II. LES OBSERVATIONS DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

1. Une mission à nouveau mobilisée en 2022 pour répondre à l'urgence sociale

L'exécution des crédits de l'année 2022 a fortement été affectée par le maintien d'une inflation importante. La revalorisation à hauteur de 4 % de l'ensemble des allocations individuelles de solidarités (AIS), décidée en première LFR 2022, a ainsi été imputée sur la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».

Les exercices précédents témoignent de la mobilisation récurrente de la mission pour financer la réponse à des situations d'urgence économique et sociale.

L'augmentation à 90 euros du bonus individuel de la prime d'activité avait ainsi constitué en 2019 l'un des principaux vecteurs utilisés par le Gouvernement pour répondre à l'urgence sociale exprimée par le mouvement des « gilets jaunes ». Cette mesure représente un coût annuel pérenne d'environ 4,4 milliards d'euros.

L'exercice 2020 avait ensuite été marqué par le financement d'une série de mesures d'urgence en réponse à la crise sanitaire, avec l'ouverture de 2,7 milliards d'euros en lois de finances rectificative, au premier rang desquels les aides exceptionnelles de solidarité (AES) en faveur des ménages modestes (1,9 milliard d'euros), ainsi qu'un plan d'urgence en faveur de l'aide alimentaire (94 millions d'euros), de l'aide sociale à l'enfance (50 millions d'euros) et de lutte contre les violences conjugales dans le contexte des confinements (4 millions d'euros).

Lors de l'exercice 2021, la mission a porté la prise en charge par l'État de l'indemnité inflation, adoptée dans le contexte du début de la poussée inflationniste observée dès le dernier trimestre de l'année 2021 et en particulier de la hausse des prix de l'énergie. En exécution 2021, le dispositif a ainsi représenté un coût de 3 milliards d'euros sur le périmètre de la mission.

Le financement par la mission d'une nouvelle aide exceptionnelle de solidarité (AES) constitue donc une nouvelle illustration de cette tendance. Dite « prime de rentrée », cette aide exceptionnelle pour la rentrée scolaire a bénéficié aux foyers modestes pour un coût pour les finances publiques de 1 350 millions d'euros, supporté par la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».

Évolution des crédits de la mission à périmètre courant entre 2018 et 2022 (CP)

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Si en 2022, le coût de l'indemnité inflation pour la mission a connu un net reflux (430 millions d'euros seulement, soit une diminution de 85,7 % par rapport à l'exercice précédent), le montant de la « prime de rentrée », conjugué au maintien de la revalorisation pérenne de la prime d'activité décidée à la suite du mouvement des « Gilets jaunes » et au dynamisme important des dépenses liés aux revalorisations des allocations individuelles de solidarité, explique l'augmentation de 9,3 % des dépenses de la mission entre 2021 et 2021.

Cette « politique de chèque » interroge quant à nos fragilités collectives. En effet, comme les rapporteurs spéciaux l'avaient relevé dans leur rapport sur le projet de loi de finances pour 2023, « la nécessité d'inscrire sur la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », chaque année depuis 2019, des dépenses nouvelles visant à répondre à des situations d'urgence sociale est révélatrice d'un problème de fond (...). Le budget de l'État ne peut pas, à lui seul, absorber des chocs sociaux qui trouvent leur racine dans nos fragilités structurelles : le chômage - en particulier le chômage de longue durée et le chômage des jeunes -, le sous-emploi et la faiblesse des salaires. » Or il convient de rappeler qu'en ce qu'elle n'ouvre aucun droit, « la prime d'activité n'est pas du salaire4(*). »

2. Une sur-exécution importante du programme 304 du fait de sa mobilisation dans un contexte inflationniste

Le programme 304 a été le vecteur de nombreuses mesures destinées à protéger nos concitoyens les plus fragiles de l'impact de l'inflation. La « prime de rentrée » a ainsi été budgétée sur le programme 304.

L'aide exceptionnelle de solidarité pour la rentrée scolaire

Compte tenu du niveau de l'inflation notamment sur les produits alimentaires et énergétiques, et son impact sur les personnes vulnérables, le gouvernement a décidé l'octroi de deux aides exceptionnelles de solidarité non pérennes :

La première à destination des bénéficiaires de l'allocation de solidarité spécifique (ASS), de la prime forfaitaire pour reprise d'activité, de l'allocation équivalent retraite (AER), du revenu de solidarité active (RSA), du revenu de solidarité (RSO), de l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), de l'allocation aux adultes handicapés, de l'aide financière à l'insertion sociale et professionnelle (AFIS), de l'aide à la vie familiale et sociale (AVFS) et d'une aide au logement. Son montant s'est élevé à 100 euros par foyer et 50 euros par enfant à charge.

L'aide a été versée par les CAF et les caisses de MSA, les caisses de retraites et les CARSAT, par Pôle Emploi ainsi que par les DDEETS. Le versement de cette aide est intervenu entre mi-septembre et mi-octobre.

La seconde à destination des bénéficiaires de la prime d'activité. Le budget alloué à cette aide était de 100 millions d'euros. Son montant s'est donc élevé à 28 euros par foyer et à 14 euros par enfant à charge. Cette aide a été versée par les CAF et les caisses de la MSA à la mi-novembre.

Source : rapport annuel de performance 2022, mission « Solidarité, insertion et égalité des chances »

Du fait de sa sollicitation en contexte inflationniste, le programme 304 connaît une consommation de 15 069,8 millions d'euros en CP, ce qui correspond à une sur-exécution de 14,6 % par rapport à la prévision en LFI, et une consommation, proche de l'exécution conforme, de 99,21 %. La sur-exécution constatée du programme 137 résulté également, entre autres :

de la revalorisation des minima sociaux de 4 % au 1er juillet 2022, en complément de la revalorisation légale intervenue le 1er avril 2022 (+ 1,8 %), correspondant à une ouverture de crédits de 387,2 millions d'euros ;

du soutien accru apporté par l'État en matière d'aide alimentaire (95 millions d'euros ouverts en loi de finances rectificative), notamment pour les étudiants et les Outre-mer.

3. La déconjugalisation de l'AAH : une budgétisation à préparer

La consommation des crédits au titre de l'allocation aux adultes handicapés (AAH), financés sur le programme 157, s'élève en 2022 à 11,9 milliards d'euros, contre 11,7 milliards d'euros prévus en LFI et une augmentation de 516 millions d'euros (+ 4,5 %) par rapport à 2021.

Sur les dernières années, on constate :

- d'une part, une dynamique importante de la dépense, qui a progressé de 79,9 % depuis 2010, sous le double effet d'une hausse du nombre de bénéficiaires et de revalorisations du montant de la prestation intervenues en 2019 et en 2022 ;

- d'autre part, de substantiels écarts à la prévision pour certains exercices (+ 238 millions d'euros en moyenne annuelle depuis 2010), dont un écart en 2022 (+ 133 millions d'euros).

Évolution des dépenses d'AAH et des écarts à la prévision (en CP)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires et la Cour des comptes

En 2022, la hausse des montants consacrés à l'AAH s'explique en particulier par les revalorisations intervenues les 1er avril et 1er juillet 2022, qui ont porté son montant mensuel maximal à 956,65 euros, et par l'application depuis le 1er janvier 2022 d'un abattement forfaitaire sur les revenus du conjoint du bénéficiaire.

La marche vers la déconjugalisation de l'AAH

L'AAH est une allocation individuelle, toutefois son calcul prend en compte les éventuels revenus du conjoint du bénéficiaire, une situation que déplorent de nombreuses associations de défense des personnes handicapées.

Depuis le 1er janvier 2022, un abattement forfaitaire de 5 000 euros par an, majoré de 1 400 euros par enfant à charge, s'applique sur les revenus du conjoint du bénéficiaire de l'AAH pris en compte pour le calcul du montant de l'allocation. Cet abattement forfaitaire est venu remplacer l'abattement proportionnel de 20 % qui s'appliquait auparavant, et s'applique sur les mêmes revenus.

Cependant, l'article 10 de la loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat est venu modifier en profondeur ce dispositif en prévoyant une mesure de déconjugalisation de l'AAH, avec une entrée en vigueur au 1er octobre 2023. La déconjugalisation correspond à la suppression de la prise en compte des revenus du conjoint et à l'application du plafond applicable aux personnes seules pour le calcul de la prestation des bénéficiaires en couple.

Toutefois, le décret n° 2022-1694 du 28 décembre 2022 prévoit un maintien du calcul conjugalisé de la prestation pour les bénéficiaires qui seraient perdants à la déconjugalisation.

Source : rapport annuel de performance 2022, mission « Solidarité, insertion et égalité des chances »

La hausse des crédits consacrés à l'AAH devrait ainsi se poursuivre en 2023 et en 2024, sous l'effet de la déconjugalisation de cette prestation5(*). Le coût de cette mesure est en effet estimé à 400 millions d'euros par an, tandis que la possibilité pour les perdants d'avoir un maintien du mode de calcul conjugalisé serait de 160 millions d'euros, ce qui porte le coût total de la mesure à 560 millions d'euros en année pleine (93 millions d'euros en 2023 pour la période d'octobre à décembre).

Les rapporteurs spéciaux se félicitent de cette mesure, qui permettra à 160 000 ménages de voir leur allocation revalorisée de 300 euros par mois en moyenne, dont 80 000 nouveaux bénéficiaires de l'AAH. Ils considèrent néanmoins que, dans la perspective de sa déconjugalisation, il est indispensable de sincériser la budgétisation de l'AAH et d'améliorer le pilotage de la prestation, comme ils l'avaient recommandé lors d'un contrôle budgétaire en 20216(*).

4. La montée en puissance du soutien aux associations de défense des droits des femmes se poursuit en 2022

Les crédits pour les politiques de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les violences faites aux femmes sont retracés, pour ce qui relève de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », sur le programme 137. Ce programme intervient principalement par des subventions versées à des associations assurant des missions de service public ou d'intérêt collectif, qui développent des actions tant en matière de lutte contre les violences sexistes que pour promouvoir l'égalité entre les femmes et les hommes.

Dans un rapport publié en juillet 2020 et intitulé : « Le financement de la lutte contre les violences faites aux femmes : une priorité politique qui doit passer de la parole aux actes »7(*), les rapporteurs spéciaux avaient fait le constat d'une politique insuffisamment portée, à la recherche de crédits budgétaires et souffrant d'un manque de moyens de l'administration comme des associations. Depuis, les moyens budgétaires dédiés à cette politique publique ont été augmentés, ce dont les rapporteurs spéciaux se félicitent.

Évolution des crédits ouverts en LFI sur le programme 137

(en crédits de paiement et en pourcentage)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire relatif au conventionnement des associations exerçant dans le champ de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances »

En LFI 2022, 47,4 millions d'euros en AE et 50,6 millions d'euros en CP avaient été ouverts au titre de ce programme. Après reports et transferts, les crédits disponibles se sont élevés à 50,8 millions d'euros en AE et 54,5 millions d'euros en CP.

En exécution 2022, les crédits ouverts ont été quasi-intégralement consommés (98,2 % des AE et 97,7 % des CP), confirmant la tendance vers l'exécution conforme observée l'année précédente. Cet effort demande désormais à être amplifié, mais surtout accompagné d'une amélioration des conditions lesquelles ces crédits sont versés.

Dans le cadre de leurs récents travaux de contrôle budgétaire, consacrés aux conventions signées entre l'État et les associations, les rapporteurs spéciaux ont notamment relevé les importantes difficultés auxquelles étaient confrontées les associations, principalement les associations de défense des droits des femmes, pour obtenir en temps utile les versements de leurs subventions. Le rapport issu de ces travaux formulera plusieurs recommandations à ce sujet.


* 4 Muriel Pucci, « La Prime d'activité n'est pas du salaire : elle amplifie la perte de revenu à la suite d'un licenciement », OFCE, 24 septembre 2020.

* 5 Loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat.

* 6 « Gestion de l'allocation aux adultes handicapés : propositions pour renforcer les moyens et le pilotage des MDPH », rapport d'information n° 748 (2020-2021) de MM. Arnaud Bazin et Éric Bocquet fait au nom de la commission des finances du Sénat, 7 juillet 2021.

* 7 Rapport d'information de MM. Arnaud Bazin et Éric Bocquet, fait au nom de la commission des finances, n° 602 (2019-2020) - 8 juillet 2020.