SECTION 2
DISPOSITIONS RELATIVES AU SECRET DE L'ENQUÊTE
ET DE L'INSTRUCTION ET RENFORÇANT LA PROTECTION
DE LA PRÉSOMPTION D'INNOCENCE

Article 4
Protection du secret de l'enquête et de l'instruction

Cet article vise à réprimer plus sévèrement les violations du secret de l'enquête ou de l'instruction.

La commission l'a adopté sans modification.

1. Des dispositions qui précisent la définition des infractions réprimant la violation du secret de l'enquête et de l'instruction et qui prévoient des peines plus lourdes

1.1. Le secret de l'enquête et de l'instruction : un principe essentiel de notre procédure pénale

Comme l'affirme l'article 11 du code de procédure pénale, « sauf dans les cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l'enquête et de l'instruction est secrète ». Ce principe de secret poursuit deux objectifs complémentaires, comme le rappelle l'étude d'impact annexée au projet de loi :

- d'abord, garantir le droit au respect de la présomption d'innocence des personnes mises en cause et préserver la vie privée des protagonistes ;

- ensuite, garantir que les enquêtes sont conduites avec efficacité ; rassembler les preuves, éviter que les victimes ou les témoins fassent l'objet de pressions suppose de travailler dans la discrétion.

Dans sa décision n° 2017-693 QPC du 2 mars 2018, le Conseil constitutionnel a considéré que les dispositions protégeant le secret de l'enquête et de l'instruction étaient conformes à la Constitution, l'atteinte à la liberté d'expression et de communication qui en résulte étant nécessaire, adaptée et proportionnée à l'objectif poursuivi. Dans son arrêt du 14 juin 2005, Menet c. France , la Cour européenne des droits de l'homme a elle aussi reconnu que « le caractère secret de la procédure d'instruction peut se justifier par des raisons relatives à la protection de la vie privée des parties au procès et aux intérêts de la justice ».

En cas de violation du secret de l'enquête ou de l'instruction, des poursuites peuvent actuellement être diligentées soit sur le fondement des dispositions de droit commun relatives au secret professionnel, soit sur le fondement d'un article du code pénal sur les entraves à la justice :

- l'article 11 du code de procédure pénale renvoie en premier lieu aux articles 226-13 et 226-14 du code pénal, relatifs au secret professionnel : la violation de ce secret est passible d'une peine d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende ; l'article 226-14 autorise, dans certaines circonstances, la révélation d'informations normalement couvertes par les secret, principalement pour signaler qu'un mineur est victime de violences ;

- par ailleurs, l'article 434-7-21 du code de procédure pénale punit de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende le fait, pour toute personne qui a connaissance du fait de ses fonctions d'informations issues d'une enquête ou d'une instruction concernant un crime ou un délit, de révéler sciemment ces informations à des personnes qu'elle sait susceptibles d'être impliquées, comme auteurs, coauteurs complices ou receleurs, dans la commission de ces infractions, lorsque cette révélation est réalisée dans le dessein d'entraver le déroulement des investigations ou la manifestation de la vérité ; les peines sont portées à cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende lorsque l'enquête ou l'instruction concerne un crime ou un délit puni de dix ans d'emprisonnement relevant de l'article 706-73 du code de procédure pénale (qui contient essentiellement des dispositions sur les infractions commises en bande organisée).

Le secret concerne les personnes qui concourent à la procédure . La jurisprudence de la Cour de cassation a précisé que concourent à la procédure les magistrats du siège chargés de l'instruction ou participant à celle-ci, le procureur de la République, les greffiers, les huissiers, les officiers et agents de police judiciaire, les enquêteurs de personnalité et toute personne requise par un magistrat telle qu'un interprète ou un expert. En revanche, les avocats ne sont pas considérés comme concourant à la procédure et sont autorisés à révéler des éléments tirés de la procédure dans le cadre de l'exercice des droits de la défense. La personne mise en cause, la victime, les témoins ne sont pas non plus tenus au secret.

1.2. De nouvelles dispositions qui se veulent plus dissuasives

Le projet de loi s'inspire d'une recommandation des députés Didier Paris et Xavier Breton qui, dans leur rapport d'information sur le secret de l'enquête et de l'instruction, suggéraient de renforcer la répression des violations de ce secret.

Il tend également à clarifier le droit applicable en créant un dispositif unique qui réprimerait spécifiquement les violations du secret de l'enquête et de l'instruction.

Dans ce but, le I de l'article 4 du projet de loi propose une nouvelle rédaction de l'article 434-7-2 du code pénal pour réprimer la révélation d'informations issues d'une enquête ou d'une instruction et prévoir des peines aggravées dans certaines circonstances.

Sans préjudice des droits de la défense ou des droits des victimes, le fait pour toute personne qui, en raison de ses fonctions, aurait connaissance, en application du code de procédure pénale, d'informations issues d'une enquête ou d'une instruction en cours concernant un crime ou un délit de révéler sciemment ces informations à des tiers serait tout d'abord puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. Cette rédaction préserve la possibilité pour l'avocat de révéler des informations pour l'exercice des droits de la défense.

Les peines seraient portées à cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende lorsque les informations sont révélées à des personnes que le professionnel tenu au secret sait susceptibles d'être impliquées comme auteurs, coauteurs, complices ou receleurs dans la commission de ces infractions et que cette révélation est réalisée dans le dessein d'entraver le déroulement des investigations ou la manifestation de la vérité. Les peines seraient portées à sept ans d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende lorsque l'enquête ou l'instruction concerne un crime ou un délit puni de dix ans d'emprisonnement relevant de l'article 706-73 du code de procédure pénale. Cette rédaction est proche de celle qui figure actuellement à l'article 434-7-2 du code pénal, le quantum des peines étant cependant plus élevé.

Le I bis de l'article 4 est issu de l'adoption par la commission des lois de l'Assemblée nationale d'un amendement du rapporteur. Il modifie l'article 114-1 du code de procédure pénale, qui punit d'un an d'emprisonnement et de 10 000 euros d'amende le fait pour une partie à qui une reproduction des pièces ou actes d'une procédure d'instruction a été remise de la diffuser auprès d'un tiers.

Dans un souci d'harmonisation avec les peines encourues pour l'infraction générale de violation du secret de l'enquête et de l'instruction, les peines seraient portées à trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende.

Le 1°du II procède à une coordination à l'article 11 du code de procédure pénale.

Le 2°du II modifie le dernier alinéa du même article 11, afin de faire évoluer les règles relatives à la communication qui peut être assurée par le procureur de la République.

Depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, le procureur de la République peut en effet, d'office et à la demande de la juridiction d'instruction et des parties, rendre publics des éléments objectifs tirés de la procédure ne comportant aucune appréciation sur le bien-fondé des charges retenues contre les personnes mises en cause, afin d'éviter la propagation d'informations parcellaires ou inexactes ou pour mettre fin à un trouble à l'ordre public. C'est dans ce cadre que des affaires fortement médiatisées ou des attentats terroristes par exemple donnent lieu à des prises de parole du parquet.

Considérant que les conditions fixées par le code de procédure pénale (informations parcellaires ou inexactes, trouble à l'ordre public) étaient peu opérationnelles et peu respectées en pratique, la commission des lois de l'Assemblée nationale a adopté un amendement du député Didier Paris prévoyant que la communication sera aussi possible lorsque tout autre impératif d'intérêt public le justifie.

Une deuxième modification à l'article 11 consiste à préciser que le procureur peut délivrer les informations directement ou par l'intermédiaire d'un officier de police judiciaire (OPJ) agissant avec son accord et sous son contrôle. La participation d'OPJ est couramment pratiquée, bien que la loi ne la prévoie pas explicitement. Dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d'État a estimé que cette nouvelle modalité d'information du public ne portait atteinte ni au principe de direction exclusive par l'autorité judiciaire des enquêtes judiciaires ni à la présomption d'innocence, dès lors que la délégation aux fins de communication est effectuée au cas par cas et que la forme et le contenu de cette communication sont soumis à l'encadrement et au contrôle du procureur de la République.

L'article 4 comportait enfin un III qui renvoyait à un décret le soin de préciser les conditions d'application du II. La commission des lois de l'Assemblée nationale a décidé de le supprimer sur proposition du rapporteur, considérant que cette mention était inutile, le pouvoir règlementaire pouvant prendre les mesures nécessaires sans que la loi le prévoie explicitement.

2. La position de la commission

La commission n'est pas opposée aux mesures prévues à cet article, qui exerceront peut-être un effet plus dissuasif, mais elle s'interroge sur leur véritable portée.

La répression des violations du secret de l'instruction se heurte à des difficultés pratiques que la modification de la peine encourue ne fera pas disparaître. Le secret des sources des journalistes empêche très souvent de déterminer si la divulgation d'une pièce du dossier résulte d'une violation du secret de l'instruction par une personne qui y est astreinte. Les condamnations sont de ce fait devenues très rares, moins d'une dizaine chaque année.

Concernant la possibilité reconnue aux OPJ de communiquer sur les affaires en cours, les rapporteurs insistent sur la nécessité de les former aux techniques et d'assurer un contrôle effectif de la communication par le parquet, compte tenu de la sensibilité des informations qui peuvent être données et de leur possible retentissement sur les victimes ou les personnes suspectées.

La commission a adopté l'article 4 sans modification .

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page