Rapport n° 270 (2022-2023) de Mme Martine BERTHET , fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 25 janvier 2023

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N° 270

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 25 janvier 2023

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires économiques (1) sur la proposition de loi visant à régulariser le PLUi de la Communauté de communes du Bas Chablais ,

Par Mme Martine BERTHET,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : Mme Sophie Primas , présidente ; M. Alain Chatillon, Mme Dominique Estrosi Sassone, M. Patrick Chaize, Mme Viviane Artigalas, M. Franck Montaugé, Mme Anne-Catherine Loisier, MM. Jean-Pierre Moga, Bernard Buis, Fabien Gay, Henri Cabanel, Franck Menonville, Joël Labbé , vice-présidents ; MM. Laurent Duplomb, Daniel Laurent, Mme Sylviane Noël, MM. Rémi Cardon, Pierre Louault , secrétaires ; MM. Serge Babary, Jean-Pierre Bansard, Mmes Martine Berthet, Florence Blatrix Contat, MM. Michel Bonnus, Denis Bouad, Yves Bouloux, Jean-Marc Boyer, Alain Cadec, Mme Anne Chain-Larché, M. Patrick Chauvet, Mme Marie-Christine Chauvin, M. Pierre Cuypers, Mmes Françoise Férat, Amel Gacquerre, M. Daniel Gremillet, Mme Micheline Jacques, M. Jean-Baptiste Lemoyne, Mmes Valérie Létard, Marie-Noëlle Lienemann, MM. Claude Malhuret, Serge Mérillou, Jean-Jacques Michau, Mme Guylène Pantel, M. Sebastien Pla, Mme Daphné Ract-Madoux, M. Christian Redon-Sarrazy, Mme Évelyne Renaud-Garabedian, MM. Olivier Rietmann, Daniel Salmon, Mme Patricia Schillinger, MM. Laurent Somon, Jean-Claude Tissot .

Voir les numéros :

Sénat :

28 et 271 (2022-2023)

L'ESSENTIEL

La commission des affaires économiques a examiné, le mercredi 25 janvier, la proposition de loi visant à régulariser le plan local d'urbanisme intercommunal (PLUi) de la communauté de communes du Bas Chablais, déposée en octobre 2022 par Cyril Pellevat et Sylviane Noël.

Sur proposition de la rapporteure Martine Berthet, la commission a adopté la proposition de loi sans modification. Elle a affirmé son soutien à la démarche du texte, qui vise à résoudre une difficulté procédurale résultant de la complexité du droit de l'urbanisme, tout en soulignant que le recours à ce type de mesure dérogatoire doit rester très limité. La rapporteure a vérifié que le texte poursuit un intérêt général avéré, n'a pas pour objet de faire obstacle à des démarches administratives ou contentieuses en cours, et qu'il n'existe pas aujourd'hui d'alternative viable à une telle régularisation législative.

I. UN PROJET D'INFRASTRUCTURE D'UTILITÉ PUBLIQUE MIS EN PÉRIL PAR L'ADOPTION D'UN NOUVEAU DOCUMENT D'URBANISME INTERCOMMUNAL AYANT OMIS DE L'INTÉGRER

A. UN PROJET D'INFRASTRUCTURE IMPORTANT, QUI A FAIT L'OBJET D'UNE DÉCLARATION D'UTILITÉ PUBLIQUE ET D'UNE MISE EN COMPATIBILITÉ

Les collectivités de Haute-Savoie ont, depuis la fin des années 1980, conçu et soutenu le projet de réalisation d'une liaison 2x2 voies entre Annemasse et Thonon-les-Bains . Ce projet d'infrastructure vise à désenclaver le territoire du Bas Chablais , dont les interconnexions routières ne sont aujourd'hui pas à la hauteur des enjeux touristiques, démographiques et transfrontaliers.

Ce projet global d'amélioration de la desserte s'est concrétisé en plusieurs étapes depuis 2008. En 2015, un dernier tronçon de liaison 2x2 voies, reliant Machilly au contournement de Thonon-les-Bains , a été mis à l'étude. Il porte sur un tronçon d'environ 16,5 kilomètres, traversant le territoire d'une dizaine de communes, et qui serait concédé sous la forme d'une autoroute (A412).

Ce nouveau projet a été déclaré d'utilité publique (DUP) par le biais d'un décret du 24 décembre 2019 , en vue de pouvoir lancer rapidement sa réalisation et sa concession. L'article 6 de ce décret a par ailleurs emporté mise en compatibilité (MEC) des plans locaux d'urbanisme (PLU) des dix communes situées sur le tracé .

B. L'ADOPTION D'UN NOUVEAU PLUI A EFFACÉ PAR OMISSION LES EFFETS DE LA MISE EN COMPATIBILITÉ DÉJÀ DÉCIDÉE

Six des communes concernées par la mise en compatibilité décidée en décembre 2019 étaient membres, à cette date, de la Communauté de communes (CC) du Bas Chablais.

Or, la CC avait prescrit dès 2015 l'élaboration d'un PLU intercommunal, approuvé le 25 février 2020 . Moins de 3 mois après qu'il a été procédé à la MEC des dix PLU, six d'entre eux ont ainsi été abrogés au profit du nouveau PLUi .

Cependant, les dispositions du PLUi adopté s'avèrent incompatibles avec le projet de liaison autoroutière - ce, alors même que la DUP et la MEC décidées en 2019 devaient précisément résoudre cette incompatibilité.

C. LA MESURE PROPOSÉE : APPLIQUER LA MISE EN COMPATIBILITÉ AU DOCUMENT INTERCOMMUNAL POSTÉRIEUR AFIN D'Y INTÉGRER LE PROJET

La proposition de loi vise, dans son article unique, à appliquer la DUP portant MEC, déjà décidée en 2019 par décret, au document de PLUi adopté postérieurement , en 2020. Elle aurait pour effet d'opérer les modifications nécessaires au sein du document intercommunal, afin de le mettre en cohérence avec la DUP et de permettre au projet de se poursuivre.

II. UNE DISPOSITION DÉROGATOIRE, QUI SE JUSTIFIE TOUTEFOIS PAR SES OBJECTIFS D'INTÉRÊT GÉNÉRAL, PAR L'ABSENCE D'ALTERNATIVE VIABLE, ET PAR SON CHAMP LIMITÉ

La rapporteure estime que les cas dans lesquels il est recouru à la loi pour régir des situations individuelles, a fortiori rétroactivement, doivent rester rares , en vertu du principe constitutionnel d'égalité devant la loi. Les démarches telles que celles qui président à la proposition de loi, bien que tout à fait compréhensibles, ne peuvent se multiplier.

Toutefois, la rapporteure estime que l'intervention de la loi en faveur de situations particulières peut se justifier lorsque trois conditions cumulatives sont remplies .

A. LA MESURE PROPOSÉE NE CONTOURNE PAS DES DÉCISIONS DÉJÀ PRISES OU DES COMPÉTENCES LÉGITIMES, MAIS APPORTE UNE SOLUTION

La rapporteure a constaté que l'incompatibilité entre le PLUi du Bas Chablais et le projet autoroutier ne résulte pas d'une décision délibérée des collectivités, mais plutôt d'une erreur de traduction au sein du document d'un projet anticipé et soutenu de longue date par le territoire, dans un contexte compliqué par l'existence de plusieurs procédures urbanistiques complexes menées en parallèle. D'ailleurs, l'ensemble des documents d'urbanisme et de planification existants (le SRADDET, le SCoT, les PLU) prennent déjà en compte ce projet d'infrastructure, qualifié de « structurant » .

Les personnes auditionnées ont rappelé les modalités approfondies de concertation et de participation du public ayant présidé à l'élaboration du projet autoroutier à toutes ses étapes (enquêtes publiques des SRADDET et SCoT ; débat public sous l'égide de la CNDP, enquête publique dans le cadre de la DUP notamment).

Enfin, la DUP prise en 2019 est aujourd'hui purgée de tout recours : la mesure proposée ne vise donc pas à faire obstacle à l'exercice du droit de recours à l'encontre le projet.

B. IL N'EXISTE PAS D'ALTERNATIVE SATISFAISANTE POUR RÉSOUDRE EN TEMPS UTILE L'INCOMPATIBILITÉ ENTRE LE DOCUMENT D'URBANISME ET LE PROJET D'INFRASTRUCTURE

La rapporteure a vérifié que l'objectif porté par la proposition de loi ne pouvait pas être atteint de manière satisfaisante par des solutions alternatives. Trois ont été explorées :

- prendre un nouveau décret portant DUP et mise en compatibilité, visant cette fois-ci le PLUi en vigueur, solution impossible au vu de la jurisprudence du Conseil d'État, qui le regarderait comme un détournement de procédure ;

- faire évoluer le PLUi du Bas Chablais par les procédures ordinaires , dont la durée est estimée à trois ans au mieux et qui impliquerait de reprendre l'ensemble de la procédure (étude d'impact, consultations, évaluation environnementale, déjà réalisées) ;

- attendre l'adoption du nouveau PLUi de la communauté d'agglomération, qui n'interviendra pas, là aussi, avant le début de l'année 2026 au mieux.

Ces trois options impliquent des délais disproportionnés , or, ces délais sont un élément central du projet de liaison d'infrastructure. D'une part, la situation actuelle d'engorgement de la desserte du Bas Chablais est difficilement tenable. D'autre part, la DUP prise en 2019 arrivera à échéance en décembre 2029, ce qui ne permettrait pas de conduire à terme l'appel d'offres de concession et la réalisation du projet .

Ces trois options distinctes présentent enfin un inconvénient majeur : celui d'exposer le projet à de nouveaux recours - sans que celui-ci n'ait connu aucune évolution de fond.

C. UN PROJET D'INTÉRÊT GÉNÉRAL INCONTESTABLE, NÉCESSAIRE AU DÉSENCLAVEMENT DU TERRITOIRE, RÉPONDANT AUX ENJEUX DÉMOGRAPHIQUES ET ÉCONOMIQUES ET AMÉLIORANT LA SÉCURITÉ

1. Un territoire enclavé, oublié du réseau routier national

Le projet répond à la nécessité de désenclaver le territoire du Chablais. À la différence du sud et de l'ouest de la Haute-Savoie, le nord-est du département n'est desservi par aucune route nationale ni autoroute, mais est entièrement composé de voies départementales .

Leur potentiel est aujourd'hui trop limité au vu du développement économique, touristique et démographique rapide de ce territoire frontalier, 2 e bassin le plus dynamique de la Région. Lors des auditions, les collectivités entendues ont estimé que « ne pas réaliser cette liaison, c'est nous laisser de côté dans le développement de la Région [...]. Cela créerait un territoire à deux vitesses, entre les villes centres et le reste du territoire. »

2. Un réseau départemental qui atteint ses limites capacitaires

Alors que le département gagne en moyenne 15 000 nouveaux habitants par an, selon les éléments fournis par la Région, les infrastructures routières ont, elles, très peu évolué. Située sur la RD903, la ville de Bons-en-Chablais (5 800 habitants) voit ainsi passer près de 16 800 véhicules par jour avec des pics enregistrés à 22 300 véhicules . Autour de 6 ou 7 % de ces usagers sont des poids lourds de fret , notamment transfrontalier. Les études confirment que les infrastructures actuelles ne pourront absorber l'accroissement du trafic , d'autant que les infrastructures ferroviaires sont déjà engorgées.

Pour ces petites communes, un tel trafic routier est source de fortes nuisances et pollutions . Le coeur des bourgs et leur développement sont fortement contraints par le passage de poids lourds et la circulation incessante, ce qui soulève également des enjeux de sécurité , par exemple dans les centres-villes ou aux passages à niveau. La réalisation de l'autoroute est donc regardée par les collectivités comme incontournable pour soulager le réseau départemental et détourner le trafic qui ne fait que traverser ces bourgs.

3. Un projet soutenu par les habitants et les collectivités territoriales

Témoignage de son caractère d'intérêt général, le projet est soutenu très majoritairement par la population et les élus locaux du territoire . Selon les collectivités entendues, « ce projet a aujourd'hui été totalement intégré par l'opinion publique. Les habitants se demandent pourquoi il existe encore des difficultés procédurales, alors que la DUP a été prise et que tous les recours ont été rejetés » . Elles soulignent également qu'il « serait incompréhensible de "rejouer le match", trois ans après, alors que la DUP a été prise et que l'enquête publique a été concluante. »

Selon la Commission nationale du débat public (CNDP), garante de la concertation, les oppositions au projet n'auraient concerné qu'environ 10 % des participations à la concertation. À l'occasion des recours n'ayant pas prospéré contre la DUP, le Conseil d'État n'a d'ailleurs pas remis en cause l'intérêt majeur du projet pour les habitants du territoire.

Ayant constaté que la mesure portée par ce texte, bien que dérogatoire, se justifie par le fait qu'elle vise à remédier à des difficultés concrètes mettant en danger un projet d'intérêt général, soutenu par l'ensemble des parties prenantes, et qu'il n'existe pas d'alternative satisfaisante à cette régularisation législative, la commission a donc adopté la proposition de loi sans modification, sur la proposition de la rapporteure.

EXAMEN DE L'ARTICLE

Article unique

Mise en compatibilité du plan local d'urbanisme intercommunal
du Bas-Chablais avec une déclaration d'utilité publique antérieure

Cet article propose d'appliquer, par voie législative, une mise en compatibilité, décidée par décret, au plan local d'urbanisme intercommunal (PLUi) du Bas-Chablais, adopté ultérieurement et non visé par la mise en compatibilité initiale, mais couvrant le même périmètre que cette dernière.

La commission a adopté l'article sans modification .

I.  La situation actuelle - Un projet d'infrastructure d'utilité publique mis en péril par l'adoption d'un nouveau document d'urbanisme qui a omis de l'intégrer

A. Un projet d'infrastructure structurant qui a fait l'objet d'une déclaration d'utilité publique portant mise en compatibilité

Les collectivités de Haute-Savoie ont, depuis la fin des années 1980, soutenu le projet de réalisation d'une liaison 2x2 voies dans le territoire dit du Bas-Chablais. L'objectif de cette liaison est de permettre le désenclavement du Bas-Chablais, dont les interconnexions routières ne sont pas à la hauteur des enjeux touristiques, démographiques et transfrontaliers , et en conséquence, de désengorger les voies existantes.

Ce projet global d'amélioration de la desserte s'est progressivement concrétisé, en plusieurs étapes . Ainsi, un contournement de la ville de Thonon-les-Bains a été finalisé en 2008 ; puis, en 2014, entre le carrefour dit « des chasseurs » à Annemasse et la commune de Machilly (cofinancé par le Département, la Région et l'État).

En 2015, une dernière liaison 2x2 voies, reliant Machilly au contournement de Thonon-les-Bains , déjà envisagée de longue date, a été mise à l'étude afin de compléter ce projet global de désenclavement du Bas-Chablais. Elle porte sur un tronçon d'environ 16,5 kilomètres, traversant le territoire d'une dizaine de communes environ, et qui serait concédé sous la forme d'une autoroute (A412).

À la suite d'une enquête publique et de l'avis des collectivités territoriales concernées, ce nouveau projet a été déclaré d'utilité publique par le biais d'un décret du 24 décembre 2019 1 ( * ) , en vue de pouvoir lancer rapidement l'appel d'offres destiné à désigner le concessionnaire.

Source : extrait du plan d'ensemble de la liaison 2x2 voies (au sein du périmètre d'étude
relatif aux opérations routières, 2015), préfecture de la Haute-Savoie

En particulier, l'article 6 de ce décret portant DUP a emporté mise en compatibilité des plans locaux d'urbanisme (PLU) des dix communes situées sur le tracé de la liaison autoroutière. Dès la publication du décret portant mise en compatibilité, ces dix PLU 2 ( * ) ont donc été de facto modifiés selon les dispositions figurant en annexe du décret, afin de les rendre compatibles avec le projet autoroutier déclaré d'utilité publique.

LA MISE EN COMPATIBILITÉ POUR DÉCLARATION D'UTILITÉ PUBLIQUE

Le code de l'urbanisme prévoit que certains projets d'aménagement ou de construction relevant de l'intérêt général peuvent bénéficier de procédures combinées spécifiques, visant à faciliter l'évolution des documents d'urbanisme qui doivent être modifiés avant de pouvoir autoriser ces projets.

C'est le cas de la procédure de mise en compatibilité, qui peut être utilisée pour les projets ayant fait l'objet d'une déclaration d'utilité publique (DUP), d'une procédure intégrée, ou d'une déclaration de projet (DP), lorsque l'autorité portant le projet estime que les documents d'urbanisme correspondants ne lui sont pas compatibles.

La mise en compatibilité, procédure spécifique d'évolution des documents d'urbanisme liée à un projet spécifique, permet d'alléger les modalités de consultation du public, des personnes publiques associées et des collectivités qui président d'ordinaire à l'évolution des documents d'urbanisme. Elle est toutefois soumise à enquête publique, à autorisation environnementale le cas échéant, et à examen conjoint par les collectivités concernées.

Une fois cette procédure menée à son terme, l'État décide de la déclaration d'utilité publique du projet (par décret en Conseil d'État pour les projets les plus significatifs). Ce décret vaut alors approbation des documents d'urbanisme mis en compatibilité, qui sont le plus souvent les plans locaux d'urbanisme (PLU).

Schéma simplifié d'une mise en compatibilité de PLU pour déclaration d'utilité publique

Source : commission des affaires économiques du Sénat

B. L'adoption d'un nouveau PLUi pour la communauté de communes a annulé par omission les effets de la mise en compatibilité déjà décidée au profit du projet d'infrastructure

Six des communes concernées par la mise en compatibilité décidée en décembre 2019 étaient membres, à cette date, d'un établissement public de coopération intercommunale (EPCI), la Communauté de communes du Bas-Chablais .

Or, en 2015, la Communauté de communes du Bas-Chablais avait prescrit l'élaboration d'un plan local d'urbanisme intercommunal (PLUi), qui a été approuvé le 25 février 2020 3 ( * ) et rendu exécutoire le 13 mars 2020. Moins de trois mois après qu'il a été procédé à la mise en compatibilité des dix PLU - mise en compatibilité nécessaire à la réalisation du projet autoroutier - six de ces PLU modifiés ont été ainsi été abrogés au profit du nouveau PLUi .

Il apparaît toutefois que les dispositions du plan local d'urbanisme intercommunal adopté en 2020 , c'est-à-dire après la déclaration d'utilité publique du projet et après la publication du décret portant mise en compatibilité, s'avèrent incompatibles avec le projet de liaison autoroutière . Entre autres, les zonages retenus ne font pas apparaître l'emplacement réservé relatif au projet de liaison, et le règlement ne comporte pas les règles écrites nécessaires pour pouvoir permettre les travaux, notamment dans les zones A et NA concernées. En l'état des documents d'urbanisme applicables, le projet autoroutier se trouve donc aujourd'hui en contradiction avec le PLUi de la communauté de communes du Bas-Chablais, ce, alors même que la déclaration d'utilité publique qui avait été décidée en 2019 devait justement résoudre cette incompatibilité.

La Direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM) du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, interrogée par la rapporteure, a indiqué avoir été avertie de cette incompatibilité à la fin du mois de janvier 2022 par les services déconcentrés de l'État de la région Auvergne-Rhône-Alpes et du Département de la Haute-Savoie. La communauté d'agglomération de Thonon agglomération a, elle, indiqué avoir noté l'incompatibilité très rapidement après l'adoption du plan (au printemps 2020), et avoir pris immédiatement l'attache des services déconcentrés de l'État pour déterminer les solutions les plus adaptées en vue de la résoudre.

Le graphique ci-après présente une chronologie comparative du déroulé de la procédure de mise en compatibilité pour déclaration d'utilité publique et de la procédure d'élaboration du PLUi du Bas-Chablais.

CHRONOLOGIE SIMPLIFIÉE DES DEUX PROCÉDURES D'ÉVOLUTION PARALLÈLE
DES DOCUMENTS D'URBANISME DES COLLECTIVITÉS DU BAS-CHABLAIS

Source : commission des affaires économiques du Sénat

II. Le dispositif envisagé - Appliquer de manière dérogatoire la mise en compatibilité déjà décidée au document d'urbanisme adopté postérieurement, afin de le rendre conforme au projet d'infrastructure

La proposition de loi vise à appliquer la déclaration d'utilité publique portant mise en compatibilité , déjà décidée en 2019 par décret, au document de PLUi adopté par la communauté d'agglomération Thonon agglomération en 2020, c'est-à-dire postérieurement.

L'article unique de ce texte prévoit donc, en quelque sorte, une application complémentaire de la mise en compatibilité prévue par le décret au PLUi de Thonon agglomération, afin que ce document ne puisse faire obstacle à la mise en compatibilité déjà décidée.

III. La position de la commission - Une disposition législative dérogatoire, qui se justifie toutefois par l'absence d'alternative satisfaisante, par son champ limité et par son objectif d'intérêt général

A. Les cas dans lesquels la loi régit des cas individuels doivent rester rares

La rapporteure rappelle tout d'abord que les cas dans lesquels la loi est utilisée pour régir des situations individuelles doivent rester rares, en vertu du principe constitutionnel d'égalité devant la loi . Il convient en effet de conserver la force et la portée des règles générales établies par la loi, auxquelles nuirait l'existence de trop nombreuses dérogations.

Toutefois, la rapporteure estime que l'intervention de la loi en faveur de situations particulières peut se justifier lorsque trois conditions cumulatives sont remplies :

• d'abord, lorsque la loi ne vise pas à faire obstacle à une mesure ou décision déjà intervenue ni à contourner des exigences légitimes, mais plutôt qu'elle vise à réparer une erreur ou apporter une solution à une difficulté non anticipée ;

• ensuite, lorsqu'il n'existe pas de solutions alternatives satisfaisantes au recours à la loi ;

• enfin, lorsque cette intervention répond à un motif d'intérêt général avéré.

B. La mesure proposée ne fait pas obstacle à des décisions intervenues et ne contourne pas des exigences légitimes, mais apporte une solution à une difficulté non anticipée

La rapporteure a tout d'abord souhaité s'assurer que le texte, qui touche à la fois aux compétences des communes et intercommunalités en matière d'urbanisme, et à la compétence de l'État pour définir les projets répondant à une utilité publique, ne fait pas obstacle à l'exercice de ces compétences mais vise bien à remédier à des difficultés concrètes .

Les auditions menées ont confirmé que les communes concernées par le projet de liaison autoroutière, la communauté d'agglomération de Thonon agglomération, le syndicat intercommunal d'aménagement du Chablais, le Département, la Région, ainsi que l'État (par le biais du préfet de Haute-Savoie et de la Direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités, DGITM, du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires), soutiennent unanimement la démarche portée par la proposition de loi .

L'incompatibilité entre le plan local d'urbanisme intercommunal du Bas-Chablais et le projet de liaison 2x2 voies ne résulte en effet pas d'une décision délibérée des collectivités, mais au contraire d'une erreur de traduction au sein du document d'un projet anticipé et soutenu de longue date par le territoire .

D'ailleurs, l'ensemble des documents d'urbanisme et de planification existants prennent déjà en compte ce projet :

• le schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) de la Région Auvergne-Rhône-Alpes fait figurer à de nombreuses reprises le projet de désenclavement modal du Chablais. L'axe entre Annemasse et Thonon-les-Bains y est identifié comme une « liaison routière structurante » , et l'autoroute Machilly-Thonon-les-Bains y est définie comme stratégique pour la Région ;

• le schéma de cohérence territoriale (SCoT) , porté par le syndicat intercommunal d'aménagement du Chablais (SIAC) et révisé en 2020, intègre déjà pleinement le projet, conformément au « porter à connaissance » transmis par l'État en 2015. Selon la Présidente du syndicat, « l'autoroute est un projet fondateur pour le SCoT du Chablais », les documents du SCoT le qualifiant à de multiples reprises de « projet structurant » . Il a d'ailleurs fait l'objet de prescriptions paysagères et environnementales spécifiques, et a été intégré aux objectifs de « zéro artificialisation nette » applicables au SCoT. Enfin, la stratégie de mobilité attachée au SCoT inclut également le projet, comme en témoigne le document graphique ci-après :

Source : Extrait de la stratégie de mobilité du SCoT du Chablais

• l'ensemble des plans locaux d'urbanisme des communes concernées par le projet et adoptés avant la publication du décret portant déclaration d'utilité publique avaient fait l'objet d'une mise en compatibilité , après qu'a été suivie la procédure prescrite par la loi (qui inclut notamment une enquête publique et un avis des communes) ;

• le « porter à connaissance » transmis par l'État en 2016 après qu'a été prescrite l'élaboration du plan local d'urbanisme intercommunal du Bas-Chablais précisait qu' « afin de préserver la faisabilité du projet de liaison autoroutière concédée entre Machilly et Thonon-les-Bains, dont les études et procédures en vue d'une nouvelle déclaration d'utilité publique ont été engagées, il est demandé de reporter dans le plan de zonage du futur PLUi du Bas-Chablais le périmètre d'études du désenclavement du Chablais, défini par l'arrêté préfectoral du 12 mars 2002 modifié par arrêté du 2 octobre 2015 » ;

• enfin, comme l'a rappelé Thonon agglomération à la rapporteure, si les documents graphiques et les dispositions écrites du règlement du PLUi n'ont pas correctement traduit le projet, le projet autoroutier et son tracé ont bien été inclus dans d'autres composantes du PLUi du Bas-Chablais , telles que la stratégie de mobilité, les enjeux environnementaux... La conception du document s'est donc, dès le départ, structurée autour du projet d'infrastructure.

Source : extrait du PADD du PLUi du Bas-Chablais

L'ensemble de ces éléments concordants, ainsi que les auditions menées par la rapporteure, plaident bien en faveur d'une erreur de traduction du projet au sein du nouveau plan local d'urbanisme intercommunal, dans un contexte compliqué par l'existence de plusieurs procédures urbanistiques complexes menées en parallèle . Ainsi, la préfecture de Haute-Savoie a par exemple indiqué que le document « a été victime d'un mauvais enchaînement des procédures au regard de la complexité des différentes opérations simultanées » et des différentes autorités contribuant au projet. Il convient en effet de noter que sont intervenues en parallèle l'intégration de Thonon dans l'EPCI préexistant, l'élaboration d'un premier document d'urbanisme intercommunal, la procédure de DUP et de mise en compatibilité, ainsi qu'un renouvellement des équipes municipales. Entendus par la rapporteure, les élus du conseil départemental sont également allés dans le sens d'une « erreur matérielle regrettable » .

Il faut par ailleurs rappeler que le code de l'urbanisme ne permet pas à l'EPCI à l'initiative d'un plan local d'urbanisme intercommunal de modifier le projet de document une fois celui-ci arrêté et soumis aux personnes publiques associées (PPA), même lorsque ces modifications viseraient à corriger des erreurs : seules les remarques formulées par les PPA, les communes membres ou dans le cadre de l'enquête publique peuvent être ultérieurement intégrées au projet, et celles-ci ne peuvent pas modifier le projet d'aménagement et de développement durable du document. Comme l'a indiqué la communauté d'agglomération à la rapporteure, « l'intégration à ce stade de la liaison autoroutière concédée Machilly-Thonon aurait donc été constitutive d'un grave vice de forme entachant d'illégalité la procédure » .

En outre, les personnes auditionnées ont toutes rappelé les modalités approfondies de concertation et de participation du public ayant présidé à l'élaboration du projet autoroutier à toutes ses étapes :

• les SRADDET et SCoT susmentionnés, qui avaient déjà inscrit le projet autoroutier, ont fait l'objet des enquêtes publiques et consultations ordinaires prévues par la loi ;

• une concertation publique a été organisée sous l'égide de la Commission nationale du débat public entre septembre 2015 et juin 2016, en amont de la procédure de déclaration d'utilité publique ;

• une enquête publique a été menée entre juin et juillet 2018, toujours dans le cadre de la procédure de DUP ;

• enfin, le PLUi du Bas-Chablais (dans lequel le projet est bien évoqué, bien que non retranscrit dans le règlement et les documents graphiques) a lui aussi fait l'objet d'une enquête publique en décembre 2019.

Pour terminer, la déclaration d'utilité publique prise en 2019 est, à la date de rédaction du présent rapport, purgée de tout recours : la mesure proposée ne vise donc aucunement à faire obstacle à l'exercice d'un droit de recours contre le projet.

L'ensemble de ces éléments confirme la pertinence d'une mesure, au besoin législative, permettant d'apporter une solution à ces difficultés et de faire aboutir un projet partagé , ayant déjà fait l'objet de l'ensemble des procédures d'autorisation, de planification et de consultation prévues par la loi.

C. Il n'existe pas de solution alternative satisfaisante pour résoudre en temps utile l'incompatibilité entre le document d'urbanisme et le projet d'infrastructure

Ensuite, la rapporteure a tenu à s'assurer que l'objectif de la mesure portée par la proposition de loi ne peut pas être atteint de manière satisfaisante par des solutions alternatives.

Trois autres solutions ont été explorées, mais toutes écartées :

• prendre un nouveau décret portant déclaration d'utilité publique et mise en compatibilité, cette dernière visant cette fois-ci le PLUi en vigueur . La Direction des affaires juridiques du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires a toutefois indiqué à la rapporteure que cette option ne paraît pas envisageable, dans la mesure où elle impliquerait de reprendre à son commencement la procédure de DUP (la dernière ayant duré près de 3 ans et demi), incluant la réalisation de nouvelles études et de nouvelles consultations. Surtout, la jurisprudence du Conseil d'État considère que la prise d'une seconde DUP visant le même projet, sans que celui-ci n'ait connu de modification significative, peut constituer un détournement de procédure : cela exposerait la mise en compatibilité à un fort risque juridique , pouvant réduire à néant les efforts de régularisation de la situation.

• faire évoluer le PLUi du Bas-Chablais par les procédures ordinaires prévues par la loi . La communauté d'agglomération de Thonon agglomération avait initialement prescrit, en lien avec les services de l'État, une procédure corrective de modification simplifiée, visant à intégrer les effets de la DUP au sein du document. Toutefois, eu égard à la nature des incompatibilités constatées 4 ( * ) et à la suite de discussions avec l'autorité environnementale, il apparaît qu'il serait nécessaire de recourir à une révision du document en vertu de l'article L. 153-31 du code de l'urbanisme. Cela impliquerait non seulement de préparer un nouveau dossier complet (incluant une étude d'impact entièrement refaite), mais aussi de conduire l'ensemble des étapes procédurales de la révision (et notamment une nouvelle évaluation environnementale). La durée totale de la révision est estimée par les collectivités concernées et par les services de l'État à trois ans au mieux.

• attendre l'adoption du nouveau PLUi de la communauté d'agglomération , celle-ci ayant prescrit le 23 février 2021 l'élaboration d'un document valant également programme local de l'habitat et plan de mobilité (PLUi-HM). Pour les raisons citées précédemment, cette procédure ne se terminera pas avant trois ans au moins : l'entrée en vigueur du document est prévue par la communauté d'agglomération au mieux au début de l'année 2026.

Les délais sont pourtant un élément central du projet de liaison d'infrastructure , car l'ensemble des personnes auditionnées s'accorde à dire que la situation actuelle d'engorgement de la desserte routière du Bas-Chablais est difficilement tenable, en particulier au vu des dynamiques démographiques et économiques. Surtout, la déclaration d'utilité publique prise en 2019 arrivera à échéance en décembre 2029 .

Or, les délais nécessaires à l'appel d'offres pour la mise en concurrence de la concession autoroutière - estimés à trente mois - puis de réalisation du projet, ne sont pas compatibles avec la modification du document à échéance 2025 ou 2026 en application des trois options précitées. L'appel d'offres lancé le 23 février 2022 devrait être annulé si une solution de mise en compatibilité du PLUi du Bas-Chablais n'était pas trouvée rapidement, car il s'agit d'un préalable impératif au contrat de concession ( le concessionnaire qui démarrerait les travaux s'exposerait sinon à des poursuites pénales pour la réalisation d'aménagements non conformes au document d'urbanisme). Un tel retard serait susceptible de remettre la totalité du projet en cause .

En outre, ces trois options distinctes auraient pour inconvénient majeur d'exposer le projet - sans que celui-ci n'ait connu aucune évolution de fond - à de nouvelles contestations devant la justice . À la date de rédaction de ce rapport, l'ensemble des recours dirigés contre la déclaration d'utilité publique du projet autoroutier a été purgé. Le PLUi du Bas-Chablais est également purgé de tout recours. L'adoption d'un nouveau PLUi, d'un PLUi révisé ou d'une nouvelle DUP rouvriraient les délais de recours et permettrait de contester à nouveau, sur les mêmes fondements, un projet pourtant déjà validé par la justice administrative. Aucune des trois options précitées n'offrirait au projet la sécurité juridique nécessaire et légitime. Pis, elles risqueraient de reporter l'ensemble du risque juridique sur le nouveau document de PLUi-HM de Thonon agglomération, en cours d'élaboration .

La rapporteure souligne enfin que le projet de liaison 2x2 voies n'a pas évolué entre l'adoption de la DUP et du PLUi du Bas-Chablais, et l'examen de ce texte. La mesure dérogatoire proposée ne vise ainsi aucunement à imposer un projet nouveau ou modifié, mais seulement à confirmer la compatibilité du projet avec l'ensemble des documents de planification, comme devait l'assurer la DUP en 2019. Les modifications du PLUi du Bas-Chablais dont il est question ici ont en réalité déjà fait l'objet de l'ensemble des consultations, concertations et examens prévus par la loi, et ont été validées à de nombreuses reprises tant par l'État que par les collectivités territoriales concernées.

D. Le projet d'infrastructure relève de l'intérêt général, en ce qu'il est nécessaire au désenclavement du territoire, qu'il répond à des besoins liés à des dynamiques démographiques et économiques incontestables et qu'il améliorera la sécurité des riverains

1) Un territoire enclavé, oublié du réseau routier national

Les auditions menées par la rapporteure ont convergé sur le caractère d'intérêt général du projet, en premier lieu en ce qu'il répond à un besoin de désenclavement du territoire du Chablais .

À la différence du sud et de l'ouest de la Haute-Savoie, le nord-est du département n'est aujourd'hui desservi par aucune route nationale ni autoroute (voir carte ci-dessous) .

Source : préfecture de la Haute-Savoie

L'ensemble du réseau est composé de voies départementales, dont le potentiel est aujourd'hui trop limité vu le développement économique et démographique rapide de ce territoire frontalier . Il s'agit d'un territoire à fort potentiel, de par sa proximité avec la Suisse et l'agglomération genevoise, qui en fait un bassin attractif pour la population. Le Chablais est aujourd'hui le deuxième bassin le plus dynamique de la région Auvergne-Rhône-Alpes, selon les éléments fournis par Thonon Agglomération.

De plus, le département compte plusieurs hauts-lieux touristiques , comme Thonon-les-Bains et Évian-les-Bains, stations thermales d'envergure, dont le développement bénéficierait d'un accès routier facilité. Or, la liaison depuis d'autres régions, voire avec les aéroports les plus proches, est aujourd'hui très compliquée.

Une meilleure desserte routière offrirait non seulement aux grandes villes, mais aussi aux territoires plus ruraux , des opportunités de développement supplémentaires.

Enfin, les élus du territoire ont souligné lors des auditions les enjeux économiques du désenclavement du Chablais, indiquant qu'il était aujourd'hui c ompliqué d'attirer les entreprises au vu de l'inaccessibilité du bassin . Pourtant, il pourrait s'agir d'une localisation stratégique, au vu des possibilités de transport transfrontalier de marchandises en vue de l'export. Les entreprises déjà implantées - comme l'usine d'embouteillage d'Évian, champion français - indiquent que le réseau de fret étant saturé, le réseau routier existant ne répond pas à leurs besoins.

Thonon Agglomération a résumé, lors des auditions conduites par la rapporteure, l'enjeu du désenclavement en ces termes : « Ne pas réaliser cette liaison, c'est nous laisser de côté dans le développement de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, et nous inféoder aux grandes villes proches voire à la Suisse. Cela créerait un territoire à deux vitesses , entre les villes centres et le reste du territoire. »

2) Un réseau départemental qui atteint ses limites capacitaires

Le dynamisme de la Haute-Savoie , région frontalière comptant plusieurs agglomérations en forte croissance, fait peser de lourdes contraintes sur le réseau départemental existant (principalement la RD903 et la RD1005). Alors que le département gagne en moyenne 15 000 nouveaux habitants par an, selon les éléments fournis par la Région, les infrastructures routières ont, elles, très peu évolué.

Selon les comptages réalisés sur la RD903, à titre d'exemple, la ville de Bons-en-Chablais (5 800 habitants) voit ainsi passer près de 16 800 véhicules par jour en 2021, contre 12 800 en 2020, avec des pics enregistrés à 22 300 véhicules. De plus, près de 6,5 % des usagers sont des poids lourds , pourcentage qui s'élève à près de 7,5 % dans la commune d'Allinges (4 800 habitants), également située sur le tracé de la RD903 et qui voit passer 14 300 véhicules par jour environ.

Pour ces petites communes, un tel trafic routier est source de fortes nuisances et pollutions . Le coeur des bourgs et leur développement sont fortement contraints par le passage de poids lourds et la circulation incessante. Cela soulève d'ailleurs des enjeux de sécurité , les villes devant assurer la sécurité des passants, des écoliers et des habitants. Certains hameaux sont particulièrement frappés par ces risques liés à un trafic inadapté. La commune de Brenthonne se considère ainsi « coupée en deux » par cette départementale très fréquentée, comme elle l'a indiqué lors de son audition par la rapporteure.

En outre, certains aménagements s'avèrent sous-dimensionnés ou inadaptés à un trafic routier ayant connu une telle croissance. À titre d'exemple, il existe plusieurs passages à niveau dangereux sur le tracé des routes départementales du Chablais - territoire qui reste marqué par la tragédie d'Allinges en 2008. La suppression de deux passages à niveau, sur la commune de Perrignier, est d'ailleurs prévue en parallèle de la réalisation de la liaison 2x2 voies.

Plusieurs études, rappelées par le SCoT du Chablais et menées en 2002, 2006 et 2015, confirment que des aménagements ponctuels du réseau départemental ne permettront pas, à long terme, d'absorber l'évolution du trafic routier . Le transport ferroviaire, fortement accru au cours des dernières années, est également déjà congestionné.

L'ensemble des communes situées sur le tracé du tronçon autoroutier ont d'ailleurs annoncé à cette occasion, en lien avec le département qui prendra en charge 80 % des investissements, d'importants projets de reconfiguration routière , notamment en vue d'y favoriser la vie au coeur des bourgs et la sécurité des habitants et usagers (zones 30 ou 50, feux tricolores), de faciliter le déploiement de mobilités douces et de transports en commun (réseau de bus) ainsi que d'inciter le report du trafic des voies départementales vers la nouvelle liaison 2x2 voies.

La réalisation de l'autoroute est donc regardée par les collectivités territoriales comme incontournable pour soulager le réseau départemental et détourner le trafic qui ne fait que traverser ces bourgs. Selon les études préalables menées en 2014, le gain socio-économique estimé du projet s'élevait alors à près de 400 millions d'euros, recouvrant principalement des gains de temps pour les usagers de la route.

3) Un projet soutenu par les habitants et les collectivités territoriales

Témoignage de son caractère d'intérêt général, le projet est soutenu très majoritairement par la population et les élus locaux du territoire . Selon Thonon agglomération, entendue par la rapporteure, « ce projet a aujourd'hui été totalement intégré par l'opinion publique. Les habitants se demandent pourquoi il existe encore des difficultés procédurales, alors que la DUP a été prise et que tous les recours ont été rejetés ». Lors de la table ronde des communes concernées par le projet de liaison, celles-ci ont d'ailleurs souligné auprès de la rapporteure qu'une association s'était formée il y a plusieurs décennies déjà en soutien au projet (association « Oui au désenclavement du Chablais »).

Selon la commune d'Allinges, entendue par la rapporteure, « il serait incompréhensible de "rejouer le match", trois ans après, alors que la DUP a été prise, que l'enquête publique, à laquelle 10 500 personnes ont participé, a été concluante. » En effet, le bilan de la concertation autour du projet d'autoroute souligne que « la concertation a donné lieu à une forte mobilisation du territoire : riverains, usagers potentiels, acteurs socio-économiques et collectivités. Les personnes et acteurs en faveur du projet, très nettement majoritaires , mettent en avant la diminution des temps de parcours, le désenclavement du Chablais par rapport au reste du département, l'impact économique positif sur le territoire, la diminution des gênes liées à la circulation dans les villages traversés par les routes départementales (saturation, bruit, pollution, sécurité) et l'impact environnemental favorable, notamment en matière de diminution de la pollution. » Selon la Commission nationale du débat public (CNDP), garante de la concertation, les oppositions au projet n'auraient concerné qu'environ 10 % des participations à la concertation. Qui plus est, à l'occasion des recours n'ayant pas prospéré contre la DUP, le Conseil d'État n'a pas remis en cause l'intérêt majeur du projet pour les habitants du territoire , principalement en raison de son rôle dans le désenclavement du Bas-Chablais.

En outre, il convient de rappeler que le projet, sous diverses formes, a fait l'objet d'un soutien politique et opérationnel des collectivités territoriales depuis près de cinquante ans . Outre l'inscription au sein de l'ensemble des documents d'urbanisme déjà évoquée plus haut, nombre d'entre elles ont d'ailleurs soutenu financièrement ce projet : le Département s'est engagé, si nécessaire, à contribuer à l'équilibre financier de celui-ci, tandis que la Région a participé au financement des études préalables. Certaines des communes traversées par le tracé de l'autoroute ont également mobilisé d'importants budgets afin d'acquérir des emprises foncières dédiées à la compensation environnementale et agricole des impacts du projet. La liaison a donc déjà fait l'objet d'engagements financiers, que l'incompatibilité du PLUi du Bas-Chablais pourrait remettre en cause .

Pour l'ensemble de ces raisons, la régularisation du PLUi du Bas-Chablais par le biais d'une application a posteriori de la DUP relève incontestablement d'un motif intérêt général , en ce qu'il lève le risque juridique important pesant sur ce projet essentiel.

Ayant constaté que la mesure portée par ce texte, bien que dérogatoire, se justifie par le fait qu'elle vise à remédier à des difficultés concrètes mettant en danger un projet d'intérêt général, soutenu par les parties prenantes, et qu'il n'existe pas d'alternative à cette régularisation législative, la rapporteure recommande donc à la commission des affaires économiques d'adopter l'article unique de la proposition de loi sans modification .

La commission a adopté l'article unique sans modification.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 25 janvier 2023, la commission a procédé à l'examen du rapport de Mme Martine Berthet sur la proposition de loi n° 28 (2022-2023) visant à régulariser le PLUi de la Communauté de communes du Bas Chablais.

Mme Sophie Primas , présidente . - Nous sommes réunis aujourd'hui pour examiner le rapport de Martine Berthet sur la proposition de loi visant à régulariser le plan local d'urbanisme intercommunal (PLUi) de la communauté de communes du Bas-Chablais, déposée il y quelques mois par nos collègues Cyril Pellevat et Sylviane Noël, que je salue.

Mme Martine Berthet , rapporteure . - Au risque d'anticiper peut être les échanges que nous aurons dans quelques instants, je souhaiterais dire, tout d'abord, que je comprends les interrogations que la démarche de ce texte peut susciter chez nous, parlementaires. D'abord, parce qu'il traite d'un cas bien délimité, celui d'un projet précis et de collectivités identifiées. D'autre part, car son intitulé, qui parle de « régularisation » d'un plan local d'urbanisme, peut prêter à confusion sur l'objectif réel poursuivi par le texte.

Je souhaite répondre d'emblée à ces deux remarques, avant de rentrer dans les détails. D'une part, je rappelle qu'il est fréquent que nous traitions de mesures qui visent à régler des cas spécifiques, dans tous les domaines de la loi : je pense par exemple à une proposition de loi que nous avions examinée en 2019, qui traitait spécifiquement de la Clairette de Die ; aux règles spécifiques pour les aménagements des jeux Olympiques ou du Grand Paris ; aux délais supplémentaires accordés pour l'élaboration des PLUi métropolitains ou parisiens ; ou encore à des dérogations individuelles à la loi Littoral pour des projets précis d'équipements publics... Il est rare, mais pas inédit, que la loi traite parfois de cas spécifiques.

D'autre part, ce texte ne vise pas à « corriger » un document d'urbanisme, en ce qu'il serait fautif ou illégal, ni à imposer un projet d'État à une collectivité. Il vise en fait à résoudre une difficulté de coordination dans le temps des procédures d'urbanisme, qui a abouti à une situation de blocage, tout cela résultant en premier lieu de la complexité du droit de l'urbanisme.

Je pense que tous ici, en tant qu'élus, nous mesurons bien cette complexité : nous savons les contraintes et le degré de précision qui s'appliquent à l'élaboration d'un plan local d'urbanisme (PLU), sans parler d'un PLUi. Nous savons aussi que les documents d'urbanisme s'inscrivent dans le temps long, alors que les projets naissent et évoluent bien plus vite. En se cachant derrière ces complexités, faut-il laisser péricliter un projet d'intérêt général, par ailleurs validé à tous les niveaux ? C'est la question qui se pose à nous aujourd'hui.

En 2015, des études ont été lancées en Haute-Savoie pour concrétiser un projet discuté de longue date : la réalisation du dernier tronçon d'une liaison routière 2x2 voies entre Machilly et Thonon-les-Bains, sur le tracé de l'axe entre Annemasse et Thonon-les-Bains. Après étude d'impact, autorisation environnementale, enquête publique et décret en Conseil d'État, ce projet a fait l'objet d'une déclaration d'utilité publique (DUP). Cette DUP de décembre 2019, qui a définitivement autorisé le projet, est aujourd'hui purgée de tout recours. Comme le permet le droit, et avec l'accord des communes concernées, la DUP a prévu la mise en compatibilité de dix PLU, afin qu'ils intègrent le projet routier.

Mais en parallèle, la communauté de communes concernée par le projet avait prescrit l'élaboration d'un PLUi, finalement adopté en février 2020. Il n'avait pas pu être inclus dans la DUP portant mise en compatibilité, puisqu'il n'existait pas encore... Or, son adoption a « écrasé » les PLU précédents, qui avaient, eux, bien été modifiés. Vous voyez que je vous ai dit la vérité sur la complexité des procédures...

En l'état, le projet routier, malgré sa validation par le public, par l'État, par l'autorité environnementale et par les collectivités, se retrouve donc contraire au nouveau PLUi, ce qui bloque sa réalisation.

Le texte qui nous est soumis vise à réparer cet oubli de coordination, en appliquant la DUP, prise en 2019 pour modifier les anciens PLU, au nouveau PLUi. J'insiste : il n'y a aucune modification du projet autoroutier sur le fond, c'est une simple application de la DUP au nouveau document d'urbanisme.

J'en viens à ma position sur ce texte, et à la démarche d'examen qui a été la mienne.

Je l'ai dit, ce texte est inhabituel, et concerne un cas spécifique. Il me semble qu'un procédé dérogatoire comme celui-ci doit rester rare et être bien justifié. J'ai donc voulu passer le projet de loi au « filtre » de plusieurs critères, inspirés de la jurisprudence constitutionnelle sur les validations législatives.

Premièrement, j'ai vérifié que ce texte ne visait pas à faire échec à des décisions déjà prises, à restreindre un droit au recours ou bien à aller à l'encontre des compétences des collectivités territoriales. En d'autres termes, ce projet est-il un texte « aidant », qui vise à résoudre une difficulté, ou un texte qui vient censurer, faire échec à des attentes légitimes ?

Au cours de mes nombreuses auditions, j'ai constaté que l'incompatibilité entre le PLUi du Bas-Chablais et le projet de liaison routière n'était pas l'expression d'une volonté politique de la communauté d'agglomération de faire échec au projet, au contraire.

C'est plutôt une erreur de traduction au sein du document d'un projet anticipé et soutenu de longue date par l'ensemble du territoire. D'ailleurs, l'ensemble des autres documents d'urbanisme du territoire
- schémas de cohérence territoriale (ScoT), PLU, schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) - le prennent déjà en compte et le qualifient de « projet structurant » pour la région.

De plus, et j'insiste sur ce point fondamental, le projet a fait l'objet de l'ensemble des modalités de concertation, de participation du public, d'accord des collectivités et de droit de recours prévues par la loi. Il y a eu enquête publique, et même une concertation publique sous l'égide de la Commission nationale du débat public (CNDP) qui s'est avérée très largement favorable au projet. La déclaration d'utilité publique est aujourd'hui purgée de tout recours, et les quelques contentieux ont été rejetés par la justice.

L'examen de cette proposition de loi n'est donc pas l'occasion de revenir sur le fond du projet, car « le match s'est déjà joué ». La proposition de loi vise non pas à empêcher, mais bien à permettre.

Deuxièmement, j'ai vérifié qu'il n'était pas possible de parvenir à ce même objectif par une méthode alternative, qui ne passe pas par la loi. J'ai ainsi exploré trois pistes.

D'abord, prendre un nouveau décret de DUP, pour mettre en compatibilité le PLUi, est impossible au titre de la jurisprudence du Conseil d'État, car on ne peut pas prendre deux DUP pour un même projet.

Ensuite, faire évoluer le PLUi du Bas-Chablais par les procédures ordinaires serait extrêmement long et coûteux pour la collectivité, pour un bénéfice de fond nul. Il faudrait repasser par une révision lourde, qui durerait au moins trois ans et impliquerait de répéter l'ensemble des étapes (études d'impact, consultations, évaluation environnementale, enquête publique), alors que le projet n'a pas évolué d'un iota depuis lors !

Enfin, attendre l'adoption d'un nouveau PLUi, qui pour les raisons précitées, n'interviendrait aussi que dans plusieurs années.

Ces trois options n'offrent donc pas de solution satisfaisante, soit par impossibilité juridique, soit par impossibilité pratique. La question des délais notamment est centrale, car ils conditionnent la faisabilité du projet. D'une part, car la DUP existante arrivera à son terme en 2029, et il faut que le projet ait été réalisé d'ici là. D'autre part, car la situation actuelle d'engorgement du Bas-Chablais est difficilement tenable.

Troisièmement , et pour finir, j'ai vérifié que le texte répondait à un objectif d'intérêt général.

Il ressort de nos auditions et travaux que la réalisation de cette section à 2x2 voies répond effectivement à deux motifs d'intérêt général :

D'abord, le désenclavement du Bas-Chablais. Ce territoire n'est aujourd'hui desservi par aucune route nationale ni autoroute, à la différence du reste du département. Ce potentiel routier est aujourd'hui bien trop limité au vu du développement économique, touristique et démographique rapide de ce bassin frontalier - avec la deuxième plus forte croissance de la région ! Les maires que nous avons entendus estiment aujourd'hui que ne pas relier le Bas-Chablais reviendrait à créer volontairement un territoire à deux vitesses, entre des zones urbaines dynamiques (Annemasse, Thonon, Genève), et des campagnes délaissées et enclavées, ce qu'ils n'acceptent pas.

Ensuite, le réseau départemental existant atteint ses limites capacitaires, ce qui est source de nuisances et de risques réels. Dans des communes de 4 000 habitants, la départementale traversant le bourg voit passer jusqu'à 22 000 véhicules par jour, dont jusqu'à 10 % de poids lourds... Et le trafic croît fortement, avec un réseau ferroviaire qui est lui aussi déjà saturé. Pour les habitants, c'est source de nuisances sonores et de délais énormes. Pour l'environnement, les heures de bouchons chaque jour entraînent une forte pollution. Surtout, c'est un risque pour la sécurité, avec un trafic démesuré pour des hameaux et des petits bourgs, avec des passages à niveau d'un autre temps.

Pour toutes ces raisons, l'ensemble des collectivités territoriales et la grande majorité de la population soutiennent ce projet d'intérêt général. Toutes les communes ont rendu un avis favorable à la DUP. La Commission nationale du débat public (CNDP) a observé que seuls 10 % des participants à la concertation s'y déclaraient défavorables. La justice n'a elle non plus jamais contesté l'intérêt général du projet, à l'occasion des recours.

Je conclus donc, à l'issue de mes travaux, que la mesure portée par ce texte, bien que dérogatoire, se justifie par le fait qu'elle vise à remédier à des difficultés concrètes mettant en danger un projet d'intérêt général, soutenu par les parties prenantes, et qu'il n'existe pas d'alternative satisfaisante à cette solution législative.

Comme je l'ai dit, j'estime que le seul argument selon lequel la méthode législative retenue est dérogatoire ne saurait s'opposer à ce que l'on s'accorde sur une solution permettant à ce projet de se réaliser. La concertation publique a eu lieu, le projet a été validé : il faut maintenant qu'il puisse être mené à bien, car il relève de l'intérêt général. En tant qu'élus des territoires, qui connaissons la complexité parfois ubuesque du droit de l'urbanisme, il me semble que nous pouvons nous retrouver autour de cette conclusion et que nous devons être constructifs et aidants lorsque nous le pouvons.

En conséquence, je vous propose aujourd'hui d'adopter cette proposition de loi sans modification, et donnerai donc un avis défavorable à l'adoption de l'amendement de suppression qui a été déposé et que nous devons examiner aujourd'hui.

Mme Sylviane Noël , auteure de la proposition de loi - La réalisation du dernier tronçon d'une liaison à 2x2 voies entre Machilly et Thonon-les-Bains est vitale pour désenclaver le territoire chablaisien, un territoire en forte croissance démographique. Sa population a crû de 16,5 % en onze ans, passant de 81 000 à 94 000 habitants. Il regroupe plusieurs sites touristiques internationaux - à Thonon-les-Bains, Évian, Morzine-Avoriaz, Châtel, etc. - et compte 215 000 lits touristiques. Cette région accueille aussi des activités économiques de premier plan, comme l'usine d'embouteillage des eaux d'Évian, qui produit 6 millions de bouteilles chaque jour, expédiées par le fer ou la route. Le Chablais est aussi l'interface entre la région de Genève, le canton de Vaud et le Valais.

Le réseau routier est déjà constitué de 2x2 voies en amont, entre le « carrefour des Chasseurs » et Machilly, et en aval, au niveau du contournement de Thonon-les-Bains. Au milieu, le tronçon concerné n'est pas à grand gabarit, alors qu'il supporte un trafic routier très important : certaines communes sont traversées par 22 000 véhicules chaque jour. On ne peut laisser persister un tel trafic sur le réseau routier secondaire. L'explosion récente d'un camion-citerne en zone agglomérée à Fillinges nous rappelle les risques.

C'est pourquoi l'État a décidé de modifier ce tronçon pour le transformer en 2x2 voies, sous concession autoroutière. Il est de bon sens de mener ce projet à son terme. Les procédures sont achevées, tous les recours ont été purgés. Le Conseil d'État a confirmé l'an dernier le rejet de la totalité des recours déposés. Le problème résulte incontestablement d'une erreur liée à un défaut de vigilance de tous les services, dans un contexte d'enchevêtrement des procédures et de mise en place d'une nouvelle intercommunalité. La mesure proposée est bien encadrée. Elle est parfaitement adaptée à ce genre de situation, car il s'agit de réparer une erreur de procédure. Nous avons tous été élus locaux, nous connaissons tous la complexité des procédures administratives inhérentes à la réalisation de ce type d'infrastructures structurantes, des erreurs ou des oublis sont toujours possibles. En l'espèce, la procédure a été menée avec sérieux. Depuis les études préparatoires jusqu'à la concertation, elle a duré une dizaine d'années. J'espère que le Sénat, chambre des territoires, votera ce texte.

M. Daniel Salmon . - Comme nombre d'entre vous, j'ai été surpris par cette proposition de loi dont les objectifs ne sont pas courants pour des textes législatifs. J'ai été élu local et confronté à la problématique des PLU et de leurs révisions. Les règles sont longues et complexes, mais indispensables pour garantir que les projets sont bien conformes aux règles du développement durable et aboutissent à un aménagement équilibré du territoire.

Le projet date de trente ans. Il a subi des aléas et fait l'objet de nombreuses contestations. La déclaration d'utilité publique avait d'ailleurs été invalidée, puis le projet est reparti en 2018. La déclaration d'utilité publique est aujourd'hui purgée de tout recours, dites-vous, et les contentieux ont été rejetés par la justice. Soit, mais le monde a changé et il convient de se réinterroger.

Des erreurs ont été commises, mais il est difficile de savoir à quel niveau. L'autorité environnementale et la sous-préfecture ont formulé des demandes au moment de la réalisation du PLUi ; pourtant le projet autoroutier n'y apparaît pas. Nul ne sait pourquoi. Il est donc surprenant de passer par le Sénat pour combler ces lacunes. C'est pourquoi j'ai déposé un amendement pour supprimer le dispositif de cette proposition de loi, car cette question ne relève pas du Parlement.

M. Bernard Buis . - Nous sommes nombreux à avoir été surpris que le Sénat puisse examiner une telle proposition de loi. La méthode est en effet singulière, car le texte vise à rétablir les effets de la déclaration d'utilité publique quant à la mise en compatibilité des documents d'urbanisme sur le périmètre du PLUi du Bas-Chablais. Ce projet d'autoroute fait l'objet d'un combat acharné entre ses partisans et ses opposants depuis plus de trente ans. Sur le fond, il nous semble que ce projet déclaré d'utilité publique en 2019 doit aboutir. Élu du Diois, région montagneuse, je sais ce que signifie l'enclavement et connais ses conséquences pour ses habitants en termes de mobilité. Si ce projet permet aux habitants du Bas-Chablais de se déplacer plus facilement, nous devons le soutenir. Si nous désapprouvons la méthode, nous voterons ce texte iconoclaste qui vise à réparer un imbroglio administratif.

M. Christian Redon-Sarrazy . - Dans les années à venir, les difficultés liées à la réalisation des documents d'urbanisme n'iront pas en diminuant, il suffit de songer à la mise en oeuvre du « zéro artificialisation nette » (ZAN). J'espère que ce texte ne créera pas un précédent et que le Parlement ne sera pas encombré par trop de propositions de loi visant à régler des problèmes locaux. Est-ce le rôle du Parlement ? Nous devons être prudents.

Mme Sophie Primas , présidente . - J'ai eu la même réaction que vous. C'est pourquoi Martine Berthet a examiné s'il n'y avait pas d'autres voies pour régler le problème et a vérifié que toutes les étapes de la procédure et de la concertation avaient bien été menées. Il ne saurait être question pour nous de nous prononcer sur le fond, sur l'opportunité des projets locaux et de nous substituer aux élus. Je veillerai à ce que ce genre de proposition de loi demeure exceptionnel. Mais, à travers ce texte, les territoires nous envoient aussi un message subliminal sur la nécessité de revoir les règles d'urbanisme ! Je le répète, il ne s'agit en aucun cas de nous prononcer sur le fond du projet, mais de réparer un oubli. J'ai aussi été élue d'une intercommunalité nouvelle et je sais que des oublis sont toujours possibles dans ce type de contexte.

Mme Martine Berthet , rapporteure . - On ne rencontre pas souvent ce genre de situation, en effet. En l'occurrence, je précise toutefois qu'il ne s'agit pas d'une proposition de loi relevant du régime des validations juridiques, car il n'y a pas d'effets rétroactifs, le texte consiste simplement en une mise en compatibilité des documents d'urbanisme. La CNDP n'a relevé que 10 % d'avis défavorables lors des enquêtes. L'ensemble des élus du territoire attend ce texte, tant pour des raisons économiques que pour pouvoir sécuriser les centres-bourgs face à l'importance du trafic. Le projet contribuera aussi au désenclavement. Cette proposition de loi est la seule solution. Quant au ZAN, il aura évidemment des effets à l'avenir. En l'occurrence, comme les travaux n'ont pas encore commencé, le projet tombera sous le régime du « ZAN » et devra être comptabilisé.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique

Mme Martine Berthet , rapporteure . - L'amendement COM-1 vise à supprimer l'article. Avis défavorable.

L'amendement COM-1 n'est pas adopté.

L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi est adopté sans modification.

RÈGLES RELATIVES À L'APPLICATION DE L'ARTICLE 45 DE LA CONSTITUTION ET DE L'ARTICLE 44 bis
DU RÈGLEMENT DU SÉNAT (« CAVALIERS »)

Si le premier alinéa de l'article 45 de la Constitution, depuis la révision du 23 juillet 2008, dispose que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis » , le Conseil constitutionnel estime que cette mention a eu pour effet de consolider, dans la Constitution, sa jurisprudence antérieure, reposant en particulier sur « la nécessité pour un amendement de ne pas être dépourvu de tout lien avec l'objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie » 5 ( * ) .

De jurisprudence constante et en dépit de la mention du texte « transmis » dans la Constitution, le Conseil constitutionnel apprécie ainsi l'existence du lien par rapport au contenu précis des dispositions du texte initial, déposé sur le bureau de la première assemblée saisie 6 ( * ) .
Pour les lois ordinaires, le seul critère d'analyse est le lien matériel entre le texte initial et l'amendement, la modification de l'intitulé au cours de la navette restant sans effet sur la présence de « cavaliers » dans le texte 7 ( * ) . Pour les lois organiques, le Conseil constitutionnel ajoute un second critère : il considère comme un « cavalier » toute disposition organique prise sur un fondement constitutionnel différent de celui sur lequel a été pris le texte initial 8 ( * ) .

En application des articles 17 bis et 44 bis du Règlement du Sénat, il revient à la commission saisie au fond de se prononcer sur les irrecevabilités résultant de l'article 45 de la Constitution, étant précisé que le Conseil constitutionnel les soulève d'office lorsqu'il est saisi d'un texte de loi avant sa promulgation.

En application du vademecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des Présidents, la commission des affaires économiques a arrêté, lors de sa réunion du mercredi 25 janvier 2023, le périmètre indicatif de la proposition de loi n° 28 (2022-2023) visant à régulariser le PLUi de la communauté de communes du Bas Chablais.

Elle a considéré que sont susceptibles de présenter un lien, même indirect, avec le texte déposé, les dispositions relatives aux documents d'urbanisme et aux décisions réglementaires applicables au projet de liaison 2x2 voies entre Machilly et Thonon-les Bains.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Mardi 13 décembre 2022

- Communauté de communes de Thonon Agglomération : MM. Christophe ARMINJON , président, Christophe SONGEON , vice-président, Lionel BOULENS , directeur général des services, et Mme Carole ECHERNIER , directrice de pôle.

- Préfecture de Haute-Savoie : M. Yves LE BRETON , préfet.

- Conseil régional de la région Auvergne-Rhône-Alpes : Mme Florence DUVAND , conseillère déléguée aux stations thermales.

Mardi 20 décembre 2022

- Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires :

- Direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) : MM. Abdel BENDAIRA , sous-directeur adjoint des financements innovants et du contrôle des concessions d'autoroutes, et Jean RICARD , chef du bureau de la dévolution.

- Direction des affaires juridiques (DAJ) : M. Frédéric PLAS , chef du bureau des affaires juridiques de l'urbanisme et de l'aménagement, et Mme Sophie MALET , adjointe au sous-directeur des affaires juridiques de l'environnement, de l'urbanisme et de l'habitat.

- Conseil départemental de la Haute-Savoie : M. Martial SADDIER , président.

- Table ronde des communes concernées par le projet de liaison 2x2 voies : MM. Christophe SONGEON , maire de Ballaison et 1 er vice-président de Thonon-Agglomération, René GIRARD , maire de Lully, Michel BRUGNARD , maire de Brenthonne, Patrick CONDEVAUX , maire de Fessy, Patrick BONDAZ , maire de Margencel, Christophe ARMINJON , maire de Thonon-les-Bains et président de Thonon Agglomération, Mme Anne MAGNIEZ , 1 ère adjointe au maire de Bons-en-Chablais, MM. Philippe DOMBRAT , adjoint en charge de la voirie de Bons-en-Chablais, Pierre GILIBERT , adjoint en charge des questions économiques et touristiques de Bons-en-Chablais, François DEVILLE , maire d'Allinges, et Claude MANILLIER , maire de Perrignier.

Jeudi 22 décembre 2022

- Syndicat Intercommunal d'Aménagement du Chablais (SIAC) : Mme Géraldine PFLIEGER , présidente.

LA LOI EN CONSTRUCTION

Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, visualiser les apports de chaque assemblée, comprendre les impacts sur le droit en vigueur, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl22-028.html


* 1 Décret du 24 décembre 2019 déclarant d'utilité publique les travaux de création d'une liaison à 2×2 voies entre Machilly et Thonon-les-Bains, dans le département de la Haute-Savoie, conférant le statut autoroutier à la liaison nouvellement créée et portant mise en compatibilité des documents d'urbanisme des communes de Machilly, Bons-en-Chablais, Ballaison, Brenthonne, Fessy, Lully, Perrignier, Allinges, Margencel et Thonon-les-Bains.

* 2 Machilly, Bons-en-Chablais, Ballaison, Brenthonne, Fessy, Lully, Perrignier, Allinges, Margencel et Thonon-les-Bains.

* 3 L'élaboration du PLUi du Bas-Chablais, prescrite par la communauté de communes du même nom, a été menée à son terme par la Communauté d'agglomération de Thonon agglomération, issue de la fusion des communautés des communes du Bas-Chablais et des Collines du Léman, ainsi que la ville de Thonon-les-Bains.

* 4 Absence d'emplacements réservés nécessaires, zonage inadapté en raison de zones A ou N, absence de règles écrites spécifiques relatives à ces zones et notamment aux activités qui y sont permises.

* 5 Cf. commentaire de la décision n° 2010-617 DC du 9 novembre 2010 - Loi portant réforme des retraites.

* 6 Cf. par exemple les décisions n° 2015-719 DC du 13 août 2015 - Loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne et n° 2016-738 DC du 10 novembre 2016 - Loi visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias.

* 7 Décision n° 2007-546 DC du 25 janvier 2007 - Loi ratifiant l'ordonnance n° 2005-1040 du 26 août 2005 relative à l'organisation de certaines professions de santé et à la répression de l'usurpation de titres et de l'exercice illégal de ces professions et modifiant le code de la santé publique.

* 8 Décision n° 2020-802 DC du 30 juillet 2020 - Loi organique portant report de l'élection de six sénateurs représentant les Français établis hors de France et des élections partielles pour les députés et les sénateurs représentant les Français établis hors de France.

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