EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er
Application du salaire minimum conventionnel au personnel
assurant certaines liaisons maritimes internationales

Cet article propose que le salaire minimum de branche s'applique aux employés des navires assurant des liaisons maritimes internationales touchant un port français. Dans sa version transmise au Sénat, il prévoit en outre une équivalence entre la durée d'embarquement et le temps de repos applicables à ces salariés.

La commission a adopté cet article en supprimant la peine d'interdiction d'accoster en cas de troisième infraction à l'obligation de verser le salaire minimum conventionnel et en procédant à divers ajustements rédactionnels.

I - Le dispositif proposé

A. Le droit du travail applicable au personnel à bord des navires assurant le transport de passagers sur des liaisons internationales

1. Le libre pavillonnement des navires et ses conséquences sur le droit social applicable aux gens de mer

Les règles applicables aux navires et à leurs équipages dépendent de la nationalité de leur pavillon, qui correspond à l'État auquel le navire est rattaché, dans lequel il est immatriculé et dont il relève juridiquement en haute mer.

La Convention des Nations unies sur le droit de la mer de 1982, dite de Montego Bay, stipule à son article 91 que « chaque État fixe les conditions auxquelles il soumet l'attribution de sa nationalité aux navires, les conditions d'immatriculation des navires sur son territoire et les conditions requises pour qu'ils aient le droit de battre son pavillon. Les navires possèdent la nationalité de l'État dont ils sont autorisés à battre le pavillon. Il doit exister un lien substantiel entre l'État et le navire. Chaque État délivre aux navires auxquels il a accordé le droit de battre son pavillon des documents à cet effet. »

Cette convention prévoit en outre, à son article 94 que « tout État exerce effectivement sa juridiction et son contrôle dans les domaines administratif, technique et social sur les navires battant son pavillon. [...] Tout État prend à l'égard des navires battant son pavillon les mesures nécessaires pour assurer la sécurité en mer, notamment en ce qui concerne : [...] la composition, les conditions de travail et la formation des équipages, en tenant compte des instruments internationaux applicables. »

Les navires commerciaux assurant des liaisons internationales sont libres de choisir leur pavillon, sous réserve de respecter les conditions fixées par l'État du pavillon, le lien substantiel entre l'État et le navire étant, en pratique, peu respecté par de nombreux États pour accorder l'octroi de leur pavillon.

Au sein de l'Union européenne, le principe de la libre prestation des services est applicable au transport maritime international entre États membres et entre ces États et des pays tiers6(*). Les navires assurant des liaisons entre ces États peuvent en conséquence choisir librement leur pavillon.

Concernant le droit social applicable aux employés embarqués sur ces navires, le droit de l'Union européenne prévoit en outre, sur le fondement du Règlement dit Rome I, que « le contrat individuel de travail est régi par la loi choisie par les parties. »7(*) Les employeurs ne sont donc contraints que par les règles imposées par l'État du pavillon.

Si les règles découlant du pavillon le permettent, le principe de libre choix de la loi applicable au contrat de travail autorise l'application de la loi d'un autre État que l'État du pavillon du navire. En matière de salaire, aucune obligation n'est prévue par le droit international, l'Organisation internationale du travail n'ayant émis qu'une recommandation pour que le salaire minimum mensuel des marins soit fixé à au moins 658 dollars américains8(*).

Les navires battant pavillon français sont tenus de respecter le code du travail, sous réserve des adaptations prévues par le code des transports pour les gens de mer9(*) en raison des spécificités du travail à bord d'un navire.

2. Le transport de passagers sur les liaisons transmanche : émergence de pratiques de « dumping social »

Ce cadre légal et conventionnel relativement souple a récemment conduit certaines compagnies assurant des liaisons entre la France et le Royaume-Uni à opter pour des pavillons n'offrant que de faibles garanties en matière de droits sociaux, permettant ainsi aux entreprises d'optimiser leurs coûts et de baisser leurs tarifs.

Nationalités du pavillon et du personnel des navires
par compagnie opérant des liaisons transmanche

Compagnie

Pavillon des navires

Nationalité des gens de mer

Brittany Ferries

France

France ou UE

DFDS

France
et Royaume-Uni

France ou UE (1)

P&O Ferries

Chypre

Officiers majoritairement britanniques ; marins et personnel d'exécution majoritairement philippins

Irish Ferries

Chypre

Majoritairement d'États membres
de l'est de l'UE

Condor Ferries

Bahamas

Non communiqué

Source : Réponses des services du Gouvernement aux questions du rapporteur

(2) Pour les 5 navires de DFDS battant pavillon français, sur les 8 navires opérant sur le transmanche.

Ainsi, le 17 mars 2022, la compagnie P&O Ferries a licencié, avec effet immédiat, 786 marins. Ils ont été remplacés par des employés rémunérés à des niveaux bien inférieurs au salaire minimum britannique, avec des conditions de travail dégradées10(*).

Selon Armateurs de France, entendu par le rapporteur, les compagnies P&O Ferries et Irish Ferries disposent de sept navires qui opèrent entre Calais et Douvres en utilisant un modèle social « moins disant ». Ces armateurs font appel à des sociétés de placement de gens de mer pour leurs navires, qui emploient du personnel très faiblement rémunéré comparativement aux salaires minima français ou britanniques. Armateurs de France estime ainsi que les salaires de base de ces personnes sont inférieurs de 60 % aux salaires français. En outre, ces compagnies imposent des durées d'embarquement des employés pouvant aller jusqu'à 12 semaines avec seulement 2 semaines de repos à terre non rémunérées.

À titre de comparaison, Brittany Ferries a indiqué appliquer comme organisation du travail une période de 7 jours d'embarquement, suivie de 7 jours de repos rémunéré. DFDS a indiqué que le rythme de travail des gens de mer à bord de ses navires était de 14 jours embarqués et 14 jours de repos. Cette organisation du travail repose sur des accords d'entreprise sans obligation légale ou conventionnelle au niveau de la branche professionnelle.

L'organisation Armateurs de France estime ainsi que ce « dumping social » aboutit à un écart de 35 % de coût de production du transport entre ces compagnies et celles qui utilisent le pavillon français.

Interrogées par le rapporteur sur la rémunération et les conditions de travail du personnel à bord de leurs navires opérant entre la France et le Royaume-Uni, les deux compagnies mises en cause ont apporté, par écrit, les réponses suivantes :

- P&O Ferries a indiqué : « Le bien-être des marins est primordial pour nous. Nous avons opté pour un modèle d'équipage tiers qui nous incite à garantir des niveaux élevés de bien-être, ce qui est bénéfique non seulement pour les marins, mais favorise également de bons taux de recrutement et de fidélisation » ;

- Irish Ferries a indiqué : « En général, les officiers travaillent 2 semaines à bord, 2 semaines en congé ; le personnel navigant d'exécution travaille 6 semaines à bord, 3 semaines en congé ; nous avons un modèle externalisé à bord de nos navires, nous ne sommes pas l'employeur du personnel à bord, la rémunération est une affaire privée entre employeur et employé. Tous les membres d'équipage sont payés nettement au-dessus du salaire minimum de leur pays de résidence et approximativement au niveau des salaires minima britannique et français.11(*) »

Les armateurs français et les organisations syndicales représentant les marins français dénoncent l'optimisation pratiquée par certaines compagnies pour le transport maritime de passagers entre la France et le Royaume-Uni. Si ces pratiques sont légales, elles perturbent significativement le marché du transport maritime transmanche, elles dégradent considérablement les droits sociaux du personnel employé à bord des navires et elles fragilisent la sécurité de la navigation sur l'un des détroits les plus fréquentés au monde.

3. La loi de police : invoquer un intérêt national pour imposer le respect de normes minimales

Si le cadre légal et conventionnel applicable aux liaisons maritimes internationales permet aux opérateurs de choisir des conditions sociales minimales pour le personnel employé à bord, il offre aussi la possibilité aux États de faire valoir leurs intérêts nationaux pour imposer certaines règles impératives.

D'une part, l'article 25 de la Convention de Montego Bay stipule que « l'État côtier peut prendre, dans sa mer territoriale, les mesures nécessaires pour empêcher tout passage qui n'est pas inoffensif. En ce qui concerne les navires qui se rendent dans les eaux intérieures ou dans une installation portuaire située en dehors de ces eaux, l'État côtier a également le droit de prendre les mesures nécessaires pour prévenir toute violation des conditions auxquelles est subordonnée l'admission de ces navires dans ces eaux ou cette installation portuaire. »

Il peut être considéré que certaines conditions sociales peuvent, sur ce fondement, être imposées par un État aux navires accostant dans un de ses ports.

D'autre part, l'article 9 du Règlement Rome I définit le régime juridique des « lois de police ». Il prévoit que « 1. Une loi de police est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d'en exiger l'application à toute situation entrant dans son champ d'application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d'après le présent règlement. / 2. Les dispositions du présent règlement ne pourront porter atteinte à l'application des lois de police du juge saisi. / 3. Il pourra également être donné effet aux lois de police du pays dans lequel les obligations découlant du contrat doivent être ou ont été exécutées, dans la mesure où lesdites lois de police rendent l'exécution du contrat illégale. Pour décider si effet doit être donné à ces lois de police, il est tenu compte de leur nature et de leur objet, ainsi que des conséquences de leur application ou de leur non-application. »

Une disposition impérative en matière de droit du travail applicable aux gens de mer pourrait être considérée comme une loi de police si elle est jugée cruciale pour la sauvegarde de l'organisation sociale et économique de notre pays. Elle pourrait alors s'imposer aux contrats de travail des salariés embarqués sur les navires assurant le transport de passagers entre la France et le Royaume-Uni, quelle que soit la loi choisie pour régir le contrat de travail en application de l'article 8 du Règlement Rome I.

Cette restriction de la liberté contractuelle et de la libre prestation des services, garanties par le droit de l'Union européenne, serait conforme au droit de l'Union et revêtirait le caractère d'une loi de police si le juge du for considère qu'elle répond à la sauvegarde d'un intérêt national essentiel qui ne serait pas protégé par une norme déjà applicable, et qu'elle est proportionnée à l'objectif poursuivi12(*).

Dans le contexte de « dumping social » constaté sur les liaisons transmanche et sur le fondement du droit de l'Union européenne autorisant de telles dispositions impératives, l'article 1er de la proposition de loi entend imposer le respect du salaire minimum de branche applicable en France aux gens de mer employés sur les navires assurant le transport de passagers sur certaines liaisons entre la France et un pays étranger, quelle que soit la loi applicable aux contrats de travail des salariés concernés.

Le Royaume-Uni s'est engagé dans une démarche analogue et concomitante.

Un projet de loi britannique sur le salaire minimum

Le projet de loi britannique a été adopté par le Parlement britannique le 28 mars dernier (Seaferer's Wages Bill). Ce texte législatif sera pleinement en vigueur une fois la secoundary legislation adoptée, ce qui devrait être le cas début 2024. Il vise à rendre applicable le salaire minimal horaire britannique sur les navires assurant un service international de transport de passagers ou de marchandises sous réserve que ces navires entrent dans un port britannique au moins 120 fois au cours d'une année considérée.

Source : Réponses des services du Gouvernement au questionnaire du rapporteur

B. Imposer la rémunération du personnel navigant à un niveau au moins égal au salaire minimum de branche applicable en France

Le présent article crée un titre IX, intitulé « Conditions sociales applicables à certaines dessertes internationales » et composé de cinq chapitres, au sein du livre V de la cinquième partie du code des transports.

Le chapitre Ier définit le champ d'application des dispositions de ce nouveau titre. Il prévoit son application aux navires transporteurs de passagers assurant des lignes régulières internationales touchant un port français. Ces lignes seront déterminées selon des critères d'exploitation, notamment la fréquence de touchée d'un port français, fixés par décret en Conseil d'État (article L. 5591-1). Il prévoit en outre que ce titre s'applique aux contrats de travail des salariés employés sur les navires assurant ces lignes régulières (article L. 5591-2).

Le chapitre II, intitulé « droit des salariés », prévoit que le salaire minimum horaire des salariés employés sur les navires assurant les liaisons visées par le présent article devra être conforme aux dispositions légales et aux stipulations conventionnelles applicables aux salariés employés par les entreprises de la même branche d'activité établies en France. En conséquence, le personnel à bord de ces navires devra être rémunéré au moins au niveau du salaire minimum de branche. Il est précisé que cette obligation ne sera applicable que pour les périodes au cours desquelles les navires sont exploités sur les lignes régulières visées par le présent article (article L. 5592-1).

Le chapitre III, intitulé « documents obligatoires », prévoit qu'un décret fixe la liste des documents obligatoires qui sont tenus à la disposition des membres de l'équipage et affichés dans les locaux qui leur sont réservés, ainsi que les langues dans lesquelles ces documents doivent être disponibles (article L. 5593-1). Il précise que la liste des documents tenus à la disposition des agents pouvant contrôler le navire et dont ils peuvent prendre copie est fixée par décret (article L. 5593-2).

Le chapitre IV institue un régime de sanctions pénales. Le fait pour l'employer de verser au personnel navigant un salaire minimum horaire inférieur au salaire minimum de branche, tel que prévu au chapitre II, sera puni d'un amende de 3 750 euros, lorsque le navire sera dans les eaux intérieures ou dans une installation portuaire située en dehors de ces eaux. Les mêmes peines seront applicables à l'armateur du navire à bord duquel est employé le salarié. Il est précisé que la récidive sera punie de six mois d'emprisonnement et d'une amende de 7 500 euros. Les infractions donneront lieu à autant d'amendes qu'il y a de salariés concernés (article L. 5594-1).

Le chapitre V, intitulé « constatations des infractions », dresse la liste des personnes habilitées à constater les infractions aux dispositions de ce nouveau titre. Il prévoit qu'elles pourront être constatées par les officiers et les fonctionnaires affectés dans les services exerçant des missions de contrôle dans le domaine des affaires maritimes sous l'autorité ou à la disposition du ministre chargé de la mer, et par les administrateurs des affaires maritimes, les officiers du corps technique et administratif des affaires maritimes, le délégué à la mer et au littoral, ainsi que les agents publics commissionnés à cet effet par décision du directeur interrégional de la mer et assermentés13(*) (article L. 5595-1).

Ces personnes seront habilitées à demander à l'employeur, à l'armateur, à la personne faisant fonction, ainsi qu'à toute personne employée à quelque titre que ce soit à bord d'un navire, de justifier de son identité, de son adresse et, le cas échéant, de sa qualité de salarié à bord du navire (article L. 5595-2).

II - Les modifications adoptées par l'Assemblée nationale

A. En commission

 Les députés ont adopté trois amendements identiques du rapporteur, de MM. Freddy Sertin et Paul Christophe imposant pour les salariés employés sur les navires une durée de repos équivalente à la durée d'embarquement, dans « l'intérêt de la sécurité de la navigation et de la lutte contre les pollutions marines ».

Ces amendements ont été complétés par un sous-amendement de M. Sébastien Jumel qui instaure un régime de sanctions pénales en cas de manquement à cette obligation. Il prévoit que lorsque le navire est dans les eaux intérieures ou dans une installation portuaire située en dehors de ces eaux, est puni d'une amende de 3 750 euros le fait pour l'employeur de ne pas respecter cette obligation. Les mêmes peines sont applicables à l'armateur du navire à bord duquel est employé le salarié. La récidive est punie d'un emprisonnement de 6 mois et d'une amende 7 500 euros. Les infractions donnent lieu à autant d'amendes qu'il y a de salariés concernés.

 Six amendements rédactionnels du rapporteur ont également été adoptés.

B. En séance publique

 L'Assemblée nationale a adopté un amendement de Mme Claudia Rouaux précisant que le décret en Conseil d'État qui fixera les critères retenus pour désigner les liaisons maritimes concernées par l'article 1er sera pris après avis du Conseil supérieur de la marine marchande.

 Un amendement de M. Matthias Tavel précise que les obligations relatives au salaire minimum s'appliqueront aux salariés mis à disposition par les services privés de recrutement et de placement de gens de mer.

 Trois amendements identiques de MM. Freddy Sertin, Paul Christophe et Jimmy Pahun visent à renforcer les sanctions pénales en doublant les montants des amendes pouvant être infligées en cas de méconnaissance des obligations relatives au salaire minimum et à l'équivalence entre temps d'embarquement et temps de repos. Le montant de l'amende serait ainsi porté de 3 750 euros à 7 500 euros en cas de première infraction et de 7 500 euros à 15 000 euros en cas de récidive.

 Un amendement de M. Matthias Tavel crée une sanction pénale en cas de troisième infraction constatée en matière de rémunération minimale. Dans ce cas, une interdiction d'accoster dans un port français pourra être prononcée à l'encontre des navires appartenant à la compagnie maritime en infraction. La durée de l'interdiction sera précisée par décret en Conseil d'État.

 Trois amendements identiques de MM. Freddy Sertin, Paul Christophe et Jimmy Pahun créent un régime de sanctions administratives pouvant être infligées en cas de méconnaissance des obligations relatives au salaire minimum et à l'équivalence entre temps d'embarquement et temps de repos.

Ces amendements introduisent, au sein du titre créé par le présent article, un chapitre VI intitulé « sanctions administratives ». Ce chapitre prévoit que le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi pourra, sur le rapport de l'inspection du travail, des personnes habilitées par le présent article à constater les infractions à bord des navires et des commandants ou commandants en second des bâtiments de l'État et des chefs de bord des aéronefs de l'État, prononcer à l'encontre de l'armateur une amende en cas de manquement aux obligations relatives au salaire minimum et à l'équivalence entre temps d'embarquement et temps de repos posées par le présent article, sous réserve de l'absence de poursuites pénales (article L. 5596-1).

Lorsque l'amende sera prononcée, l'autorité administrative devra informer par tout moyen le procureur de la République des suites données au rapport des agents de contrôle (article L. 5596-2).

Le montant maximal de l'amende est fixé à 4 000 euros et pourra être appliqué autant de fois qu'il y a de salariés concernés. Le plafond de l'amende sera doublé en cas de manquement constaté dans un délai de deux ans à compter de la notification de l'amende concernant un précédent manquement de même nature. Ce montant sera majoré de 50 % en cas de nouveau manquement constaté dans un délai d'un an à compter de la notification d'un avertissement concernant un précédent manquement de même nature (article L. 5596-3).

Pour fixer le montant de l'amende, l'autorité administrative devra prendre en compte les circonstances et la gravité du manquement, le comportement de son auteur, ainsi que ses ressources et ses charges (article L. 5596-4). Elle devra, avant toute décision, informer par écrit l'armateur de la sanction envisagée, en portant à sa connaissance le manquement retenu à son encontre et en l'invitant à présenter ses observations dans un délai d'un mois. À l'expiration de ce délai, l'autorité administrative pourra prononcer l'amende et émettre le titre de perception correspondant (article L. 5596-5).

La décision d'infliger une amende ne pourra être prise plus de deux ans après le jour où le manquement a été commis (article L. 5596-6). Cette décision ne pourra pas faire l'objet d'un recours hiérarchique (article L. 5596-7). L'amende sera recouvrée selon les modalités prévues pour les créances de l'État étrangères à l'impôt et au domaine (article L. 5596-8).

 Cinq amendements rédactionnels du rapporteur ont également été adoptés.

L'Assemblée nationale a adopté cet article ainsi modifié.

III - La position de la commission

La situation actuelle du transport de passagers entre la France et le Royaume-Uni présente plusieurs dysfonctionnements et fragilités auxquels le présent article apporte de premières réponses. En effet, les pratiques de « dumping social » à l'oeuvre sur ces liaisons déstabilisent le marché du transport maritime transmanche, dans le cadre d'un marché concurrentiel européen entre compagnies et entre ports, et peut également avoir des effets sur le transport ferroviaire et aérien entre la France et le Royaume-Uni.

En outre, la dégradation des conditions de rémunération et de travail du personnel employé sur ces navires n'est pas acceptable : elle ne garantit pas des droits sociaux satisfaisants pour le personnel employé et elle conduit au licenciement de marins français, britanniques ou d'États membres de l'Union européenne. Enfin, le risque d'accidents peut être accentué en raison de conditions de travail dégradées, notamment par la diminution du temps de repos, fragilisant ainsi la sécurité de la navigation dans une zone très fréquentée.

Pour ces raisons, le rapporteur soutient le dispositif proposé. La situation ainsi décrite compromet la sauvegarde de l'organisation sociale et économique de notre pays et porte atteinte à un intérêt crucial de la France. En conséquence, le rapporteur estime que les dispositions du présent article pourraient revêtir le caractère d'une loi de police.

Toutefois, le rapporteur considère que les mesures du présent article doivent poser des obligations, assorties de sanctions, strictement proportionnées à l'objectif poursuivi afin qu'elles ne soient pas jugées contraires au droit de l'Union européenne et à notre Constitution. Le rapporteur s'est ainsi attaché à solliciter l'avis des administrations centrales compétentes, d'universitaires spécialistes du droit européen et du droit maritime et des services de la Commission européenne14(*). Il ressort de ces sollicitations que le risque qu'une juridiction considère le présent article comme non conforme au droit de l'Union européenne ne peut être écarté. Il est donc apparu nécessaire au rapporteur de limiter ce risque en proposant à la commission d'ajuster les dispositions du présent article afin qu'elles soient proportionnées à l'objectif poursuivi, sans en amoindrir la portée.

 Dès lors, la commission a adopté l'amendement COM-3 du rapporteur qui prévoit que la sécurité de la navigation et la lutte contre les pollutions marines soient concrètement prises en compte pour déterminer par décret la durée maximale d'embarquement, plutôt que d'affirmer dans la loi ces objectifs.

 Sur proposition du rapporteur (amendement COM-4), la commission a supprimé la peine d'interdiction d'accoster dans un port français prononcée en cas de troisième infraction au versement du salaire minimum à l'encontre des navires appartenant à la compagnie fautive.

Cette sanction, créée au sein du régime de sanctions pénales, présente de nombreuses fragilités juridiques, confirmées par les services du Gouvernement interrogés par le rapporteur.

Tout d'abord, la nature de la sanction n'est pas suffisamment précise, la notion de « troisième infraction » étant difficile à caractériser et sans équivalent en droit pénal. Elle pourrait être entendue comme une peine devant être obligatoirement prononcée par le juge, ce qui risque de méconnaitre le principe d'individualisation des peines qui découle de l'article 8 de la Déclaration de 1789. En outre, renvoyer à un décret en Conseil d'État le soin de fixer la durée de l'interdiction d'accoster contrevient au principe constitutionnel de légalité des délits et des peines.

Par ailleurs, alors que la récidive est déjà punie, sur le fondement du présent article, de 15 000 euros d'amende et de six mois d'emprisonnement, ce qui constitue un quantum de peine largement supérieur au droit pénal général, la peine d'accoster pourrait être considérée comme manifestement disproportionnée.

Au total, le rapporteur considère que les peines prévues en cas de première infraction puis en cas de récidive sont suffisamment dissuasives pour assurer l'effectivité du dispositif proposé. Il n'est donc pas utile de prendre le risque que l'article 1er soit considéré comme contraire à la Constitution et au droit de l'Union européenne au motif qu'il comporte une sanction disproportionnée et insuffisamment définie.

 La commission a adopté l'amendement COM-7 du rapporteur qui prévoit que l'autorité administrative pourra prononcer, alternativement à une amende administrative, un avertissement à l'employeur ou à l'armateur en cas de manquement aux obligations posées au présent article. Cette disposition rapproche le régime de sanctions administratives créé à l'article 1er du droit commun du travail, qui prévoit cette procédure d'avertissement, afin de garantir la gradation des sanctions et la proportionnalité des peines.

 En outre, la commission a adopté l'amendement COM-8 du rapporteur qui prévoit que l'article 1er entre en vigueur le 1er janvier 2024. Cette précision donnera aux employeurs une prévisibilité suffisante pour tirer les conséquences des règles de droit du travail imposées au personnel à bord des navires, et évitera ainsi que le texte ne soit applicable sans préavis, au moment de la publication des décrets d'application, aux gens de mer qui seraient embarqués au même moment à bord de navires.

Enfin, la commission a adopté quatre amendements du rapporteur, de portée technique et rédactionnelle, visant à :

- supprimer la mention de l'avis du Conseil supérieur de la marine marchande sur le décret qui déterminera les liaisons maritimes visées par l'article 1er, cette consultation étant déjà prévue par un décret du 29 avril 2002 (amendement COM-1) ;

- préciser le champ d'application de l'article 1er (amendement COM-2) ;

- supprimer un intitulé obsolète et de niveau réglementaire (amendement COM-5) ;

- corriger une erreur de référence (amendement COM-6).

La commission a adopté cet article ainsi modifié.

Article 1er bis
Renforcement des sanctions pénales dans le cadre
du dispositif de l'État d'accueil

Cet article, inséré à l'Assemblée nationale, tend à alourdir les sanctions pénales applicables en cas de non-respect du salaire minimum aux navires entrant dans le champ d'application du dispositif de l'État d'accueil, notamment ceux transportant des passagers entre la Corse et le continent.

La commission a supprimé cet article.

I - Le dispositif adopté par l'Assemblée nationale

A. Le dispositif de l'État d'accueil vise à limiter la concurrence sociale intra-européenne dans le transport maritime

1. Un régime applicable sur les liaisons Corse-continent

Le dispositif dit de l'« État d'accueil », prévu par le règlement européen du 7 décembre 199215(*), vise à garantir l'application de règles uniformes en matière de droit du travail et de protection sociale à bord des navires opérant sur certaines liaisons maritimes ou réalisant certaines prestations de services à l'intérieur des eaux d'un État membre.

En droit français, ce dispositif a été codifié aux articles L. 5561-1 et suivants et aux articles R. 5561-1 et suivants du code des transports.

Entrent dans le champ d'application de ce dispositif, quel que soit leur pavillon, les navires16(*) :

- ayant accès au cabotage maritime national et assurant un service de cabotage continental et de croisière d'une jauge brute de moins de 650 ;

- ayant accès au cabotage maritime national et assurant un service de cabotage avec les îles, à l'exception des navires de transport de marchandises d'une jauge brute supérieure à 650 lorsque le voyage concerné suit ou précède un voyage à destination d'un autre État ou à partir d'un autre État ;

- utilisés pour fournir une prestation de service réalisée à titre principal dans les eaux territoriales ou intérieures françaises ;

- utilisés pour toute activité de prestation de service exercée sur le plateau continental ou dans la zone économique exclusive (ZEE) en vue de la construction, de l'installation, de la maintenance et de l'exploitation d'installations relatives à la production d'énergie renouvelable en mer.

En particulier, les lignes de transport de passagers reliant la Corse et la France continentale relèvent du champ d'application du dispositif. En revanche, les navires assurant un service de cabotage entre ports situés dans les outre-mer ou les navires réalisant une prestation de service dans les eaux territoriales ultra-marines ne sont pas concernés.

2. L'application à tous les navires du droit social d'un État membre

Les navires entrant dans le champ d'application du dispositif sont soumis aux mêmes dispositions relatives à la nationalité des équipages et aux effectifs à bord que les navires battant pavillon français immatriculés au 1er registre17(*). Ainsi, le capitaine et l'officier chargé de sa suppléance doivent être ressortissants d'un État membre de l'Union européenne (UE), d'un État partie à l'accord sur l'Espace économique européen (EEE), de la Confédération suisse ou d'un autre État partie à tout accord international ayant la même portée en matière de droit au séjour et au travail.

En matière de droit du travail, les dispositions légales et les stipulations conventionnelles applicables aux salariés employés sur les navires relevant du dispositif de l'État d'accueil sont celles applicables aux salariés employés par les entreprises de la même branche d'activité établies en France (voir l'encadré ci-après).

Par ailleurs, les gens de mer employés à bord d'un navire concerné par le dispositif bénéficient obligatoirement du régime de protection sociale de l'un des États membres de l'UE ou d'un État partie à l'accord sur l'EEE comprenant une couverture des risques santé (prenant en charge les accidents du travail et les maladies professionnelles), maternité-famille, emploi et vieillesse18(*).

En conséquence, les liaisons maritimes concernées sont protégées des pratiques de dumping social contre lesquelles l'article 1er de la proposition de loi entend lutter.

L'application des mêmes garanties de protection des salariés
que dans les entreprises françaises de la branche

Les dispositions légales et les stipulations conventionnelles applicables aux salariés employés sur les navires relevant du dispositif de l'État d'accueil sont celles applicables aux salariés employés par les entreprises de la même branche d'activité établies en France, pour les matières suivantes19(*) :

1° Libertés individuelles et collectives dans la relation de travail ;

2° Discriminations et égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ;

3° Protection de la maternité, congés de maternité, de paternité et d'accueil de l'enfant, congés pour événements familiaux ;

4° Conditions de mise à disposition et garanties dues aux salariés par les entreprises exerçant une activité de travail temporaire ;

5° Exercice du droit de grève ;

6° Durée du travail, repos compensateurs, jours fériés, congés annuels payés, durée du travail et travail de nuit des jeunes travailleurs ;

7° Salaire minimum et paiement du salaire, y compris les majorations pour les heures supplémentaires ;

8° Règles relatives à la santé et à la sécurité au travail, âge d'admission au travail, emploi des enfants ;

9° Travail illégal.

3. Le régime des sanctions pénales applicable en matière de salaires

a) Le cadre réglementaire

Les sanctions pénales applicables en cas de non-respect du salaire minimum sont actuellement définies dans la partie réglementaire du code des transports.

Ainsi, l'article R. 5566-4 du code des transports punit de l'amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe, soit 1 500 euros20(*), le fait pour l'armateur de payer des salaires inférieurs au salaire minimum de croissance (SMIC) ou des rémunérations inférieures à la rémunération mensuelle minimale prévue par l'article L. 3232-1 du code du travail.

La récidive est punie de 3 000 euros pour les personnes physiques et de 15 000 euros pour les personnes morales, conformément aux articles 132-11 et 132-15 du code pénal.

Par ailleurs, le fait pour l'armateur de payer des salaires inférieurs à ceux fixés dans la convention collective ou l'accord collectif de travail étendu applicable aux navires battant pavillon français exerçant la même activité est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe, soit 750 euros21(*).

De même, le fait pour l'armateur de méconnaître les stipulations conventionnelles relatives aux accessoires du salaire prévus par la convention ou l'accord collectif de travail étendu applicable aux navires battant pavillon français est puni d'une amende de 750 euros22(*).

Les amendes sont prononcées autant de fois qu'il y a de salariés concernés.

b) Des sanctions peu dissuasives ?

Les peines applicables en matière de salaires dans le cadre du dispositif de l'État d'accueil sont identiques à celles qui s'appliquent actuellement dans le droit commun du travail pour des infractions équivalentes23(*).

En revanche, elles peuvent sembler peu élevées en comparaison d'autres sanctions pénales actuellement prévues dans le cadre du dispositif de l'État d'accueil. Ainsi, l'employeur qui recrute des gens de mer sans avoir établi un contrat de travail écrit, ou en ayant conclu un contrat de travail ne comportant pas les mentions prévues par la loi, est passible d'une amende 3 750 euros, la récidive étant punie de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende24(*). De même, l'employeur qui méconnaît l'obligation de faire bénéficier les gens de mer d'un régime de protection sociale européen couvrant obligatoirement les risques santé, maternité-famille, emploi et vieillesse risque une amende de 3 750 euros25(*).

Le contrôle du dispositif de l'État d'accueil26(*)

Sur l'ensemble du champ d'application du dispositif de l'État d'accueil, le système d'inspection du travail (SIT) a contrôlé :

- en 2022, 11 navires battant pavillons étrangers : 5 par la direction départementale de l'emploi, du travail et des solidarités (DDETS) de Loire-Atlantique, 5 par la DDETS de Seine-Maritime et 1 par la DDETS des Côtes-d'Armor ;

- en 2021, 11 navires battant pavillons étrangers : 3 par la DDETS de Loire-Atlantique, 4 par la DDETS du Var, 3 par la DDETS des Alpes-Maritimes et 1 par la DDETS du Nord.

Les principales infractions constatées par les agents de contrôle dans le cadre de l'État d'accueil ont été la non-présence à bord des documents utiles au contrôle, le non-respect de la réglementation relative au repos hebdomadaire et le non-respect du salaire minimal.

En 2022, 13 % des navires concernés par le dispositif de l'État d'accueil ont donc fait l'objet d'un contrôle. En comparaison 3,8 % des établissements tout régime confondu ont été contrôlés par l'inspection du travail en 2022.

B. La proposition de loi tend à alourdir les sanctions pénales applicables

L'article 1er bis a été introduit en séance publique à l'Assemblée nationale par l'adoption d'un amendement de M. Jean-Marc Zulesi (Renaissance).

Il vise à inscrire dans la loi et à renforcer le régime des sanctions pénales applicables en cas de non-respect du salaire minimum dans le cadre du dispositif de l'État d'accueil.

Les modifications de l'échelle des sanctions proposées par cet article sont retracées dans le tableau ci-dessous. Il est précisé que les infractions donnent lieu à autant d'amendes qu'il y a de salariés concernés.

Infraction

Sanctions prévues
par le droit existant

Sanctions prévues
par le droit proposé

1ère infraction

Récidive

1ère infraction

Récidive

Paiement de salaires inférieurs au SMIC ou de rémunérations inférieures à la rémunération mensuelle minimale

1 500 euros d'amende

3 000 euros d'amende (15 000 euros pour une personne morale)

7 500 euros d'amende

Six mois d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende

Paiement de salaires inférieurs à ceux fixés par la convention collective applicable aux navires battant pavillon français

750 euros d'amende

750 euros d'amende

7 500 euros d'amende

Six mois d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende

Méconnaissance des stipulations conventionnelles relatives aux accessoires de salaire

750 euros d'amende

750 euros d'amende

7 500 euros d'amende

Six mois d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende

Source : Commission des affaires sociales

II - La position de la commission : une mesure qui ne s'impose pas au sein de ce texte

En première analyse, l'introduction de mesures concernant le cabotage avec les îles françaises, notamment la Corse, dans un texte visant à lutter contre le dumping social sur le transmanche comporte un risque de brouillage des intentions du législateur à l'égard d'un texte par nature exposé à des contestations27(*). En outre, elle laisse entendre que la situation de ces deux marchés est comparable alors qu'il n'en est rien.

La desserte maritime de la Corse est organisée de manière duale avec, d'une part, une offre contrainte par une délégation de service public (DSP) et, d'autre part, une offre commerciale librement organisée.

L'opérateur français Corsica Ferries, dont les navires arborent le pavillon italien et sont immatriculés au registre international italien (RII), est leader du transport maritime « commercial » de passagers et propose des traversées entre la Corse et les ports de Toulon et Nice. Par ailleurs, les liaisons entre les ports corses et Marseille font l'objet de la DSP attribuée pour la période de 2023 à 2029 à Corsica Linea et à La Méridionale, opérateurs français exploitant des navires sous pavillon français et immatriculés au premier registre.

Le dispositif de l'État d'accueil empêche sur ces liaisons le développement de pratiques de dumping social, quel que soit le pavillon des navires. En revanche, il peut exister des problématiques de compétitivité pour les compagnies opérant sous pavillon français en raison des avantages fiscaux et sociaux et des conditions d'exploitation plus favorables dont bénéficient les compagnies utilisant le RII, qui sont à l'origine de tensions importantes.

Le rapporteur considère que ces enjeux de concurrence, notamment la question de l'harmonisation de l'usage des registres internationaux entre les États membres, doivent faire l'objet d'une réflexion au niveau européen. En revanche, la mesure proposée, qui introduit dans le cadre du dispositif de l'État d'accueil un régime de sanctions pénales exorbitant du droit commun du travail, ne semble pas de nature à répondre à ces problématiques.

Si l'objectif était de lutter contre d'éventuelles pratiques frauduleuses sur ce marché, il serait plus efficace de renforcer les moyens de contrôle et d'appliquer les sanctions existantes.

À l'initiative du rapporteur, la commission a donc adopté un amendement COM-9 de suppression.

La commission a supprimé cet article.

Article 1er ter
Création d'un régime de sanctions administratives
dans le cadre du dispositif de l'État d'accueil

Cet article, inséré à l'Assemblée nationale, tend à créer un régime de sanctions administratives applicable aux navires entrant dans le champ d'application du dispositif de l'État d'accueil.

La commission a supprimé cet article.

I - Le dispositif proposé par l'Assemblée nationale : la création d'un régime de sanctions administratives

A. L'absence actuelle de sanctions administratives

Le dispositif dit « de l'État d'accueil » permet de protéger du dumping social certaines liaisons maritimes intérieures, notamment celles reliant la Corse et la France continentale, en soumettant les navires concernés aux normes de droit du travail françaises28(*).

En cas d'infraction à ces normes, le code des transports prévoit un régime de sanctions pénales que l'article 1er bis de la proposition de loi vise à renforcer.

En revanche, le code des transports ne prévoit pas de possibilité d'infliger des sanctions administratives aux employeurs qui méconnaissent leurs obligations liées à l'application des conditions sociales du pays d'accueil. Seul le non-respect du salaire minimum par les employeurs relevant de ce dispositif peut faire l'objet d'une sanction administrative prévue par l'article L. 8115-1 du code du travail.

Introduit en séance publique à l'Assemblée nationale par un amendement de M. Jean-Marc Zulesi (Renaissance), l'article 1er ter vise à pallier cette lacune en complétant le titre du code des transports relatif au dispositif de l'État d'accueil, d'un chapitre VIII relatif aux sanctions administratives.

B. Le régime de sanctions proposé

1. Un champ matériel large qui exclut le salaire minimum

Cet article prévoit que le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi - devenu en 2021 le directeur régional de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (Dreets) - pourra prononcer à l'encontre de l'armateur une amende administrative en cas de manquement aux règles relatives :

- aux dispositions légales et aux stipulations conventionnelles applicables aux salariés employés par les entreprises de la même branche d'activité établies en France pour les matières mentionnées à l'article L. 5562-1 du code des transports29(*), à l'exception du salaire minimum, et en matière de contrat d'engagement des marins ;

- à la protection sociale30(*) ;

- à la déclaration des accidents survenus à bord31(*) ;

- aux personnels désignés pour aider les passagers en situation d'urgence32(*) ;

- aux documents obligatoires33(*).

L'amende pourrait être prononcée sur le rapport :

- des agents de contrôle de l'inspection du travail ;

- des officiers et des fonctionnaires affectés dans les services exerçant des missions de contrôle dans le domaine des affaires maritimes ;

- de certaines autorités habilités à constater les infractions au droit maritime34(*).

L'autorité administrative ne pourrait y recourir que sous réserve de l'absence de poursuites pénales. Lorsqu'une amende serait prononcée, le directeur régional informerait par tout moyen le procureur de la République des suites données au rapport des agents de contrôle.

2. Une échelle de sanctions qui correspond au droit commun du travail

Le texte fixe le montant maximal de l'amende administrative à 4 000 euros. Ce montant pourrait être appliqué autant de fois qu'il y a de manquements constatés aux règles relatives aux documents obligatoires ou de travailleurs concernés.

Ce plafond serait porté au double (soit 8 000 euros) en cas de nouveau manquement constaté dans un délai de deux ans. Il serait majoré de 50 % (soit 6 000 euros) en cas de nouveau manquement constaté dans le délai d'un an à la suite de la notification d'un avertissement concernant un précédent manquement de même nature.

Il est précisé que l'autorité administrative devrait prendre en compte les circonstances et la gravité du manquement, le comportement de son auteur, ainsi que ses ressources et ses charges pour fixer le montant de l'amende. Avant toute décision, elle devrait informer par écrit l'armateur de la sanction envisagée, en portant à sa connaissance le manquement retenu à son encontre et en l'invitant à présenter ses observations dans le délai d'un mois.

Le délai de prescription de l'action de l'administration pour la sanction du manquement par une amende administrative serait de deux ans. La décision d'infliger une sanction administrative ne pourrait pas faire l'objet d'un recours hiérarchique.

Ces dispositions, qu'il s'agisse des plafonds des amendes pouvant être infligées ou de la procédure prévue, sont similaires aux dispositions du code du travail en matière de sanctions administratives35(*).

II - La position de la commission : une source de complexité et de confusion

Étant entendu que la possibilité de contrôles et de sanctions administratives existe déjà dans le cadre du dispositif de l'État d'accueil, les auditions menées par le rapporteur n'ont pas mis en évidence la nécessité de créer un régime de sanctions ad hoc.

En excluant la question du salaire minimum, qui resterait l'apanage de l'administration du travail, cet article introduit en outre une dualité de régimes de contrôle qui semble inutilement complexe.

Comme l'article 1er bis, cet article, qui s'appliquerait notamment sur les liaisons Corse-continent, entretient enfin une confusion avec la situation du transmanche qui n'a rien de comparable.

Pour ces raisons, la commission a adopté sur proposition du rapporteur un amendement COM-10 de suppression.

La commission a supprimé cet article.

Article 2
Contrôle de l'aptitude médicale des gens de mer

Cet article vise à préciser la sanction pénale applicable en cas d'admission à bord d'un marin présentant un certificat médical d'aptitude établi à l'étranger non valide.

La commission a adopté cet article en étendant son dispositif aux gens de mer autres que les marins.

I - Le dispositif proposé

A. Un dispositif incomplet de contrôle de l'aptitude médicale des gens de mer étrangers

1. La sanction prévue en cas d'admission à bord d'un marin dépourvu de certificat d'aptitude valide

L'article L. 5521-1 du code des transports dispose que « nul ne peut accéder à la profession de marin s'il ne remplit des conditions d'aptitude médicale ». Les normes d'aptitude médicale à la navigation des gens de mer sont définies par un arrêté du 3 août 201736(*).

Pour les gens de mer résidents français des navires battant pavillon français, cette condition d'aptitude est contrôlée à titre gratuit par le service de santé des gens de mer (SSGM), service de médecine préventive relevant du ministère de la mer. Par dérogation, l'aptitude médicale des gens de mer employés sur des navires ne battant pas pavillon français en escale dans un port français ou des gens de mer non résidents employés sur des navires battant pavillon français peut être contrôlée par des médecins agréés n'appartenant pas au SSGM.

Le fait, pour l'armateur ou le capitaine, d'admettre à bord un membre de l'équipage ne disposant pas d'un certificat d'aptitude médicale valide délivré dans ces conditions est puni de six mois d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende37(*).

2. Le cas particulier des certificats établis à l'étranger

Par dérogation, les certificats d'aptitude médicale à la navigation des gens de mer à bord d'un navire battant pavillon français délivrés par un médecin sont reconnus lorsque :

- le médecin est établi dans un État étranger faisant application d'une convention de l'Organisation internationale du travail (OIT) ou de l'Organisation maritime internationale (OMI) comprenant des exigences relatives aux normes minimales d'aptitude médicale des gens de mer et des pêcheurs ;

- ce médecin est agréé à délivrer ces certificats à ce titre par les autorités de cet État ;

- les certificats d'aptitude médicale à la navigation ainsi délivrés respectent les normes minimales internationales, sont établis dans une langue comprenant au moins l'anglais et revêtus des références de l'agrément du médecin38(*).

En cas de fraude détectée avant l'embarquement, le « gens de mer » concerné n'est pas admis à embarquer. Si la fraude est révélée en cours d'embarquement, l'intéressé demeure à bord jusqu'au prochain port d'escale où un rapatriement est possible, sans pouvoir être considéré comme répondant à la fiche d'effectif. Le « gens de mer » concerné et, selon les circonstances, les personnes impliquées, peuvent faire l'objet de poursuites pénales.

S'agissant de l'armateur ou du capitaine, aucune disposition ne prévoit actuellement de sanction en cas de non-respect des conditions de reconnaissance des certificats d'aptitude médicale établis à l'étranger pour les gens de mer travaillant à bord des navires battant pavillon français.

B. La proposition d'étendre la sanction prévue en cas d'absence de certificat d'aptitude français valide

L'article 2 prévoit que la sanction pénale prévue par l'article L. 5523-6 du code des transports est également applicable en cas d'admission à bord d'un membre de l'équipage ne disposant pas d'un certificat médical établi à l'étranger dans les conditions prévues à l'article L. 5521-1-1 du même code ().

Il étend en outre cette disposition à Wallis-et-Futuna (), ainsi que dans les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) (). Par ailleurs, il rend applicables aux gens de mer autres que marins :

- à Wallis-et-Futuna, l'article L. 5523-1 du code des transports relatif à la constatation des infractions (b du 2°) ;

- dans les TAAF, l'article L. 5523-5 du même code concernant les sanctions pénales applicables en l'absence de fiche d'effectif minimal (du 3°).

II - Les modifications adoptées par l'Assemblée nationale

Aucun amendement n'a été adopté à l'Assemblée nationale sur cet article.

L'Assemblée nationale a adopté cet article sans modification.

III - La position de la commission : un dispositif à étendre aux gens de mer autres que les marins

Cet article, loin de s'appliquer aux seules liaisons transmanche, concerne tous les navires battant pavillon français.

Le rapporteur considère que ce dispositif, bien qu'il n'ait pas de lien avec la lutte contre le dumping social, est pertinent dans une perspective de sécurisation du contrôle de l'aptitude médicale des marins. En revanche, il pourrait utilement être étendu au cas d'admission à bord de tous gens de mer autres que des marins ne disposant pas d'un certificat d'aptitude médicale valide établi à l'étranger.

Marins et gens de mer

Le code des transports distingue :

- les gens de mer, définis comme toutes les personnes salariées ou non salariées exerçant à bord d'un navire une activité professionnelle à quelque titre que ce soit ;

- les marins, qui sont les gens de mer exerçant une activité directement liée à l'exploitation du navire39(*).

Les personnes exerçant certaines professions énumérées par décret sont toutefois réputées figurer au nombre des marins, notamment, à bord de l'ensemble des navires, les personnes affectées à la préparation ou au service des repas des gens de mer ou, à bord des navires à passagers, les personnes chargées de la propreté ou de l'accueil des passagers40(*).

La commission a donc adopté un amendement COM-11 complétant en ce sens le 2° de l'article L. 5523-6 du code des transports.

Elle a par ailleurs adopté un amendement COM-15 visant à corriger des erreurs de références au sein des coordinations relatives aux outre-mer.

La commission a adopté cet article ainsi modifié.

Article 3
Rapport sur le dumping social sur les lignes régulières de ferries
au sein de l'Union européenne

Cet article, inséré à l'Assemblée nationale, propose que le Gouvernement remette au Parlement un rapport relatif au dumping social sur les lignes régulières de ferries au sein de l'Union européenne.

La commission a supprimé cet article

I - Le dispositif introduit par l'Assemblée nationale

Le présent article a été introduit lors de l'examen du texte en commission, par l'adoption d'un amendement de M. Sébastien Jumel, sous-amendé par le rapporteur.

Il dispose que dans un délai de neuf mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur l'état des pratiques relatives au dumping social sur les lignes régulières de ferries au sein de l'Union européenne.

II - La position de la commission

La commission n'est pas favorable aux dispositions consistant à demander au Gouvernement de remettre un rapport au Parlement, qui sont dépourvues de portée normative, souvent inappliquées et superflues compte tenu des prérogatives d'évaluation et de contrôle dont dispose le Parlement.

La commission a, en conséquence, adopté l'amendement COM-12 du rapporteur tendant à supprimer cet article.

La commission a supprimé cet article.

Article 4
Rapport sur les besoins humains et financiers des services chargés
de l'inspection du travail maritime

Cet article, inséré à l'Assemblée nationale, prévoit la remise par le Gouvernement d'un rapport au Parlement recensant les besoins humains et financiers des services chargés de l'inspection du travail maritime pour assurer leurs missions.

La commission a supprimé cet article.

I - Le dispositif introduit par l'Assemblée nationale

Le présent article a été introduit lors de l'examen du texte en commission par l'adoption d'un amendement de M. Sébastien Jumel (Gauche démocrate et républicaine - NUPES).

Il vise à demander au Gouvernement la remise au Parlement, dans un délai de six mois, d'un rapport recensant les besoins humains et financiers des services chargés de l'inspection du travail maritime pour assurer leurs missions, notamment la lutte contre le phénomène de dumping social. Ce rapport préciserait également les pistes d'amélioration de la formation des agents de ces services en matière de droit du travail maritime.

II - La position de la commission

Fidèle à sa position constante sur les demandes de rapport, qui ne constituent pas une méthode législative satisfaisante, la commission a adopté un amendement COM-13 de suppression de cet article.

La commission a supprimé cet article.


* 6 Règlement (CEE) n° 4055/86 du Conseil du 22 décembre 1986 portant application du principe de la libre prestation des services aux transports maritimes entre États membres et entre États membres et pays tiers.

* 7 Art. 8 du règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I).

* 8 Au 1er janvier 2023. D'après les réponses du Gouvernement au questionnaire du rapporteur.

* 9 Art. L. 5541-1 du code des transports.

* 10 Assemblée nationale, rapport de M. Didier Le Gac, député, au nom de la commission des affaires sociales, sur la proposition de loi de M. Didier Le Gac, Mme Aurore Bergé et plusieurs de leurs collègues visant à lutter contre le dumping social sur le transmanche (798), n° 1005.

* 11 Réponse apportée en anglais puis traduite en français pour le présent rapport.

* 12 Voir notamment : CJUE, 17 octobre 2013, United Antwerp Maritime Agencies (Unamar) NV contre Navigation Maritime Bulgare, C-184/12, point 50 : « Il revient ainsi au juge national, dans le cadre de son appréciation quant au caractère de « loi de police » de la loi nationale qu'il entend substituer à celle expressément choisie par les parties au contrat, de tenir compte non seulement des termes précis de cette loi, mais aussi de l'économie générale et de l'ensemble des circonstances dans lesquelles ladite loi a été adoptée pour pouvoir en déduire qu'elle revêt un caractère impératif, dans la mesure où il apparaît que le législateur national a adopté celle-ci en vue de protéger un intérêt jugé essentiel par l'État membre concerné. Ainsi que l'a souligné la Commission, un tel cas pourrait être celui où la transposition dans l'État du for offre, par une extension du champ d'application d'une directive ou par le choix d'une utilisation plus étendue de la marge d'appréciation laissée par celle-ci, une protection plus grande des agents commerciaux en vertu de l'intérêt particulier que l'État membre accorde à cette catégorie de ressortissants. »

* 13 Sont visées les personnes mentionnées aux 2°, 3°, 8° et 10° de l'article L. 5222-1 du code des transports.

* 14 Sollicités, les services de la Commission européenne ont indiqué au rapporteur qu'une étude approfondie de la proposition de loi était nécessaire. Ils n'ont pas apporté d'éléments d'appréciation sur la portée du texte avant son examen par la commission des affaires sociales.

* 15 Règlement (CEE) n° 3577/92 du Conseil, du 7 décembre 1992, concernant l'application du principe de la libre circulation des services aux transports maritimes à l'intérieur des États membres (cabotage maritime).

* 16 Art. L. 5561-1 du code des transports.

* 17 Art. L. 5561-2 du code des transports.

* 18 Art. L. 5563-1 du code des transports.

* 19 Art. L. 5561-3 du code des transports.

* 20 Art. 131-13 du code pénal.

* 21 Art. R. 5566-5 du code des transports.

* 22 Art. R. 5566-6 du code des transports.

* 23 Articles R. 2263-3, R. 3233-1 et R. 3246-4 du code du travail.

* 24 Art. L. 5566-1 du code des transports.

* 25 Art. L. 5566-2 du code des transports.

* 26 Source : réponses au questionnaire du rapporteur à la direction générale des affaires maritimes, de la pêche et de l'aquaculture (DG AMPA), à la direction générale du travail (DGT), à la direction des affaires juridiques du ministère de l'Europe et des affaires étrangères et au Secrétariat général des affaires européennes (SGAE).

* 27 Pour plus de précisions, le lecteur peut se reporter au commentaire de l'article 1er

* 28 Pour plus de précisions sur ce dispositif, le lecteur peut se reporter au commentaire de l'article 1er bis.

* 29 Il s'agit notamment des libertés individuelles et collectives dans la relation de travail, des discriminations, de la durée du travail ou des règles relatives à la santé et à la sécurité au travail.

* 30 Art. L. 5563-1 du code des transports.

* 31 Art. L. 5563-2 du code des transports.

* 32 Art. L. 5564-1 du code des transports.

* 33 Art. L. 5565-1 et L. 5565-2 du code des transports.

* 34 Commandants ou commandants en second des bâtiments de l'État et chefs de bord des aéronefs de l'État, administrateurs des affaires maritimes, officiers du corps technique et administratif des affaires maritimes, fonctionnaires affectés dans les services exerçant des missions de contrôle dans le domaine des affaires maritimes sous l'autorité ou à la disposition du ministre chargé de la mer, délégué à la mer et au littoral, agents publics commissionnés à cet effet par décision du directeur interrégional de la mer et assermentés.

* 35 Cf. articles L. 8115-1 et suivants du code du travail.

* 36 Arrêté du 3 août 2017 relatif aux normes d'aptitude médicale à la navigation des gens de mer.

* 37 Art. L. 5523-6 du code des transports.

* 38 Art. L. 5521-1-1 du code des transports.

* 39 Art. L. 5511-1 du code des transports.

* 40 Art. R. 5511-2 du code des transports.

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