N° 771

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 28 juin 2023

RAPPORT

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi,
rejeté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée,
de
règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2022,

Par M. Jean-François HUSSON,
Rapporteur général,

Sénateur

TOME II
CONTRIBUTION DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

ANNEXE N° 5
Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation

Rapporteur spécial : M. Marc LAMÉNIE

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Daniel Breuiller, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (16ème législ.) : 1095, 1271 et T.A. 125

Sénat : 684 (2022-2023)

LES PRINCIPALES OBSERVATIONS
DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. La mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » a vu son organisation changer en 2022, passant de 3 programmes à 2, les anciens programmes 167 et 169 étant fusionnés dans le nouveau programme 169. Les deux programmes restants sont d'ampleurs très inégales :

le programme 158 « Indemnisation des victimes des persécutions antisémites et des actes de barbarie pendant la seconde guerre mondiale », qui représente 4 % de l'exécution (84,8 millions d'euros), regroupe les dispositifs d'indemnisation en faveur des orphelins de victimes de la Seconde Guerre mondiale et de réparation des spoliations antisémites ;

le programme 169 « Reconnaissance et réparation en faveur du monde combattant, mémoire et liens avec la Nation », qui représente 96 % de l'exécution (1,99 milliard d'euros), a pour objectif de témoigner de la reconnaissance de la Nation à l'égard des anciens combattants et des victimes de guerre. Il finance notamment les pensions militaires d'invalidité (PMI) et les retraites du combattant. Il supporte également une partie des dépenses rattachées à l'organisation des journées défense et citoyenneté (JDC) et du service militaire volontaire (SMV), ainsi que les politiques de mémoire.

2. Les crédits de la mission, consommés à hauteur de 2,071 milliards d'euros, ont fait l'objet en 2021 d'une sous-consommation d'environ 14 millions d'euros par rapport à la prévision initiale (hors fonds de concours et attributions de produits), du fait d'une sous-estimation des baisses de dépenses liées aux besoins de financement des PMI et des retraites du combattant.

3. Cette situation confirme la trajectoire de baisse des crédits alloués à cette mission, dont l'exécution a finalement été en 2022 inférieure d'environ 28 millions d'euros à celle de 2021.

La baisse des dépenses s'explique par la diminution continue du nombre de bénéficiaires des prestations ainsi que par la revalorisation limitée du montant des pensions viagères. Le rapporteur spécial souhaite insister sur la nécessité d'un effort budgétaire en faveur des anciens combattants plus soutenu, notamment par une meilleure revalorisation des prestations.

4. Un effort budgétaire significatif a été consenti aux rapatriés lors de l'exercice 2022, les crédits leur étant dédiés ayant été multipliés par 4 par rapport à 2021.

5. L'ONaCVG a connu un exercice 2022 très excédentaire du fait d'importantes dépenses en faveur des rapatriés reportées à l'exercice 2023.

6. L'année 2022 marque un retour à la normal de la JDC, bien qu'un format adapté ait été conservé jusqu'en septembre. Son coût se voit par ailleurs renchéri du fait de l'entrée en vigueur de la revalorisation de l'indemnité de déplacement versée aux jeunes réalisant leur JDC.

I. I. EXÉCUTION DES CRÉDITS DE LA MISSION EN 2022

1. Un changement de périmètre des programmes de la mission

L'année 2022 voit l'organisation des crédits de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » être modifiée : les programmes 167 « liens entre la Nation et son armées » et 169 « Reconnaissance et réparation en faveur du monde combattant » sont fusionnés au sein d'un programme 169 désormais dénommé « Reconnaissance et réparation en faveur du monde combattant, mémoire et liens avec la Nation ».

Le programme 158 reste lui inchangé tant dans sa dénomination que dans son périmètre.

Le périmètre de la mission au global n'évolue pas, cependant cette dernière ne compte désormais plus que deux programmes au lieu de trois.

Crédits ouverts par la loi de finances initiale de l'année 2022

(en millions d'euros)

Intitulé du programme

Autorisations d'engagement (AE)

Crédits de paiement (CP)

En % du total (CP)1(*)

169

Reconnaissance et réparation en faveur du monde combattant, mémoire et liens avec la Nation

1 992,32

1 991,96

95,5 %

158

Indemnisations des victimes des persécutions antisémites et des actes de barbarie pendant la seconde guerre mondiale

92,76

92,76

4,5 %

Total

2 085,08

2 084,72

100 %

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

2. Des crédits légèrement sous-consommés
a) Une légère sous-consommation à l'échelle de la mission

La mission, dotée de 2,085 milliards d'euros de crédits de paiement en loi de finances initiale2(*), a finalement occasionné près de 2,071 milliards d'euros de dépenses en 2021.

Elle a ainsi dégagé une sous-consommation d'environ 14 millions d'euros par rapport à la programmation budgétaire initiale, ce qui a eu pour conséquence, avec la sur-exécution de 12 millions d'euros de 2021, de faire constater une économie de 30 millions d'euros entre les exécutions 2021 et 2022, alors que les montants des programmations budgétaires étaient quasi-stables (- 3 millions d'euros entre la LFI 2021 et la LFI 2022).

Exécution des crédits de la mission en 2022

(en millions d'euros)

Programme

 

Crédits votés en LFI 20223(*)

Crédits disponibles en 2022

Crédits exécutés en 2022

Exécution 2022/Crédits votés en LFI

169

AE

1 992,3

1 996,9

1 986,9

- 5,4

CP

1 992

1 997,5

1 986

- 6

158

AE

92,7

91,6

84,8

- 7,9

CP

92,7

91,6

84,8

- 7,9

Total

AE

2 085

2 088,5

2 071,7

- 13,3

CP

2 084,7

2 089,1

2 070,8

- 13,9

Note : les crédits disponibles en 2022 cumulent les crédits de la loi de finances initiale, les attributions de produits et rattachements de fonds de concours et les mouvements de crédits consolidés intervenus au cours de l'année.

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Sur l'année 2022, la mission a bénéficié de 3,3 millions d'euros AE et 4,35 millions d'euros CP de crédits supplémentaires par rapport à la LFI. Qu'il s'agisse des crédits initialement ouverts ou des crédits disponibles au final sur l'année 2022, ces derniers ont été sous-consommés. 0,67 % des crédits initiaux et 0,88 % des crédits disponibles n'ont pas été consommés.

Si la différence entre les crédits initiaux et les crédits disponibles est faible, elle cache des mouvements de crédits plus significatifs : un décret d'avance avait réduit les crédits de la mission de 52 millions d'euros, qui furent finalement rétablis par la première loi de finances rectificative pour 2022.

À ce premier mouvement s'ajoute l'apport de 12,6 millions d'euros en CP de 2021 reportés en 2022 et 19,7 millions d'euros de fonds de concours. Les ressources ont également été réduites de 26,8 millions d'euros par la 2ème loi de finances rectificative pour 2022 puis encore d'1 million d'euros par un décret de virement.

Ces mouvements infra-annuels aboutissent ainsi à un abondement de la programmation initiale de 3,3 millions d'euros en AE et 4,35 millions d'euros en CP, soit 0,2 % de CP en plus. Le taux de consommation des crédits disponibles a été de 99,1 %, soit un montant presque équivalent à l'année précédente (99,3 %).

b) Une sous-consommation due au phénomène démographique

Le programme 169, qui représente 95 % des crédits de la mission, est globalement en sous-exécution de 6 millions d'euros en CP par rapport aux crédits initiaux (et de 11,5 millions d'euros en CP par rapport aux crédits disponibles). Cependant, deux mouvements contraires coexistent dans le programme 169 : les prestations de guichet servies aux anciens combattants (retraite du combattant, pension militaire d'invalidité, remboursement des prestations de sécurité sociale aux invalides et rente mutualiste du combattant essentiellement) sont en sous-exécution. Cette sous-exécution est due à la baisse naturelle du nombre des bénéficiaires de ces prestations, en moyenne très âgés. A contrario, l'action en faveur des rapatriés et le lien armé-jeunesse sont tous deux en sur-exécution (pour près de 23 millions d'euros).

Le programme 158 est également en sous-exécution. Il recouvre deux types de dépenses : les indemnités liées aux spoliations antisémites commises lors de la Seconde guerre mondiale, dont les crédits annuels dépendent essentiellement des dossiers traités par la commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations (CIVS) et sont donc par nature très volatiles, d'une année sur l'autre et sur une même année. Au final, 6 millions d'euros avaient été budgétés et 5,1 millions d'euros ont été utilisés. Le deuxième type de dépense correspond à une indemnité viagère versée aux orphelins des victimes d'actes de barbarie et de violences antisémites commis lors de la Seconde guerre mondiale. Il s'agit comme pour les rentes viagères du programme 169 de dépenses de guichet réalisées au bénéfice d'une population très âgée, ce qui explique la sous-exécution de 7 millions d'euros.

Les sur-exécutions constatées dans le programme 169 sont dues aux causes suivantes : premièrement, s'agissant du lien armées-jeunesse, la sur-exécution est la conséquence de la mise en oeuvre tardive d'un financement de 17,3 millions d'euros du Fonds social européen (FSE) qui n'apparait donc pas dans les prévisions de la LFI 2022. Si ce financement avait immédiatement été pris en compte, l'action serait apparue en sous-exécution. Deuxièmement, s'agissant de l'action en faveur des rapatriés, la forclusion d'un des dispositifs de solidarité au 31 décembre, conjuguée à une communication gouvernementale forte sur les dispositifs de solidarité avec un doublement des montants des allocations viagères versées aux rapatriés et l'introduction d'une nouvelle indemnisation de réparation des préjudices résultant de l'indignité de leurs conditions d'accueil et de vie dans des structures de toute nature, ont conduit au dépôt d'un nombre de dossiers plus important qu'anticipé, entrainant ainsi une surconsommation de 15 millions d'euros.

3. Les crédits de la mission restent dans une trajectoire structurellement baissière

Exécution des crédits en 2022 par rapport à 2021

(en millions d'euros)

Programme

 

Crédits exécutés en 20214(*)

Crédits exécutés en 2022

Exécution 2022/
Exécution 2021

169

AE

2 010,4

1 986,9

- 23,5

CP

2 014

1 986

- 28

158

AE

87,3

84,8

- 2,5

CP

87,3

84,8

- 2,5

Total

AE

2 097,7

2 071,7

- 26

CP

2 101,3

2 070,8

- 30,5

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

D'un point de vue budgétaire, l'évolution des dépenses de la mission est déterminée par le programme 169 et plus spécifiquement par son action 01 « Administration de la dette viagère ». Cette dernière représente 1,4 milliard d'euros, soit presque les trois quarts des crédits de la mission. Il s'agit des dépenses d'intervention en faveur des anciens combattants et des invalides de guerre.

Cette action, dont le niveau de dépense dépend directement du nombre de bénéficiaires de la retraite du combattant et de la pension militaire d'invalidité de victimes de guerre, connait une trajectoire baissière forte et dégage chaque année des « économies de constatation ». Cela est dû au phénomène démographique de diminution des populations - très âgées - d'anciens combattants et d'invalides de guerre. Les revalorisations des rentes, généralement faibles, n'enrayent pas cette diminution.

Ainsi, il y avait, en 2010, 309 000 allocataires de pension militaire d'invalidité de victimes de guerre. Il n'en reste plus que 161 000 en 2022. S'agissant des bénéficiaires de la retraite du combattant, leur nombre est passé de 1,34 million à 743 000 sur la même période.

Évolution des effectifs des pensions militaires d'invalidité
et des retraites du combattant

Source : commission des finances, d'après les données du rapport annuel de performances pour 2022

L'action 03, dont les crédits sont principalement dédiés à la majoration des rentes mutualistes des anciens combattants et victimes de guerre, s'adresse à la même population et connait la même trajectoire baissière pour les mêmes raisons.

L'exécution 2022 confirme, une fois de plus, cette tendance. Ainsi que l'a illustré le tableau récapitulant les données d'exécution des crédits par programme en 2022 (voir supra), le programme 169 connait une baisse de ses crédits de 28 millions d'euros en exécution par rapport à 2021. Les crédits d'exécution de l'action 01 connaissent, eux, une baisse de 95,6 millions d'euros et les crédits de l'action 03 connaissent une baisse de 5,9 millions d'euros. À cela s'ajoute une diminution de 22 millions d'euros des crédits de l'action 02 « gestion des droits liés aux pensions militaires d'invalidité » et de 4 millions d'euros des crédits de l'action 09 « politique de mémoire ». Ces diminutions sont cependant partiellement compensées par un renchérissement de 85,8 millions d'euros de l'action 07 « action en faveur des rapatriés » et de 13,4 millions de l'action 08 « liens armées-jeunesse ».

L'augmentation significative des crédits de l'action 07 (qui ont plus que quadruplé entre l'exécution 2021 et l'exécution 2022) est due à plusieurs facteurs : les pension viagères ont vu leurs montants doublés, le dispositif d'aide aux enfants de harkis a expiré, ce qui a entrainé une concentration de dépôts de dossiers, et une nouvelle indemnisation de réparation des préjudices résultant de l'indignité des conditions d'accueil et de vie des rapatriés dans des structures de toute nature a été mise en place.

Le lien armées-jeunesse connait une augmentation significative de ses crédits en exécution, qui passent de 17,4 millions d'euros à 30,8 millions d'euros (+ 77 %). Cette augmentation se constate aussi bien pour le service militaire volontaire (SMV), dont la consommation de crédits a augmenté de 5 millions d'euros entre 2021 et 2022, alors que le nombre de volontaires stagiaires (1200) est resté stable mais qu'une nouvelle antenne a été ouverte à Marseille. La Journée défense et citoyenneté (JDC) voit elle ses crédits consommés augmenter de 8 millions d'euros, dans un contexte de retour à la normale après des aménagements significatifs réalisés lors de la crise sanitaire (JDC en demi-journée ou en distanciel) qui avaient eu comme conséquence d'entraîner des économies importantes sur les frais de transports et d'alimentation de la JDC.

Les crédits de la politique de mémoire en exécution sont en diminution du fait d'une baisse de 2,8 millions d'euros des dépenses consacrées à l'entretien des sépultures de guerre.

L'exécution des crédits alloués au programme 158 est en légère baisse (- 2,5 million d'euros) entre 2021 et 2022. Cette baisse est principalement due à une diminution de la population des bénéficiaires des indemnités viagères, très âgée.

4. Un montant important de dépenses en lien avec les objectifs de la mission mais ne faisant pas partie de celle-ci

Les politiques portées par la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » sont abondées par :

- des crédits relevant formellement d'autres missions budgétaires, dont notamment la mission « Défense » ;

- des dépenses fiscales importantes, s'élevant à plus de 650 millions d'euros.

Les informations budgétaires communiquées par les ministères ont connu une régression considérable ces dernières années dès lors que les documents annexés aux projets de loi de finances ne comportent plus d'indication permettant d'apprécier les moyens totaux des politiques publiques rattachées à une mission budgétaire. Cela est particulièrement préjudiciable pour les politiques de l'action « lien armée-jeunesse » (JDC et SMV) dont plus de 80 % du financement est finalement extérieur à la mission.

S'agissant des dépenses fiscales, la Cour des comptes a décidé cette année de retirer sa recommandation visant à ce qu'il soit « procédé à l'appréciation de la pertinence des dépenses fiscales de la mission et justifié de l'opportunité de les maintenir, dans leur totalité, à ce niveau » face au refus du Gouvernement, exprimé en ces termes : « Les dépenses fiscales de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation », procèdent de dispositions votées par le Parlement et s'inscrivent dans le cadre des mesures de reconnaissance et de sacrifices et souffrances des anciens combattants et de leurs familles, telles que mentionnées à l'article L.1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre qui dispose que : « La République française, reconnaissante envers les combattants et victimes de guerre qui ont assuré le salut de la patrie, s'incline devant eux et devant leurs familles. » Leur suppression reviendrait donc à remettre en cause ce droit à reconnaissance pour services rendus à la Nation, ce à quoi le ministère des Armées ne peut consentir »5(*).

a) Des dépenses fiscales rattachées à la mission estimées à 30 % des crédits inscrits dans son budget

Les transferts réalisés au bénéfice des anciens combattants à travers les régimes fiscaux dérogatoires qui leur reconnaissent des avantages particuliers sont évalués par le rapport annuel de performances annexé au projet de loi de règlement à 650 millions d'euros (en baisse de 50 millions d'euros par rapport à 2021), soit 31 % du budget de la mission en 2022.

Dans ces conditions, l'effort public consolidé consacré aux différents objectifs poursuivis par la mission doit être relevé d'un tiers par rapport aux crédits votés en loi de finances initiale.

Le rapporteur spécial salue à ce titre la progression de la documentation budgétaire, devenue complète dans son recensement des dépenses fiscales rattachées à la mission.

Il regrette cependant l'absence d'évaluation du coût entrainé par les exonérations des droits de mutation et de succession des rentes et capitaux versés au titre du programme 158.

b) Les crédits budgétés sur d'autres missions servant à la mise en oeuvre des politiques de la mission « Anciens combattants »

En ce qui concerne les crédits « déversés » par d'autres missions budgétaires, ils correspondent principalement aux dépenses de personnel acquittées par le ministère de la défense pour organiser la journée défense et citoyenneté (JDC) et le service militaire volontaire (SMV). Le coût total de la JDC et du SMV était évalué à plus de 150 millions d'euros en 2022, alors que la LFI pour 2022 ne prévoit que 23,6 millions d'euros pour ces deux dispositifs.

L'organisation du SMV bénéficie également du soutien de certaines collectivités territoriales. Cependant seul le soutien de la région Grand-Est est comptabilisé dans le cadre de la documentation budgétaire.

Le SMV dispose également depuis 2022 de financements très significatifs du Fonds social européen (17,3 millions d'euros, soit plus de 5 fois plus que les 3,23 millions d'euros prévus par la LFI).

Le rapporteur spécial regrette qu'il ne soit pas possible de connaitre le coût d'exécution réel des politiques portées par la mission sur la base des documents budgétaires s'y rattachant.

5. Un renforcement de la trésorerie de l'ONaCVG du fait de dépenses reportées à 2023

L'Office National des Combattants et des Victimes de Guerre (ONaCVG) est le principal opérateur de la mission, mettant en oeuvre la quasi-totalité des politiques portées par cette dernière. Il fait aujourd'hui l'objet d'une restructuration prévue dans son contrat d'objectifs et de performance 2020-2025 (COP) qui tire les conséquences de l'évolution de la population de ses ressortissants, qui, outre les anciens combattants, inclut également les conjoints et partenaires survivants des anciens combattants, les pupilles de la Nation, les victimes de terrorisme, etc.

Les années 2019 et 2020 avaient vu la trésorerie de l'ONaCVG, jusqu'alors très excédentaire, fortement mise à contribution. Son niveau a diminué de plus de moitié sur la période. 2021 a marqué à cet égard une rupture non programmée, l'exécution étant excédentaire de 12 millions d'euros au regard de la programmation initiale et les comptes de l'opérateur revenant à l'équilibre.

L'année 2022 est particulière du fait d'un abondement significatif en cours d'année pour couvrir les surcoûts liés au renforcement de la politique de reconnaissance aux rapatriés et de la difficulté de l'ONaCVG à utiliser ces sommes en 2022. Le solde budgétaire initial, qui devait s'établir à - 5,6 millions d'euros, s'est transformé en excédent de 32 millions d'euros. La trésorerie de l'Office s'est largement gonflée, atteignant 60 millions d'euros (soit + 35 millions d'euros par rapport à 2021), dont 11 millions d'euros de trésorerie non-fléchée.

Cette trésorerie supplémentaire a vocation à être utilisée en 2023.

Les indicateurs concernant les délais moyens de traitement des dossiers se sont améliorés en 2022 s'agissant des demandes de pensions militaires d'invalidité. Les délais restent longs à 230 jours en moyenne mais sont inférieurs de 17 jours à la moyenne de 2021.

Pour les dossiers de cartes et titres, les délais se sont stabilisés à 101 jours en moyenne, soit dix jours de plus qu'en 2021. Ils restent cependant très inférieurs à la réalisation de 2020 (145 jours).

La centralisation des demandes de cartes et titres, qui a permis la baisse du délai moyen de traitement de ces dossiers, a également permis d'importants gains de productivité pour les agents de l'ONaCVG. Ainsi, si les agents de l'Office traitaient 1 360 dossiers par agent en moyenne sur l'année 2021, ils ont traité 3 300 dossiers par agent en moyenne sur l'année 2022, soit plus que le double (bien que le résultat reste inférieur à la cible de 4 285 dossiers par agent).

II. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPECIAL

1. Le point PMI, indice de référence des pensions viagères, connait une revalorisation plus importante mais inférieure à l'inflation en 2022

La baisse des crédits alloués à la mission est due à la réduction des coûts des rentes viagères portées par le programme 169, qui s'élèvent en 2022 à 1 405,3 millions d'euros, ce qui représente 75 % des crédits d'intervention de la mission. Cette baisse s'explique par la réduction naturelle du nombre des anciens combattants et des invalides de guerre, population en moyenne très agée, et par la faible revalorisation des rentes viagères.

Crédits de paiement consommés sur le titre 6 (dépenses d'intervention)
en 2022

Source : rapport annuel de performances pour 2022

Depuis 2005, la valeur du point de pension militaire d'invalidité (PMI) est révisée proportionnellement à l'évolution de l'indice Insee des traitements bruts de la fonction publique de l'État. Il était jusqu'en 2022 revalorisé selon le principe du « rapport constant », auquel s'est désormais substituée une revalorisation fixe au début de chaque année civile.

L'année 2022 a également vu s'appliquer une revalorisation exceptionnelle du point d'indice de 35 centimes, portant sa valeur à 15,05 euros, ayant pour objectif de rattraper le retard pris par le point PMI au regard de l'inflation. Cependant, l'année 2022 a également été marquée par une inflation de 5,2 %, et a donc vu le retard de la valeur du point d'indice continuer à se creuser face à l'inflation.

Du fait toutefois de l'augmentation du nombre de points PMI de la retraite du combattant6(*), cette dernière connait une évolution supérieure à celle de l'inflation depuis 2006. Elle reste cependant modeste en valeur absolue (782,60 euros annuels au 1er janvier 2022).

Par ailleurs, la revalorisation du point d'indice plus faible que l'inflation conduit in fine à une perte de pouvoir d'achat pour les invalides de guerre, dont le nombre de points est déterminé par leur degré d'invalidité. Cette problématique est particulièrement prégnante pour les personnes lourdement invalides dont la pension constitue une source de revenus essentielle. Elle est d'autant plus importante en 2022 du fait d'une inflation record.

À ce titre, le rapporteur spécial réitère la demande déjà formulée d'une meilleure revalorisation des pensions.

2. La JDC marquée par un retour à la normale

La crise sanitaire et les adaptations organisationnelles7(*) de la JDC qui en ont découlé ont eu deux conséquences principales :

elles ont conduit à une moindre dépense d'environ 4,7 millions d'euros pour l'organisation de la JDC en 2021, tout en rattrapant la majeure partie des jeunes qui n'avaient pas pu réaliser leur JDC en 2020 ;

- elles n'ont pas permis à la JDC de jouer pleinement son rôle de détection de l'illettrisme et de l'échec scolaire, notamment avec la JDC en ligne. Ce constat est particulièrement problématique étant donné que cette modalité de réalisation de la JDC a concerné plus d'un demi-million de jeunes en 2021, auxquels s'ajoutent 165 000 jeunes en 2020. C'est donc presque une génération entière qui n'aura pas bénéficié de cette détection.

À ce titre l'année 2022 marque le début d'un retour à la normale.

Mode de mise en oeuvre de la JDC en 2022

Période

Format

Présence des convoqués

Du 1er janvier au 31 août

adapté

Demi-journée

Du 1er septembre au 31 décembre

normal

Journée entière

Source : rapport annuel de performance pour 2022

L'année 2022 a également vu la mise en oeuvre effective, en année pleine, de la revalorisation de l'indemnité de déplacement versée aux jeunes réalisant leur JDC et ne bénéficiant pas d'un titre de transport.

3. Un effort exceptionnel en faveur des rapatriés

Deux mesures fortes en faveur des réfugiés ont été mises en place en 2022 :

le droit à réparation instauré par la loi du 23 février 2022 portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et réparation des préjudices subis par ceux-ci et leurs familles du fait de l'indignité de leurs conditions d'accueil et de vie dans certaines structures sur le territoire français ;

le doublement du montant de l'allocation de reconnaissance et de l'allocation viagère. De plus, la forclusion de l'allocation viagère a été levée et l'allocation viagère étendue aux conjoints survivants résidant dans l'Union européenne.

En plus de la loi du 23 février 2022, le dispositif de solidarité en faveur des enfants de supplétifs mis en place en 2019 a atteint sa date de forclusion le 31 décembre 2022. Cette forclusion, qui a eu lieu lors d'un moment de forte communication gouvernementale sur les dispositifs en faveur des rapatriés, a entraîné le dépôt de nombreux dossiers.

En conséquence, l'effort de la Nation en faveur des rapatriés a été multiplié par plus de 4 entre l'exécution 2021 (24,8 millions d'euros) et l'exécution 2022 (110,6 millions d'euros).

Si l'année 2022 représente probablement, sauf sur-exécution en 2023, un pic des crédits en faveur des rapatriés, notamment du fait du surplus de crédits engagés suite à la forclusion du dispositif de solidarité en faveur des enfants de supplétifs, les dépenses en faveur des rapatriés devraient rester de manière structurelle à un niveau bien plus élevé que celui constaté jusqu'en 2021.

Le droit à réparation instauré par la loi du 23 février 2022 représentait 45 millions d'euros en 2022 (pour 4 567 avis favorables avec une indemnité moyenne de 8 700 euros) et a vocation à durer encore quelques années le temps que tous les dossiers attendus (30 à 35 000) soient déposés et traités. 60 millions ont été budgétés pour ce droit à réparation en LFI pour 2023.

De plus, les crédits liés aux allocations de reconnaissance et viagères s'élèvent désormais à 41,7 millions d'euros, somme qui ne diminuera qu'avec la population des bénéficiaires et restera donc durablement supérieure aux 24,8 millions d'euros tous dispositifs confondus observés en 2021.


* 1 Arrondi au dixième de pourcent près.

* 2 Hors Fonds de concours (FdC) et attributions de produits (AdP)

* 3 Hors FdC et AdP.

* 4 L'exécution 2021 du programme 169 correspond à la somme des exécutions des programmes 167 et 169, du fait de leur fusion dans le nouveau programme 169 en 2022.

* 5 Cour des comptes, note d'analyse de l'exécution budgétaire 2022 de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation. »

* 6 La retraite du combattants comptait 35 points PMI en 2006 et en compte 52 en 2021.

* 7 Cette dernière a notamment été organisée en ligne ou en demi-journée au lieu d'une journée entière sur site comme cela est le cas normalement.