B. LA CONVENTION FRANCO-GRECQUE DU 11 MAI 2022 MODERNISE LE CADRE FISCAL CONVENTIONNEL ENTRE LES DEUX PAYS ET REMÉDIE AUX RÉCENTES DIFFICULTÉS D'APPLICATION DE LA CONVENTION ACTUELLE

1. La convention franco-grecque du 11 mai 2022 intègre les derniers standards du modèle de convention fiscale de l'OCDE, tout en conservant certaines stipulations de la convention du 21 août 1963

La convention signée par la France et la Grèce le 11 mai 2022 intègre les derniers standards établis par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) dans son modèle de convention fiscale concernant le revenu et la fortune ainsi que dans l'instrument multilatéral. Toutefois, au cours des négociations, les deux parties ont fait le choix de conserver certaines stipulations issues de la convention de 1963.

L'article 5 de la convention de 2022 reprend la définition de l'établissement stable issue du modèle OCDE (article 5 du modèle). La notion d'établissement stable « désigne une installation fixe d'affaires par l'intermédiaire de laquelle une entreprise exerce tout ou partie de son activité ». Elle permet de déterminer si une activité est imposable dans l'État où elle est exercée ou dans l'État de résidence de l'entreprise. En effet, l'État d'exercice de l'activité ne peut imposer les bénéfices d'une entreprise résidente que si cette activité s'exerce par l'intermédiaire d'un établissement stable.

La rédaction de l'article 5 a fait l'objet d'un compromis entre les deux parties. D'une part, la nouvelle convention franco-grecque stipule qu'un chantier de construction ou de montage peut constituer un établissement stable au-delà d'un délai de douze mois. À la demande de la France, cette stipulation s'aligne sur le modèle OCDE, la Grèce ayant demandé d'inscrire une durée de six mois. D'autre part et en contrepartie, les lieux d'extraction, d'exploration ou d'exploitation des ressources naturelles figurent parmi les installations d'affaires susceptibles de constituer un établissement stable. Cette disposition vise particulièrement le secteur gazier émergent en Méditerranée orientale.

Cet article intègre également les notions d'agent dépendant et d'agent indépendant. En absence d'installation fixe d'affaires, une entreprise peut disposer d'un établissement stable dans un autre État si elle y est représentée par un agent dépendant. Ce n'est cependant pas le cas lorsqu'elle est représentée par un agent indépendant agissant dans le cadre ordinaire de son activité.

Enfin, l'article 5 reprend la clause dite « anti-fragmentation » du modèle OCDE, permettant d'éviter qu'une entreprise fragmente ses activités dans un État afin d'éluder la qualification d'établissement stable dans cet État.

L'article 7 de la nouvelle convention stipule que les bénéfices réalisés par les entreprises sont imposés dans l'État de résidence de cette entreprise, sauf dans les cas où l'activité est exercée dans l'autre État contractant via un établissement stable.

Le rapporteur note que la rédaction de cet article, si elle se reprend les principes du modèle OCDE, retient des stipulations antérieures à la mise à jour de 2010 de ce modèle. Ce choix, fait à la demande de la Grèce et conformément à sa politique conventionnelle et son droit interne, n'emporte aucune incidence au regard de la compatibilité de la convention avec les standards les plus récents de l'OCDE. La nouvelle convention intègre ainsi les lignes directrices de l'OCDE en matière de prix de transfert. L'article 9 de la convention de 2022 permet ainsi, conformément au modèle OCDE, l'application du principe de pleine concurrence aux transferts de bénéfices entre entreprises associées. Lorsqu'une entreprise décide de rapatrier les bénéfices d'une entreprise associée, l'autre État procède à un ajustement approprié du montant de l'impôt qui y a été perçu sur ces bénéfices.

L'article 8 de la convention du 11 mai 2022 s'écarte, à la demande de la Grèce, du modèle OCDE en conservant la distinction, opérée par la convention de 1963, entre navigation aérienne et navigation maritime internationales. Dans le modèle OCDE (article 8), les bénéfices d'une entreprise d'un État contractant issus de l'exploitation de navires ou d'aéronefs en trafic international ne sont imposables que dans cet État. La convention franco-grecque de 2022 stipule que les bénéfices de la navigation aérienne internationale sont imposables dans l'État où le siège de direction effective de l'entreprise est situé, tandis que les bénéfices de la navigation maritime internationale sont imposables dans l'État d'immatriculation des navires.

La nouvelle convention reprend, à son article 27, la clause générale anti-abus (Principal Purpose Test) issue de l'Instrument multilatéral (article 7 de la convention multilatérale). Cette clause permet de refuser l'octroi d'un avantage conventionnel lorsque celui-ci est l'un des objets principaux d'un montage ou d'une transaction ayant permis, directement ou indirectement, de l'obtenir.

2. La rédaction de la convention franco-grecque du 11 mai 2022 permet de réduire le risque de double imposition
a) Dans le cadre de la négociation des stipulations de la convention de 2022, la France et la Grèce ont retenu la méthode de l'imputation pour éliminer les doubles impositions

Le modèle de convention fiscale de l'OCDE concernant le revenu et la fortune propose deux modèles pour éliminer les doubles impositions :

la méthode dite d'exonération ou d'exemption (article 23 A du modèle). Si le résident de l'État A perçoit ou possède des revenus imposables dans l'État B, l'État A exempte d'impôt ces revenus. Il peut toutefois les prendre en compte pour déterminer le montant de l'impôt à percevoir sur le reste des revenus ;

la méthode d'imputation, via une déduction d'impôt (article 23 B). Si le résident de l'État A perçoit ou possède des revenus imposables dans l'État B, l'État A accorde, sur l'impôt qu'il perçoit du contribuable et calculé sur la base du montant total des revenus, une déduction d'un montant égal à l'impôt sur le revenu payé dans l'État B.

La convention de 1963 avait retenu, côté français, la méthode de l'exonération pour les revenus relevant d'un régime d'imposition exclusive. Ainsi, aux termes de l'article 21-A- 1 de la convention de 1963, les revenus imposables en Grèce, à l'exception des dividendes, intérêts et redevances, faisaient l'objet d'une exonération d'impôt en France. Concrètement la France avait prévu un dispositif d'exonération de l'impôt français de ces revenus d'emploi, mais tenait néanmoins compte de leur niveau pour définir le taux d'imposition sur les autres revenus imposables en France.

Concernant les dividendes et les intérêts, qui relèvent d'un régime d'imposition partagée, la convention de 1963 prévoyait, aux 3 et 4 de l'article 21-A, l'application de crédits d'impôt forfaitaires par la France. Cette méthode, à laquelle la France n'a plus recours dans les conventions récentes, consiste à accorder un crédit d'impôt dont le taux est fixé par la convention et ce quel que soit le montant du prélèvement effectif dans l'autre État, y compris si ce prélèvement est nul. De plus, son application était source de contentieux.

Lors de la négociation de la convention de 2022, la France et la Grèce ont fait le choix d'abandonner la méthode de l'exonération pour privilégier la méthode de l'imputation. Ce choix est cohérent avec les conventions fiscales récentes conclues ou renouvelées par la France16(*).

Par rapport à la méthode de l'exonération, la méthode de l'imputation offre plusieurs avantages. D'une part, l'imputation permet de rétablir l'équité fiscale entre les contribuables percevant uniquement des revenus de source française et les contribuables percevant des revenus issus d'un État étranger. Elle garantit ainsi que les revenus de source grecque soient pris en compte de la même manière que les revenus de source française dans la détermination du taux marginal d'imposition. D'autre part, la méthode de l'imputation permet d'éviter les situations de double exonération, correspondant à un impôt nul dans l'État de source du revenu.

L'article 21 de la convention de 2022 retient, par conséquent, la méthode l'imputation pour les revenus relevant d'un régime d'imposition partagée comme pour les revenus relevant d'un régime d'imposition exclusive. La méthode d'imputation s'applique également aux dividendes et aux intérêts, la convention de 2022 abandonnant les crédits d'impôt forfaitaires fixés par la convention de 1963. Les bénéficiaires résidant en France de revenus passifs de source grecque peuvent, par conséquent, imputer sur l'impôt français un crédit d'impôt à hauteur de l'impôt grec sur ces revenus.

Le passage de la méthode de l'exonération à la méthode de l'imputation, effectif avec l'entrée en vigueur de la convention signée en mai 2022, ne sera pas sans conséquence pour les contribuables. Ce changement de méthode pourra avoir une incidence concrète pour les contribuables en termes de calcul du taux d'imposition. Si l'étude d'impact annexée au présent projet de loi souligne ces effets potentiels, le rapporteur regrette qu'elle ne fournisse aucun élément chiffré pour estimer l'impact de la convention sur la situation des contribuables.

b) Afin de remédier aux difficultés d'application de la convention actuellement en vigueur, les règles de répartition de l'imposition des rémunérations publiques ont fait l'objet d'une simplification

Les stipulations de la nouvelle convention permettent plus précisément de remédier aux situations de double imposition signalées à propos de personnes physiques résidant en Grèce et percevant des rémunérations publiques.

En premier lieu, concernant la contribution spéciale de solidarité, la négociation de la convention du 11 mai 2022 vient préciser le champ d'application de ses stipulations.

Le B de l'article 1er de la convention du 21 août 1963 comprend dans son champ d'application, en ce qui concerne la Grèce, l'impôt sur le revenu des personnes morales et physiques. La contribution spéciale de solidarité, instituée en 2011 par la Grèce et assise sur les revenus déclarés, n'entre pas dans son champ d'application. En effet, jusqu'à une jurisprudence récente du Conseil d'État grec, cette contribution n'était pas assimilable à l'impôt sur le revenu.

Le b du 3 de l'article 2 de la convention du 11 mai 2022 étend son champ d'application, en ce qui concerne la Grèce, à la contribution spéciale de solidarité, mentionnée explicitement. Cette précision confirme l'analyse du Conseil d'État grec qui, dans un arrêt de décembre 2018, avait estimé que cette contribution n'était pas susceptible d'être qualifiée d'extraordinaire ou de temporaire et devait être intégrée au code de l'impôt sur les revenus. Il s'ensuivait que cette imposition entrait dans le champ de la convention.

En second lieu, concernant la situation des personnes physiques résidentes en Grèce imposées sur des rémunérations publiques de source française, la nouvelle convention vient clarifier le régime de répartition des impositions de cette catégorie de revenus.

La combinaison de l'article 14 et de l'article 21-B de la convention de 1963 permet une imposition partagée des rémunérations publiques. L'article 14 prévoit que les rémunérations publiques sont imposables dans l'État de source, sous réserve d'une imposition dans l'État de résidence pour les personnes disposant de la nationalité de l'État de résidence sans disposer en même temps de celle de l'État de source. Toutefois, en application de l'article 21-B, les rémunérations publiques de source française sont également imposables par la Grèce, sous réserve que celle-ci élimine la double imposition en accordant un crédit d'impôt d'un montant égal à l'impôt perçu par la France. Concrètement, si l'impôt grec est supérieur à l'impôt français, la Grèce peut en réclamer le surplus aux contribuables.

Le principe d'une imposition partagée des rémunérations publiques est resté inappliqué jusqu'en 2020. À compter de cette date, les autorités grecques se sont saisies de ces stipulations et ont commencé à imposer ces revenus, en veillant toutefois à déduire l'impôt payé en France de l'impôt demandé en Grèce. Sur ce fondement, la Grèce a ainsi réclamé à des résidents français, en premier lieu les enseignants du lycée franco-hellénique Eugène Delacroix, des arriérés d'impôt au titre des revenus perçus depuis 2014. Cependant, ni l'étude d'impact, ni l'audition organisée par le rapporteur n'ont permis d'obtenir d'éléments chiffrés permettant d'estimer le nombre précis de résidents français concernés.

Le 1 de l'article 18 de la convention du 11 mai 2022 opère une simplification de ces règles et prévient la répétition de ce type de problématiques. Il réaffirme un principe d'imposition exclusive dans l'État de source pour les rémunérations publiques perçues par des personnes physiques résidentes dans un autre État. Cet article précise toutefois que les rémunérations publiques perçues par des personnes disposant de la nationalité de l'État de résidence, sans disposer en même temps de celle de l'État de source, font l'objet d'une imposition exclusive dans l'État de résidence, à condition que les services effectués par ces personnes y soient rendus.

L'article 18 prévoit également un principe d'imposition exclusive dans l'État de source pour les pensions publiques. Environ 2 000 personnes résidant en Grèce perçoivent des pensions françaises, selon les données de la Caisse nationale d'assurance vieillesse.

De plus, l'article 19 de la nouvelle convention, reprenant une stipulation de la convention actuellement en vigueur, prévoit que les professeurs, enseignants et chercheurs partant exercer dans un État contractant sont exclusivement imposables dans leur ancien État de résidence. Cette clause ne s'applique que pour une période inférieure à 24 mois et vise à faciliter le séjour des missions de fouilles archéologiques en Grèce.

Par ailleurs et de manière assez notable, afin de régulariser la situation des contribuables concernés des doubles impositions ces dernières années, les deux parties se sont accordées pour intégrer une clause rétroactive dans le protocole annexé à la convention. Le point 6 de ce dernier prévoit que les résidents de France ou de Grèce peuvent, sur demande, bénéficier des stipulations relatives à l'imposition exclusive dans l'État de source et à la méthode d'élimination des doubles impositions. Dans l'attente de l'entrée en vigueur de la nouvelle convention, la Grèce a accepté de sursoir aux redressements postérieurs à l'année 2015.


* 16 Par exemple l'avenant du 10 octobre 2019 modifiant la convention fiscale franco-luxembourgeoise du 20 mars 2018.