N° 771

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 28 juin 2023

RAPPORT

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi,
rejeté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée,
de
règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2022,

Par M. Jean-François HUSSON,
Rapporteur général,

Sénateur

TOME II
CONTRIBUTION DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

ANNEXE N° 9
Défense

Rapporteur spécial : M. Dominique de LEGGE

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Daniel Breuiller, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (16ème législ.) : 1095, 1271 et T.A. 125

Sénat : 684 (2022-2023)

LES PRINCIPALES OBSERVATIONS
DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. La loi de finances initiale pour 2022 avait prévu l'ouverture de 59,6 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et de 49,6 milliards d'euros en crédits de paiement (CP) en intégrant la contribution au compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions », respectivement en baisse de 13,2 % et en stabilisation à 0,25 % par rapport à l'exécution des crédits en 2021.

2. En exécution 2022, les crédits consommés se sont finalement élevés à 59,4 milliards d'euros en AE et 51,7 milliards d'euros en CP. Les AE ont été exécutées conformément à la prévision (- 0,2 %) contrairement à l'année 2021 (+ 4,2 %), tandis que les CP ont été sur-exécutés, à hauteur de 4,4 %, contre 2,2 % en 2021.

3. Hors contribution au CAS « Pensions », l'exécution 2022 s'élève à 40,9 milliards d'euros en CP, ce qui est conforme à la trajectoire inscrite dans la loi de programmation militaire pour les années 2019 à 2025, s'inscrivant ainsi dans la continuité des exercices 2019 à 2021, également respectueux de la programmation.

4. L'exécution a été marquée par les conséquences de la guerre en Ukraine, qui a occasionné des dépenses supplémentaires s'élèvant à 859 millions d'euros en AE et 603 millions d'euros en CP, concentrées pour plus des deux tiers sur le programme 178. Celles-ci sont notamment liées au surcroît opérationnel lié à la participation de la France au renforcement du flanc oriental de l'Otan et au recomplètement de matériels cédés aux forces armées ukrainiennes, au premier rang desquels 18 canons Caesar prélevés sur le parc de l'armée de Terre.

5. L'exercice 2022 se caractérise également par une hausse des reports de charge, qui s'élèvent à 3,89 milliards d'euros, soit un niveau supérieur à la cible fixée en LPM. Le rapporteur spécial rappelle à ce titre que cet instrument dérogatoire au principe d'annualité budgétaire et coûteux pour le ministère en termes d'intérêts moratoires ne saurait constituer un mode de gestion par défaut.

6. Le schéma d'emplois du ministère, qui prévoyait par ailleurs une hausse ambitieuse, a été sous-exécuté à hauteur de 25 millions d'euros. Il s'établit ainsi à - 1 018 équivalents temps plein emploi (ETPE), en retrait de 2 228 ETPE par rapport à la cible établie en début de gestion 2022. Ce constat, qui s'inscrit dans un contexte général de tensions sur le recrutement dans la fonction publique, est d'autant plus paradoxal que 2022 a marqué un niveau particulièrement élevé de recrutements (27 707 entrées), en hausse de 7 % par rapport à l'année précédente.

7. Dans un contexte marqué par la réarticulation du dispositif français au Sahel compte tenu de la fin de l'opération Barkhane, l'exercice 2022 s'est caractérisé par un surcoût de 307,5 millions d'euros au titre des opérations extérieures et missions intérieures par rapport à la provision prévue en LFI. À rebours de l'esprit de l'article 4, ces surcoûts ont essentiellement été financés par redéploiements internes au sein de la mission « Défense » dans le cadre du schéma de fin de gestion.

I. EXÉCUTION DES CRÉDITS DE LA MISSION EN 2022

La mission « Défense » porte le budget du ministère des armées pour assurer la politique de défense de la France. Elle se compose de quatre programmes :

- le programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense » rassemble les crédits destinés à éclairer le ministère des armées sur l'environnement stratégique présent et futur ainsi que sur la stratégie internationale du ministère des armées, par le renseignement, la recherche stratégique et industrielle, et la diplomatie de défense ;

- le programme 178 « Préparation et emploi des forces », placé sous la responsabilité du chef d'état-major des armées, vise à satisfaire aux exigences définies par les contrats opérationnels des armées ;

- le programme 212 « Soutien de la politique de défense », rassemble les crédits destinés aux fonctions support du ministère des armées, hors achat d'armement. Il porte notamment l'intégralité des dépenses de personnel de la mission ;

- le programme 146 « Équipement des forces », co-piloté par le chef d'état-major des armées et par le délégué général pour l'armement (DGE), vise à mettre à disposition des armées les armements et matériels nécessaires à la réalisation de leurs missions et concourt au développement et au maintien de la base industrielle et technologique de défense (BITD) française.

En intégrant la contribution au compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions », la loi de finances initiale pour 2022 avait prévu l'ouverture de 59,6 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et de 49,6 milliards d'euros en crédits de paiement (CP), respectivement en baisse de 13,2 % et en stabilisation à 0,25 % par rapport à l'exécution des crédits en 2021.

Évolution et consommation des crédits
de la mission « Défense » en 2022

(en millions d'euros et en pourcentage)

   

2020

2021

LFI 2022

Exécution
2022

Évolution 2021-2022

Écart d'exécution 2022

144 - Environnement et prospective de la politique de défense

AE

1 784,5

2 442,9

2 146,4

1 935,0

- 20,8 %

- 9,8 %

CP

1 541,4

1 736,2

1 778,4

1 839,9

+ 6,0 %

+ 3,5 %

146 - Équipement des forces

AE

13 699,4

23 447,9

17 087,5

15 982,9

- 31,8 %

- 6,5 %

CP

12 623,4

14 216,7

14 503,6

14 580,1

+ 2,6 %

+ 0,5 %

178 - Préparation et emploi des forces

AE

13 266,5

20 382,3

14 892,9

15 798,3

- 22,5 %

+ 6,1 %

CP

10 540,0

11 181,6

10 798,6

12 516,3

+ 11,9 %

+ 15,9 %

212 - Soutien de la politique de la défense

AE

22 110,5

22 340,3

25 459,2

25 728,7

+ 15,2 %

+ 1,1 %

CP

21 970,8

22 298,8

22 479,5

22 791,2

+ 2,2 %

+ 1,4 %

Total mission

AE

50 860,9

68 613,4

59 586,0

59 444,9

- 13,4 %

- 0,2 %

CP

46 675,6

49 433,3

49 560,1

51 727,6

+ 4,6 %

+ 4,4 %

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

En exécution 2022, les crédits consommés se sont finalement élevés à 59,4 milliards d'euros en AE et 51,7 milliards d'euros en CP. Les AE ont été exécutées conformément à la prévision (- 0,2 %) contrairement à l'année 2021 (+ 4,2 %), tandis que les CP ont été sur-exécutés, à hauteur de 4,4 %, contre 2,2 % en 2021.

À moyen terme, les crédits de la mission poursuivent leur hausse tendancielle, que ce soit en AE ou en CP. Toutefois, à l'inverse de l'année 2021, pour laquelle avait été observée une hausse significative des AE et des CP par rapport à 2020, l'année 2022 est marquée par deux résultats de sens opposés. Les AE ont diminué de 13,4 % en exécution, contre une hausse de 34,9 % en 2021, tandis que les CP ont augmenté de 4,6 %, un niveau légèrement inférieur à la hausse constatée en 2021 (+ 5,9 %).

L'écart en AE entre 2021 et 2022 s'explique principalement par le fait que 2021 a constitué une année exceptionnelle, après d'importants reports du fait de la crise sanitaire. L'exécution en CP a quant à elle été largement affectée par la guerre en Ukraine (cf. infra).

Évolution des crédits de la mission « Défense » depuis 2019

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

L'exécution 2022 hors contribution au CAS « Pensions » s'élève à 40,9 milliards d'euros en CP, ce qui est conforme à la trajectoire inscrite dans la loi de programmation militaire (LPM) pour les années 2019 à 20251(*) (41 milliards d'euros), s'inscrivant dans la continuité des exercices 2019 à 2021, également respectueux de la programmation.

Par ailleurs, les crédits ouverts (en CP) ont été quasiment consommés dans leur intégralité, au contraire des AE, du fait, de nouveau, d'importants reports en 2022 (cf. infra).

Mouvements intervenus en cours de
gestion 2022 sur la mission « Défense »

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

Il convient ici de noter que les annulations de crédits opérées sur les programmes 144, 146 et 212 pour gager les ouvertures de crédits du décret d'avance du 7 avril 20222(*) ont été intégralement couvertes par des ouvertures à due concurrence lors de la première loi de finances rectificative pour 20223(*). Le rapporteur spécial ne peut que s'en satisfaire, même s'il partage l'étonnement du rapporteur général de la commission des finances quant au choix du Gouvernement de s'être appuyé sur la mission « Défense » pour son décret d'avance, dans un contexte marqué par de fortes tensions internationales4(*).

II. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

A. LA GUERRE EN UKRAINE A ENTRAÎNÉ UNE HAUSSE CONSÉQUENTE DES CRÉDITS EN GESTION

Les dépenses supplémentaires liées à la guerre en Ukraine s'élèvent à 859 millions d'euros en AE et 603 millions d'euros en CP, concentrés pour plus des deux tiers sur le programme 178.

Sur le périmètre du programme 178, 531,5 millions d'euros d'AE et 466 millions d'euros de CP ont été consommés au titre du renforcement de la posture de défense sur le flanc oriental de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (Otan). La France est particulièrement engagée dans le cadre de la mission AIGLE en Roumanie, pour laquelle elle exerce le rôle de nation-cadre, et participe également à la mission LYNX en Estonie et à des missions de surveillance et de défense aérienne renforcées dans le ciel polonais. Il faut ajouter à ces dépenses 134 millions d'euros d'AE et 75 millions d'euros de CP liés au remplacement de certains matériels et du carburant cédés à l'Ukraine.

Sur le périmètre du programme 212, ces opérations ont en outre entraîné un surcoût en termes de dépenses de titre 2 de 44 millions d'euros.

Sur le périmètre du programme 146, le soutien apporté par la France se traduit également par la cession directe de matériels aux forces armées ukrainiennes, au premier rang desquelles la livraison de 18 canons Caesar prélevés sur le parc de l'armée de Terre. Le financement du recomplètement du parc de Caesar a représenté un coût de 110,5 millions d'euros d'AE et 21,5 millions d'euros de CP. Il faut y ajouter des dépenses à hauteur de 71,7 millions d'euros d'AE et 36 millions d'euros de CP exécutées au titre de commandes nouvelles réalisées en vue de cessions directes aux forces armées ukrainiennes.

S'ajoute sur ce programme le financement d'un fonds de soutien aux forces armées ukrainiennes pour permettre d'acheter directement du matériel militaire auprès des industriels français. En conséquence, 200 millions d'euros en AE et en CP ont été ouverts, mais seuls 100 millions d'euros en AE ont pour l'heure été engagés, le solde devant être reporté sur 2023.

Enfin, sur le périmètre du programme 144, la guerre en Ukraine a entraîné un effort supplémentaire en faveur du renseignement avec 11,2 millions d'euros d'AE et 5 millions d'euros de CP destinés au renforcement de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) aux abords du théâtre du conflit et à la fourniture d'équipements.

Ces dépenses ont fait l'objet d'un financement largement interministériel grâce à l'ouverture nette de crédits de 1,3 milliard d'euros d'AE et 1,2 milliard d'euros de CP sur l'ensemble de la mission en loi de finances rectificative de fin de gestion5(*).

Ventilation des dépenses supplémentaires
liées à la guerre en Ukraine en 2022

(en AE en millions d'euros)

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires et les données de la Cour des comptes

Plus spécifiquement, la cession de 18 canons Caesar à l'Ukraine au premier semestre 2022 a nécessité la commande en urgence d'un nombre équivalent de matériels, afin de maintenir la trajectoire d'atteinte d'un parc de 76 Caesar en service en 2024. Le surcoût total par rapport à la prévision initiale devrait s'élever à 121 millions d'euros, suivant la trajectoire d'engagement suivante :

Engagements liés aux canons Caesar

(en millions d'euros)

 

Restes à payer 2021

Engagements 2022

2022

2023

2024

Post - 2024

Total

PLF

93,74

2,12

17,97

22,43

22,99

32,46

95,85

PLFR

128,92

88,24

28,98

63,54

72,73

51,91

217,16

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

Cette commande s'ajoute à la commande de 33 Caesar nouvelle génération (Caesar NG) devant être livrée d'ici à 2027, pour atteindre la cible de 109 pièces. Ces dépenses non anticipées en LFI ne se sont pas nécessairement traduites par des ouvertures nettes de crédits : les 72 millions d'euros en AE et les 36 millions d'euros en CP susmentionnés liés à des commandes réalisées en vue de cessions aux forces armées ukrainiennes ont été financés par redéploiements internes au programme.

B. LA HAUSSE DU REPORT DE CHARGES S'INSCRIT EN CONTRADICTION AVEC LES OBJECTIFS FIXÉS DANS LA LOI DE PROGRAMMATION MILITAIRE

La problématique d'un usage généralisé des reports de charge, correspondant aux paiements comptabilisés sur l'exercice pour lesquels le service fait a été constaté, mais dont la facture n'a pas été réglée, a déjà été soulignée par le rapporteur spécial dans son dernier rapport budgétaire6(*).

La trajectoire de la LPM fixe un objectif de report de charge de 12 % du budget total de la mission « Défense » hors dépenses de personnel. Cette cible aura été largement dépassée en 2022, année pour laquelle les reports de charge s'élèvent à 3,89 milliards d'euros, soit un taux de 13,7 %.

Le ministère des armées ne parvient donc pas à respecter la trajectoire de réduction prévue par la LPM, le niveau des reports constatés en 2022 restant équivalent à celui des années précédentes et supérieur de 1,7 point (soit 477 millions d'euros) à l'objectif LPM. Ce constat est d'autant plus regrettable que la mission était parvenue en 2021 à respecter le plafond de report de charges prévu.

Évolution du report de charge sur la mission

(en % et millions d'euros)

 

Prévision (en %)

Exécuté (en %)

Exécution

Écart

2019

16

16

3 888

0

2020

15

15

3 764

- 36

2021

14

14,4

3 878

+ 110

2022

12

13,7

3 878

+ 477

Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

Le report de charges, dérogatoire au principe d'annualité budgétaire, constitue une dépense obligatoire7(*) qui doit être couverte par les crédits de paiement de l'exercice suivant, réduisant d'autant la disponibilité de ceux-ci pour la couverture des dépenses relatives aux engagements programmés de l'année. Il conduit également à faire peser sur la trésorerie des industriels les choix de gestion du ministère, alors que la réduction des impayés constitue un enjeu de crédibilité vis-à-vis des fournisseurs des armées.

En outre, un report de charges suppose le versement d'intérêts moratoires au titre des factures impayées, pour un montant de 12,7 millions d'euros à l'échelle de la mission en 2022, contre 13,9 millions d'euros en prévision pour 2023.

Le rapporteur spécial a déjà émis des réserves sur l'utilisation des reports de charge qui ne peuvent constituer un mode de gestion par défaut et rappelle que la maîtrise du niveau de report de charges nécessite un pilotage affiné du rythme des engagements.

Il est vraisemblable que la cible LPM ne soit pas non plus atteinte en 2023, dans la mesure où le Gouvernement a fait le choix de financer une partie de l'impact de l'inflation par report de charges sur l'année 2024. Le report de charges représenterait ainsi 15 % des crédits de la mission (hors masse salariale) en 2023.

C. UN SCHÉMA D'EMPLOI SOUS-EXÉCUTÉ MALGRÉ UN NIVEAU DE RECRUTEMENT INÉDIT

La LFI prévoyait une hausse des crédits de titre 2 de la mission de 2,5 % par rapport à 2021, soit une augmentation de 306,2 millions d'euros (hors CAS Pensions) pour atteindre une prévision totale de 12,93 milliards d'euros hors CAS et de 21,54 milliards d'euros en incluant le CAS.

Les dépenses de personnel exécutées s'avèrent quasiment conformes à la programmation initiale, en dépit de mesures « fonction publique » non anticipées en LFI.

La revalorisation du point d'indice des fonctionnaires décidée à l'été 20228(*) a conduit à une hausse de 146,8 millions d'euros, auxquels s'ajoutent 45,8 millions d'euros liés au relèvement de l'indice minimal pour les plus bas salaires. Ces dépenses supplémentaires ont pour l'essentiel été couvertes par des mouvements de crédits en provenance du programme 551 « Provisions relatives aux rémunérations publiques » de la mission « Crédits non répartis », à hauteur de 93,2 millions d'euros. En outre, et comme indiqué plus haut, la guerre en Ukraine a entraîné un surcoût des dépenses de titre 2 de 43,7 millions d'euros.

D'autres mesures ont eu un effet sur 2022, avec des conséquences moindres : la poursuite du Ségur de la Santé, diverses mesures catégorielles à destination des bas salaires ou encore la dynamique de la garantie individuelle de pouvoir d'achat (GIPA), sous l'effet de la reprise de l'inflation (6,7 millions d'euros en 2022).

Ventilation par poste des dépenses
de titre 2 supplémentaires en 2022

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

Dans un contexte général de tensions sur le recrutement dans la fonction publique, le schéma d'emplois du ministère, qui prévoyait par ailleurs une hausse ambitieuse, a été sous-exécuté à hauteur de 25 millions d'euros.

Il s'établit ainsi à - 1 018 équivalents temps plein emploi (ETPE), en retrait de 1 1510 ETPE par rapport à la LFI et de 2 228 ETPE par rapport à la cible établie en début de gestion 2022 pour corriger le retard constaté sur 2021.

Réalisation du schéma d'emploi en 2022

(en ETP)

Source : commission des finances, d'après le rapport du contrôleur budgétaire et comptable ministériel (CBCM) près le ministère des armées

Cette sous-exécution concerne à titre principal le personnel militaire, et en particulier les sous-officiers (- 1 367 ETP), mais n'épargne pas le personnel civil (- 861 ETP).

Écart à la cible d'emplois par catégorie de personnels

(en ETP)

 

Personnel militaire

Personnel civil

Officiers

Sous-officiers

Militaires du rang

Catégorie A

Catégorie B

- 160

- 873

- 346

- 396

- 509

Total

- 1367

- 861

Source : commission des finances, d'après le rapport du CBCM

Ce constat est d'autant plus paradoxal que 2022 a marqué un niveau particulièrement élevé de recrutements (27 707 entrées), en hausse de 7 % par rapport à l'année précédente. Il n'a cependant pas permis de compenser un nombre de sorties d'emplois plus élevé que prévu, notamment du fait d'une concurrence accrue du secteur privé.

Le rapporteur spécial considère comme préoccupante à moyen terme la dynamique de croissance du nombre de départs du ministère, qui remet en cause la trajectoire du schéma d'emplois prévue par la LPM. À partir de 2023, la LPM prévoit une hausse annuelle de 1 500 ETP, soit, tenant compte du retard cumulé, un schéma à réaliser de + 3 700 ETP, hypothèse présentée par la Cour des comptes comme « irréaliste »9(*). Le projet de loi de programmation militaire en cours d'examen au Parlement prévoit donc d'abaisser cette marche à 700 ETP en 2024 et 2025.

D. UNE SINCÉRISATION À POURSUIVRE DU FINANCEMENT DES OPEX-MISSINT

La LPM devrait mettre progressivement un terme à la sous-budgétisation chronique du financement des opérations extérieures (Opex) et missions intérieures (Missint) en prévoyant une revalorisation échelonnée du montant de la provision annuelle destinée au financement de leur surcoût

Celle-ci est ainsi passée de 450 millions d'euros en 2017 à 1,1 milliard d'euros à compter de 2020, auxquels s'ajoutent 100 millions d'euros pour les dépenses Missint de titre 2.

Or ces dépenses font structurellement l'objet d'un dépassement : celui-ci s'est élevé à 446 millions d'euros en 2019, puis a été réduit du fait du redimensionnement par la LPM à 243,78 millions d'euros en 2020 et 243,78 millions d'euros en 2021. Il est plus élevé en 2022, à hauteur de 307,5 millions d'euros, et résulte notamment de la réarticulation du dispositif français au Sahel à la suite de l'opération « Barkhane ». Concernant les Missint, le surcoût est toutefois en baisse du fait de la fin de la mission Résilience et la moindre activation du dispositif Sentinelle.

Évolution du surcoût lié aux opérations extérieures et missions intérieures

(en millions d'euros)

 

2015

2016

2017

2018

2019

2020

2021

2022

Provision OPEX-MISSINT (T2-HT2)

450

450

450

650

850

1100

1100

1100

Dotation MISSINT (T2)

11

26

41

100

100

100

100

100

Coût exécuté OPEX-MISSINT

1309

1363

1543

1360

1396

1443,78

1443,78

1544,2

Source : commission des finances, d'après des données du ministère des armées

À l'inverse des dépenses liées à la guerre en Ukraine qui ont été pour l'essentiel financées par la solidarité interministérielle, et à rebours de l'esprit de l'article 4 de la LPM, le schéma de fin de gestion a essentiellement fait reposer le financement de ce surcoût par des redéploiements internes à la mission « Défense ».


* 1 Loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

* 2 Décret n° 2022-512 du 7 avril 2022 portant ouverture et annulation de crédits à titre d'avance.

* 3 Loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022.

* 4 Rapport d'information n° 600 (2021-2022) sur le projet décret d'avance relatif au financement du plan de résilience économique et sociale, de M. Jean-François HUSSON, rapporteur général, fait au nom de la commission des finances, déposé le 31 mars 2022.

* 5 Loi n° 2022-1499 du 1er décembre 2022 de finances rectificative pour 2022

* 6 Rapport général n° 115 (2022-2023), tome III, annexe 9 sur la mission « Défense » de M. Dominique de LEGGE, déposé le 17 novembre 2022

* 7 Article 95 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique.

* 8 Décret n° 2022-994 du 7 juillet 2022 portant majoration de la rémunération des personnels civils et militaires de l'État, des personnels des collectivités territoriales et des établissements publics d'hospitalisation.

* 9 Cour des comptes, note d'exécution budgétaire 2022 sur la mission « Défense ».