé entre des recettes liées aux activités commerciales de l'agence, qui lui ont apporté 12,2 millions d'euros et 4 millions d'euros de financements européens.

Au cours de sa première année, l'ANCT a été saisie par 141 collectivités , dont 77 concernant des projets de revitalisation commerciale ou artisanale. Le montant moyen de l'accompagnement est de 37 000 euros par projet. Cela semble très peu au regard de l'importante demande des collectivités pour un accompagnement en ingénierie de proximité . Il semble donc impératif de poursuivre le mouvement de hausse des crédits accordés à l'ingénierie en loi de finances pour 2021 , qui a augmenté ces derniers de 10 à 20 millions d'euros. Le rapporteur spécial souscrit ainsi pleinement à la proposition n° 20 du rapport d'information de Mme Josiane Costes et M. Charles Guéné, fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales 3 ( * ) , à savoir pérenniser et renforcer l'enveloppe budgétaire dédiée à l'ingénierie « sur-mesure ».

Il reprend également à son compte la proposition n° 21, qui incite à clarifier les rôles respectifs de la DGCL, de l'ANCT et des instances locales de gouvernance (comités locaux de cohésion des territoires et comité régional des financeurs) dans la décision d'attribution des crédits.

Le budget de l'ANCT a donné lieu à une sous-exécution, à hauteur de 74 % du budget initial en 2020 du fait de la crise sanitaire (report des dépenses d'investissement et d'intervention notamment par l'annulation d'une partie des événements donnant lieu à des dépenses de communication). Trois budgets rectificatifs ont ainsi été adoptés en 2020.

S'agissant des dépenses d'intervention, elles sont sensiblement inférieures, en AE comme en CP, aux prévisions du budget initial . Le retard dans l'exécution est essentiellement dû aux programmes nationaux et notamment au programme inclusion numérique, qui représente près des deux tiers des dépenses prévisionnelles des programmes de l'Agence et pour lequel les conventions avec les collectivités ont tardé à être mises en place.

3. Une clôture des CPER 2015-2020 qui se traduit dans la consommation des crédits

La baisse des AE constatées pour le programme 112 résulte également en partie de l'aboutissement de la dernière génération des CPER. La consommation 2020 en AE et CP des CPER et CPIER 2015-2020 s'est élevée en 2020 à 99,8 millions d'euros en AE et 87,3 millions d'euros en CP, dont plus de la moitie dans six régions (Occitanie, Grand Est, Nouvelle-Aquitaine, Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche-Comte et Bretagne).

L'exécution des CPER 2015-2020 en 2020 a dû tenir compte de deux évolutions. D'une part, les CPER ultramarins ont été clôturés plus tôt que prévus et remplacés par les contrats de convergence et de transformation (CCT) 2019-2022 4 ( * ) , faisant l'objet d'un suivi distinct réalisé par le ministère des Outre-mer. D'autre part, le volet « mobilité multimodale » des CPER 2015-2020 a été prolongé jusqu'en 2022 , et les crédits CPER seront transférés au plan de relance.

Pour les CPER 2015-2020, 1,143 milliard d'euros étaient consacrés au volet territorial des CPER. Le taux d'exécution prévisionnel de ce volet à fin 2020 est de 78 % .

Exécution des volets territoriaux des CPER sur le programme 112

(en % et en millions d'euros)

Montants contractualisés révisés

AE 2015 - 2019

% d'exécution

CP 2015 - 2019

% de paiement

% couverture AE par des CP

721

434

60%

294

41%

68%

Source : commission des finances

Le montant annuel des crédits consacré au volet territorial est passé de 176,4 millions d'euros en 2019 à 190,5 millions d'euros en 2020, soit une augmentation de près de 8 %. Les volets territoriaux des CPER recouvrent cinq axes principaux : le soutien aux territoires fragiles (quartiers de la politique de la ville, zones rurales, petites villes) ; les services au public et le numérique ; les coopérations territoriales (métropoles et coopérations transfrontalières) ; les dynamiques de développement local (projets culturels notamment) ; l'ingénierie territoriale.

4. Une attention particulière devant être portée au déploiement des maisons France services

Le déploiement des maisons France Services, réseau de services publics mutualisés, devait permettre aux usagers de procéder aux principales démarches administratives dans un lieu unique, à moins de 30 minutes de leur domicile. Leur création a été annoncée en avril 2019. Ces maisons France services s'appuient sur le réseau existant des maisons de services au public (MSAP) .

Les maisons France services ont été formellement initiées le 1 er janvier 2020 et sont appelées à croître en 2021 en s'appuyant notamment sur la montée en gamme des 550 MSAP d'ici 2022 .

Les services proposés dans les maisons France Services couvraient initialement ceux de neuf partenaires : La Poste, Pôle emploi, les caisses nationales d'assurance maladie, d'assurance familiale et d'assurance vieillesse, les ministères de l'Intérieur et de la Justice, et la direction générale des finances publiques (DGFiP). Un dixième opérateur a été ajouté en septembre 2020, l'Association générale des institutions de retraite des cadres-Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (AGIRC-ARRCO).

Afin de permettre la transformation d'un grand nombre de MSAP en maisons France services, le financement des MSAP a été forfaitisé à hauteur de 30 000 euros par an et par structure , dont 15 000 par an et par maison sur les crédits du programme 112 ( FNADT) . Par ailleurs, la contribution de l'État au profit des MSAP et maisons France Services installées dans un bureau de poste est assurée par un abattement fiscal.

Afin de permettre la transformation d'un grand nombre de MSAP en maisons France services, le financement des MSAP a été forfaitisé à hauteur de 30 000 euros par an et par structure. Ce forfait se décompose à parité entre le fonds national France Services (FNFS) et le FNADT .

En 2020, 14,9 millions d'euros ont été consommés sur le programme 112 pour le financement de 992 structures (soit 277 MSAP et 715 maisons France Services , hors celles supportées par la Poste). Sur cette somme, 4,8 millions d'euros ont été abondés par un décret de transfert en gestion depuis les programmes 156 « Gestion fiscale et financière de l'État et du service public local » et du programme 216 « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur ». Le FNFS, qui n'est pas supporté par le programme 112, a également contribué au financement des maisons France services pour 14,8 millions d'euros, étant donné que le FNADT et le FNFS financent à parité les maisons France services.

En 2020, 87 % des structures (MSAP et France Services) ont pour partenaires plus de 7 opérateurs , soit un pourcentage plus élevé que celui anticipé en LFI, qui visait 75 % des structures. Cela traduit un engagement des partenaires financiers du plan nécessaire à une réelle amélioration de l'accessibilité des services publics dans les territoires ruraux.

Un des trois indicateurs de performance du programme 112 porte sur l'accessibilité des maisons France service. En 2020, 79 % de la population des communes de moins de 30 000 habitants sont situés à moins de 20 minutes d'une France Services ou d'une MSAP . Cette proportion s'élevait à 72 % en 2019 et en 2018. En conséquence, l'accroissement du nombre de maisons ne s'est pas traduit par une baisse immédiate des temps de trajets, malgré la volonté de densifier le maillage territorial.

L'année 2020 a permis une rapide montée en gamme des maisons France services. 856 structures ont été labellisées France Services en 2020, soit par la montée en gamme des MSAP existantes, soit par la création de nouvelle structures . En parallèle, 504 structures sont installées dans un bureau de poste et près de 600 MSAP demeuraient en activité au 31 décembre 2020.

Toutefois, le passage d'une maison de service au public à une maison France services implique une montée en gamme et en nombre des services apportés. Il importe donc de veiller à l'adéquation entre cet accompagnement financier et les critères requis pour pouvoir être labellisées .

5. Les dépenses fiscales rattachées au programme 112 représentent près de trois fois le montant des crédits budgétaires qui lui sont alloués

Plusieurs dispositifs de zonage, soit 18 dépenses fiscales sur impôt d'État, sont rattachés à ce programme, dont huit s'élevaient à moins d'un million d'euros. Ce sont le plus souvent des exonérations ou des réductions d'impôt associées au classement dans divers dispositifs de zonages, pour un total de 618 millions d'euros en 2021, contre 631 en 2019.

Les zones de revitalisation rurales (ZRR, 110 millions d'euros en 2020), les taux de TVA adaptés à la Corse (200 millions d'euros) et le crédit d'impôt en faveur de l'investissement en Corse (CIIC, 178 millions d'euros) concentrent l'essentiel des dépenses fiscales. Il est indispensable d'assurer un suivi précis de ces coûts, qui représentent près de trois fois les crédits budgétaires affectés au programme 112 .

D'autre part, neuf dépenses fiscales sur des impôts locaux , mais prises en charge par l'État, sont également rattachées au programme 112, pour un total de 8 millions d'euros.

Un article visant à proroger de deux ans plusieurs dispositifs zonés de soutien, dont les zones de revitalisation rurale (ZRR) et les zones d'aide à finalité régionale (AFR), a été adopté lors du vote de la loi de finances pour 2021, dans l'attente d'une refonte de ces zonages. Le rapporteur spécial salue l'ambition affichée par le Gouvernement de mener une réforme de grande ampleur des différents dispositifs de zonage de la géographie prioritaire de la ruralité , recommandation qui figurait par ailleurs dans le rapport de contrôle sur l'avenir des ZRR mené avec ses collègues Frédérique Espagnac et Rémy Pointereau 5 ( * ) .


* 1 Conformément aux dispositions du décret n° 2014-1056 du 16 septembre 2014 relatif à la prime d'aménagement du territoire pour l'industrie et les services.

* 2 Loi n° 2019-753 du 22 juillet 2019 portant création d'une Agence nationale de la cohésion des territoires.

* 3 Les collectivités et l'ANCT au défi de l'ingénierie dans les territoires , rapport n° 591 (2019-2020) - 2 juillet 2020.

* 4 En application de la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique.

* 5 Rapport d'information n° 41 (2019-2020), Sauver les zones de revitalisation rurale (ZRR), un enjeu pour 2020, de Bernard Delcros, Frédérique Espagnac et Rémy Pointereau.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page