EXPOSÉ DES MOTIFS

Conformément à l'article 73 quinquies du Règlement du Sénat, la commission est saisie d'une proposition de résolution européenne (n° 726 ; 2021-2022) relative à la préservation de l'activité des vitraillistes, menacée par l'interdiction du plomb telle qu'envisagée par la révision du règlement (CE) n° 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2006, dit « REACH », concernant l'enregistrement, l'évaluation et l'autorisation des substances chimiques, présentée par Mme Vanina Paoli-Gagin.

L'exposé des motifs de cette proposition de résolution européenne (PPRE) vise la préservation du savoir-faire des artisans, ateliers et entreprises qui créent et restaurent les vitraux qui sont les joyaux de notre patrimoine. Il souligne que les techniques et procédés multiséculaires employés dans cet artisanat recourent à l'utilisation du plomb, indispensable à la confection des baguettes qui structurent les motifs des vitraux. Il fait ensuite référence à la consultation ouverte le 2 février 2022 1 ( * ) pour trois mois par l'Agence européenne des produits chimiques (dite ECHA, de son acronyme en anglais), dans le cadre de la révision du règlement européen n°1907/2006 concernant l'enregistrement, l'évaluation et l'autorisation des substances chimiques, dit « REACH » (acronyme anglais de Registration, Evaluation, Authorization of CHemicals ). Tout en se félicitant des progrès accomplis pour protéger les artisans et travailleurs des effets nocifs pour la santé de l'utilisation du plomb, il souligne l'inquiétude et la mobilisation de la filière du vitrail, activée par la Chambre Syndicale Nationale du Vitrail (CNSV), face à une possible interdiction de ce matériau, indispensable et nécessaire à la survie de cette filière. La PPRE appelle enfin le Sénat, chambre des territoires, à apporter un soutien politique fort à cette filière et les autorités européennes, en premier lieu l'ECHA et la Commission, à entendre ses revendications, tout en insistant sur les spécificités de cet artisanat hors du commun.

• Le plomb, support séculaire irremplaçable pour la confection de vitraux

Pour examiner cette proposition de résolution européenne, les rapporteurs de la commission des affaires européennes ont tout d'abord entendu les maîtres verriers et les représentants de la CNSV, qui avaient saisi plusieurs sénateurs dès la clôture de la consultation lancée par l'ECHA au printemps dernier, le 2 mai 2022. Cette organisation professionnelle, fondée en 1823, regroupe plusieurs centaines d'ateliers, pour la plupart de très petites entreprises (TPE), mais aussi quelques petites et moyennes entreprises, tels les ateliers Loire à Chartres ou Vitrail France à Neuville-sur-Sarthe, employant une vingtaine de salariés. Au total, on estime à environ 450 le nombre d'artisans et de travailleurs du vitrail en France, pour un chiffre d'affaires total d'environ 22,5 millions d'euros et une activité globale répartie, à parts à peu près égales, entre restauration de vitraux anciens et création de vitraux.

Art ancestral, le savoir-faire millénaire du maître verrier est un métier d'art par excellence, dépositaire d'une transmission très ancienne, associée à d'innombrables sites et monuments patrimoniaux mondialement connus et protégés. Il s'épanouit au Moyen-Âge, avec le développement des verrières et des rosaces des cathédrales. Outre celles de Chartres, Notre-Dame de Paris et Strasbourg, on peut citer les cathédrales de Cologne et de Naumburg en Allemagne, de León, de Burgos et de Gérone en Espagne, celle de Saint François à Assise, celles de Bruxelles et d'Anvers en Belgique, de Canterbury et d'York au Royaume-Uni, mais aussi la cathédrale Saint Guy de Prague, la Basilique-cathédrale de l'Assomption et l'hôtel de ville de Lviv en Ukraine, parmi tant d'autres exemples emblématiques, sans oublier la création contemporaine, qui a pris un grand essor au XXe siècle, avec Alfons Mucha, Marc Chagall, Georges Braque, Pierre Soulages et tant d'autres créateurs et artistes, illustres ou méconnus, qui tous ont trouvé dans cette forme d'expression, profane ou sacrée, un moyen de rendre pérennes leurs oeuvres pour les générations présentes et à venir.

À elle seule, la France concentre plus de 60 % du patrimoine de vitraux européens et abrite la plus grande surface de vitraux au monde : outre les cathédrales, églises et chapelles, ceux-ci illuminent maints châteaux, monuments publics et privés.

Or la fabrication et la conservation du vitrail sont indissociables de l'usage du plomb, matériau des baguettes formant la matrice soutenant le verre coloré et peint. Ces baguettes présentent longitudinalement des rainures opposées, dos à dos, en forme de H, où sont serties les plaques de verre, jusqu'à 170 par mètre carré. L'espace compris entre les rainures au milieu du plomb s'appelle « l'âme » ; les côtés qui recouvrent le verre sont « les ailes ».

Les propriétés intrinsèques de malléabilité et de durabilité du plomb expliquent que le réseau arachnéen formé par ces baguettes soit irremplaçable.

C'est dire si les maîtres verriers ont des raisons de s'inquiéter d'une modification du statut du plomb au titre du règlement européen REACH. Mais ils ne sont pas les seuls, loin de là.

• La révision engagée du règlement REACH : procédure et calendrier

Avant d'examiner le vaste champ patrimonial concerné, il convient de revenir au calendrier de révision du Règlement REACH et à la procédure qui s'y applique : conformément à l'article 133(4) du règlement REACH, les amendements des annexes XIV ou XVII relèvent de la procédure de règlementation avec contrôle (PRAC), prévue avant le Traité de Lisbonne 2 ( * ) . La Commission européenne doit consulter le comité REACH, composé de représentants de chacun des États membres, et ne peut pas adopter la modification si l'opinion du comité est négative, c'est-à-dire si la proposition de modification ne reçoit pas une majorité qualifiée 3 ( * ) en sa faveur. Les Parlements nationaux, grâce à leur proximité avec le terrain, peuvent jouer un rôle précieux de « lanceurs d'alerte » législatifs auprès de leur gouvernement - qui est chacun représenté dans le comité chargé de contrôler la Commission, mais aussi directement auprès de la Commission européenne dans le cadre du dialogue politique.

Le règlement REACH 4 ( * ) , issu de la fusion de 40 directives européennes préexistantes depuis 1967, en date du 18 décembre 2006, tend à sécuriser l'utilisation des substances chimiques vis-à-vis de la santé humaine et de l'environnement.

L'ECHA est au centre du dispositif REACH. C'est cette agence qui est chargée de gérer et mettre en oeuvre l'ensemble des tâches qu'il prescrit, mais aussi de proposer périodiquement (au moins tous les deux ans) à la Commission européenne une révision de ce règlement, qui peut comporter l'inscription de telle ou telle substance dans une des nombreuses annexes du règlement ou son déplacement de l'une de ces annexes vers une autre.

L'annexe XIV de ce règlement-fleuve, qui comporte actuellement 331 pages, dresse la liste des substances dites « particulièrement préoccupantes » susceptibles d'être dans un premier temps soumises à une procédure dite « d'autorisation » particulièrement longue, lourde, complexe et coûteuse, pour les entreprises concernées, utilisatrices desdites substances, avant d'être interdites à terme - dans un certain délai à compter de leur inscription à cette annexe -, si la proposition de l'ECHA est validée par la Commission européenne.

Le plomb figurant déjà, depuis 2018, sur la liste des substances dites « candidates » à l'inscription à l'annexe XIV, il a donc fait l'objet, dans ce cadre préalable à la recommandation que pourrait faire l'ECHA à la Commission européenne, d'une consultation publique, ouverte le 2 février 2022.

La consultation publique étant close depuis le 2 mai 2022, le comité des États membres de l'ECHA, dit comité REACH, doit maintenant se prononcer pour prioriser les substances à inclure dans l'annexe XIV du règlement REACH. Le comité REACH se prononce sur le tonnage, la dangerosité et le caractère dispersif, et examine l'impact des règles envisagées sur l'industrie (84 % du tonnage de plomb utilisé concerne les batteries ...). Au comité REACH, siège pour la France un représentant de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), avec l'appui d'un représentant du ministère de la transition écologique (bureau des produits chimiques).

Interviendra ensuite l'instruction par la Commission européenne de la recommandation de l'ECHA et des informations recueillies lors de la consultation publique.

Le calendrier a pu être précisé début juillet 2022. À ce stade, le résultat de la consultation n'est pas encore accessible sur le site de l'ECHA 5 ( * ) et, de fait, l'ECHA n'a pas encore adopté sa recommandation.

Une fois la recommandation adoptée, ce qui devrait intervenir au plus tard d'ici la fin de l'année 2022, la Commission européenne proposera, en général sous 12 mois, un projet de règlement, ce qui devrait donc intervenir d'ici la fin de l'année 2023. C'est alors que les autorités françaises auront connaissance des intentions de la Commission quant à l'inscription ou non du plomb à l'annexe XIV du règlement REACH.

Selon l'unité en charge de la supervision de REACH au sein des services de la Commission européenne 6 ( * ) quelque 1500 contributions auraient été reçues par l'ECHA au sujet du plomb. Selon le service des affaires juridiques et internationales du ministère français de la Culture, auraient participé à la consultation de l'ECHA, les ministères de la Culture ou autorités ou organismes publics en charge du patrimoine et des monuments historiques des pays et collectivités suivants : Autriche, Allemagne fédérale, Land de Saxe, Italie, République tchèque, Pays-Bas. Cela peut indiquer un début de mobilisation politique sur l'enjeu patrimonial de l'inscription du plomb en annexe XIV.

• Les enjeux d'une possible interdiction du plomb pour le patrimoine culturel, au-delà des seuls vitraux

La crainte des organisations professionnelles au regard de cette inscription du plomb à l'annexe XIV du règlement REACH est réelle.

La procédure d'autorisation que cela impliquerait représente un coût non négligeable pour les utilisateurs : plusieurs mois de montage de dossier d'expertise, exigeant le recours à un cabinet ou une structure d'appui spécialisés et le versement d'une redevance à l'ECHA (de l'ordre de 27 000 € minimum à 200 000 € selon la taille de l'entreprise concernée). Les entreprises (TPE et PME) françaises du secteur du patrimoine culturel ne pourront pas mettre en oeuvre cette procédure très lourde. Leur survie même serait mise en cause à court terme.

Or, ces entreprises sont indispensables pour la préservation et la transmission du patrimoine culturel immobilier et mobilier, matériel et immatériel, conservé au sein des pays européens pour des raisons d'intérêt général.

Au-delà des vitraillistes qui se sont mobilisés en premier, le champ de métiers concernés est beaucoup plus vaste.

Héritier de l'antique hydraule inventé au IIIe siècle avant notre ère par Ctesibios, un ingénieur d'Alexandrie contemporain d'Archimède, l'orgue, qui fut d'abord un instrument profane avant de se répandre au Moyen-Âge dans toutes les églises, les temples et les synagogues, puis les salles de concert de l'Europe et du monde entier, n'est-il pas lui-même en partie constitué de plomb ? Malgré de nombreux essais de substitution depuis le XIXe siècle, il apparaît que sa sonorité est indissociable de la part de plomb qui forme l'alliage de ses tuyaux, dans une proportion variant de 10 % à 95 % environ, ainsi que de plusieurs autres pièces mineures de la machinerie de cet instrument hors norme, omniprésent en Europe et dont on n'ose imaginer que le génie humain puisse se passer.

C'est pourquoi les rapporteurs ont jugé nécessaire d'entendre le groupement professionnel des facteurs d'orgues (GPFO), rattaché à la fédération de l'Ameublement français. Sur près de 10 000 orgues recensés en France, près de 1600 sont classés au titre des monuments historiques. Les manufactures d'orgues représentent environ 65 entreprises en France, dont une trentaine a un effectif moyen compris entre trois et cinq personnes. Environ 200 à 250 personnes travaillent chez les tuyautiers et dans les manufactures d'orgues dans notre pays. On estime entre 200 kg et une tonne la quantité de plomb pur mise en oeuvre annuellement par une entreprise.

Si d'autres matériaux de substitution peuvent, pour la fabrication d'orgues neufs, être utilisés pour des pièces internes, telles que les charges pour les soufflets, petits poids ou masselottes, postages ou tuyaux de raccordements, il demeure que l'entretien et la restauration des orgues historiques demande l'usage de matériaux conformes à ceux des pièces d'origine. Surtout, les caractéristiques propres du plomb présent dans les alliages des tuyaux ont une influence directe sur le son émis par ceux-ci, et aucun matériau de substitution présentant des qualités et propriétés non seulement techniques mais aussi musicales et sonores équivalentes n'a été découvert à ce jour. Selon le GFPO et l'association L'Orgue en France, présidée par Philippe Lefèbvre, organiste et compositeur titulaire du grand orgue de Notre-Dame de Paris, l'interdiction du recours au plomb entraînerait le risque majeur de la perte d'un patrimoine pluridisciplinaire : orgues à tuyaux, facteurs d'orgues, organistes, compositeurs de musique d'orgue, et à terme, la musique d'orgue elle-même, dans sa diversité, qu'elle soit profane ou sacrée.

Au-delà du vitrail et de l'orgue, la présence du plomb dans de nombreux éléments des bâtiments anciens et des monuments historiques implique d`autres filières du patrimoine culturel, qui pourraient être gravement affectées par la révision du statut de ce métal au titre du règlement REACH. Ainsi, la taille de pierre classique utilise du plomb, matériau de remplissage entre les pierres, mais aussi de couverture des appuis et des corniches en pierre et des joints en fer des pierres, ainsi protégés de la corrosion. La malléabilité et la durabilité du plomb concourent à la conservation de long terme des bâtiments anciens. Certaines toitures historiques sont également constituées de plomb : c'est le cas notamment de celles de nombreuses cathédrales, dont certaines déjà citées ci-dessus à propos de leurs vitraux, classées au titre du patrimoine mondial, tout particulièrement la cathédrale Notre-Dame de Paris.

De nombreux monuments mondialement connus sont concernés comme le château de Versailles, le musée du Louvre, l'Opéra Garnier, le Panthéon.

L'impact le plus lourd porterait donc sur l'ensemble des professions liées à la restauration et à la conservation des monuments historiques. C'est pourquoi les rapporteurs ont également entendu le Groupement des entreprises de restauration des Monuments historiques (GMH) qui fédère 252 entreprises, de 12 métiers, employant 10 000 salariés, dont environ 1 000 apprentis en France. Les tailleurs de pierre des monuments historiques, certifiés Qualibat 7 ( * ) , comptent 78 entreprises, employant quelque 5000 salariés, pour un chiffre d'affaires estimé à 600 millions d'euros. Les couvreurs des monuments historiques comptent 39 entreprises certifiées Qualibat, employant 1500 salariés, pour un chiffre d'affaires de 170 millions d'euros.

En couverture, zinguerie, et étanchéité, l'usage de plomb est indispensable pour la réalisation de soudures. Le plomb est également employé en couverture, pour la réalisation des chéneaux, des noues, des faîtières et des épis de faîtage. Les feuilles de plomb sont employées pour les ouvrages d'étanchéité pour la protection des bandeaux de façade, des balcons mais aussi pour les ouvrages de charpentes exposés comme les abat-sons.

Les feuilles de plomb servaient également à l'étanchéité des bassins (bassin des enfants doré au château de Versailles) et le plomb demeure utilisé pour celle des joints et conduites alimentant les fontaines, mais aussi la statuaire et les ornements du château et du domaine de Versailles.

En maçonnerie, le plomb est utilisé pour sa malléabilité, son étanchéité et sa durabilité, afin de réaliser les scellements et jointoiements d'éléments en pierres particulièrement sollicités.

Il est mis en oeuvre sous deux formes : sous sa forme liquide pour les scellements des ouvrages métalliques dans la maçonnerie en pierre, le scellement d'agrafes métalliques au droit des mains-courantes, et sous sa forme en laine de plomb, pour étanchéifier les joints.

La conservation du patrimoine ancien nécessite donc de pouvoir continuer à travailler avec du plomb, du fait de sa présence dans le bâti ancien et du choix de son maintien : couvertures en plomb laminé ou plomb coulé sur sable, éléments décoratifs, vitraux, peintures anciennes ou encore plomb associé au fer pour les éléments de structure dans la maçonnerie (ferronnerie).

De nombreuses recherches de matériaux de substitution ont été réalisées par les professions concernées. Toutefois, elles ont constaté que le plomb comme produit de scellement et de jointoiement a un meilleur comportement élastique au bout de plusieurs cycles de sollicitation en comparaison à la résine ou au mortier. C'est un élément majeur de justification de l'utilisation maîtrisée du plomb dans tous ses usages patrimoniaux : sa malléabilité, sa ductilité, sa résistance à la corrosion en font un matériau éminemment durable, qui assure la contribution du patrimoine au développement durable. 8 ( * )

En effet, selon la compagnie des architectes en chef des monuments historiques 9 ( * ) , « le plomb est un matériau inerte, résilient, recyclable à l'infini, d'une grande pérennité et d'une grande stabilité d'aspect, et compatible avec les autres matériaux traditionnels. »

L'interdiction ou la restriction de l'utilisation du plomb pour ces usages reviendrait à condamner un nombre important d'entreprises de petite taille ayant développé un savoir-faire unique contribuant à l'entretien, la restauration et la mise en valeur du patrimoine bâti français.

Les verriers, couvreurs, maçons du patrimoine maîtrisent et transmettent des gestes et des techniques ancestrales dont ils sont les seuls dépositaires.

Outre le plomb, ces métiers du patrimoine utilisent également des matériaux traditionnels qui ne seraient plus exploités en cas d'arrêt de l'activité, avec des retombées économiques indirectes dans toutes les régions de France.

La France compte en effet plus de 46 000 monuments protégés et un nombre incalculable d'édifices anciens non protégés, entretenus et restaurés grâce aux professionnels qualifiés en restauration du patrimoine.

Toute une économie touristique patrimoniale repose sur l'entretien de ces bâtiments dans un état proche de leur construction, permettant aux visiteurs d'appréhender l'histoire de la France. Il en va de l'attractivité et du développement durable mais aussi économique et social de nos territoires, ainsi que les rapporteurs l'ont souligné dans leur rapport d'information n° 556 adopté par la commission des affaires européennes en mars 2022, Nouveaux défis, nouveaux enjeux : une stratégie européenne ambitieuse pour le patrimoine .

Outre ces secteurs liés à l'entretien, la restauration et la conservation des bâtiments et monuments historiques, les musées et les institutions patrimoniales de l'Union européenne et du monde entier conservent de très nombreux objets d'art et biens culturels contenant du plomb, dont le Conseil international des monuments et des sites (ICOMOS), le Conseil international des musées (ICOIM) et la Confédération européenne des organisations de conservateurs (E.C.C.O.) ont dressé la liste 10 ( * ) : la sculpture en bronze, les conduites d'eau romaines, les sarcophages du haut Moyen-Âge, les insignes médiévaux des pèlerins en étain plombé, les jouets, articles ménagers (assiettes, tasses, bougeoirs...), les poids médiévaux pour filets de pêche et tissus, les restes d'activité industrielle, le matériel médico-militaire utilisé pour arrêter les radiations, les émaux au plomb sur la céramique, le verre au plomb, le blanc de plomb dans la peinture, les pièces de monnaie, les médailles ou les poids, ainsi que des éléments d'impression. L'on pourrait ajouter d'autres objets du patrimoine technique, telles les voitures hippomobiles ou automobiles anciennes, mais aussi les sceaux anciens conservés dans les archives, bibliothèques et musées.

La conservation, l'entretien et la restauration de tous ces éléments du patrimoine européen requièrent la manipulation ou l'usage du plomb par les conservateurs, restaurateurs et autres agents intervenant dans ces opérations.

Pour mémoire, près de 300 000 objets sont classés ou inscrits au titre des monuments historiques en France.

• Le risque sanitaire associé au plomb est déjà pris en charge dans les secteurs du patrimoine

Qu'en est-il de la prise en charge sanitaire du risque plomb actuellement dans tous ces secteurs ?

Le plomb est un polluant, sa présence n'est pas circonscrite aux seuls matériaux qui en contiennent. Mais, à ce jour, il n'existe aucune donnée épidémiologique fiable mettant en question en France et en Europe la santé des travailleurs exposés au plomb dans le domaine du patrimoine culturel.

On ne peut qu'appeler à la réalisation, au niveau européen et avec un financement adéquat sur les programmes de recherche européens, d'études spécifiques à ce domaine, qu'il conviendrait d'impulser et de coordonner, avec le concours des services de la Commissaire à la Culture, Mme Mariya Gabriel.

La dernière étude relative à l'imprégnation de la population française par le plomb, publiée en mars 2020 sur le site de Santé publique France 11 ( * ) , indique :

« Le plomb est naturellement présent dans la croûte terrestre et donc dans l'environnement. En France, avant 2000, l'exposition principale au plomb de la population générale était liée aux émissions des véhicules utilisant de l'essence plombée. Depuis l'interdiction de ce type de carburant en France métropolitaine, le 2 janvier 2000, une baisse de 97 % des émissions de plomb dans l'air a été observée entre 1990 et 2016 d'après le rapport du Citepa de 2018. Au niveau européen, une diminution de 85 % de la concentration en plomb dans l'air a été observée au cours des deux dernières décennies. Aujourd'hui, les sources d'exposition au plomb en population générale sont variées :

- chez les enfants, la consommation d'eau du robinet, l'année de construction du logement et l'activité professionnelle à risque des parents augmentaient les niveaux d'imprégnation par le plomb ;

- chez les adultes, les facteurs d'exposition les plus importants retrouvés étaient la consommation de tabac, l'année de construction du logement, l'âge, le lieu d'habitation du participant, la consommation d'eau du robinet, de boissons alcoolisées, de pain et des produits de la panification et l'autoconsommation de produits de l'élevage. »

La prévention du risque plomb est une préoccupation de longue date de tous les secteurs du patrimoine précités, préoccupation partagée par les associations professionnelles et le ministère de la Culture, en particulier sa direction générale des patrimoines et de l'architecture, et sa sous-direction des monuments historiques et des sites. Toutes les entreprises y sont sensibilisées et ont pris les mesures de prévention indispensables en termes d'évaluation de la présence de plomb avec des protocoles très stricts, en matière d'hygiène, de moyens de protection collective et d'équipements de protection individuelle.

Les rapporteurs ont pu constater de visu , en se rendant sur le chantier de restauration d'une église historique au coeur de Paris, l'importance des mesures prises en termes de prévention, la réalité et l'intensité des contraintes pour les entreprises et les intervenants et les contrôles imposés, pour la bonne protection de la santé des travailleurs concernés : vestiaires et douches sur échafaudage, port de vêtements de travail lavés par une entreprise extérieure, interdiction de manger et de fumer avec ceux-ci, traitement spécial des déchets.

La législation française prévoit en effet déjà des exigences spécifiques en ce qui concerne le plomb en matière de protection de la santé humaine et de l'environnement.

En matière de santé au travail, le code du travail français a prévu deux indicateurs permettant de vérifier l'efficacité des mesures de prévention mises en place vis-à-vis du risque plomb :

- le contrôle de la Valeur Limite d'Exposition (VLEP) plomb, avec une valeur limite d'exposition professionnelle (VLEP) réglementaire contraignante de 0,1 mg/m3 à ne pas dépasser en moyenne sur 8 heures dans l'atmosphère des lieux de travail (article R. 4412-149) ;

- le contrôle de la plombémie, avec des valeurs limites biologiques (VLB) réglementaires contraignantes à ne pas dépasser, fixées à 400 ìg de plomb par litre de sang pour les hommes et à 300 ìg/l de sang pour les femmes (article R. 4412-152).

Le code du travail (article R. 4412-160) prévoit également que le médecin du travail assure un suivi individuel renforcé dès le dépassement de l'un des seuils suivants :

- exposition à une concentration de plomb dans l'air supérieure à 0,05 mg/ m , calculée comme une moyenne pondérée en fonction du temps sur une base de 8 heures ;

- ou plombémie supérieure à 200 ìg/ l de sang pour les hommes ou 100 ìg/ l de sang pour les femmes mesurée chez un travailleur.

Ces valeurs VLEP et VLEB sont de plus susceptibles d'être abaissées et harmonisées au plan européen dans le cadre de la révision de la directive 98/24/CE sur les agents chimiques, renforçant ainsi les exigences de prévention.

En 2013, un groupe de travail sur le plomb, coordonné par la direction générale des patrimoines et de l'architecture, a été instauré dans le contexte de la restauration du dôme du Panthéon. Outre les services du ministère de la Culture et le GMH, il avait associé la direction générale du travail et la direction générale de la santé, avec l'objectif d'instaurer un dialogue et une meilleure compréhension réciproque des enjeux entre Inspection du travail et parties prenantes des chantiers.

Un guide pratique, intitulé « Organisation des chantiers patrimoniaux en présence et avec maintien du plomb », a été rédigé à cette occasion. Ce guide, finalisé en 2018, pourrait être publié et largement distribué, tout comme l'ont été les actes d'une journée d'études organisée en 2018, en lien avec la Caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de-France (CRAMIF) et le ministère de la Culture, par l'association ARAAFU (restaurateurs de formation universitaire). 12 ( * )

En l'absence d'un tel guide spécialisé, la prévention s'appuie en particulier sur les guides et les fiches produits par Santé et sécurité au travail (Institut national de recherche et de sécurité-INRS). 13 ( * )

La Fédération française du bâtiment propose aussi sur son site Internet un kit de documents en ligne 14 ( * ) .

Les formations initiales et continues des professionnels, proposées, par exemple, par l'Institut national du patrimoine (INP), par le bureau de la formation scientifique et technique (BFST) de la DGPA au ministère de la Culture, ou par l'École de Chaillot, qui prennent en compte déjà la prévention du risque plomb, pourraient être, de ce fait, enrichies par les recommandations de ce guide pratique ministériel de 2018, notamment en ce qui concerne l'évaluation du risque.

On ne peut que constater que les maîtres d'ouvrage, maîtres d'oeuvre et entreprises autour des chantiers d'entretien et de restauration incluant le plomb, dans tous ses états, sont mobilisés en faveur de la sécurité sanitaire des chantiers et de tous les intervenants. Les rapporteurs estiment qu'un Protocole national voire européen de prévention du risque plomb sur un chantier monument historique, sur le fondement des protocoles instaurés récemment sur les chantiers français (Paris, Nantes, Rouen, Clermont-Ferrand...) pourrait être instauré, ce qui relèverait d'une toute autre voie que celle de la révision du règlement REACH.

Concernant celle-ci, on peut observer que l'article 58 du règlement REACH prévoit que certaines utilisations ou catégories d'usages peuvent être exemptées de l'obligation d'autorisation, à condition que le risque soit bien maîtrisé, grâce à une législation communautaire spécifique existante qui impose des exigences minimales en ce qui concerne la protection de la santé humaine ou de l'environnement en cas d'utilisation de la substance. Hélas, faute de législation communautaire spécifique existante, une telle exemption à l'obligation d'autorisation pour continuer à utiliser le plomb dans les activités patrimoniales paraît, dans le cadre de l'annexe XIV de REACH, exclue.

Pour les filières du patrimoine qui constituent l'unique objet de la présente proposition de résolution, le moyen le plus sûr de garantir une telle exemption serait le statu quo, donc le maintien du plomb en dehors du champ de l'annexe XIV.

Si la Commission jugeait nécessaire de durcir les règles d'usage du plomb dans le secteur industriel, elle pourrait aussi bien recourir à d'autres législations européennes existant par ailleurs dans le champ du travail ou de la santé, - législations qui, elles, relèvent d'ailleurs de la procédure de codécision-, mais elle devrait alors veiller à bien exempter les filières patrimoniales de telles nouvelles dispositions.

Il est à noter que des précédents d'exemptions relatives au plomb, pour un secteur déterminé, ont déjà eu lieu dans certains domaines. Ainsi, le Sénat, par la voix de Jean-François Rapin, alors rapporteur pour la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, avait plaidé avec succès, il y a quelques années, pour l'exemption du cristal de la directive « limitation de l'utilisation de substances dangereuses dans les équipements électriques et électroniques ». 15 ( * )

Il importe que le Gouvernement français s'engage en ce sens et mobilise son représentant au comité ECHA pour éviter une désastreuse inscription du plomb à l'annexe XIV du règlement REACH. La France appartient aujourd'hui au groupe des pays les plus ambitieux en Europe en matière de gestion des risques des substances chimiques, dénommé « REACH-UP », déterminé à promouvoir des avancées ambitieuses pour la sécurité environnementale dans le cadre de la révision du règlement REACH. Cette ambition d'amélioration de la sécurité environnementale ne saurait donc la rendre suspecte de vouloir freiner les progrès en ce domaine et elle se trouve par conséquent en bonne position pour défendre en même temps la nécessité de prévoir des précautions spécifiques afin de préserver l'avenir des filières patrimoniales. Elle est d'autant plus légitime à plaider pour une telle « exception patrimoniale » qu'elle est dotée d'un patrimoine culturel exceptionnel.

Au total, pour ce qui concerne la révision telle qu'elle est actuellement envisagée du règlement REACH, les rapporteurs ne peuvent que partager et prolonger les préoccupations de l'auteur de la PPRE qui est soumise à la commission des affaires européennes, en les élargissant à l'ensemble des filières concernées. À cet égard, il n'est que de citer la conclusion de la déclaration précitée de l'ICOMOS : « Non seulement une interdiction anéantirait les moyens de subsistance des artistes du verre, des artisans impliqués dans sa fabrication et des conservateurs-restaurateurs impliqués dans l'entretien des biens patrimoniaux en Europe, mais ses effets se feraient sentir dans le monde entier, scellant la condamnation à mort de l'une des formes d'art les plus glorieuses connues de l'humanité (...). Presque aucune partie du secteur du patrimoine culturel ne serait (...) [épargnée] par l'inclusion du plomb parmi les substances nécessitant une autorisation d'utilisation ou de manipulation. »

Au terme de cette analyse de ses rapporteurs, la commission des affaires européennes a modifié substantiellement cette proposition de résolution européenne de manière à élargir son champ à l'ensemble des filières du patrimoine culturel concernées et à préciser la rédaction tant de ses visas que de son dispositif, afin que la dimension patrimoniale de l'usage du plomb soit pleinement prise en compte, dans le cadre d'une exclusion ou d'une exemption de la réglementation de l'UE sur les produits chimiques, au-delà même du règlement REACH.

Les rapporteurs proposent d'adresser aussi un signal politique direct à la Commission européenne. En effet, une proposition de résolution européenne adoptée par le Sénat a vocation à être adressée au Gouvernement, sur le fondement de l'article 88-4 de la Constitution. Or, certains alinéas de la proposition de résolution européenne n° 726 soumise à l'examen de la commission des affaires européennes visent explicitement la Commission européenne. C'est pourquoi un avis politique sera parallèlement adressé à la Commission européenne au titre du dialogue politique. Ce faisant, la position du Sénat aura une plus large diffusion, non seulement auprès du Gouvernement français mais également auprès des institutions européennes. L'avis politique reprend en grande partie les termes de la proposition de résolution européenne, sous réserve de quelques dispositions qui concernent plus spécifiquement la Commission.


* 1 L'exposé des motifs mentionne erronément la date du 2 février 2021 ; il s'agit sans doute d'une coquille.

* 2 La PRAC permet au Parlement européen et au Conseil de bloquer une mesure proposée par la Commission si cette mesure :

- outrepasse les compétences d'exécution de la Commission ;

- n'est pas compatible avec l'objectif ou le contenu de l'acte juridique ;

- va au-delà des compétences ou du mandat de l'Union européenne et contrevient ainsi au principe de subsidiarité.

Les deux institutions disposent d'un droit de veto, généralement valable trois mois après l'approbation par le comité de la mesure proposée par la Commission. Par ailleurs, si le comité ne parvient pas à rendre un avis positif sur la mesure proposée, le Conseil peut intervenir soit en la bloquant soit en l'adoptant lui-même, sauf opposition du Parlement.

Cf. http://www.senat.fr/ue/pac/EUR000003039.html

* 3 Pour rappel, la majorité qualifiée est atteinte si elle regroupe au moins 15 États membres représentant au moins 65% de la population de l'UE.

* 4 Règlement (CE) n° 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2006 concernant l'enregistrement, l'évaluation et l'autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (désigné en langue anglaise sous le terme de REACH pour « Registration, Evaluation, Authorization and restriction of Chemicals »), instituant une agence européenne des produits chimiques, modifiant la directive 1999/45/CE et abrogeant le règlement (CEE) n°793/93 du Conseil et le règlement (CE) n° 1488/94 de la Commission ainsi que la directive 76/769/CEE du Conseil et les directives 91/155/CEE, 93/67/CEE, 93/105/CE et 2000/21/CE de la Commission.

* 5 https://echa.europa.eu/fr/recommendation-for-inclusion-in-the-authorisation-list/-/substance-rev/68608/term

* 6 Direction générale Marché intérieur, industrie, entrepreneuriat et PME, dite DG GROW, sous l'autorité du Commissaire européen Thierry Breton.

* 7 Institution professionnelle, créée en 1949, chargée de la certification des entreprises de construction en France : cf. https://www.qualibat.com

Au-delà des métiers du patrimoine et selon l'enquête Sumer 2010 (Ministère du Travail), 27 000 salariés de la construction seraient exposés au plomb.

En effet, Le plomb est présent sous différentes formes dans les bâtiments : plomb métallique (éléments de couverture ou d'étanchéité, canalisations d'eau ou de gaz...), composés de plomb dans les revêtements (peintures, enduits), contaminants (poussières sur des surfaces ou sur des façades provenant d'une pollution environnementale), etc.

* 8 Cf. le Livre vert sur le patrimoine culturel européen, publié en février 2022 par le consortium d'associations Europa Nostra en partenariat avec le Conseil international des monuments et des sites (ICOMOS)

* 9 Note sur le plomb dans le patrimoine, contribution à la consultation de l'ECHA sur REACH, 28 avril 2022

* 10 Dans une « déclaration conjointe sur le projet de l'ECHA d'inclure le plomb dans la liste des substances soumises à autorisation » (Annexe XIV du Règlement REACH), publiée le 26 avril 2022 : https://www.icomos.org/images/DOCUMENTS/Secretariat/2022/Statements/ECHA_Lead_ICOMOS_ICOM_ECCO_JointStatement_draft20220426_FR.pdf

* 11 https://www.santepubliquefrance.fr/content/download/241386/2552452

* 12 Le plomb dans les chantiers de conservation-restauration

* 13 Plomb et composés minéraux - Fiche toxicologique n° 59

Les risques liés au plomb - INRS (2013)

Prévenir les expositions professionnelles au plomb

Interventions sur les peintures contenant du plomb (2020)

* 14 « Risque plomb : un recueil de solutions pour vos chantiers » (décembre 2021).

* 15 Cf. le rapport d'information du Sénat n°533 (2015-2016) sur la proposition de résolution européenne, présentée par M. René Danesi au nom de la commission des affaires européennes, concernant l'exemption du cristal de la directive « limitation de l'utilisation de substances dangereuses dans les équipements électriques et électroniques » (directive 2011/65/UE du 8 juin 2011), fait par M. Jean-François Rapin au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.

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